Jazz à Toulouse

De briques roses et de notes bleues
Partie 1/2

Un peu d’histoire pour maintenant

Après la libération sous l’influence de la radio, d’Hugues Panassié et de mordus qui comme lui avaient reçu le choc du débarquement… du jazz, les clubs de jazz prolifèrent (Chez Geneviève, La Tournerie des drogueurs, le Tabou, La cave des Blanchers, le père Léon ou le Café Bellevue et ses apéros jazz,...) et les musiciens locaux, stimulés par le passage de musiciens noirs américains (Bill Coleman, Mezz Mezrow,.), abondent, musiciens proches du hot-club de France ou du jazz traditionnel. La présence de troupes américaines avec leur jazz- band fait connaître un répertoire (Glenn Miller, Gershwin…), mais aussi des musiciens qui en faisaient partie (Albert Ayler qui jouait dans une fanfare avant ses apparitions d’anges…). Tout cela va irriguer les oreilles et faire naître des vocations. Cette évolution se fait comme en France en général par l’apparition des premiers disques (Armstrong, Duke Ellington, Bessie Smith…). Il faut remarquer que l’on se passait comme des tracts de la résistance les premiers 78 tours vinyle, totalement interdits par les Allemands et son allié, Vichy. Donc dès les années quarante des mentalités étaient conscientes du formidable apport de la musique américaine.

Les radios vont jouer un grand rôle, et à Toulouse les radios ouvrent leurs ondes à cette musique si liée à la liberté reconquise. Beaucoup ont appris leurs gammes, leurs émotions sur Radio Toulouse ou Toulouse-Pyrénées, en particulier Claude Nougaro. Là aussi Hugues Panassié et son amour du jazz-hot sera déterminant. Ainsi le jazz vit de belles heures de 1960 à 1970. Des associations dynamiques, des militants du jazz (les concerts de jazz organisés par Christian Schmidt à la Halle aux Grains avec le MJQ, Martial Solal, Petrucciani,...). C’était l’époque où même pour faire la fête dans une école d’ingénieurs en 1964 (l’N7 !), on faisait venir Martial Solal, Jean-Luc Ponty ! Le Clocher de Rodez, de la place Jeanne d’Arc à Toulouse, était le rendez-vous des musiciens cherchant des engagements ou simplement des rencontres. Des programmateurs investissaient la Halle aux Grains pour faire entendre Keith Jarrett, Chick Corea,.... Le théâtre Daniel Sorano programmait dans ce temple du Grenier de Toulouse du jazz. Des musiciens locaux fleurissent de mille fleurs : Calleja, Magali Pietri, Serge Casero, Pierre Reynaud, Philippe Laudet, Paul Chéron, Jacques Adamo, Magali Piétri, Philippe Renault, Ton Ton salut, Christian Brun, Philippe Léogé, Guillaume de Chassy, Didier Labbé... Et je dois hélas en oublier de remarquables. Puis vers la fin des années soixante la migration se fait sur Paris.

Mais une nouvelle génération de musiciens (Ton Ton Salut, Richard Calleja, Christian Brun, Magali Pietri, ...) et des associations de passionnés (Jazzimut, ...), des salles comme la Salle Nougaro font croire à un nouvel âge d’or dans les années 1980. L’implication du Conseil Général (Big Band 31, Jazz sur son 31) et de nouveaux lieux (Le Chantaco, Le Pharaon, ...) vont refaire naître l’espoir. Marciac se fait le centre du jazz en reniant avec courage son jazz passéiste et son cassoulet.

