La musique des Grecs d’Asie Mineure

Le patrimoine musical des Grecs d’Asie Mineure

L’Asie Mineure est située aujourd’hui, bien évidemment, en Turquie. Mais l’histoire de cette région, avec ses moments de paix et ses guerres, a fait cohabiter pendant des siècles les Grecs d’Asie Mineure, descendants des Byzantins, avec les Turcs qui ont été les conquérants de ce territoire situé au cœur de la civilisation hellénique.

Le passé hellénique de cette région rayonne encore par les vestiges des hauts lieux archéologiques, si nombreux et extraordinaires dans cette région. C’est cet aspect du littoral de l’Égée qui est le plus connu par les touristes et, de manière plus générale, par les occidentaux.

Mais cela ne doit pas nous faire oublier également l’existence d’un patrimoine musical extraordinaire des Grecs de cette région. Ce patrimoine comprend la musique byzantine, la musique traditionnelle grecque d’Asie Mineure et les musiques urbaines plus connues sous le nom de rébétiko d’Asie Mineure.

Un peu d’histoire

Dès les premiers siècles de notre ère, la Grèce est devenue progressivement chrétienne et l’empire romain s’est vu attribuer par l’empereur Constantin une nouvelle capitale située sur les rives du Bosphore, sur le lieu de l’ancienne Byzance. C’était le 11 mai 330, l’empereur Constantin donnait à l’empire romain cette nouvelle capitale, sous le nom officiel de « Nouvelle Rome ». Cette ville prendra le nom de l’empereur, après la mort de celui-ci. De là est venu le nom de Constantinople, Konstandinou-Poli, ce qui signifie : la ville de Constantin. Les Grecs l’appelaient généralement i Poli, « la Ville ». Par la suite, les Turcs l’ont nommée Istanbul, nom dont l’origine est l’expression grecque eis tin Polin qui signifie « vers la Ville » et se prononce en grec is tim bolin.

Le destin particulier de l’Asie Mineure a commencé bien avant l’arrivée du christianisme, dès l’Antiquité grecque. Après la fondation de Constantinople, cette destinée se poursuivra avec l’empire byzantin jusqu’à la chute de Constantinople, le 29 mai 1453, puis ce sera le temps de la domination turque. Constantinople deviendra alors Istambul, le principal foyer de l’empire ottoman. Cet empire a duré jusqu’à la grande guerre du début du XXe siècle. Les Turcs s’étaient en effet rangés du côté des Allemands pendant la première guerre mondiale. Avec la défaite des Allemands, les Alliés imposeront le démembrement de ce vaste empire dont le territoire sera alors réduit à l’Anatolie.

En 1922 s’est produite la « Grande catastrophe », suite à l’affrontement des troupes grecques contre celles d’Attatürk, à partir de Smyrne (actuelle Izmir). Il s’ensuivra un douloureux échange de populations, une grande partie de la communauté grecque devant quitter définitivement l’Asie Mineure et les Turcs étant invités également à quitter le territoire grec. Les réfugiés d’Asie Mineure à cette époque firent augmenter la population de la Grèce continentale d’environ vingt pour cent.

Pourtant, le patriarcat grec-orthodoxe de Constantinople a gardé, jusqu’à aujourd’hui, son siège au Fanar, à Istambul. Patriarcat principal de l’Église orthodoxe, il reste également la référence incontestée pour la juste exécution de la musique byzantine.

Les autres villes de l’Asie Mineure ont eu également un passé mythique : Éphèse, Smyrne, Milet, Pergame etc. Toutes ces villes ont une histoire associée à la culture, l’art, la philosophie, et des échanges culturels qu’on ne peut mesurer tant l’Asie Mineure fut le creuset d’une vie intense réunissant des communautés diverses : Grecs, Turcs, Arméniens, Juifs, Tziganes. Pensez, par exemple, que l’actuelle Syrie était byzantine. Pensez également que l’empire ottoman s’étendait jusqu’en Algérie…

Les échanges culturels et particulièrement musicaux dans tout le bassin méditerranéen ont été permanents. On sait, par exemple, que les diverses sources de la musique arabe ont été principalement sémitiques, indo-persanes et grecques. La musique arabe s’est développée en s’appropriant les anciennes traditions musicales des différents pays où l’islam et la civilisation arabe s’imposèrent, notamment en Perse, en Anatolie (Turquie), au Proche-Orient et au Maghreb. Il y a certes une grande diversité des styles et des caractères entre la musique byzantine, la musique turque ou encore la musique arabe mais le système musical provient de la même source : le système musical byzantin.

