Gérard Santier

Le piéton de Toulouse ou la photographie à hauteur de regard

Dans les rues de Toulouse, dans les rues Tolosanes chères à Michel Roquebert, il est un piéton au regard tendre et malicieux, qui avec son Leica prolongement de ses sourires, fixe, ou plutôt caresse, les visages entrevus, les maisons et les murs, les histoires encloses sous les porches.
Cela fait si longtemps qu’il déambule dans cette ville où il est né, où il vécut, que celle-ci devient grâce à lui ce lieu poétique « où l’homme en marche s’efforce de définir « le secret de ses jours » (Léon Paul Fargue, autre piéton des villes).
Sorte de poète de la cité, avec l’agilité de l’écureuil qu’il semble parfois être, il navigue avec bienveillance dans les dédales des rues, dans le dédale des visages.
Il ne photographie pas, en fait il « chine », il observe sa ville qui bourdonne, qui vit. Il aime et il l’aime.

Il ne tient pas à habiter le nom de sa ville, il essaie d’habiter ses visages, sa géographie, son histoire.
Ce flâneur des chemins cachés de la ville aux mille visages, ce Santier aux mille chemins de traverse, est un doux sourire qui écrit la vie sur les façades des gens.

Il savait dire par les mots, maintenant il dit par les photos les moments qui passent, en se demandant où ils sont passés.
Photographier devient l’acte d’écrire un long poème dans l’espace des hommes, dressant des portraits défiant le sablier du temps.
Aimer ce que l’on photographie, être humblement jardinier de la mémoire, cela fait une belle vie de photographe, cela fait une éthique d’homme.

Il est aussi aux aguets de l’insolite avec ses sens d’enfant.
Pour marcher ainsi dans sa ville il faut porter en soi un pays, savoir dans les méandres des images faire lever l’intemporel, la vérité profonde d’un visage, d’une simple rue.
Gérard Santier, Leica en pochette-surprise, voyageur patient des instants reconquis, dessine légèrement les aquarelles du quotidien, les fusains des émotions des choses simples, mais aussi les eaux-fortes des portraits de son panthéon toulousain.
Ces visages sont ceux d’amis, exercices d’admiration aussi.
Ses photos sont des échos des personnalités devinées, dévoilées, au-delà de leurs apparences à nous données. Il y a de l’explorateur d’âme chez Gérard Santier, parti à la découverte des vies vécues.
Voir ressurgir grâce à son œil complice et fraternel des visages hélas disparus, ou d’autres pris dans un moment déjà perdu et s’éloignant d’aujourd’hui, est pure émotion. Êtres de chair, êtres vivants encore et toujours, malgré ce que veulent bien en dire les états plus ou moins civils, ils sont là un instant encore suspendus dans nos mémoires.
Ces Toulousains, ou apparentés Toulousains, sont loin d’être des « parfaits ». Ils sont des hommes de générosité, de ferveur et de passage.
Leurs images ainsi saisies ne sont pas poétisées, elles veulent rendre vérité à leur essence. C’est la présence de l’homme qui est ici perçue, transcrite, restituée. On pourrait les entendre respirer. Pour certains ils cessent d’être invisibles.
Trente personnes donc ont été retenues par Gérard Santier pour illustrer non pas une histoire de Toulouse, mais ses belles rencontres du cœur et de l’esprit.

Rappelons qu’il en aurait fallu beaucoup moins pour sauver Sodome et Gomorrhe.

Ainsi se succèdent sur l’écran de la mémoire et par ordre d’apparition alphabétique: Dominique Alet architecte, Dominique Authié écrivain et ancien directeur des Editions Privat, Jean-Claude Bastos comédien, Simone Boudet galeriste de la Joie de Lire, Jean Bousquet comédien, Daniel Briand éditeur, José Cabanis écrivain et académicien, Bernard Cadène peintre, François Canard lutin et photographe, Pascal Dessaint écrivain, Jean Dieuzaide ( Dieu Z, le père, comme le dit Gérard Santier), fondateur de la Galerie du Château d’eau, Michel Dieuzaide photographe et écrivain, Jean-Paul Dubois écrivain, René Gouzenne comédien et créateur de la Cave –Poésie, Claude Jarry présidente du Salon des Antiquaires, Guy Lafitte jazzman, Philippe Léogé pianiste de jazz et fondateur du Big Band 31, Nighthawk critique de jazz, Claude Nougaro chanteur, Jacky Ohayon directeur du Théâtre Garonne, Maurice Sarrazin fondateur du Grenier de Toulouse, Jean-Claude Pertuzé illustrateur, Serge Pey poète, Gil Pressnitzer écrivain et fondateur de la Salle Nougaro, Michel Roquebert journaliste et historien, Jacques Rosner metteur en scène et ancien directeur du Sorano, Bernardo Sandoval compositeur et chanteur flamenco, Maurice Sarrazin comédien et fondateur du Grenier de Toulouse, Isabelle Soler danseuse flamenca, Christian Thorel libraire, Marc Trillard écrivain.

