Mano Solo

Mano Solo ou l’urgence nue

Mano Solo ose parler de cordes dans la maison du bourreau, notre société. Urgent et fiévreux, il est le messager qui dénonce un monde révulsant, et bien sûr il subira le sort des porteurs de mauvaises nouvelles.
Il nous dit pourtant ces temps du mensonge et du plastique entre le linceul ou la capote, du Sida et du « No future », des illusionnistes mais aussi de tous les exclus, SDF ou amputés du cœur. Comme la terre, même petite, tourne trop vite, il ne peut pas sauter en marche, alors il crie le Mano Solo, alors il chante.
Mano de plus en plus solo n’est plus retenu sur cette toupie folle que par la pesanteur, et pour survivre il transforme le monde en un vieil orgue de barbarie fou et lancinant au milieu des barbares.
Il semble qu’il sache tout de ce monde usé, de ces odeurs luisantes, de ces cafards ténébreux, de ces panneaux « sans issue» posés sur nos vies. Alors il gueule le Mano Solo ; il ne se laisse pas couler dans un blues pathétique mais poisseux, il fait tournoyer la fronde de sa jeune vie et il vibre de tout son corps dans ses chansons.
J’ai joué avec le soleil qui m’a cramé les ailes, mais je l’ai vu de si près que peu de gens peuvent en dire autant.
La liberté ou la mort, j’aurai eu les deux.
La liberté ou la mort, c’est mieux que de finir vieux
.Sa drôle de voix haletante, n’appartient qu’à lui comme sa sueur et sa peur. Il va jusqu’au bout car « il ne peut s’empêcher d’y croire » ; Mano Solo palpite plus qu’il ne chante, et comme la tristesse est inhabitable, il marche seul mais avec les poings serrés de l’enfance en avant.
Des rengaines déchirantes l’escortent. Musicien des rues, Emmanuel Cabut, réchappé de l’ennui, collé en première partie de Mano Negra, est devenu Mano Solo et sa marmaille nue.
Avec « son sacré cœur gros comme ça », il trace un drôle de chemin face au temps qui tue ses enfants.
Comme il le dit dans sa chanson-confession A quinze ans du matin il est revenu des conneries et de l’ennui mais marqué au fer rouge à mille bornes de l’espoir voulant simplement pour laisser une trace, cracher dans le néant.
Il refuse de lire, par haine des « intellos », et le dessin le prend comme la mer. Mano Solo, l’urgence nue, la rage de vivre à l’état pur, écrase à trente ans du matin le cafard à coup de butoir : chanter est pour lui déjà vivre jusqu’à demain. Le désespoir étant une voie à une seule issue, autant avancer avec ses musiques simples comme les goualantes de ceux qui habitent au plus profond du fond.
Mano avance donc à découvert, finalement heureux que sur scène.Peintre, dessinateur, fils de l’autre qu’il ne faut pas nommer, il a connu quelques révélations de Tom Waits à Éric Lareine qui lui ont donné la force, lui qui ne se considère pas comme un chanteur, de dire les choses avec sa voix-trémolo, avec sa voix cassée qui vrille en nous ses paroles.
Fils des chanteurs réalistes et des rockers anglo-saxons, cet enfant du siècle témoigne de cette société plus en loques qu’en cloque.

Mano Solo est aussi peintre et les illustrations de ses albums poursuivent l’impact des paroles
Parfois c’est l’alibi qui constitue le crime et nous avons une société alibi !
Quand Mano Solo chante nous avons froid dans le dos.
Il m’arrive encore d’avoir peur de la mort, mais je suis vivant.Vivant il continue à le clamer et à l’accepter se sachant en sursis et dans l’urgence. À vif, profondément à vif il faut lui foutre la paix quand on l’invite. Pas de pitié, pas d’amitié, il chante c’est déjà immense. Et il aime la scène et le déferlement qu’elle entraîne :
« J’exulte dans les concerts ! J’éructe ! Si je fais des disques, c’est pour remplir les salles. C’est sur scène que ça se passe, pas en studio."
« Puis peu à peu du soleil s’est glissé dans ses nuits. Il a mis le nez "dehors" et transforme sa noirceur en énergie pure.
Et les années sombres dérivent un peu au loin. Il ne veut plus être étiqueté comme chanteur des années sida, et il vomit ceux qui le lui rappelent.
J’ai soif de la vie
Qu’on m’en apporte.
Elle est là, elle arrive.Et puis elle est partie un incertain 10 janvier à Paris,pour tes 46 ans. Mais tu le savais et nous avais prévenu:

"Mes amis ne pleurez pas, le combat continue sans moi. Tant que quelqu’un écoutera ma voix, je serai vivant dans votre monde à la con".

Nous ne pleurons donc pas et continouns à écouter ta voix.

