Claude Chaigneau

Présentation

Le peintre est sorti du bois

"Je suis atteint d’une maladie orpheline, je fais de la peinture" Claude Chaigneau.

Claude Chaigneau après bien des silences picturaux, revient nous laisser ses empreintes, ses « paysagismes », débordant de feuilles et d’herbes.
Pour rendre hommage à ce peintre, souvent turbulent, une « tentative de mémoire graphique » est ici donnée au travers aussi d’empreintes et du choc ressentit lors de sa dernière exposition à Toulouse à la galerie Art-Sud, « l’hiver n’est pas sorti encore du bois ». Ces fouillis de traces « de végétaux, d’humus, d’herbes folles, de mousses…, instaurent au fur et à mesure de l’acte qui consiste à feuilleter cette histoire qui n’a ni début ni déroulement, une proximité au lecteur d’un temps. fige une permanence loin de l’événementiel.
- Est-ce une clé du temps dans la peinture, ou de l’absence de temps - sauf celui du regardeur
. »
Ainsi parle Chaigneau.

Nous les regardeurs, qui scrutons « ses boîtes noires », ses tableaux, ses dessins nous allons nous approcher de son œuvre par ses propres textes et par quelques galeries de ses œuvres récentes.

Claude Chaigneau, autoportrait

Né le 17 décembre 1937 à Haguenau (67), enfance et jeunesse aveyronnais
- Ma mère institutrice aveyronnaise a passé deux ans en Alsace à cause des hasards de l’histoire, mais le lieu qui a constitué ma sensibilité et mon histoire est très précisément le Rouergue
- Les premières empreintes qui furent réalisées sont datées de 1974-1975 succèdent à une période d’arrêt de ma peinture. Les empreintes étaient pour moi une manière de réinvestir un sujet et aussi le sujet de la peinture : une façon première de la retrouver. L’empreinte est un signe de reconnaissance du corps, de l’acte pictural et de la matérialité du support. (voir entretien suivant).
- Puis c’est la rupture d’un séjour en Afrique : le déracinement, l’absence d’image, ta dépossession d’une culture. c’est une énorme frustration qui permettra cependant un regard intellectuel sur la peinture et posera la question de l’identité et des origines.
* Au retour en France surgissent la nécessité intérieure et le besoin de reprendre la peinture : il fallait pour moi ancrer cette quête dans un sujet. J’ai choisi un arbre, un noyer de plein-vent situé devant ma fenêtre. Je l’ai dessiné et peint pendant une année. ce travail m’a confirmé que j’étais héritier d’une culture et a révélé mes différentes postures mentales dans l’acte de peindre et de dessiner. Parfois je suis respectueux et attentif au sujet, essayant de comprendre et de donner à voir les entrelacs, les vides laissés par les branches. Parfois j’intériorise la diffusion du noir, le sujet étant à la fois l’arbre et l’événement qui naît sur la feuille, le cadrage et le décadrage. Parfois encore je suis dans une immédiateté picturale produisant des recouvrements et des effacements.
* Dans les multiples diptyques, doubles, j’associe signes picturaux et naturalisme, lyrisme de la couleur et construction du dessin.
Sur un support de papier colle et accumulé je développe une conception symbolique de l’espace. La forme structure le tableau et répartit autour de lui les différents éléments. Les signes deviennent iconiques. La forme pyramidale, symbole de la matrice Terre, est également la montagne-monument. Par opposition, le cercle représente le ciel, la voûte céleste des Annonciations du Quattrocento. Les obliques introduisent une perspective récente, celle des fresques de Masaccio à la Chapelle Brancacci. La couleur complète le dessin et participe à la lecture de l’œuvre. Le noir très présent absorbe et réfléchit tour à tour la lumière.
Depuis 1998, j’ai tourné la page - Retour à l’atelier entre Quercy, Auvergne et Rouergue.
"Je suis atteint d’une maladie orpheline, je fais de la peinture"

En plus lapidaire cela donne ceci :

né le 17 décembre 1937 à Haguenau (67), au hasard de la ligne Maginot, enfance aveyronnaise. Professeur aux beaux-Arts de Toulouse, Directeur de l’École des beaux-Arts de Dakar, puis de Toulon vit et travaille dans le sud du Cantal.