Pourtant peu à peu le public se raréfie, surtout le public jeune, et l’on peut estimer sur pas plus de 2000 fervents du jazz actuellement. Les explications sont variées allant d’un manque de programmation toute l’année, le fait que Jazz sur son 31 reste une manifestation institutionnelle plus qu’un festival, l’autisme au jazz des étudiants, le manque de formation au Conservatoire, qui enfin ouvre des classes de jazz. On peut noter qu’un festival aussi élitiste que Piano aux Jacobins s’ouvre au jazz (Terrasson, Petrucciani, Trotignon…), à dose homéopathique bien sûr et souvent faisant jouer les pianistes à contre-emploi. Mais la réalité reste hélas intraitable et les tournées de jazz évitent précautionneusement Toulouse de peur d’échec cuisant au niveau public. Mais le feu couve sous la paille et il en faudrait peu pour que l’incendie reprenne enfin et illumine de rouge les briques endormies dans le rose.

Toulouse et le jazz ont une histoire commune et passionnée. Elle se conjugue plus au passé qu’au présent. Car jusqu’à maintenant excepté le festival Jazz sur son 31 on ne voit se lever un grand souffle pour célébrer ce qui reste comme la plus grande musique du vingtième siècle, et de ceux à venir.

Il faut rendre hommage aux personnes et aux lieux qui ont fait que même au cœur profond des briques roses, demeure la trâce indélibile des notes bleues. Gloire à eux et tant pis si nous l’occasion d’entendre sur le vif «sa majesté» le jazz demeure rare. Pace aux lieux mythiques et aux musiciens qui ne le sont pas moins.

La cave des Blanchers

Dans la rue des Blanchers, si proche du cœur estudiantin de Toulouse, précisément au numéro 17, s’ouvre en décembre 1980 un nouveau lieu : la Cave des Blanchers. Bien vite cette véritable cave de briques roses va devenir une référence pour entendre du jazz à Toulouse et à l’évocation de son nom, bien des années plus tard, des notes de jazz résonnent encore. Les fondateurs sont Marc Frébot, Patrick Bourry et Joël Bertrand qui veulent lancer à Toulouse l’équivalent des grands lieux parisiens (New-Moring, Sunside, Duc des Lombards).

Une programmation de jazz exigeante est ainsi proposée : Sonny Stitt, Chet Baker très allumé ce soir-là en mars 1983, Guy Lafitte, Michel Roques, Georges Arvanitas, Denis Badault, Michel Petrucciani, Christian Escoudé…. Comme la chère est aussi exigeante que le choix des musiciens, l’endroit devient célèbre et il faut venir en avance pour trouver une place. Un vrai lieu de jazz avec sa mythologie, ses fumées, ses repas à pas d’heure, ses « bœufs », tout est en place pour la légende. Les musiciens de passage dans d’autres grands lieux, viennent y manger ou jouer parfois aussi. De 1980 à 1984, date de la fermeture, un grand pan de l’histoire du jazz à Toulouse s’est joué dans « les Blanchers ».

Le jazz ne lave pas plus blanc depuis et nos souvenirs dérivent sur la Garonne toute proche.

La Tournerie des Drogueurs

À chacun son « Cotton club » et Toulouse aura eu sa Tournerie des Drogueurs, car en province comme le disait le bon Georges nous aussi nous avons nos assassinats. Quand le jazz «intra-muros» cherchait des lieux d’accueil, il rejoua un peu l’histoire de la Nouvelle - Orléans et de ses lieux de plaisir. Faisant une petite place pour le jazz entre de grandes bouffées de notes plutôt fauves que bleues, La tournerie des « Dragueurs » était un rendez-vous prisé par les chasseurs de sexe, le milieu local également, les noctambules, les intellos, donc un public potentiel pour les jazzmen.

Après les nuits du Tabou après guerre, Jean Lannelongue dit « Jésus », grand animateur des nuits toulousaines, change d’enseigne et crée en 1952 « un cabaret artistique » rue des Tourneurs, sur les lieux du King’club. Situé tout près de la Place Esquirol, son nom provient de la proximité d’une droguerie célèbre : La droguerie des Tourneurs. Bien sûr les sous-entendus sont évidents pour les initiés. Et la Tournerie des Drogueurs issue d’un jeu de mots tordu devint le haut lieu du jazz à Toulouse. Décors et musiciens font un véritable club de jazz. Les musiciens locaux jouent d’interminables bœufs dans ses murs (Guy Lafitte, Charles Barrié, Claude Guihot,...).

