L’Atelier

par Henry Lhong

Avant-Propos

Le texte que nous publions ici date de janvier 1966. C’est le numéro 1 de la revue de l’Atelier.
Il s’agit d’une sorte de manifeste d’une galerie l’Atelier, qui est en fait un véritable discours constituant sur la peinture moderne à Toulouse.
Plus de quarante ans plus tard, l’immense portée de ce qui fut dit dans un temps hostile, reste éclairant aujourd’hui.
Texte fondateur, paroles prophétiques, gloire à vous qui défrichèrent l’avenir
.

En ouvrant L’ATELIER, le 20 mars 1964, nous écrivions sur notre premier carton d’invitation : « L’Atelier ne trouvera sa voca­tion véritable que dans, la mesure où il deviendra et où vous en ferez un LIEU COMMUN. Lieu commun, c’est-à-dire : évidence. C’est-à-dire également : foyer de rencontres, d’échanges, de contacts, aussi de prospection.»
Presque deux ans plus tard, nous nous interrogeons sur notre démarche.
Avons-nous bien rempli notre propos. ? Ce n’est pas à nous de dire si l’Atelier est devenu une évidence. Mais nous avons le sentiment d’avoir été, dans la mesure de nos moyens, un lieu d’échanges, de rencontres et de contacts.
L’exposition « Pour une nouvelle conception du Paysage », préparée spécialement pour notre Galerie et préfacée par les critiques Henry Galy-Carles et Jean-Jacques Lévêque, a été la première en France à tenter de faire le point sur ces deux tendances si représentatives de l’art d’aujourd’hui : le paysagisme et le naturalisme imaginaire abstraits.
Les échanges avec les Galeries parisiennes qui permettront à la Province de prendre contact avec les oeuvres d’artistes de notre temps s’intensifient chaque jour. Chose importante, il ne s’agit pas d’exportation pure et simple. Nous voudrions, à travers des expositions de groupe, centrées sur un thème ou sur un esprit, montrer au public toulousain un panorama le plus complet possible des acquisitions et des recherches de l’art contemporain.

Les peintres vivant à Toulouse devraient avoir, de leur côté, leur mot à dire non pas dans la peinture régionale mais dans la peinture tout court. Ils commencent déjà à sortir du cercle étroit des manifestations provinciales : Pierre IGON expose à Liège, KARLAT à Trieste, Jean-Emile JAURES, dans une exposition de groupe aux U.S.A. Mais est-ce suffisant ? Il y a encore mieux à faire sans doute. Et la confrontation entre artistes toulousains et artistes parisiens ou étrangers ne peut être qu’instructive et que profitable.

Quant à la prospection, rappelons que c’est à l’Atelier qu’eut lieu la première exposition d’Alexandre BONN1ER, préfacée par André Pieyre de Mandiargues. Bonnier qui vient de participer à la Biennale de Paris et dont la première exposition parisienne, Galerie Pierre Domec, a été accueillie par la critique avec attention. Un autre jour, nous avons vu arriver à l’Atelier, son carton sous le bras. « un jeune homme en colère ». Il s’appelle Claude VEDEL. Nous avons exposé ses oeuvres avec enthousiasme. Il vient d’obtenir le Prix décerné aux artistes français par les exposants étrangers à la Biennale de Paris.

C’est ainsi, parce que nous, essayons de vivre chaque jour la Peinture vivante ; cel­le d’aujourd’hui et celle de demain, que nous sommes à la recherche de formules vivantes et c’est de cette exigence que naît notre Bul­letin.
Entre les pleins feux des vernissages, nos peintres passent des périodes obscures qui sont pour eux les moments les plus ferti­les. Notre bulletin permettra de les suivre dans leur travail. Il nous permettra surtout de prendre position. Toute exposition est un choix parfois un pari quand il s’agit d’un jeune pein­tre. C’est toujours un parti résolument pris, qui suppose un enthousiasme...et des refus.

Pourquoi ne pas s’expliquer sur ce parti, qu’on ne saurait fonder ni sur la sensation épidermique ni sur l’épaisse logomachie philosophique, mais sur une connaissance et un amour de la Peinture profonds ?
Il y a aussi des informations à fournir sur les tendances qui se précisent en Peinture, ainsi sans doute que des renseignements techniques sur le métier, sur les collections, sur les cotations, etc...

La Peinture ne gagne rien à demeurer un mystère. Il s’en faut.

L’Art a besoin en permanence d’oxygène. Ceux qui le lui apportent, ce sont d’une part des artistes en quête de formes neuves mais d’autre part - et surtout - la venue, la passion d’un nouveau public. Or, ce public nouveau, nous le constatons chaque jour, il a besoin d’information sur les oeuvres qu’on lui donne à voir. Ce n’est pas le moindre paradoxe de la France que des artistes dont le nom est connu partout dans le monde, qui ont participé à toutes les expositions internationales, qui sont accrochés dans les meilleurs musées étrangers, soient absolument inconnus à quelques centaines de kilomètres de leur lieu d’origine. Sur leur lieu d’origine même, parfois ! Nous voudrions faire mentir le vieux dicton « Nul n’est prophète en son pays ».
Mais cette information demande, à ce niveau, une information sur l’information elle-même. C’est aussi une des raisons d’être de ce Bulletin. Il n’y a pas de peintres sans références. Les préfaces, les biographies, les catalogues en sont bourrés.
Que valent ces pièges-à-amateurs ?

Certes, le collectionneur averti connaît l’échelle des valeurs. Il sait faire la différence entre la participation aux grandes manifestations mondiales : à la Biennale de Venise, celle de Paris, Sao-Paulo, Do­cumenta à Kassel, etc...,et le Salon-Fantôme de Saint-Cucupha.
Mais l’amateur neuf ? Il faut l’informer sur l’importance des expositions afin qu’il puisse mieux situer les peintres qui y participent.

Ce mois-ci, nous donnons nos cimaises à QUINZE PEINTRES nés entre 1920 et 1930. Ils ont été choisis par notre ami Jean POLLAC, qui dirige là Galerie ARIEL, Bd Haussmann à Paris. Cette exposition, dont nous n’avons même pas à souligner l’importance, nous est chère à plus d’un titre. Elle nous permettra d’abord de sentir, dans toute sa force, l’importance et la qualité de l’École de Paris. Elle nous est chère aussi parce que Jean POLLAC a de son métier la conception « engagé » et vivante qui nous tient à coeur. L’image du « marchand de tableaux, somnolant dans une arrière-boutique entre des toiles poussiéreuses et une liste de prix lui est aussi étrangère qu’à nous.
Elle nous est chère aussi parce que, parmi les exposants se trouve, en bonne place un toulousain d’origine : André Marfaing dont nous espérons bien d’ailleurs présenter un ensemble plus vaste au cours de la prochaine saison.

Il y a enfin une raison sentimentale.
En 1961, nous faisions partie de ce petit groupe d’amateurs qui organisaient le Salon ART PRÉSENT. Ceux qui suivaient nos efforts se souviennent sans doute d’un ensemble d’oeuvres exposées sous le titre de « Propositions. » et qui rassemblait des envois de ceux qui étaient encore « La Jeune École de Paris ».
Parmi eux, à côté de Fichet, Halpern, etc... Marfaing, Miahilovitch, Lindström.

Ce sont presque des retrouvailles avec des artistes dont le talent et l’audience se sont encore affirmés.