Quelques éclairages pour approcher sa peinture

Texte pour le Catalogue de la Fondation d’entreprise Provence Alpes Côte d’Azur. Nice. Musée d’art moderne. 1995

« Les travaux récents assument une introduction de l’image. L’image doit déranger, et s’imposer comme quelque chose que l’on n’attend pas, surtout et c’est le cas si elle est installée dans la mémoire et dans la mémoire de l’histoire de l’art.

C’est le re-connu - la citation - la référence qui installe le sujet comme un patchwork où chaque partie est constituante du tout mais n’en préjuge pas.

Le sujet repousse les limites du travail et introduit un temps, une marque dont les contraintes sont purement factuelles. Ceci serait une énonciation insuffisante si l’on ne considérait pas que, plus profondément la vie de l’œuvre vit à l’ombre de son deuil, la citation de l’irréversibilité du temps, de l’ange, mort et résurrection, impermanence, gratuité, symptôme plus que symbole crée un matérialisme du passé, énigme intersubjective de l’imaginaire, face à un monde incertain et divisé.

Plusieurs positionnements jalonnent mon parcours ; ils sont à considérer comme une attitude mentale qui, après épuisement d’une proposition, déplace son objet.

Les grands thèmes ont été : l’empreinte, le paysage, la citation imagière. Deux attitudes sont constamment présentes : l’une peinture de proximité, l’autre peinture de distance. La peinture de proximité est née des empreintes du corps, faisant surgir la nécessité et l’urgence d’un dessin qui par les postures, plonge ses racines dans l’histoire de l’art occidental. La peinture de distance prend sa source fantasmatique dans le texte de Léonard de Vinci sur la caverne, surgissement de paysages, "peur et désir, peur de la grotte obscure et menaçante, désir de voir si elle n’enferme pas quelque merveille extraordinaire". La relation en miroir de ces deux attitudes est importante dans leur confrontation. L’une entraîne un dessin jubilatoire de recouvrement de débordement et d’effacement L’autre distante et mesurée use largement de la symbolique des formes, du voile, du collage, et de l’utilisation de la couleur en frange. » Claude Chaigneau

Entretien avec Serge Plagnol, janvier 87

Serge PLAGNOL : Ton exposition présente un ensemble regroupant les empreintes de corps, les séries de dessins et peintures à partir d’arbre et d’herbes, et ta dernière grande peinture. Peux-tu dire le point de départ de cet ensemble ?

Claude CHAIGNEAU : Les premières empreintes qui furent réalisées sont datées de 1974-1975, elles succèdent à une période d’arrêt de ma peinture. Les empreintes étaient pour moi une manière de réinvestir un sujet et aussi le sujet de la peinture : une façon première de la retrouver. L’empreinte est un signe de reconnaissance du corps, de l’acte pictural et de la matérialité du support.

Ensuite sont venus pour moi un éloignement géographique et un arrachement culturel de six ans en Afrique ; au retour en France surgissent la nécessité intérieure et le besoin de reprendre la peinture. Je repars des empreintes mais la distance que j’ai pris avec ce travail fait surgir à travers les images du corps l’histoire et l’Histoire de l’Art : je retrouve avec ces empreintes des images culturelles de la Renaissance que j’intègre: le Saint Sébastien de Mantegna - des peintures de Goya et Vélasquez… Les empreintes deviennent de plus en plus un travail sur l’image éclatée du corps et son déchirement dans l’espace du dessin. - :

Ensuite comment passes-tu de ces empreintes aux dessins et peintures à partir de l’arbre ?