Le maître des nuits ne dédaigne pas de dégainer sa guitare. Les artistes américains en tournée viennent s’y rafraîchir (Bill Coleman, Mezz Mezrow...). De 1952 jusqu’à l’assassinat le 5 janvier 1959 de Jean Lannelongue, « par des inconnus », mais ils furent identifiés et jugés, La Tournerie tourne à plein. Elle survit encore un peu jusqu’au début des années soixante, mais perd et son public et son âme et ce dans l’ordre que vous voulez.

La Salle Nougaro

Il n’est pas évident de parler d’un lieu que l’on a créé et dirigé pendant 25 ans, de 1976 à 2001, la saison 2002 étant encore de notre fait. Mais cela évitera des erreurs encore propagées par ignorance de son histoire et par un révisionisme militant qui tend à effacer toutes le straces de son histoire pour se la réapproprier.

La Salle Nougaro ne prit son nom prestigieux que le 20 décembre 1985, mais sa ligne éditoriale était déjà fermement tracée depuis quelque temps, et ce déjà en 1974, puis plus fermement à partir de 1976. Par passion personnelle et surtout pour combler un manque cruel de jazz dans la ville, cette salle sans prétention qui servait principalement à l’épanchement des joies du socio-culturel et du loto, se fit lieu privilégié de cette musique. Toutes les dates ne sont pas restées, car l’absence d’archives ne renvoie qu’à la mémoire. Mais il me souvient du passage de Louis Sclavis à ses débuts hors de la Marmite, du sorcier albinos Hermetto Pascual qui entraîna tout son public autour des terrains de sports, du pénible Egberto Gismenti avec ses problèmes d’alimentation de l’ampli de sa guitare, de la douce et translucide Mérédith d’Ambrosio peignant toute nue une toile avant de répéter. Les ombres de Siegfried Kessler, de Steve Lacy sont là encore. Mais le début des véritables programmations se fit en partenariat avec Gilbert Vienne en 1980 (Albert King, Ray Barretto). En 1985 vinrent nos coups de coeur : Archie Shepp qui enregistra quelques disques en ce lieu et prophétisa bien des révolutions jamais advenues, le concert crépusculaire de Mal Waldron et de Marion Brown tressant la couronne des chants d’amour et de regrets.

Sous l’influence d’amis férus de musique libertaire, l’année 1987 fut celle du free-jazz avec Ornette Coleman et l’Art Ensemble of Chicago. Le public ne suivit pas, mais pouvoir parler de peinture et de nouvelles conceptions harmoniques avec le doux géant Ornette Coleman, valait tous les sacrifices. En 1988 grâce à l’amitié de Michel Leconte et d’autres producteurs qui crurent en nous il fut programmé Carla Bley, Louis Sclavis, Larry Corryel, Eberto Gismonti, Mérédith d’Ambrosio, Hermetto Pascual, Archie Shepp, Paul Motian, Martial Solal avec Lee Konitz et N.H.OP ! Cela ressemblait à un festival ! Les années suivantes associent les fidèles (Archie Shepp, Paul Bley passionné de patchwork, Ray Barretto) avec Ultramarine déjà avec Nguyen Lee , Michel Garillier le pierrot blanc du jazz, Christian Vander et sa lave incandescente, Sixun, Bob Berg, Horace Parlan avec Ricardo del Fra, Kenny Barron, John Abercrombie.

