Ansel Adams

La profondeur du champ de la conscience

Il passe dans les photographies d’Ansel Adams un vaste souffle d’espace, un grand vent d’immensité.
Ce photographe américain, pionnier des paysages de l’Ouest américain, avec pour chariot et armes sa seule chambre photographique, a ouvert une fraîche fenêtre de plein air dans la photographie de son époque.
Il aura rompu avec l’incestueux mariage entre la peinture et la photographie en cours en son temps, à base de flou et d’incertain.
Avec avec sa théorie du « Zone System », il a voulu l’acuité, la profondeur de champ, la précision aussi bien à la prise de vues qu’au tirage et surtout la qualité des reproductions. Toute la chaîne de l’image était enfin embrassée.
Maintenant ses images du Yosemite, du Grand Canyon, du Southwest, de la High Sierra, ou d’autres paysages de nature et des parcs nationaux, font partie du patrimoine américain et il semble annexé à la Constitution américaine par son œuvre qui aura été une prise de conscience et de territoires pour les Américains.
Il faut se souvenir que c’était au début des années 1930, et imaginer cet homme tel un vagabond céleste arpentant les lieux des « native Americans » avec la même fraîcheur d’âme et le même sens du sacré qu’eux. Comme Woody Guthrie - il semble d’ailleurs être un Woody Guthrie de la photo avec sa machine à lui à tuer l’étroitesse des champs de vision - il aurait pu proclamer « This land is your land » et il a ouvert yeux et conscience à tout son peuple.
Et pendant plus de cinquante ans, sa passion pour la création en bandoulière, celle de la nature, celle du photographe, il aura réalisé des milliers de photographies, surveillant ses tirages et leurs reproductions avec jovialité mais détermination.
Partout et sous toutes les formes, calendriers, tee-shirts, livres, internet, d’innombrables posters, et bien d’autres supports, ses images sont répandues. Elles semblent faire partie de notre environnement.
Tant et tant que l’on finit par ignorer qu’elles sont d’un certain Ansel Adams, lutin barbu qui a magnifié la nature, quitte à passer maintenant seulement pour un visionnaire écologique.
Ce géant de la photographie des paysages a fait plus que magnifier lyriquement arbres et montagnes, il a rendu la photographie à son innocence, à sa pureté basique.
Ce pèlerin de la beauté sauvage débarrassée de la fausse buée du maquillage esthétique était un cœur pur.

Si maintenant ses images nous sont familières, digérées, voire banalisées, son regard reste profond comme la profondeur de champ de la conscience qu’il nous a donnée.
Peut-on regarder et photographier la nature de la même façon après avoir vu son œuvre ?
Certainement non, car tous nous devons une part de notre regard sans flou aucun à ce voyageur tutoyant les montagnes, les rochers, les geysers.

Un parcours vers la lumière de la chambre obscure

Ansel Adams a écrit son autobiographie et il serait redondant de passer après lui. Notons qu’il était né à San Francisco le 20 février 1902, et il est décédé le 24 avril 1984, après une vie lumineuse. Ses premiers essais photographiques sont de 1916-1917. Mais il a vraiment étudié la photo début 1930 par la rencontre décisive avec Paul Strand, et jusqu’à son dernier souffle il s’y consacrera. Toute sa vie sera dédiée à la gloire et à la préservation des territoires sauvages de l’Ouest.
Chaque année de sa vie il retournera en pèlerinage dans le parc Yosemite qu’il avait connu à 14 ans et déjà photographié. Il se mariera d’ailleurs en 1928 dans ce parc.
Musicien de talent puisque pianiste accompli, ardent défenseur de la nature, combattant inlassable des inerties et des intérêts spéculatifs des politiques, il est avant tout un maître, un pionnier de la photographie américaine. Il est aussi un grand enseignant qui a beaucoup apporté à son pays. Devenu son propre éditeur exigeant et il effectue lui-même ses tirages aux nuances parfaites et infinies. Il fera entrer la photographie dans les fonds des musées nationaux.
Ami proche de ses collègues Alfred Stieglitz, Edward Steichen, Edward Weston, Minor White, Beaumont Newhall, Paul Strand, Dorothea Lange, Imogen Cunningham, Edwin Land, il a influencé des centaines de photographes qui trouvèrent un nouveau souffle grâce à ses nombreuses expositions. Car son œuvre aura été largement diffusée.

Sa théorie de l’image intense et précise développée dans son concept du Zone System a changé la face de la photo aux USA.
Avec des amis il va fonder le groupe f/64 (fermeture maximale de l’objectif pour avoir la plus grande profondeur de champ possible), puis la revue Aperture (ouverture). Il travaille essentiellement avec les chambres de grand format, obsédé par la netteté des images, leur profondeur : « Du premier plan à l’infini, l’image doit tout englober ». Et il proscrit toute manipulation aussi bien à la prise de vue qu’au tirage, sauf quand cela accroît la profondeur de champ.
Il ouvre sa propre galerie en 1933 à San Francisco. Il crée la théorie de la « zone system » en 1939, permettant à la fois acuité, précision, et large palette des tonalités en noir et blanc. Ses actions militantes pour sauver les parcs nationaux le rendent célèbre et il reçoit trois fois le prestigieux prix Guggenheim. Il avait compris que l’émotion des images l’emporterait toujours sur tous les beaux discours, et finirait par vaincre.