Musique orale, musique savante

Nous savons que le système musical qui a dominé dans le bassin méditerranéen dès l’Antiquité était le système hellénique, avec tout d’abord les pythagoriciens. Les premières théories musicales proviennent des Grecs et la première notation musicale vient des accents de la langue grecque.

Les Grecs ont étudié avec précision la proportion entre les tons dans les échelles musicales. Ainsi apparurent les modes dorien, hypodorien, phrygien, hypophrygien, lydien, hypolydien, mixolydien, hypomixolydien etc.

On peut se demander comment ces modes ont perduré dans la poly-modalité byzantine. C’est une question sur laquelle les musicologues reviennent régulièrement sans que l’on trouve une réelle unanimité dans leurs opinions. Il est difficile de trouver aujourd’hui des correspondances exactes entre ces modes anciens et les actuels modes byzantins ou les modes turcs ou encore avec les modes arabes.

Ce qui est clair toutefois, c’est que toute l’histoire de la musique hellénique manifeste constamment cet effort pour unir musique populaire et réflexion théorique, musique populaire et musique savante. Ainsi, à la différence d’autres traditions musicales de la méditerranée fondées uniquement sur l’oralité et la transmission de maître à disciple, la tradition musicale hellénique a toujours voulu unir l’oralité et l’écriture musicale. La pratique musicale et la théorie ont avancé de pair et ce jusqu’au vingtième siècle et encore aujourd’hui. C’est pourquoi le patrimoine de musique composée, écrite, est immense en musique byzantine.

Cette volonté théorétique ne date pas d’hier.

Aristoxène, par exemple, qui était un disciple d’Aristote, était spécialisé dans la théorie de la musique. Il était originaire de Tarente, une ville dans laquelle les pythagoriciens eurent une influence plus importante que partout ailleurs en Italie du Sud. Il est le premier, comme l’a fait remarquer Simon Karas (le plus grand théoricien de la musique byzantine au xxe siècle) à avoir posé les bases de la « mitigation » des intervalles musicaux. Cette mitigation consiste à augmenter ou diminuer la valeur des tons (que les Grecs préfèrent appeler « voix » car dans cette musique les tons n’ont pas une valeur égale).

Cette capacité d’augmenter ou de diminuer la valeur des intervalles des échelles musicales est un élément majeur pour toute l’histoire de la musique orientale (byzantine, turque ou arabe). C’est de cette manière que se sont constituées les échelles des modes diatoniques, chromatiques et enharmoniques, et c’est également ainsi que se justifie le jeu des attractions naturelles exécutées au cours du chant.

Les attractions (elksis en grec) font fluctuer vers l’aigu ou vers le grave les notes mobiles de l’échelle d’un mode. La musique orientale, de manière générale, a conservé cette distinction des notes fixes, la fondamentale et les dominantes, et les notes intermédiaires qui sont mobiles.

On ne peut comprendre la musique traditionnelle des Grecs d’Asie Mineure si l’on ne connaît pas le système musical qu’elle utilise. Or ce système musical est le système byzantin et celui-ci est très différent du système musical occidental, tant au plan de la sémiographie que de la théorie musicale.

Ce système, comme nous l’avons dit, est également valable pour comprendre de l’intérieur la musique turque traditionnelle ou encore la musique arabe, nonobstant les particularités qui marquent le caractère propre de telle ou telle tradition musicale ou de telle ou telle région. Nous voyons aujourd’hui que des amitiés entre musiciens turcs et grecs sont de plus en plus fréquentes. Il n’est pas difficile de jouer de la musique ensemble…

L’Asie Mineure est restée la référence en musique byzantine pour toute la Grèce. Les théories de la musique byzantine, et il y en a eu beaucoup pendant les deux millénaires qui se sont écoulés, devaient recevoir la validation du Conseil pour la musique du patriarcat de Constantinople. Celui-ci était et demeure pour la musique byzantine le garant de la continuité de la tradition musicale et du respect par les nouveaux compositeurs du caractère propre (èthos) de cette musique.

Le passage de la musique byzantine à la musique traditionnelle des Grecs d’Asie Mineure est naturel. Ces musiques étaient contemporaines et exécutées par les mêmes populations. La musique traditionnelle est donc restée toujours fidèle à ce système musical byzantin. Il n’est pas rare, encore aujourd’hui, que les chanteurs de musique traditionnelle soient également des psaltes dans l’Église orthodoxe. Quoi qu’il en soit, leur oreille était formée dès l’enfance par la musique byzantine et la formation musicale était commune.

