Gil Pressnitzer

Nougaro Claude au fil de l’eau

Il est où le Claude ?
Il est caché dans la Garonne !
Mêlant le roulement de ses mots à la houle de l’eau qui le rejoint enfin, l’étreint et le console, il s’en va vers la mer retrouver ses sirènes sexuées et mouillées.
Parti avant les lilas, tu les verras au milieu de toi, de la rive des amours, toi le sensuel, le charnel qui savait des femmes la haute liqueur, des mots la pulsation cardiaque.
Les cloches se sont tues, les amis vrais ou ceux en papier crépon sont repartis,
Les papillons noirs traînent encore un peu vers ce vitrail liquide d’où sourd encore ta lumière.
Hélène rejoint son île, et ton dernier texte entouré de fleurs bleues brandit l’espérance en l’homme.
Les chiots de tes paroles ne seront pas noyés, ils grandiront pour venir lécher nos ombres.
Toi le petit taureau tu auras ensemencé toutes les reines des abeilles et ton arène était la planète bleue.
Toi le gourmand des femmes, tu les auras magnifiées dans les bras de tes chansons, l’érection de tes notes.
Quelques-uns savent ta tendresse gloutonne d’enfant devant les fruits de la vie, les étincelles de joie que tu savais donner et ce respect profond de l’autre depuis cette rencontre avec ce père de substitution, Jacques Audiberti.
Homme de partage et de générosité bourrue en armure, tu étais un homme jonglant avec sa désespérance et sa soif d’assoiffé du monde.
« Un homme qui sort ses glandes » comme tu te décrivais, toi l’homme tribal, toi qui mets ton oreille sur le ventre de la terre et l’entends jacasser son magma sonore.
Les mots t’auront travaillé, taraudé, creusé jusqu’à cette lave de chansons qui en sera sortie si abondamment.
Le basalte noir des « chantssongs » était donc à ce prix.
Quand tu as su le moment de tourner la page, il paraît que tu es monté sur une table et que tu as dansé toute la nuit, non pas pour célébrer le néant qui s’avançait, mais les dernières goulées de la vie encore à laper.
Tu m’avais tant parlé de cet arbre unique à Paris, ce robinier de quatre cent deux ans, là au beau milieu du jardin de Saint-Julien-le-Pauvre, de ce banc, de cette église qui te fascinait par son silence protecteur et non pas par sa fonction de mystère d’au-delà.
Aussi une partie de toi se soulève encore là-bas.
Aussi je parle encore de Claude même si de notre silice élémentaire de feu et de lumière, de souffle et de passage, il ne restera que les néons qui tremblent.
Ta voix sur du vide ?
Non, cela ne se peut.
As-tu repris trace dans cette terre qui nous fait passer ?
Et puis tu t’enfonces dans la gorge de tous les oiseaux
Ils sauront te redire et les cigales et le vent,
La cheminée des notes bleues et des mots qui se tordent
Puis ce manque de toi qui monte à la gorge et alors
On tourne les talons et l’on grince en se refermant serré sur soi-même
Les blessures du visage sont le dernier des livres
Les mains s’abattent comme pelletées de silence
mains croisées sur notre perte
mains comme cailloux dans les poches de nos amours
l’absence se retire en laissant des îles en nous
l’enfance sèche sur la corde à linge
tout cela n’aura été que cela
mais un chant passe encore, le tien
et les veines de la terre se font plus lourdes
ce ne sont plus tes pas qui font crier la neige ou claquer les gouttes
mais ta voix qui donne la fièvre à la pluie
elle retombera sur nous les jours où cela n’ira plus.
Argile et feu
Chaque vivant a sa figure modelée dans la terre chaude
Argile et feu mêlés
Quand l’un s’efface l’autre le remplace à l’identique
Ainsi vont les apparences
Entre âme et faïence
Il suffit qu’elles ne se rencontrent pas pour vivre sans remous et sans vie, toi tu les avais fusionnées, et l’argile et le feu.
si tu te tais qui lui dira d’encore pleurer sur nous, à cette pluie qui t’aura suivie jusqu’à tes funérailles ?
Qui va déplier ces draps de neige pour que nous puissions enfin germer ?
Enfin consolés et puis souriants on s’allongera contre sa mort, la sienne propre qui vous attendait en faisant les cent pas.
Flanc contre flanc
Buée contre buée
Un doigt sur la bouche
Elle s’endormira avant nous prise dans la neige
Et le travail des journées qui passent
Petites gorgées qui se raréfient et cette vrille dans la tête :
Des mélodies et des mots qui raclent le fond de nos cales :
Tiens mais c’est Claude qui chante encore.
La note bleue brille face au trou noir.
Les sages hommes comme toi accouchent les enfants de l’âme.
Nougarat des villes, Nougaro des champs, Nougaronne
Nougaro qui a pris la clef des chants.
Il est où le Claude ?
Il est caché dans la Garonne !

Gil Pressnitzer, le 14 mars 2004