Gil Pressnitzer

Textes de Mano Solo

15 ANS DU MATIN Paroles et Musique : Mano Solo
À 15 ans du matin,
j’ai pris par un drôle de chemin,
des épines plein les bras,
je me suis troué la peau mille fois.
À 18 ans du matin,
j’étais dans un sale pétrin,
je vends du poing, de la chignole,
de la cambriole, du vol des bagnoles.
Ca fait du temps maintenant,
inexorablement,
passe le temps qui tue les enfants.
À 18 ans du soir,
j’ai perdu la mémoire...
À 20 ans du matin,
j’ai vraiment connu l’amour
qui devait rimer avec toujours,
il a rimé avec hier.
À 23 ans du matin,
tout seul comme tout un chacun,
les yeux grands ouverts de ne rien voir,
j’ai peint des tableaux tout noirs.
Ca fait du temps maintenant,
inexorablement,
passe le temps qui tue les enfants.
À 23 ans du soir,
j’ai perdu la mémoire.
À 24 ans du matin,
la mort m’a serré la main
et en me tapant un coup dans le dos,
elle m’a dit "Salut et à bientôt !".
À 27 ans du matin,
j’ai chopé ma putain de guitare
et à grands coups de butoir
j’écrase le cafard.
Ca fait du temps maintenant,
inexorablement,
passe le temps qui tue les enfants.
À 29 ans du soir,
j’ai perdu la mémoire.
Je t’abandonne ma mémoire...

CHACUN SA PEINE Paroles et Musique : Mano Solo
Sur le quai chacun sa peine,
y’a des mariniers qui pleurent,
et de leur tas de tôles moisies,
on entend monter leur cri...
Et sur la tête de ma mère,
moi je te jure qu’elle est belle la vie
et sur la tête de tous mes frères
mais pas sur la tête de mon chien,
lui c’est mon copain...
Sur le quai chacun sa peine,
y’a des mariniers qu’ont du chagrin,
et qui cultivent leur haine
du soir au matin...
Y’a plus de gaz-oil dans les cuves,
y’a plus que des chiens qui s’usent,
les dents plantées dans la ferraille
et qui livrent l’ultime bataille...
Sur le quai chacun sa peine,
il suffirait vraiment d’un rien,
il suffirait qu’on les aime
pour que les hommes pensent à demain...
Il suffirait qu’elles reviennent,
les femmes parties avec de vrais marins,
que le tour du monde les ramène
jusqu’au canal Saint-Martin...

QUAND TU ME DIRAS Paroles et Musique : Mano Solo
Quand tu me diras que tu me vois plus, que tu m’as trop vu, que tu peux plus me voir, quand tu me diras que tu me sens plus, que je sens trop fort que je pue la mort. Quand tu me diras tous ces trucs-là, moi j’entendrai rien, je serai déjà loin.
Dans la musique qui m’emporte et qui me prend dans ses bras.
La musique qui me réchauffe la tripe et qui pleure avec moi.
Quand tu me diras que je te fais peur, quand tu me diras que ta vie elle est ailleurs, quand tu me diras que l’amour est un jeu d’enfants et que t’as plus quinze ans.Quand tu me diras tous ces trucs là moi j’entendrai rien je serai déjà loin dans la musique...
Quand tu me diras tous ces trucs-là moi j’entendrai rien tout ce que tu me dis c’est des conneries. Moi je penserai qu’à te prendre la main, elle sera toute froide mais ça fait rien, fait rien, moi je serai parti, je serai déjà loin dans la musique...

TOUS LES JOURS Paroles et Musique : Mano Solo
Tous les jours sont pour moi comme quand on descend d’un train et qu’on aimerait bien qu’il y ait quelqu’un. Juste un petit coeur tendre, qui serait là à m’attendre. Mais sur le quai, y a pas la foule, juste deux trois connaissances. Le désir, la mort, la malchance. J’ai fait comme si je les avais pas vus mais c’est eux qui me collent au cul. Fera-t-il jour un jour dans ma nuit de l’amour, me lèverai-je un matin avec autre chose que du chagrin.
Tu me manques, je sais même plus combien, j’ai jamais su compter si loin.
J’ai dû croiser trop de chats noirs et il pleuvait des enclumes, toujours dans la côte et jamais le vent dans le dos. Alors je continue, je monte sur scène, j’y crache ma peine et je continue, ce n’est que ma vie. Excuse-moi du peu, excuse-moi de l’odeur, excuse-moi pour tout, excuse-moi de la peur.

JE REVIENS Paroles et Musique : Mano Solo/Matu
J’ai pas vu passer le temps, le vent, les grandes marées. Je suis pas vieux pourtant, je suis fatigué. J’ai pas vu passer le plaisir mais j’en garde des marques qui font souffrir, c’est pas des trucs qu’on emprisonne, c’est juste là, ça résonne. J’ai pas vu passer le temps, le vent, les grandes marées. Ils ont bien dû gueuler les cormorans mais j’avais le dos tourné sur toute une vie dont il n’est rien resté qu’un tatouage obsolète sur ma peau délavée et je regarde les néons qui font les cons là-bas sur le périph, c’est tout rouge, tout bleu, je ferme les yeux, j’ai jamais vu du noir si beau. Elle habite au vingtième, ça fait treize étages plus haut que le septième ciel. Quand je descendrai d’ici plus rien ne sera jamais pareil, une nouvelle peau sortie de la plaie.
Je me sens bien, je reviens. J’ai touché le fond, lâché du lest, les morues, les cafards et tout le reste, je me sens bien. Marcher dans les rues à pleins poumons, l’odeur des femmes, de leur giron, je me sens bien je reviens.
Ce n’est plus la même terre mais il y a un ciel aussi et celui-là il est à moi, j’aurais jamais dû te laisser ma ville mais je me sens bien, je reviens.

Discographie

Rentrer au port- 2009

In the garden -2007

Les animals - 2004

La marche Live - 2002

Dehors- 2000

Internationale chalala Live - 1999

Je ne sais pas trop - 1997

Les années sombres - 1995

La marmaille nue - 1993