Le système musical byzantin

Ce système musical comprend trois genres comme nous l’avons dit plus haut : le genre diatonique, le genre chromatique et le genre enharmonique (il n’y a pas de distinction entre majeur et mineur en musique byzantine). C’est le genre diatonique qui est le genre principal. Les autres genres musicaux se construisent à partir de lui par mitigation des intervalles. Or, dans le genre diatonique naturel, l’échelle se construit uniquement à partir de tons (et non de demi-tons). Il y a le ton plein, le ton moyen et le ton minime. Pour une oreille occidentale, le tempérament de l’échelle diatonique naturelle donne déjà une impression de « quarts de ton » puisque la division des intervalles n’est pas semblable à celle de la gamme occidentale.

Dans le genre enharmonique (appelé également diatonique dur) va apparaître le demi-ton. Il apparaît également dans le mode chromatique doux. Celui-ci est construit en augmentant un peu le ton plein, en diminuant le ton moyen (qui prend la valeur que le ton minime avait précédemment) et le ton minime sera diminué jusqu’à la valeur du demi-ton. Ainsi, au lieu d’un tétracorde diatonique naturel : 10/12/8 (commas) on obtient : 8/16/6.

Dans le chromatique dur, le ton moyen et le ton minime sont tous les deux réduits au demi-ton et le ton plein est fortement augmenté, ce qui donne 6/18/6.

Par ailleurs, pour ceux qui s’interrogent encore sur l’usage du quart de ton, il faut rappeler qu’en musique byzantine il n’y a pas moins de quatre dièses et quatre bémols différents. Chaque altération correspond à deux commas dans l’échelle byzantine (soixante douze commas pour une octave). Un triple dièse représente donc une altération de la note d’un demi ton supplémentaire (six commas) un quadruple dièse représente une altération d’un ton minime (huit commas) etc.

Dans le jeu des attractions, une même note va fluctuer plus ou moins selon la force qu’exerce sur la note qui la précède ou qui la suit la fondamentale ou une dominante dans le propos musical. Tout en étant naturelle, la loi de l’attraction doit être exécutée avec précision, en référence au schéma mélodique. Il ne faut pas croire que naturel signifie ici aléatoire. Malheureusement beaucoup de psaltes n’exécutent plus les attractions de cette manière à cause de l’influence du système occidental. Dans ce cas, le caractère de la musique byzantine est déformé et appauvri.

La musique byzantine était et demeure, jusqu’à aujourd’hui, une musique purement vocale et monodique. Il n’y a que la tenue d’une note (note égale appelée ison) sur la note fondamentale du mode ou parfois sur la première note d’un tétracorde supérieur qui apporte à cette musique une impression d’harmonie. Il s’agit d’une harmonie au sens le plus ancien, comme on parle de chant harmonique. La tenue de l’ison n’a pour but que de mettre en valeur les harmoniques du chant monodique. Mais, il faut y insister, le changement fréquent des isons et leur multiplication dans certaines exécutions proposées aujourd’hui est une invention tout à fait récente pratiquée par certains psaltes pour produire une harmonie à l’occidentale qui dénature gravement l’èthos (le caractère) du chant byzantin.

La musique traditionnelle

Venons-en maintenant à la musique traditionnelle des Grecs d’Asie Mineure. À la différence de la musique byzantine, la musique traditionnelle est à la fois vocale et instrumentale. Mais les modes qu’elle utilise sont ceux de la musique byzantine.

La différence essentielle est évidemment dans le mètre poétique et le pied rythmique. Alors qu’en musique byzantine les rythmes sont fréquemment irréguliers (on passe dans la même phrase musicale du 3/4 au 4/4, 5/4, 6/4, 7/4 etc.), dans la musique traditionnelle le rythme d’une chanson est constant puisqu’il s’agit la plupart du temps de danses.

En Asie Mineure, nous trouvons le 7/8 dans les kalamatiana, des quatre temps lents dans les kathistika (chants avec un rythme très libre), aphigimatika (chants narratifs), nyxtodies (chants de veillées nocturnes) ; des 4 temps rapides dans les syrta et les kasapika (danses traditionnelles) et également des 6 temps (3+3), témoignage d’une forme utilisée par le peuple à l’époque byzantine pour solliciter ou louer l’empereur.

