Franciam Charlot
Les peintures de Franciam Charlot, ses dessins, me paraissent supporter difficilement l’analyse ou la classification. La violence et la charge émotive qui s’en dégagent ne peuvent s’en accommoder.
Et pourtant…
Pourtant, j’aime m’y reconnaître. J’aime y retrouver des personnages que je considère comme un peu miens.
Personnages debout ou couchés, quelquefois convulsivement mêlés ou même foudroyés par la solitude. D’autres fois comme tombés de la croix, littéralement « décrucifiés » et comme sauvés de toute condamnation. Des êtres ni beaux ni laids, qui manifestent une révolte aussi. Révolte quasi viscérale contre l’idée même de beauté ou de laideur. Révolte contre un doux esthétisme de pacotille.
Des témoins. Témoins du désarroi universel. Témoins d’un monde brisé.
Une peinture sans artifices ni mensonges.
C’est que je crois savoir que Franciam Charlot recherche une certaine réalité. Oui. À sa façon. Celle des individus. La réalité de certaines émotions quasi indicibles.
Sans faux-semblants. Une réalité brutale, débarrassée des scories de toutes les falsifications. Une réalité brutale sans trompe-l’œil.
C’est en cela qu’il me touche.
C’est en cela qu’il existe. »
Didier Carette
Une grinçante comédie humaine
Au début je ne les ai pas eues faciles, les peintures de Franciam Charlot. Tous ces personnages comme sortis d’une grinçante bande dessinée, tous ces méchants petits bonshommes informes, plus ou moins sexués, souvent mutilés… et toujours bouche et yeux grands ouverts. Qu’allait-on pouvoir faire de ces gnomes, dont on sentait bien qu’ils tentaient de dire ou de crier quelque chose mais sans jamais y parvenir ?
Puis, ces personnages-là, comme je continuais à les croiser lors de mes visites à « l’atelier » du peintre, me devinrent plus familiers. Puis d’une familiarité obsessionnelle –de leur fait, non du mien. En réalité, j’avais fort bien compris, dès le début, sur quoi s’ouvraient les yeux et la bouche des créatures de Charlot, et pourquoi j’avais marqué cette distance, sinon ce recul, en les découvrant. Pauvres petites choses –et pauvres de nous-mêmes. Ce qu’elles contemplaient et ce qu’elles contemplent toujours, c’est la terrible incohérence de ce monde, et ce qui va nécessairement avec : la tragique inanité de la condition humaine. Charlot peint son époque, forcément, et ne fait que décrire sa société : dérisoire et bouffonne, absurde, incapable d’un cri, comme les inoffensifs et insupportables gnomes estropiés.
La tragédie de la destinée de l’homme, ce n’est pas un thème nouveau, il s’impose à toute vraie création. Mais la manière de Charlot, elle, n’appartient qu’à lui. Son « minimalisme » désespéré, à la technique instinctive (comme on parle d’écriture automatique), est d’un péremptoire glaçant, dans un discours qui n’admet ni la concession, ni l’afféterie : l’espoir de voir les choses s’arranger est mince, pour ne pas dire nul, voilà le sens du message. Un message qui se répète encore et encore comme un bien lugubre signal, parce que Charlot est lui-même obsédé par ses si malsaines créatures et qu’il ne cesse de les peindre.
La peinture de Franciam Charlot dépasse évidemment le contexte de « goûts et couleurs », de sympathie ou non avec l’œuvre. Par la charge dramatique qu’elle porte, elle exige le regard ; et touche, sous le crâne du témoin oculaire, ce qu’elle doit toucher : la zone qui réunit le doute et l’inquiétude. C’est ce qui fait sa force et la justifie.
Marc Trillard