Margaret Bourke-White

L’intrépide amazone de la photographie

« La femme qui avait été torpillée en Méditerranée, mitraillée par la Luftwaffe, échouée sur une île de l’Arctique, bombardée à Moscou, et s’en tira vivante dans la baie de Chesapeake, lorsque son hélicoptère s’est écrasé, était connue pour la rédaction de Life comme « Maggie l’indestructible ».

Indestructible elle l’était, inconsciente jusqu’à l’héroïsme.
Et cette aventurière au courage inoxydable, pionnière de la photographie de reportage et de documentaire est une légende aux États-Unis.

Elle fut la première femme à travailler pour la prestigieuse revue Life jusqu’en 1957, dont elle intégrera la rédaction dès l’origine, et aussi Fortune pour la photographie industrielle.

Elle fut la première femme à suivre l’armée américaine sur les fronts de combat, comme correspondante de guerre, et la première à entrer à la libération dans le camp d’extermination de Buchenwald. La première aussi à être autorisée à entrer en URSS pour photographier l’industrie soviétique, et aussi Staline autre fleuron de ce pays, servant ainsi d’instrument de propagande, malgré elle, au régime soviétique.

Elle photographia Gandhi juste avant son assassinat.

Elle a posé les fondations du photo journalisme aussi pour la revue Fortune
Mais elle qui n’avait jamais ressenti le moindre tremblement devant le danger, mourra des tremblements de la maladie de Parkinson, dix-huit ans après avoir fait la couverture de Life.

Dès son adolescence Margaret Bourke-White rêvait d’une vie pleine d’aventures. Elle sera largement exaucée et sa vie est un roman tumultueux et riche.
Et en tant que femme au caractère intrépide elle sut se faire une place éminente dans un métier d’homme.

Pour avoir son passeport pour l’aventure, elle a vite compris que la photographie serait le moyen idéal.
Et son génie d’être au bon endroit au bon moment lui a permis de réaliser des images devenues des témoignages, des icônes.

Et elle va réaliser d’innombrables reportages et portraits des gens plongés dans des circonstances dramatiques : fermiers désespérés dans les tourments de la grande dépression, les victimes de la Deuxième Guerre mondiale, des exodes dus à la partition du Pakistan.

Elle aura su extraire de la douleur humaine des images fortes, inoubliables, sans exhibitionnisme, avec paradoxalement une certaine pudeur due à son empathie pour les malheureux.

Bourke-White aura fait face aux inondations, aux bombardements, aux guerres civiles, à la misère, au malheur de partout.
Elle aura le même courage face à sa maladie qui finira par gagner la guerre.

C’était une sorte de mère Courage, et ses photos continuent à nous rappeler ce que fut l’histoire du monde.

La vie est un roman

Sa vie, véritable scénario de film, était tout entière dédiée à son travail. Ses deux brefs mariages, dont l’un avec l’écrivain célèbre Erskine Caldwell, ne furent que des brefs intermèdes.

Elle ne voudra jamais avoir d’enfant, farouche amazone.

Malgré toutes ses rencontres de bien des gens pendant sa carrière trépidante, mais si peu furent ses amis. Elle ne voulait s’encombrer d’aucun lien faisant barrage entre elle et la photographie.
Quand la maladie se déclare vraiment en 1953, elle va lutter pied à pied pendant 20 ans, pour ne pas être invalide, en multipliant des exercices. Pendant les sept dernières années, elle va se consacrer à rédiger son autobiographie.
Elle décède chez elle dans le Connecticut le 27 août 1971. Et cette vie de tremblements s’achèvera sans pouvoir photographier pendant des décennies.

Les dates mémorables ainsi que les événements associés sont les suivantes.

Elle est née le 14 juin 1904 à New York, dans le Bronx. Son père Joseph White était un juif non pratiquant, d’origine polonaise. Et sa mère Minnie Bourke était une Irlandaise catholique. Margaret avait une sœur aînée, Ruth et un frère cadet, Roger.

Son père était ingénieur chez Hall Printing Press Company, et il lui a légué ce perfectionnisme que toujours elle revendiquera, le goût de la magie industrielle, et il l’initie à la photographie en 1916. Sa mère, sténographe pour l’édition, lui a appris cette volonté constante de s’améliorer.
Elle s’appelle d’abord Margaret White avant de prendre son nom de Margaret Bourke-White.
De 1906 à 1921, elle fait ses études à Bound Work dans le New Jersey, là où elle grandit, et obtient son diplôme à Plainfield.