Ces chants et danses sont accompagnés par des instruments. Dans chaque région de Grèce on trouve des instruments particuliers. En Asie Mineure, c’est incontestablement le violon et la lyra politiki à trois cordes, le kanonaki (qanoun), le santouri (santour), le laouto (luth), le outi (oud) et le klarino (clarinette) qui sont les instruments privilégiés, sans oublier la thamboura byzantine.

Le psaltirion kanonion (ancêtre du qanoun, psaltirio en grec) et la thamboura doivent retenir particulièrement notre attention. Ils étaient utilisés pour l’apprentissage des modes et des intervalles autrefois. En effet, la thamboura est un instrument à cordes connu depuis l’époque des acrites (les gardes frontaliers de l’Empire byzantin). Cet instrument est habituellement constitué de trois cordes avec un petit caisson en forme de poire et un fin et long manche. Ce manche d’un mètre environ possède des frettes qui lui permettent d’exécuter avec précisions tous les intervalles utilisés dans la musique traditionnelle.

La flogera (flûte) était beaucoup utilisée autrefois et a été supplantée par le klarino. Avant celui-ci on utilisait le zournas qui était d’une tessiture beaucoup plus aiguë. Il semble que l’usage du klarino date du XVIIIe siècle.

La différence principale entre le outi et le laouto mérite d’être soulignée. Le outi est un instrument mélodique, soliste. Le laouto est un instrument servant particulièrement à l’accompagnement des chants avec un rôle rythmique important.

Ce type d’orchestration se retrouve également dans les îles de la mer Égée. Les chansons traditionnelles sont associées aux activités humaines, aux labeurs, aux voyages, particulièrement des marins, aux fêtes populaires et, par conséquent, à la danse.

Simon Karas a développé, dans le cadre de son Association pour la dissémination de la musique nationale, une discographie importante des chansons traditionnelles de l’Asie Mineure. Aujourd’hui, le chanteur Chronis Aidonidis (qui fut un collaborateur proche de Simon Karas) et sa disciple Nektaria Karantzi sont des interprètes et des témoins particulièrement importants de ce répertoire. Ils se produisent dans des tournées internationales et très récemment ont joué à Paris. La chanteuse Domna Samiou, par ses recherches et ses interprétations, est également incontournable ! Ce répertoire reste très vivant ainsi que les groupes de danses traditionnelles qui perpétuent ces traditions populaires et les adaptent fréquemment avec intelligence à la scène ou à la télévision.

La musique urbaine des grecs d’Asie Mineure

Dans les villes de l’Asie Mineure (Smyrne en particulier) s’est développé un courant musical qui, bien qu’étant dépendant des musiques traditionnelles d’Asie Mineure, va évoluer en prenant un caractère très différent, urbain, et exprimant de manière forte la souffrance de la vie dans les grandes villes, la pauvreté, la douleur de l’amour et de son inconstance, le caractère effrayant de la mort, de l’exil, de la violence urbaine, de l’emprisonnement et de la fuite dans les paradis artificiels, drogues, alcool etc. Vous l’avez compris, il s’agit d’une musique généralement beaucoup plus sombre que les musiques traditionnelles. Certains parlent ainsi d’un blues d’Asie Mineure. Il est important de comprendre que le rébétiko d’Asie Mineure est une tradition musicale, greffée et issue des musiques traditionnelles mais qu’il s’en distingue résolument. C’est un genre musical populaire mais ce n’est pas une musique traditionnelle.

La caractéristique vocale de ce rébétiko, très différent du rébétiko qui se développera au Pirée, est l’usage d’une forme de chant mélismatique très riche. Un chant lent et long peut ne s’appuyer que sur un texte de deux vers… C’est un chant souvent plaintif, langoureux où se multiplient les « aman, aman », expression caractéristique de l’Asie Mineure. Cette expression est difficile à traduire. C’est une interjection qui peut signifier la nostalgie, la douleur ou un moment de plaisir et d’émotion intense. Ces chants ont été appelés également pour cette raison des amanedes.

Cette musique manifeste l’influence musicale réciproque des Grecs et des Turcs dans les grands centres urbains d’Asie Mineure. Il existe à cette époque des chants grecs en langue turque, puisque tous les Grecs d’Asie Mineure parlaient évidemment également le turc. Cette musique s’est fait connaître dans les années vingt, notamment après la « Grande c­atastrophe » d’Asie Mineure. Certains chanteurs, des réfugiés, ont fait carrière aux États-Unis et ont commencé à y enregistrer leurs premiers disques. Ensuite, des maisons de disques en Grèce ont commencé à s’y intéresser.

