Diaz-Ronda

Jadis Diaz-Ronda peignait des lettres magiques à peine échappées de livres des mystères. Les fantômes du temps déjà nichaient sous ses hiéroglyphes. Mais ils étaient en attente. Ils se sont mis depuis en marche.Maintenant la peinture de Léon Diaz-Ronda rend la main au réel, mais sa main est suffisamment ouverte pour que ce réel s’échappe et s’enfuie au bord du cadre. Pressé, juste avant que le hasard ne s’efface. Et il ne reste que des reflets humains sans épaisseur, vus d’en haut, vu d’en bas. De là où le guetteur s’est tapi.Où allez-vous ? C’est la seule question qui vaille.Des ombres floues, des pas qui résonnent à peine dans le voile du passé, tout passe obliquement dans un monde plat, sans épaisseur aucune.Aux aguets de l’immobile un peintre devient passeur, voyeur des traînées de poussières d’humain qui se dérobent. Sous des fenêtres bleues, des colonnes sorties du passé, d’escaliers sans issue, on se prend à vouloir surprendre ce qui est en suspension.Où vont toutes ces silhouettes sans épaisseur, qui ont perdu leur passé ?Où allez-vous ?Certains vers des arènes imaginaires où c’est le temps qui fait des passes sur le taureau aveugle de la mémoire. La mise à mort est juste pour l’instant d’après. Le rien est déjà à l’œuvre. Certains égarés dans la spirale des pas, s’immobilisent, regardent par la fenêtre des attentes. Mais comme avec des photos bougées, ils restent flous à jamais. Car l’incertitude est en eux, et ils bougent trop de l’intérieur pour être fixé la toile. Un vélo roule, il est net, le cycliste est flou, car la marée déborde du fond de lui. D’ailleurs le sol est souvent mouillé et essaie de noyer l’ombre de l’ombre.Où allez-vous ?Foules solitaires, solitaire en fuite, une ville d’un pays de l’autre côté des pierres, des ruines à la Chirico les enserrent. Ils semblent courir, on ne les voit souvent que réduits à un détail, leurs jambes sont non pas à leurs cous, mais dans le grand effacement qui s’approche.Où allez-vous ? Question qui rebondit dans les rues vides. Nul refuge où recomposer ces morceaux de corps si pressés qui ont laissé en route la grande partie d’eux-mêmes. Des jambes, des jambes, des chaussures, comme un ciel bas.Passants qui passent et passent. Affleurements de présence humaine.Le fond du jour est encore devant eux, la nuit est inutile, les pas de tous ces gens ont soif. Ils ne trouveront pas de repos ni de ciel, ni d’eau.« Où courent-ils…Et quelle peur les hante et les fait se hâter ? » SupervielleIls marchent sur la rue, sur la route qui cache tous les morts. Sans but ? On ne sait, car la ville tire sans doute les ficelles.Squelettes mouvants ils lancent, ils sont déjà sans doute en retard. Sur les pavés du néant ils avancent automates hébétés. Pas de sourire, pas d’amour qui console, pas de vie consolée, ils cherchent une déchirure par où passer la leur. Ils n’ont plus de nom, ils sont gravés dans l’oubli. Marcher, marcher. Escaliers, macadam, neige, ville foulée. Marcher, marcher. Parfois l’ombre d’un chien les suit courant sur les murs.Où allez-vous ? Le vent répète chaque rue. Seule une cigarette qui se consume brise ce silence.Tous les chemins les ramènent au commencement. Ils restent dehors.Murs, façade, ombres humaines, rien ne les départagera. C’est le monde où l’espace est fait de notre indifférence à l’autre, du sang de nos égoïsmes.De cette peinture monte une brume violente. Ses couleurs orange, bleues, vertes sont plus épaisses que l’eau des passants.Où allez-vous ? Bords des fleuves sur lesquels on se penche pour ne pas s’y jeter. Si on attend suffisamment on se verra passer au fil de l’eau. La jetée ne recevra jamais le soleil couchant.Ils n’ont plus la parole, ils n’ont plus que l’absence pour horizon. Ils avancent. Ils ne sont plus que parcelles de substance. La peinture de Diaz-Ronda dans ses matières épaisses et vives, surligne cela.Où allez-vous ?Ils n’entendent pas, d’ailleurs ils sont ailleurs, d’ailleurs ils sont partis.Où allez-vous ? Les peurs n’ont pas de question.Cette peinture nous épie. Il pleut du temps.

Gil Pressnitzer