Une œuvre de témoignage et de fusion avec la nature

Ansel Adams n’a pas simplement voulu faire de la belle photographie de paysages. Ces images étaient destinées à influencer les politiques de Washington afin de sauvegarder les régions, les villages, leurs habitants. En totale empathie avec cette vie sauvage, sachant restituer les mystères et la grandeur des territoires, il aura été presque le sauveur des parcs nationaux. Il y avait en lui une filiation avec le positivisme américain, illustré par le poète Walt Whitman et le philosophe Ralph Waddo Emerson qui mit en forme la dévotion à la bienfaisance de la nature. Cette croyance en la grandeur de l’homme à dominer les chaos du monde a pu faire d’Ansel Adams presque un photographe patriotique. Mais plus forte encore était en lui la rédemption dans l’harmonie de la nature, la purification dans les étendues sauvages et inviolées. Ses nombreux portraits d’Indiens étaient un hommage à ceux qui avaient su fusionner avec la terre mère, sans en troubler l’ordre et l’équilibre.
Qu’un homme par son art ait pu faire reculer les puissances d’argent et les appétits industriels donne confiance en l’homme.
Bien sûr la beauté esthétique de ses images a dû magnifier la beauté des sujets. Dès 1936 et plus encore en 1941 ses images commandées par le gouvernement fédéral ont eu un poids déterminant, car elles furent distribuées à tous les sénateurs et députés américains. Le parc national du Kings Canyon en Californie put ainsi voir le jour en 1941.
« The great American wilderness », la face immense et sauvage de l’Amérique, il en fut le révélateur.
Le parc national de Yellowstone, celui du Yosemite, le Grand Canyon, le Southwest, les geysers, les montagnes, les cavernes de Carlsbad, la High Sierra et bien d’autres lieux doivent les nuits de pleine lune chanter ses louanges autour du feu de camp de ses photographies.

« Tout est ici si beau et si magique - une telle force de beauté qui ne peut être décrite. Il faut vivre ici et respirer ce lieu. Ciel et paysage sont tellement immenses, et chaque détail si précis et si intense ».
C’est cette précision et cette intensité que veut rendre Ansel Adams. Contrairement à son ami Minor White, il ne cherche pas à transcender ce qu’il voit pour en dégager l’essence. De ce miracle qu’est la nature il veut simplement rendre compte pensant que celui-ci se suffit à lui-même.
Pour lui l’esthétique d’une photo se mesure à la force qu’elle dégage, à sa précision, à sa capacité à rendre l’immensité et l’air entre chaque chose.
Ses portraits de gens sont moins connus, ses photos en couleur également, car il reste le maître incontesté du noir et blanc et le virtuose de la chambre photographique.

Le ciel semble se pencher sur ces photos. Nous aussi en retenant notre souffle et notre buée pour ne pas mettre le moindre flou dans ses si précis manuscrits du monde encore sauvage.
Ce que certains considéraient comme simple banalité, lui par l’alchimie de ses images, il en fera de la beauté pure. Le regard, le saisissement même, devenaient compatible avec la précision artistique.
Même si sa leçon, devenue parfois une tradition un peu lourde et prêtant à un certain formalisme, est contestée parfois, il reste d’Ansel Adams un vibrant hymne à la nature. Une ouverture sur l’immensité, une fenêtre sur l’éternité.

Gil Pressnitzer

Bibliographie

En français

Les Portfolios de Ansel Adams, Introduction de John Szarkowski, Chêne, Paris, 1977 (épuisé).

En anglais, une sélection

Ansel Adams: 400 Photographs, Little, Brown & Company, 2007.
The Camera, Little, Brown and Company, 2005.
The Print, Little, Brown and Company, 2005.
Ansel Adams: The National Parks Service Photographs, Abbeville Press Inc, 2003.
Ansel Adams in the National Parks: Photographs from America’s Wild Places, Little, Brown and Company, 2010.
Yosemite and the High Sierra, Little, Brown and Company, 1999.
Examples: The Making of 40 Photographs, Little, Brown and Company, 2005.
Ansel Adams: An Autobiography, Little, Brown and Company, 2005.
The American Wildernes, Bulfinch Press,U.S., 2005.
Sierra Nevada: The John Muir Trail, Little, Brown and Company, 2003.
Ansel Adams: Classic Images, Bulfinch Press,U.S, 2005.
Yosemite, Little, Brown and Company, 1999.
The Grand Canyon and the Southwest, Little, Brown and Company, 2000.
Yosemite and the Range of Light, Bulfinch Press,U.S, 1988.