Mais le grand tournant fut quand l’équipe de Jazz sur son 31 décida de faire de la Salle Nougaro son navire amiral. C’était en 1991 après des années d’attente. Alors il devint possible d’accueillir Betty Carter, Jack Dejohnette, puis en 1992 Steve Grossman, Georges Coleman, Johnny Griffin, Herlen Merril. La programmation à l’année fut en écho avec le Big Band 31 qui était en résidence permanente, le World Saxophone Quartet de David Murray, Jimmy Gourley avec un petit jeune Richard Galliano, Louis Winsberg, John Scofield, Dave Holland, Léon Redbone, Michel Petrucciani, Jackie Mc Lean, John Lurie, Mra Oma. La voie était ferme et tracée. De 1993 à 2002 c’est une suite de grands noms : Dave Valentin, Jan Garbarek, Jon Hendricks, David Murray, Bireli Lagrene, Aldo Romano, Tom Harrell, Roy Haynes, Baden Powell, André Ceccarelli plus tard abonné des Drums Summit, Herbie Hancock, Simon Goubert, Laurent de Wilde enfin chez lui après le raté du remplacement de Tommy Flanagan, Richard Galliano, Éric Le Lann et Michel Graillier dans un duou qui repoussait la nuit, Elisabeth Caumont, Jean-Jacques Milteau, Paolo Fresu dit « Paul la fraise » et qui devint un habitué des lieux, Jan Garbarek encore, l’immense Jeanne Lee, Daniel Humair,...

Et aussi des premières absolues dans la région: Steve Coleman dans plusieurs formations, Brad Mehldau, Bill Carrothers, Kenny Garrett, Abbey Lincoln (le plus beau concert de sa vie d’après elle), Anthony Ortega, Roy Hargrove, Gonzalo Rubalcaba, Bob Brozman, Trilok Gurtu, Mike Stern, le trio Machado, Marva Wright, Carlos Maza, Joe Zawinul, Jacky Terrasson, Peter Erkine, Laurent de Wilde, Léon Parker, Kenny Wheeler, Enrico Pieranunzi, Elvin Jones, Cindy Blackman, Nnenna Freelon, Sarah Moore, Aziza Mustafa Zadeh, Bojan Z, David Linx, Dianne Reeves, Tommy Smith, Terry Lee Hale, Antoine Hervé, James Carter, Foley, Rabih Abou Khalil, Anouar Brahem avec John Surman et Dave Holland, Stefano Battista, Dave Weckl, Antonio Hart, Daniel Goyone, Chucho Valdés, Akosh S., Renaud Garcia-Fons, Michel Bismuth, Ravi Coltrane, Prysm Trio, Erik truffaz,Éric Watson, Danilo Perez, Jean-Michel Pilc, John Surman et Jack DeJohnette, Jean-Marie , Kenny Werner, Patricia Barber, Cela fut donc une belle aventure !

La merveilleuse idée de l’équipe de Jazz sur son 31 de faire «une heure avec» en donnant carte blanche à un artiste libre de ses invités, la création du Drum Summit de l’école Agostini, des collaborations avec des producteurs, tout cela a permis cette floraison qui ne sera pas égalée de sitôt. Il y eut même un atelier de jazz animé par Richard Calleja et Tonton Salut, qui servit de scène ouverte aux musiciens toulousains. L’époque se prêtait à cette profusion, maintenant Jazz sur son 31 a ouvert un « magic mirror » dans l’enceinte du Conseil Général et fait quelques concerts hors festival. L’épopée du « Pavé dans le jazz » se poursuit. La salle Nougaro aussi, mais le jazz n’est plus sa priorité absolue. On ne peut être et avoir été et encore fut-il croire et aimer ce que l’on fait, respecter et admirer les artistes et non le rapport financier de chaque concert. Ce n’est plus le cas. La vie du jazz continue heureusement, mais il n’était pas indécent de se souvenir de cet âge d’or des années 1980 à 2001 qui fut ce que je fis de plus noble dans cette ville. Surtout quand tout le monde l’oublie.

Après cette bouffée de nostalgie place aux hautes figures des musiciens qui firent le jazz à Toulouse. Et pardon pour tous ceux que j’ai dû oublier par ignorance ou méconnaissance. Qu’ils se manifestent, cette page est interactive !

