Marika Perros

La calligraphie des émotions du vivant

Le trait révélateur
« Je pose le bâton d’huile sur la toile. Je laisse ma main courir dans une écriture automatique intime, calligraphique, nourrie d’orient et d’occident et libérée de mes propres limites. Là, dans l’action, des formes apparaissent, servant de révélateur à mes émotions de l’instant. Le trait, tel les plis du rideau de scène, contient en substance, tous les secrets et le non-dit. Ce trait, il le faut vivant. Quelques fois dur et tenu, épais et lourd, quelques fois léger et tendre, hésitant et fragile. Le blanc de la toile, surface intacte, accueille et devient une partie intégrante du tout. L’espace du tableau se nourrit, se construit, se révèle être un champ de bataille où noir et blanc se confrontent, s’animent, s’apaisent, se répondent, s’entrelacent... ». Marika Perros

Ses tableaux semblent être les coquillages amassés entre les couleurs drues et hurlantes au soleil, les noirs et blancs intenses et profonds, les noirs et blancs ou presque, les centaines de portraits (Série Portraits) faisant un rempart d’amitiés face aux temps incertains dont les failles nous engloutissent. Longtemps, plus de dix ans, marquée par le chaos initial d’où émergeaient des figures enfantines d’innocence (série Big Band et autres), elle a cinglé toutes voiles dehors vers la couleur et son magma magique (Série Couleur), pour accoster récemment à la fascination du noir et blanc (Série Noir et Blanc, et Noir et Blanc ou presque) et oser maintenant à nouveau affronter la lave intense de la couleur.

Des réminiscences peuvent s’entrevoir dans ses tableaux, depuis les vases étrusques, les peintures grotesques de James Ensor, les expériences de Jackson Pollock, mais plus encore du trop méconnu Mark Tobey, sa calligraphie mystique et sa façon d’être comme Marika entre les mondes. Les traces de la réalité sont toujours présentes dans sa peinture, et même dans la toile la plus saturée de couleurs passent d’étranges figures mélancoliques, presque mièvres, souvenirs d’un âge d’or fantasmé d’une enfance non donnée. Les marques indélébiles du réel sont à jamais là, pour ne jamais oublier d’être toujours présent au monde, et d’aimer les autres.

« La terre est ronde depuis quelques temps déjà, et pourtant cette rondeur n’a pas rapproché les hommes les uns des autres et elle n’aura pas non plus fait comprendre à chacun l’art de l’autre. Comme d’habitude nous nous sommes trop occupés des apparences, de l’objectif à atteindre au détriment du monde intérieur où se trouve la véritable “rondeur” » disait Tobey. Marika recherche toujours cette rondeur des humains et des choses.

Plusieurs cultures se donnent la main et dansent dans son œuvre, et belle Pénélope elle tisse sans cesse ses tapisseries, parfois les mêmes, parfois autres. Dans ses toiles passe le souffle de visages enfuis, parfois informes, à peine entr’aperçus, flottant dans l’espace du tableau comme murmures de mémoire. Ce souffle courbe les formes, les fait nuages annonciateurs de métamorphoses, de retour des vestiges de l’oubli. Serrés les uns contre les autres ces visages sont des cris immobiles de l’espace du dedans.

Elle se définit ainsi : « Issue de métissages successifs, je trouve en moi une véritable vocation dans le nomadisme. Mon enfance, grâce à de nombreux voyages dans le Sud de la Méditerranée, a nourri ma mémoire visuelle de bas-reliefs, architectures, sculptures, peintures de ces pays. Lors de mes études à la Villa Arson, j’ai été extrêmement influencée par l’art gestuel américain des années 50-70. Il en résulte maintenant, après une vingtaine d’années de pratique, un mélange que j’appelle mes « All-Over » à tendance figurative. À travers une écriture automatique intime, calligraphique (occidento-orientale), je déroule tel un fil d’Ariane, des touches répondant à ma propre logique, venant se poser à leur juste place dans le tableau. On obtient une œuvre labyrinthique, où tout n’est qu’entrelacement. Cela ressemble à des récits pénélopiens. Ma main elle-même devient une patiente voyageuse attendant de trouver la fin du tableau. Il s’y inscrit une notion de l’espace-temps-tableau. Cette pluri-culturalité qu’est la mienne me situe sur une brèche culturelle. Elle peut se lire dans ces « chaos ordonnés » toujours à la limite du désordre. L’équilibre du tableau ne tient qu’à un fil. L’image statique me dérange. Cette toujours possible rupture d’équilibre crée le mouvement à l’intérieur du champ pictural. Si je pouvais travailler dans l’infiniment petit ou l’infiniment grand, je pourrais sans cesse peindre le même tableau .... »

Entre Orient et Occident, Marika Perros fait du troc d’émotions, de personnages foisonnants, de palmiers et de jungle, de dieux grecs endormis, de monstres enfouis. La peinture de Marika Perros est une houle, une houle du vivant. Ondes de la mer toujours tapie en elle, ondes de la vie ardente, et des déferlantes du désir. Un de ses tableaux se nomme « Et elle aima la vie », sa peinture aime la vie, sans en oublier ni les abîmes ni les failles. Dans la peinture de Marika Perros, et en elle aussi car elle est sa peinture, brûle une fureur d’être.

Gil Pressnitzer