Son père meurt en 1922, et elle retourne à l’université à Columbia où elle suit des cours du soir en photographie, auprès de Clarence H.White.En 1924, pendant ses études, elle a épousé Everett Chapman, mais le couple a divorcé deux ans plus tard. Margaret White a ajouté le nom de sa mère, Bourke à son nom en 1927 avec un trait d’union.

Elle termine ses études sur les reptiles qui la fascinaient et obtient son diplôme de biologie en 1927.

En 1927, toute jeune elle commence sa carrière à Cleveland en faisant des reportages sur le monde industriel, principalement des aciéries, Otis Steel Company surtout, qu’elle réussit à photographier de façon impressionnante, en inventant des procédés techniques inédits.Devant le succès elle peut ouvrir le studio «Bourke-White Photography», à Cleveland.

En 1929, Bourke-White accepte un poste de rédacteur en chef adjoint du personnel et devient photographe du magazine Fortune, un poste qu’elle va occuper jusqu’en 1935.Elle déménage son studio à New York en 1930.

En 1930, comme d’autres photographes américains, Dorothea Lange, Walker Evans, elle montre les désastres de la Grande Dépression en photographiant les fermiers affamés.

Ce fut le « Dust Bowl » et ses photos vont paraître dans Fortune en 1934.En 1930, elle devient le premier photographe occidental autorisé à prendre des photos de l’industrie soviétique pendant cinq semaines.

Elle y retournera en 1931.La consécration arrive pour elle en 1931 avec une exposition collective de ses photographies, avec Ralph Steiner et Walker Evans à New York.En 1932 elle retourne en Russie, mais cette fois-ci elle veut rendre compte des régions rurales.

Son enthousiasme fait passer ses reportages pour de la propagande.Bourke-White se marie en 1939 avec le célèbre romancier Erskine Caldwell- La route au tabac – Ils divorcent en 1942.

Ensemble ils avaient collaboré à You Have Seen Their Faces, Vous avez vu leurs visages (1937), livre sur les conditions dans le Sud pendant la Grande Dépression. Puis North of the Danube (1939) après un voyage en Europe centrale, en Tchécoslovaquie principalement.

Après leur séparation ils continuèrent à travailler ensemble pour Say! Is This the USA (1941), livre patriotique, et Russia at War (1942), sur la résistance russe aux armées nazies.En 1936 elle fait partie du noyau fondateur de Life comprenant quatre personnes en tout.

Sa première couverture date du 23 novembre 1936, et représente le barrage de Fort Peck.

Elle a aussi voyagé en Europe pour rendre compte de la façon dont l’Allemagne, l’Autriche et la Tchécoslovaquie vivaient sous le nazisme et comment la Russie se portait sous le communisme. En Russie, elle a photographié un phénomène rare, Joseph Staline avec son sourire madré, ainsi que des portraits de sa mère et de sa grand-tante lors de la visite en Géorgie.
En 1938 elle couvre les déplacements du président Roosevelt.
En 1941 elle photographie l’invasion de la Russie par les Allemands.
Elle était le seul photographe étranger présent à Moscou lorsque les forces allemandes ont attaqué et elle doit se réfugier dans son ambassade.
Au printemps 1942 elle est la seule et la première femme à devenir correspondante de guerre et elle va travailler dans les zones de combat pendant la Seconde Guerre mondiale.
Elle était donc attachée à l’US Army Air Force en Afrique du Nord, puis à l’armée américaine en Italie et plus tard en Allemagne.

Elle a essuyé des tirs à plusieurs reprises en Italie dans les zones de combats acharnés.
En novembre 1942, son bateau est torpillé devant les côtes de l’Afrique du Nord, elle en réchappe.

En 1943 elle est la première femme à voler dans un bombardier en mission.

Au printemps de 1945, elle a voyagé, avec le général Patton, à travers l’effondrement de l’Allemagne, en remontant le long du Rhin. Elle sera le rare témoin de la libération du camp de Buchenwald, le 15 avril 1945.

Elle dira plus tard, «L’utilisation d’un appareil photo était presque un soulagement. Car il a édifié une barrière légère entre moi et l’horreur en face de moi. »
Deux ans plus tard elle sera également celle qui fera connaître la violence qui éclate à l’indépendance et la partition de l’Inde et du Pakistan en 1946. Elle passe deux ans dans ces pays pour couvrir la difficile indépendance de l’Inde.

Ses photos de Gandhi sont immortelles, car elle est avec lui pour l’interviewer six heures avant son assassinat, le 30 janvier 1948.

