Félix Denax (1936-1999)

Le chant de la terre

Teinte, matière, lumière…

L’unification de la surface dans le jeu de ces trois composantes a toujours été le but que s’est fixé Denax. Mais entendons par là qu’il ne s’agit pas pour lui de construire un tout harmonieux et cohérent à partir de données hétérogènes qui viendraient se mettre en place, par le contrepoint des équilibres et des contrastes pour donner forme et vie à cette création ex nihilo qu’est le « tableau ». C’est d’ailleurs à dessein qu’on parlera chez lui de « teinte » plutôt que de « couleur »; la « couleur » implique que le peintre pare d’une qualité sensorielle spécifique librement choisie par lui, la matière avec laquelle il élabore tel ou tel fragment de l’ensemble. ; il aurait pu, tout aussi librement, en choisir une autre.

Denax, lui, n’ajoute pas la couleur à la matière : il cher, et il trouve, la teinte qui est, le plus exactement possible, en accord direct avec la matière, avec son poids, sa densité, son grain, ses rides et ses craquelures, son étendue – on serait tenté de dire : sa peau ; c’est cette teinte, et non une autre, que son regard et sa main vont dépister dans la matière même. L’unité couleur/matière n’est donc pas, pour lui, le fruit d’une élaboration a posteriori. Tout ce passe comme si elle préexistait – et dès lors son rôle de peintre est de la révéler.

C’est dans la logique de toute sa démarche : les éléments dont il va habiller la surface sont essentiellement naturels. Denax peint la terre, et la peint avec de la terre – du moins avec des pigments pris à la terre. C’est pourquoi cette peinture, qu’on a coutume d’appeler « abstraite », parce qu’elle ne figure rien d’autre qu’elle-même, est en fait la plus concrète qui soit : plus qu’une contemplation distante, elle appelle une communion quasi tactile. Le regard fait plus que la voir : d’une certaine façon, il tend à la toucher, parce qu’elle n’est pas l’image fantomatique d’une réalité représentée mais qui existe en elle-même ailleurs que sur la toile ; une toile de Denax est en elle-même une réalité, sa propre réalité, et rien d’autre. Comme un fragment du monde arraché au chaos universel et jeté en pleine lumière, dans son immobile mystère et son silence minéral.

La lumière, justement ! On dira d’elle la même chose pour la « teinte ». Elle n’est pas, chez Denax, un « éclairage » projeté du dehors. Elle est ce que la matière accroche elle-même de la lumière ambiante, donc encore une fois naturelle, par sa propre texture, mais aussi par les plis et replis du support qui font écho, tout simplement, aux plissements, naturels encore et toujours, dont le temps a fait le tissu profond du monde et comme la chair des choses.

Nul doute que cette belle exposition de Rabastens ne soit un jalon de plus sur la géographie de l’univers personnel de Denax, secret, à la fois noble et implacable, rigoureux et pathétique, où, sous l’austérité des apparences, repose une force sauvage admirablement domptée.

Michel Roquebert, juillet 1996
(article écrit lors d’une exposition de Félix Denax à Rabastens)

Notes

Je me souviens de Félix Denax et de son allure de héron égaré parmi nous. Timide comme sable coulant entre les doigts. Ce sable qu’il vénérait et faisait
se reposer sur ses toiles.
Professeur aux Beaux Arts de Toulouse, il refusait les rituels sociaux, les réseaux qui lui auraient permis d’exposer ses toiles. Il se tenait droit dans le monde.
Quand il accepta de nous confier ses immenses toiles faite du "chant de la terre" comme le dit Michel Roquebert, il se tenait devant, silencieux, en dialogue avec les secrets qu’il avait célébrés. Ses toiles étaient le chuchotement de ces mystères. Un léger sourire montrait son émerveillement d’avoir pu capter les replis du silice, les plis de l’éternité.
Parfois il me semblait voir des larmes dans ses yeux dvant cette géographie de l’éphémère et du fragile qu’il avait su retenir un instant.

Et il marchait de ses longues jambes d’une toile à l’autre pour dévider le fil ténu du temps. Il ne vous demandait rien, pas une critique ou une louange.

Non il était en retrait, laissant les cendres et le sable s’unir.
Il devait savoir que ses toiles étaient devenues sablier, digues ouvertes sur l’espace.
Il se taisait, presque fuyant. Il passait.
Ses toiles sont restées.
Le sable et les cendres s’en souviennent encore.

Ainsi je me souviens de Félix Denax.

Gil Pressnitzer