Les chanteurs qui ont fait connaître ce style étaient tous des chanteurs exceptionnels. On peut nommer évidemment Antonis Dalgas, Giorgos Papasideris, Stratos Payoumdzis etc. Il y avait également d’immenses chanteuses comme Roza Eskenazi, Marika Papangika, Rita Abadzi etc.

Cette musique s’accompagne des instruments traditionnels de l’Asie Mineure : le violon, la lyra de Constantinople, le kanonaki, le santour, le oud, le laouto, le klarino, et va développer un répertoire prodigieux, immense, que l’on interprétait dans les « kafés aman ».

Pour conclure...

La vitalité de ces répertoires de l’Asie Mineure est toujours d’actualité, particulièrement en ce qui concerne la musique byzantine et les musiques traditionnelles. Le rébétiko d’Asie Mineure, lui, ne connaît pas la même pérennité. Peu de voix modernes sont capables de restituer la caractère de ce chant à la fois mélismatique et marqué par une esthétique vocale qui prévalait au XIXe siècle et au début du xxe siècle. La « Grande catastrophe » de 1922 a réuni les rébètes de l’Asie Mineure avec ceux de la Grèce continentale, au Pirée notamment. Cela a, sans aucun doute, enrichi le rébétiko plus tardif et permis l’éclosion d’un répertoire riche en couleur avec de grands compositeurs comme Panayiotis Toundas, Yannis Papaioannou, Markos Vamvakaris et Vassilis Tsitsanis. Mais cela a également marqué la fin d’un style de rébétiko plus caractéristique de l’Asie Mineure et fait disparaître l’orchestration traditionnelle de cette région, au profit de la grande famille des bouzoukis (baglama, Tjouras, bouzouki), de la guitare, voire du piano...

En ce qui concerne la musique byzantine et les musiques traditionnelles, l’œuvre de Simon Karas est une œuvre majeure et sans doute pour des siècles. Il a redonné une vitalité à la recherche musicologique, à la formation des jeunes à la musique byzantine et à la pratique de la musique hellénique. Sa méthode pédagogique unit la formation en musique byzantine et en musique traditionnelle. Ses (heureux) élèves pratiquaient également les instruments traditionnels et la danse. Il a constitué un fonds d’archives sonores dont on n’a pu encore éditer la totalité. Sa contribution en ce qui concerne la musique traditionnelle d’Asie Mineure est particulièrement importante. Il a enregistré, noté, les chants des réfugiés d’Asie Mineure et réalisé des disques avec des musiciens contemporains d’une perfection internationalement reconnue. Son œuvre dans ce domaine est poursuivie par le grand chanteur Chronis Aidonidis et la chanteuse Nektaria Karantzi.

Lycourgos Angelopoulos, un disciple de Simon Karas, avec le Chœur Byzantin de Grèce, fait, quant à lui, rayonner la musique byzantine dans le caractère (èthos) du patriarcat de Constantinople dans les festivals du monde entier. Récemment, le 13 mai 2004, avec Kudsi Erguner (grand spécialiste du ney turc) et Derya Türkan (un jeune maître du kemenche classique turc à trois cordes, spécialiste du répertoire classique ottoman), Lycourgos Angelopoulos a donné un concert exceptionnel à l’église sainte Irène d’Istanbul, réunissant le Chœur Byzantin de Grèce et les Muezzins d’Istanbul. Une sublime représentation qui a heureusement été filmée et qui témoigne d’un dialogue artistique au plus haut niveau entre la musique héritée de Byzance et la musique classique de l’empire ottoman. Pour terminer, j’aimerais dire que je prépare actuellement, avec bonheur, un voyage musical « de l’Asie Mineure à l’Andalousie » avec mon ami Fouad Didi et ses musiciens. La rencontre et la complicité des musiciens dans ce programme qui unit les musiques traditionnelles d’Asie Mineure et arabo-andalouses témoignent du langage commun qui unit les musiciens de la Méditerranée… 

Frédéric Tavernier-Vellas

Merci à Maria Morphidou, présidente de l’Association pour la Culture de Thrace et d’Asie Mineure de la Commune de Prosotsanis pour les photos d’instruments.

Cet article a d’abord été publié dans la revue Pastel n°63 Ier semestre 2009 du Centre Occitan des Musiques et Danses Traditionnelles Toulouse. Il est reproduit ici avec l’aimable autorisation de la direction du COMDTT.