François-Xavier Fagniez

Le long chemin de Fagniez

Les relations entre un peintre et son « marchand » sont souvent décrites comme des rapports d’aliénation et d’exploitation.
Cette image, commode pour notre représentation romantique de l’artiste maudit, devient sotte quand on connaît par exemple les liens d’amitiés entre François-Xavier Fagniez et la Galerie Pierre-Jean Meurisse. Depuis 1980 ils sont inséparables. À chaque inauguration d’une nouvelle galerie de Meurisse, et il y en a, rue du Taur, rue Lafayette, rue des Tourneurs, galerie des Abattoirs…, il est le premier sur le pont.
Grâce aux retombées de cette liaison du cœur, en 1992, il nous fut permis d’entreprendre une rétrospective de l’œuvre de ce peintre, de le rencontrer et de découvrir sa profondeur. Et ses chemins multiples.

Ce peintre né à Salies du Béarn, en 1936, et qui partage sa vie depuis 1960 entre l’Ile-de-France et la côte Atlantique, n’a jamais coupé les ponts avec la réalité, simplement maintenant il la déchiffre dans son écorce, il la questionne, et elle nous est alors redonnée à travers des signes. Sa maison possède un vaste jardin où parfois il va chercher ses germes de peinture, étreignant les arbres et les herbes. Il laisse également s’opérer ses chocs personnels comme découvre la peinture de Vieira da Silva.
Il a également illustré des livres, « les eaux noires », « le seul jardin » avec le poète Guy Coffette, un livre de poèmes de Nicole Barresque « En passant », avec entre autres une illustration pleine de doute « Suivre des sentiers qui partent mais n’arrivent pas », et enfin Jean-Claude Renard, "Dits d’un livre des sorts". Ces choix de mise en lyrisme par sa peinture des textes des autres sont révélateurs. Il reste à faire une étude entre les correspondances de la poésie de Guy Coffette et la peinture de Fagniez.
Il a aussi réalisé des couvertures de livres dont les titres sont autant d’indices à nous suggérés : « aimer l’obscur », « quand cheminent les ombres », « Goéland ».

Son œuvre se partage entre peintures, sérigraphies, vitraux, mosaïques, et surtout peintures papiers : le papier parce qu’il est à la fois “le territoire d’accueil de toutes les poétiques et le gardien de la pensée”.
« Aujourd’hui, je dessine près des choses davantage que d’après des choses.
Les données et les formes de la nature sont moins immédiates, moins présentes, mais elles peuvent revenir, ressurgir. Elles sont pour moi comme en réserve, en attente »
.Ainsi parle François-Xavier Fagniez.

Depuis ses émerveillements devant la Nature et ses maîtres en peinture : - Cézanne, Bonnard, Bazaine... -, la peinture de Fagniez est en marche, et elle sait où elle va. "Fagniez l’état des lieux" (titre du livre de Claude Michel Cluny) tel pourrait être l’itinéraire de ce peintre passionné de géopoétique, qui essaie de rendre compte des lieux de notre monde. Un autre titre d’exposition de Fagniez "Le proche et le lointain" le caractérise bien.
Fagniez, hors de toutes les avant-gardes, reste un peintre secret qu’il faut mériter,
Si le roman est "un miroir que l’on promène le long d’un chemin", la peinture de Fagniez est un chemin qui promène bien des miroirs. Parfois il emprunte le chemin des oiseaux. Celui des oiseaux migrateurs qui ne peuvent se contenter de la réalité pure et volent plus loin. Depuis les vibrations intimes de la nature, jusqu’aux soubresauts des cités des hommes ( le tableau« les palais et des ruines » est emblématique de cette série), le miroitement des îles, plusieurs thématiques unissent son œuvre.

Ses rencontres avec Kenneth White, chantre de l’esprit nomade, ont donné naissance à un livre ouvert sur une géographie du dedans. Les Œuvres récentes, recentrées sur les mystères essentiels, s’approchent des rituels magiques (Masques), ses Œuvres plus anciennes des années 1975-1980 regorgent, elles, de nature vibrante. Son jardin fut pendant longtemps le thème central de ses recherches de transposition de la réalité en allusions poétiques. "Trans-parence", est le mot qu’il emploie souvent, montrant l’au-delà translucide des apparences. Ce n’est pas seulement pour lui vouloir rendre visible l’invisible, mais la réalité avec ses projections, ses reflets dans les vitres, et surtout dans cette alchimie qui se fait dans la vitre elle-même et qui ajoute à la chose vue, la chose miroitée dans nous. Fagniez est un peintre-miroir. « Peindre, selon Fagniez, ce serait prendre en défaut cette transparence : la rendre visible. Aussi le paysage ou les choses qui sont devant lui seront transmués en peinture de mémoire. Mais la pulsion initiale vient de ce qui a été vu immédiatement. Toute la nature devient alors porteuse de signes et Fagniez tente de les restituer.

Le chemin de Fagniez est balisé par des magies suggérées : à nous de suivre la route en sachant lire la mousse des arbres.
"En vérité, que je sois devant un paysage
Ou devant un mur, ou devant un arbre, j’ai la conviction que ce que je fais n’est autre que le portrait du mur, de l’arbre, du rivage"
.

Ceci aura été appelé le réalisme non-figuratif, mais ne rend qu’imparfaitement compte de l’art et des rituels magiques de la peinture de Fagniez.
Il nous faut reconnaître, à travers les tableaux déposés le long des chemins par Fagniez, l’essence du paysage, du mur, de l’arbre et du rivage.
Ils sont là, vibrants, ramenés à leurs archétypes, à peine éclairés par un titre allusif mais présents, changeants, ouverts à toutes les interprétations, un instant paysage ou mur ou arbre ou rivage et tout cela à la fois.

« Le jardin est entré dans la cuisineavec le cheval ivre et le ruisseau lointainparce que la table était ouverteà la page la plus blanche de l’étélà où convergent toutes ces routesque tisse le poèmepour l’aveugle immobilemains posées sur le boisla pointe du couteau fichée dans la mémoire ». (Guy Coffette)

La peinture de Fagniez est ouverte à toutes les pages et reste fichée dans notre mémoire.

Gil Pressnitzer