Jean Osmont

Animateur des premières années du jazz à Toulouse, jean Osmont laisse une trace forte même après sa retraite près de Bages. Artiste peintre, tromboniste, trompettiste, saxophoniste soprano, vibraphoniste, il est un homme-orchestre à lui tout seul et en plus il chante dans son dernier disque « Osmont et saxomania » ! Tous les lieux toulousains l’ont connu depuis le Tabou à la Tournerie des drogueurs à chez Geneviève en passant par le père Léon ou le Café Bellevue et ses apéros jazz puis le Pharaon vers 1979.

Très engagé dans le Hot-Club de Toulouse pendant la guerre 39/45, il apprend son jazz par ces 78 tours vinyles passés à la barbe de l’occupant. Dans les studios de Radio Toulouse, il répand la bonne parole du jazz dès 1944 dans l’orchestre « Georges Hadjo et sa formation hot ». lui-même avait fait ses classes dans les caves de St Germain des Prés avec Boris Vian, Claude Luter… Puis il fit partie d’orchestres dirigés par des noirs américains Bill Coleman, Benny Waters.

Jean Osmont aura beaucoup joué pour la radio grâce à Hugues Panassié, mais aussi à son talent de jazzman et de pédagogue. Il aura aussi beaucoup donné dans les formations toulousaines du hot jusqu’au Old Time jazz-band. Sur la station Toulouse-Pyrénées, Il produit les histoires de Jazz en 1976 et Jazz-Vérité jusqu’en 1978 ou les musiciens jouent le plus souvent en direct. Il montera un quintette dans les années soixante-dix-80 qui donnera bien des petits . Historien et chroniqueur dans Jazz Hot, grand témoin du jazz à Toulouse, Jean Osmont reprend souvent du service mélangeant les générations avant de se retirer pour peindre.

Longtemps il sera le doyen des trombonistes de Jazz français, et même à Bages la joie de jouer lui fera abandonner ses pinceaux pour son trombone. Ses groupes, Occiland Jazz-band (dixieland) et Osmont Swingtet (middle Jazz), auront répandu la convivialité. Grand homme de radio, malicieux chroniqueur pour les revues de jazz, il a touché à tout. Sculpture et peinture l’accompagnent maintenant. Toujours avec sa marque de fabrique : l’enthousiasme. Plus de soixante ans de jazz, cela vous donne un avant-goût de l’éternité. Quand il la rejoindra il saura raconter ses rencontres avec Louis Armstrong et Rex Stewart, Doc Cheatham. Légendaire, il est la légende.

Guy Lafitte

Guy Lafitte a rejoint les légendes du jazz. Généreux et truculent, il aura joué un rôle de passeur et de grand sage. Né à Saint - Gaudens en 1927, disparu à Tournan dans le Gers le 11/7/1998, il aura autant marqué le jazz local et international par sa tendresse à la clarinette et au sax ténor que par ses immenses qualités humaines. Il était l’humanité incarnée, tolérant et fraternel. Lui le leader du Hot-Club de jazz de Toulouse en 1948, il ne parlera presque jamais de son action dans la Résistance, et de ses amitiés qui seront fortes et belles mais intimes et cachées. Avec ses amis Bill Coleman, Lionel Hampton, Mezz Mezzrow et bien d’autres, il aura joué pendant des décennies la convivialité du jazz. Entre chaque morceau il parlait avec la même volubilité que sa musique. Il y avait du terrien dans sa musique et dans le bonhomme. Il savait reconnaître un bon armagnac comme un bon musicien, et il savourait les deux. Dès 1950 il devient en France une légende vivante du sax. Il vouait une grande vénération à Coleman Hawkins qui fut son maître à penser et dont le portrait ornait sa cheminée. Paul Gonzalves, Lester Young et surtout Don Byas seront aussi sa nourriture sacrée. Sa discographie sera immense et il détestait enregistrer !