En 1950, elle se rend en Afrique du Sud, pour rendre compte des conditions des travailleurs noirs les mines de diamant, et d’or. Elle dénonce l’apartheid.
En 1953, Bourke-White développe les premiers symptômes de la maladie de Parkinson.

Elle est forcée de ralentir sa carrière pour lutter contre la paralysie envahissante.
Elle prend sa semi-retraite en 1957, et complètement sa retraite à 1969, devant la progression de la maladie, malgré de multiples opérations.

Entre 1959 et 1961, elle a subi plusieurs opérations pour traiter son état, ce qui a mis fin à ses tremblements, mais a affecté son élocution.
En 1971, elle meurt de la maladie de Parkinson, à l’hôpital Stamford, dans le Connecticut, à l’âge de 67 ans.
Bourke-White a écrit une autobiographie, Portrait of Myself, qui a été publiée en 1963 et est devenu un best-seller, mais elle est devenue de plus en plus infirme et isolée dans sa maison de Darien, dans le Connecticut.

Elle ne parvenait plus à couvrir ses dépenses de santé.

L’art du regard

"Aucune image n’est pour moi sans importance"

Belle, téméraire, casse-cou et n’ayant peur de rien, envahissante, elle est une pionnière du photo-journalisme. Elle va en fixer les dogmes et les codes, se servant de cadrages audacieux, des prises de vue au cœur de l’action.

Elle a presque inventé, elle petit bout de femme intrépide dans un monde de sueur et masculin, la photographie narrative.

Car ses photos racontent une histoire. Et ses innombrables couvertures du magazine Life sautent immédiatement aux yeux par leur impact évident.

On saisit la situation la détresse, et on est pris d’empathie forte pour ses personnages.

Elle raconte, mais fait aussi l’histoire.
Froide déterminée, parfois cynique, seule comptait l’image, le scoop arraché aux événements.

Mais son cœur battait à gauche et elle a voulu célébrer aussi bien la marche industrielle de l’URSS que faire savoir le sort des rescapés de Buchenwald.

Elle fut aussi bien capable de célébrer la froide beauté industrielle, que d’être une immense photographe humaniste dévouée aux causes sociales.

Elle photographiait par fascination, ainsi son arrivée face aux aciéries qu’elle décrit comme cela:

« Je me tenais sur le pont pour regarder la ville qui apparaissait. Comme la ligne d’horizon prenait forme dans la brume du matin, j’ai senti que je parvenais à ma terre promise... Les colonnes des machines tout en hauteur quand nous avancions vers la jetée, et les derricks se balançant comme les créatures vivantes. Profondément à l’intérieur de moi je savais que ce serait mes sujets. »

Bourke-White a fait des villes d’acier, de charbon, et de ponts, de la puissance industrielle en marche, un hymne lyrique, un moment d’harmonie. Nul autre n’aura su rendre ainsi la beauté des formes fonctionnelles.

Sa conscience sociale compensait sa recherche à tout prix de la photo marquante, et ses images se penchent sur l’humain, en voulant décrire des pages d’humanité, bien au-delà du choc de l’image brute.

Elle transfigurait l’actualité en témoignage humain.

Ses carnets de voyage sont des livres de vie et aucune image ne lui paraissait sans importance.

«L’appareil photoest un instrument remarquable. Plongez profondément dans votre sujet et l’appareil photo vous prendra par la main ».« Maggie », la dame de fer de la photographie, a dérangé, ému, témoigné avec force, et marqué à jamais l’histoire de la photographie.
A life for Life.

Gil Pressnitzer

Sources : Actuphoto pour une excellente biographie de Bourke-White.

Bibliographie

En anglais, sélection

Margaret Bourke-white: The Early Work, 1922-1930, David R Godine Publishers Inc, U.S. (2007)
Margaret Bourke-White, Judy, Pearson Scott Foresman (1999)
Margaret Bourke-White, Vicki Goldberg, William Heinemann Ltd (1987)
Margaret Bourke-White Moments of History, La Fabrica (2012)
They Called It Purple Heart Valley: A Combat Chronicle of the War in Italy, Margaret Bourke-White,Literary Licensing, LLC (2012)
Dear Fatherland, Rest Quietly: A Report on the Collapse of Hitler’s Thousand Years, Margaret Bourke-White, Literary Licensing (2012)
Through an American Lens, Hungary 1938: Photography by Margaret Bourke-White, East European Monographs (2011)