Emilia Xargay

Éloge de la tramontane

EMILIA vivait à GERONE, simplement, au milieu de ses chats, de sa servante noire et aussi de ses tableaux et ses sculptures, tellement entassés dans sa mémoire, qu’ils débordent dans toutes les pièces disponibles jusqu’à descendre dans la rue.
Plus de cinquante ans de créations fiévreuses, cela finit par laisser pas mal de traces terrestres, mais permet d’acquérir aussi quelque sage indifférence bourrue aux tumultes du monde de l’art.

Humble brodeuse d’images chaudes, comme offertes sur le palier de ta maison, elle est autant maîtresse de son art que servante de la beauté.

Le marché principal de Gérone s’orne d’une grande céramique où la vie des gens descend dans la rue pour continuer à se mêler aux vivants du marché. Son taureau veille sur les jardins d’enfant, aimable Minotaure.

Ainsi allait doucement Emilia, à la fois blasée, elle qui fut peintre et sculpteur prodige et fière comme peut l’être un enfant devant les friandises de la reconnaissance officielle. Son œuvre, hélas dispersée maintenant, est sinueuse, diverse, bien sûr multiple, mais jamais académique ou figée.
Elle était d’ici et déjà d’ailleurs, mais toujours fille de la Méditerranée et de sa terre catalane ou le soleil a fait sa ruche.
Dans son œuvre passent les figures emblématiques des taureaux, les pierres, le sommeil des villages et la vérité sans défaut des visages.

Rendre compte d’une œuvre commencée dès 1941 et qui brasse à profusion aussi bien sculpture, céramique et peinture fut une grande responsabilité morale.
Il nous fut donné de mettre en œuvre sa seule exposition rétrospective en France, pour célébrer dignement cette grande dame, déjà aux portes de la légende catalane. Enjouée, généreuse elle en fut comblée, amusée surtout.

Le choix retenu avait été fait suivant l’humeur de la tramontane, comme celle qui l’habitait. Dans la même profusion régnant dans son œuvre multiple.

"Éclaire ce que tu aimes sans toucher à son ombre" : Ce fut notre tentative et tous ses tableaux et sculptures qui vous regardent, attendent aussi un regard posé sur eux.

Une douce folie monte de ses œuvres et vous porte sourire et joie en vous.

EMILIA, qui fut un souffle rafraîchissant sur Toulouse, tu restes pour nous la petite dame un peu froissée de souvenirs, malicieuse de lumière, modeste comme un arbre qui sait et se contente de bruire avec ses feuilles.

Là où tu es déjà, il souffle des vents de joie, merci à toi de nous dire la tramontane et l’amour, merci pour ta lumière.

Bonjour à toi EMILIA, à tes images simples, essentielles déjà assises sur un banc et qui regardent couler la vie passante.

Gil Pressnitzer