Il aura pourtant lancé tant de jeunes en particulier Pierre Boussaguet contrebassiste éminent du grand quartet avec All Lewit et Jean Robeson. Et tous ceux qui venaient le voir, car lui n’aimait pas la ville, et aller à Toulouse lui coûter. Il aimait trop l’odeur de la terre et du pain. Lui qui a joué avec tous les grands musiciens américains de passage, - Stan Getz, Duke Ellington, Louis Amstrong…- a gardé intacte sa modestie et son talent. Il aura fait le tour du monde avec la boussole de son sax. Le son de son instrument fut caractéristique d’une intense chaleur, d’un moelleux capiteux comme son cher Sud-Ouest. Il aimait plus que les virtuosités excentriques, le soubassement grave de son instrument qu’il faisait sonner comme une voix : « Moi, je joue très souvent dans le grave du saxophone. J’ai une voix grave, j’aime que ça sonne grave et, quand je joue, je me réfugie là-dedans, c’est automatique. »

Sorte de conteur du jazz, il semblait exercer un magistère de sage dans cette ferme cachée au fin fond des coteaux de l’Isle en Dodon. Il sera unanimement respecté par tous, jeunes lions ou vieux éléphants du jazz. Il aimait la vie et non la frime ou la gloire. Il refusait l’embaumement du jazz et aimait à se confronter aux jeunes générations pour se dépasser : « Nous recevons d’eux, c’est l’échange, on a besoin les uns des autres. Si tu mets quatre vieux ensemble, excuse-moi, ça va être vieux et on va s’emmerder… a un moment, ça va être le musée Grévin de la musique de jazz et ça, c’est pas marrant. Moi, ils me faillent des types jeunes, qui me provoquent. »

Il détestait que l’on l’enferme dans le jazz classique et comme clone de Coleman Hawkins. Les couleurs de Charlie Parker, Sonny Rollins, Lester Young passaient dans sa musique. Dans une interview à Jazz-Hot il déclara : « L’accent est américain, il y a une façon de jouer mais je puise aussi bien dans Debussy, une valse-musette ou les chansons de Trenet. Pourquoi m’y refuserai-je ? Je jouerais mal, le jour où je copierais. »

Il voulait par-dessus tout une musique à taille humaine, non vitrifiée par la technique : « Je trouve épouvantable le type qui joue trop bien. Notre musique est faite pour passer l’émotion, pas pour passer ou se montrer, faire une exhibition ou être à la mode, dans le coup. »

On lui doit par ses qualités d’enseignant et d’enthousiasme non pas véritablement la création du festival de Marciac qui existait avant lui, mais dès 1978 son véritable ancrage, avec son grand ami Jean-Louis Guilhaumon et l’aide de son copain et voisin Bill Coleman.

Il est le Président d’Honneur à vie ! Par goût il aimait jouer les classiques du jazz, les standards, les blues et les ballades, lui autodidacte absolu il aura transmis toute la science du jazz à ses frères humains.

Michel Roques

Michel Roques était aveugle, mais il voyait plus loin que la nuit et les notes bleues il les faisait tournoyer sous nos yeux. Grande gueule, verbe haut il avançait comme un taureau avec « son jeu locomotive ».

Multi-instrumentiste il préférait la clarinette, la flûte et le saxophone. Il aura accompagné bien des musiciens : Kenny Clarke, Bud Powell, Johnny Griffin, Dexter Gordon, Arvanitas... Ses duos avec Siegfried Kessler ou avec Roger Guérin illuminent nos années quatre-vingt. Cet être hypersensible aura découvert très jeune la musique comme une délivrance.

Pierre Voyard, éminent batteur qui aura accompagné la plupart des musiciens toulousains raconte ceci : « Je partageais avec Michel son point de vue sur le swing. Pour lui il n’existait ni avancer ni jouer au fond ni retarder sur le temps pour swinger et pour preuve il prenait l’exemple du train. Tu vois, disait-il de sa voix de stentor, il n’y a rien qui swingue mieux que le train et pourtant le train ne fait Taklong Taklong ni en avant ni en retard sinon c’est qu’il accélère ou qu’il ralentit. Et pourtant, il swingue et s’il swingue, ça n’est jamais qu’une question d’accentuation des temps. »

À l’institut des jeunes aveugles il refuse de rentrer dans un moule « classique » et apitoyant. Seul, en autodidacte, il plie le souffle aux musiques qui se bousculent en lui et happé par le jazz, il n’en fait qu’en son oreille, elle était merveilleuse. Maître de l’improvisation, il aura plus que d’autre vécu sa musique de l’intérieur, sculpté sa beauté en lui-même. Il était un grand compagnateur et Jacques Bertin s’en souvient encore !

