Gil Pressnitzer

Claude Nougaro, le bel été, le grand automne

Le bel été

Et nous aurons connu ce bel été indien qui nous aura donné « l’enfant-phare » à la Salle Nougaro. Toujours présent parmi nous, conscience des lieux, il vient reconnaître tous ses enfants éclos pendant tant d’années de musiques dans cette salle qui porte son nom et qui a tenté vaille que vaille de porter aussi son renom. Noël au balcon ! Claude apporte les tisons de ses neuves chansons ! Il les fait fermenter dans ces rideaux qui portent son ombre. Son amitié aura tissé les jours.

Claude Nougaro est pour moi une des images les plus hautes du chanteur, celui sachant lire autant les larmes que les éclats de rire, sans nostalgie et sans crédulité aucune : le témoin de la "vie-violence".
Il est l’homme des mots pulsés, des mots braisés, des mots frappés au sceau de la sensualité, au creux des reins de la vie, au détour des sémaphores du temps, grand naufrageur.
Ses chansons battent tambour pour la sainte guerre de l’amour et de l’amitié.
Et dans ses musiques qui dévalent et rebondissent se lèvent des centaines de visages.
Et cette lumière qui monte de la pluie de ses images ! Pluie qui fait danser, et nous console.
Cette lumière fraternelle d’un ami qui aura tant aimé la vie portée comme une torche et qui sait vivre à cœur perdu.

Ce plein été de Nougaro qui a éclaté pour nous aux portes de Noël. Et Claude, après avoir lentement porté à maturation sa récolte au soleil minéral des Corbières, a servi son vin nouveau. Ses nouveaux fils ont été tendus pour embrasser toutes les aubes, ses nouvelles musiques ont ruisselé pour ancrer dans notre mémoire ses images d’un instant, de tous les instants d’une rivière qui chantonne, d’un soleil faisant la sieste dans le fossé.
Savoir être à l’affût du frémissement et pouvoir le faire revivre dans les pépins noirs de la chanson, dire simplement "je vis" dans un court élan de quelques minutes, éternité pour ceux qui sauront entendre, voilà un des mystères de l’alchimie des mots. Voici le beau miracle de la chanson. Cet art mineur, mineur de fond, creuse pourtant aussi le ciel.

Claude, amour porté à la taille, enlacé à la nuit, avance chansons ouvertes et poings fermés.
Orphée obstiné sachant à la fois que seule la musique cerne les ombres, mais aussi qu’il faudra toujours se retourner, le chanteur avance vers vous et vous le recevez parfois sans rien savoir du travail et des doutes de toutes ces abeilles de l’invisible butinant autant sur la rosée amère, que sur les fleurs.
Et son souffle permet l’envol des oiseaux en ouvrant la clairière des mots.

Se coucher contre ses chansons c’est comme se coucher contre la terre : on finit par entendre la vie des gens si près et si loin tout à la fois.
Chansons à saveur de femmes, chansons à saveur de fruit tendu de chair, les chansons de Claude de France, Claude de Toulouse, finissent par nous tisser un ciel de lit où inscrire nos étoiles filantes.
Les chansons du bel aujourd’hui s’ajoutent au fier limon de plus de cinquante ans de graffitis sur la peau des jours, et le fleuve coule encore, et l’enchanteur Nougaro est "toujours debout aux premières lueurs de l’espoir".

Depuis cette belle flambée d’été, d’autres chansons ou textes se seront tisonnées dans la grande cheminée de Paziols, et sur les bancs de Saint-Julien Le Pauvre. Devant cet arbre étonnant, qui a plus de plumes d’ange que de feuilles, Claude a connu des embarquements immédiats, mais ce sont les claires fontaines de ses contes qui ouvrent le ban de l’automne. Colchiques des mots, tendresse et douce mélancolie du temps qui passe, Claude Nougaro se fait plus proche, plus fraternel. Refusant la magie blanche des chansons, Claude se met à nu, pour mieux reprendre sa route aux chansons, plus tard.

Certes le pavot des jours est de plus en plus lourd, mais l’espérance reste violente et le jonglage des mots comme des ballons rouges, fait que le spectacle continue. Parfois le corps rechigne à avancer sur les ponts de singe du quotidien, mais Nougaro prend de vitesse tous les cadrans solaires, et s’avance avec son sourire qui désarme toutes les faux.
Ses doutes, seuls quelques amis auront à les connaître, les pas de la mort qui marche de long en large au premier étage, nul ne doit les savoir ;
Les cloches de Saint-Julien le Pauvre n’ont pas à couvrir les flots de la Garonne.
« Le souffleur de vers », connaisseur des alambics de la lune, prépare d’autres élixirs pour la vie qui va.

« Il était une fois comme si j’y étais » chante-t-il entre amis véritables, tout à cette joie simple de remâcher comme glaces d’oubli les chansons d’antan.
Dans sa vraie patrie, celle de la langue et des mots, celle d’Audiberti et de Mireille, il nous redit « que la vie est un feu d’artifice, et la mort un feu de paille ».

Merveilleusement habité de sa foi païenne, Claude bel arbre parmi les arbres d’automne, rythme du vent à lui tout seul, vient nous « dire des mots, en tâtant le silence, sur la chair de sa voix » (Introduction des Fables de ma fontaine).

Sonneur des mots, Claude entre éternité et mémoire « emporte l’évidence sur ses épaules, et garde le souvenir des vagues dans les entrepôts du sel » (René Char).