Ils ne sont pas portraitisés pour leur renommée ou par effet de mode, mais parce qu’ils ont avec le photographe un fort lien de parenté. Comme lui, ils sont de la tribu des passeurs.
De ceux qui auront juste voulu allumer quelques étincelles rougeoyantes dans la ville rose.
Les voici donc braises encore pouvant mettre le feu et Gérard Santier, forgeron-photographe, en attise le souvenir.

Gil Pressnitzer

Indices terrestres

Quand au début des années 1970 Gérard Santier quitte les bancs du collège où il enseignait le Français pour rejoindre la Rédaction de "La Dépêche" – son rêve de gosse – ça reste pour lui la même démarche professionnelle : dispenser un savoir.

A son goût pour l’écriture, il va bientôt allier sa nouvelle passion : la photo. Et c’est lui qui va alors le plus souvent illustrer ses articles. Avec la même éthique : être le témoin qui communique. Sans recherche stylistique particulière, sans fioritures aucune : juste écouter, observer et ressentir, enregistrer et transmettre. Au plus près de la vie, de la vérité. Le plus simplement possible. On comprendra que son photojournalisme s’inscrit dans la démarche d’un Henri Cartier-Bresson - son maître.

Son entrée dans le journalisme correspond précisément à l’ouverture de la galerie du Château d’Eau. Et c’est logiquement qu’il va accompagner cette aventure aux côtés de Jean Dieuzaide. Il va même créer une rubrique photo dans "La Dépêche" - une première en France dans la presse quotidienne régionale, comme le soulignera alors le magazine "Chasseur d’Images". Il y parlera de technique, mais surtout de photographes ; et notamment de tous ceux qui viendront accrocher aux célèbres cimaises de la première galerie municipale de photos en France. De Doisneau à Ronis en passant par Boubat, Klein, Clergue, Lartigue, Gibson, Riboud, Le Querrec, Kertész… Des rencontres qui vont évidemment aiguiser son œil et logiquement nourrir ses sympathies pour des photographes comme Frank et Depardon, mais aussi Sieff et Plossu. Même s’il reste fidèle à son maître.

Mais sa rubrique photo sera aussi l’occasion de soutenir tous ces artistes de Midi-Pyrénées aux côtés desquels il exposera en 1994 au Château d’Eau, pour le 20ème anniversaire de la galerie. Citons Valéry Lorenzo, Jacques Mataly, Philippe Assalit, André Cros, Philippe-Gérard Dupuy, Alain Lourenço, Pierre Lebouc, Martine Michard, Donatien Rousseau, Dominique Roux, Michel Paradinas, Christian Kitzinger, Patrick Riou, Jacques Sierpinski, sans oublier François Canard, "un ami de trente ans". Tous sont encore et toujours photographes. Professionnels pour la plupart.

Au lendemain du décès de Yan, c’est logiquement qu’on retrouvera Gérard Santier, administrateur du Château d’Eau, aux côtés de Michel Dieuzaide venu lui aussi assurer la pérennité de la galerie en prenant alors la succession de son père.

Puis, avec toujours la même volonté de passeur, cet amoureux fou de "soun païs", de sa chère Toulouse natale, va se lancer dans l’édition d’ouvrages. Illustrés pour la plupart. Ainsi notamment "Les Mairies sur leur 31" et le fameux "Dictionnaire de Toulouse" qui devrait bientôt être suivi d’un autre dictionnaire. Dont la belle image sera, en fait, le véritable prétexte.