- J’ai cherché à retrouver le lieu qui a constitué ma sensibilité et mon histoire ; très précisément le Rouergue ; il fallait donc pour moi ancrer cette quête dans un sujet. J’ai donc choisi un arbre, un noyer de plein-vent situé devant ma fenêtre. Je l’ai dessiné et peint pendant une année. Immédiatement ce travail m’a confirmé que j’étais héritier d’une culture et a révélé mes différentes postures mentales dans l’acte de peindre et de dessiner. Parfois je suis respectueux et attentif au sujet, essayant de comprendre et de donner à voir les entrelacs, les vides laissés par les branches. Parfois j’intériorise la diffusion du noir, le sujet étant à la fois l’arbre et l’événement qui naît sur la feuille, le cadrage et le décadrage. Parfois encore je suis dans une immédiateté picturale produisant des recouvrements et des effacements. Cette série montre la contradiction possible entre le dessin et la couleur

- à quel moment s’opère ce passage ?

Le dessin est le travail de l’intelligible tant du sujet que de son espace. Il est : découpe, ligne descriptive, incision, alors que le pictural lui, est plus pulsionnel, geste de débordement, ce sont des touches de peinture qui vont recouvrir d’autres touches de peinture ; c’est une sorte de dérive qui n’a pour limite que le format de la toile, c’est donc une "force étrangère" selon l’expression de Matisse, qui déborde alors l’intelligible. Être sur le motif, dessiner, peindre un ciel, un arbre, des herbes cela pourrait paraître très peu "moderne" au regard d’une certaine histoire contemporaine de l’Art ; tu passes de peintures très noires, à des dessins linéaires, puis des peintures presque fauves ; retrouves-tu une unité à travers toutes ces expériences ?

J’ai la plus grande méfiance pour les tentations de se créer une manière qui se voudrait style. Je ne suis jamais tout un, je ne veux pas m’obliger à me ressembler continuellement, et je revendique le fait d’être dans des modes d’approches différents de la peinture. Je n’ai pas un comportement univoque même si au sens de la modernité il est enviable d’être inscrit dans un style ou une tendance, cette sorte d’instabilité me convient.

Aurais-tu la tentation de la synthèse ?

- La dernière grande peinture fait apparaître une attitude plus frontale. Dire et nommer tous les actes picturaux au fur et à mesure qu’ils surgissent sur le papier. y a les signes de reconnaissance de l’image qui apparaissent comme tels et sont traités : la tête est un dessin crée à partir d’une empreinte, les striures colorées font débordement pictural et sens quant à l’image du corps, les blancs délaissés sont signes du modelé ou sont débordement sur l’autre corps et amorcent une picturalité... Je tiens, donc, le pari, dans une même toile de nommer, de traiter et adopter des postures différentes intégrant toutes mes autres expérimentations. Il n’y a pas tentation de synthèse mais plutôt articulation des éléments picturaux qui sont confrontés entre eux.

- N’aurais-tu pas, alors, la tentation de vouloir tout maîtriser ?

Est-ce qu’une peinture n’échappe pas toujours à celui qui l’a faite ?

L’éclatement est contraire à la notion de maîtrise. Il n’y a aucune mémoire du faire pictural, pas plus qu’il n’y a une mémoire de la douleur. Un procédé de fabrication, un savoir-faire ne me donnera jamais les moyens de remettre en scène et d’articuler mon travail. Le sens naît au moment du faire. La connaissance historique de la peinture me donne une capacité d’analyse critique mais l’expérience ne me donne pas la clé et la façon. Les acquis artisanaux s’ils restent des acquis ne génèrent en aucun cas le sens. On pourrait être tenté de m’accuser d’une pratique formaliste. Le reproche est malicieux, car il inverse point par point mon propos. Il est essentiel de prendre en considération l’articulation des éléments et c’est cette articulation qui tient le pari, impossible peut-être de faire sens.

Ne penses-tu pas que la peinture échappe toujours à tout discours et à l’explication par des mots ?

L’aptitude à expliciter une démarche picturale est d’autant mieux maîtrisée qu’elle parle d’une expérience qui touche à son terme ; et le propos que l’on tient est peut-être une forme de conjuration d’impossibilités qui ont surgi dans ce travail.

Extrait du catalogue « Claude Chaigneau » Musée de Toulon, 1987