De tous les musiciens de jazz de Toulouse, il restera comme le plus aérien, le plus poétique, tendre et fougueux à la fois.

Claude Guilhot

Ce natif de Toulouse (né le 2-9-1929, mort à Paris le 15-12-1990) est l’un des rares jazzmen à avoir réussi sa montée à Paris et son duo magique avec Georges Arvanitas aura marqué la petite histoire du jazz. Ce compagnon de Michel Roques aura curieusement commencé par être batteur de jazz traditionnel (Mezz Mezrow, ...), avant de recevoir l’illumination du vibraphone au travers de l’écoute de Lionel Hampton et Milt Jackson.

Assoiffé de nouveaux accords on pouvait le voir surgir assoiffé d’une porte en demandant non pas de l’eau, mais un accord à la Bartok ou une fugue pour transposer Bach au vibraphone. Et son colocatiare, le pianiste Pierre Csillag s’executait gentiment et brillamment comme toujours. Souvent stressé, il avait une sorte de complexe vis-à-vis de la musique classique. Il le surmontera en jouant Bach au vibraphone. « Parisien » dès 1962 il jouera avec les plus grands sans jamais renoncer à ses convictions be-bop ni à ses coups de gueule célèbres.

Quand il trouvait un compagnon télépathique sa musique s’envolait. De toutes ses fumées de notes avalées dans ces longues nuits, il reste un jazz riche et expressif, mais aussi un cancer du poumon qui emportera son humour noir et sa carcasse.

Cet artisan du son fabriquait lui-même les mailloches de son instrument, il fabriquait lui-même sa belle musique.

Jean-Claude Biraben

Une simple vie semble parfois trop lourde à porter pour certains qui donc en choisissent de multiples. Jean-Claude Biraben né à Arthès dans le Tarn en 1993, est de ceux-là. Après avoir hanté tous les lieux du jazz toulousain et tourné autour de minuit, il tourne aussi aux alentours du surréalisme.

Maintenant il se consacre uniquement à la peinture et à sa revue impertinente. Vivant et travaillant à Toulouse, il s’emploie à une sorte de liturgie de l’objet, les « objets-dérives » lui qui aura fait dériver les nuits avec sa contrebasse. Auteur de recueils de poésie (ci-gît l’horizon, la niche du chien…), il reste fidèle au hasard éclairé de Breton et de Prévert.

Qu’il crée un paquet de bouches à fumer, des cendriers-poèmes, des couteaux romantiques, c’est toujours par le détournement de l’objet qu’il retrouve son enfance et le jaillissement des premiers temps du surréalisme. Jean-Claude Biraben et ses objets, Jean-Claude Biraben et son jazz de partage, ce n’est pas tout à fait le même et pas tout à fait un autre.

Ce besoin de briser l’ordre du réel, l’ordre des notes non improvisées participent à cette quête du même rêve éveillé. Il est en fait un poète qui par la dérision de la représentation fait dérailler le réel, et redessine un monde d’humour et de gag. Jazzman toulousain, peintre toulousain (grand fidèle de la galerie Boudet entre autres), Jean-Claude Biraben avec la vie vue de profil, nous fait d’abord sourire, puis réfléchir.

Philippe Léogé

Ce gersois, est né en 1957. À 17 ans il commence sa carrière en jouant dans des orchestres de variétés, des cabarets de chansonniers, et devient très vite un musicien incontournable de la scène toulousaine dès 1978 –1980 au Pharaon, à la Cave des Blanchers, au petit Bedon.

Membre du All jazz trio, du quintette de Bernard Bigeardel... Il part étudier la composition étudier l’arrangement et l’orchestration à la Berklee School of Music (Boston, USA). Dès lors malgré sa présence dans de nombreuses formations, le métier d’orchestrateur devient sa priorité. Il reste comme le fondateur du Big Band 31 en 1986.

Dans cet ensemble de seize musiciens se retrouvent les jazzmen de Toulouse (Calleja, Magali Pietri, Serge Casero, Pierre Reynaud, Philippe Laudet, Paul Chéron, Jacques Adamo, Philippe Renault, Ton Ton salut...). Ce big band porté par le Conseil général de la Haute-Garonne et de la Drac, trouve sa source dans le quintette de Léogé qui aura labouré les terres de mission du jazz départemental, et dans l’action de l’ADDA. Cet ensemble va être l’outil du département pour la musique, et surtout les missions pédagogiques.

Pour l’avoir longtemps hébergé à la Salle Nougaro je peux témoigner de cette véritable université du jazz que fut cette aventure. Et la merveilleuse disponibilité et le savoir de Philippe m’auront beaucoup appris. Jusqu’en 1992 le Big band 31, plus connu sous le nom de « la bande à Léo » aura été un moteur du jazz à Toulouse. Philippe aura été aussi programmateur avisé du festival Jazz sur son 31 dès sa fondation à l’automne 1987, et ensuite avec une équipe autour de lui, jusqu’en octobre 1992, puis depuis la vingtième édition son directeur artistique.

Philippe Léogé reprend souvent sa liberté, et se lance dans une carrière de pianiste à la Nat King Cole en devenant à la télévision un accompagnateur de variétés très recherché. Smoking blanc, musique tendre, sourire de crooner, il fera « des sacrées soirées », lui l’homme des nuits du jazz. Donc de 1992 à 1995 il est l’orchestrateur et le pianiste de l’émission TV « Sacrée soirée » (TF1) et travaille pour les vedettes de la chanson française. En 1996, Claude Nougaro lui confie la direction musicale de son spectacle « Chansons-fleuves » où il écrit pour un orchestre constitué de l’ensemble Alix Bourbon (80 choristes), un piano et plusieurs percussionnistes d’univers différents. Il est avant tout un pianiste élégant et avec un tempérament de leader. Professeur de piano jazz au conservatoire de Toulouse, il se reconnaît comme influences Bill Evans, Mc Coy Tyner et Maurice Vander dont il s’inspirera pour avoir un pied dans le jazz et l’autre dans les variétés. Mais toujours il revendique sa filiation avec Lennie Tristano. Arrangeur brillant, orchestrateur élégant, pédagogue, et pianiste virtuose il sait aussi inspirer la programmation de Jazz sur son 31 dont il fut est le cofondateur dont il est le conseiller artistique, ainsi que le créateur et programmateur du festival "Aux Frontières du Jazz" au palais des Rois de Majorque de Perpignan. Il écrit une suite d’arrangements pour big-band et orchestre à cordes dans le cadre d’une commande pour la fête de la musique 2007 à Toulouse (cour du Conseil Général).

Actuellement pianiste du New Sextet d’Abdu Salim et du Quartet de Jacques Adamo, c’est avant tout dans le récital en solo autour de l’improvisation qu’il excelle et qu’il choisit de s’identifier.

Maintenant il retourne au jazz dans de nombreuses formations, son trio d’abord et aussi dans les groupes des autres, et il continue à se produire dans les festivals. Il écrit une suite d’arrangements pour big-band et orchestre à cordes dans le cadre d’une commande pour la fête de la musique 2007 à Toulouse.

Directeur artistique du festival Jazz sur son 31, il lui imprime sa marque et ses passions. nous sommes quelques-uns à nous souvenir que son maître absolu n’est pas de l’ordre du temporel et s’appelle l’immense Lennie Tristano. Derrière le show-man, il y a un musicien fragile et sincère.

Discographie
1988 : Big Band 31
1989 : Big Band 31 : Billie
2002 : Inprovisualisations (piano solo)