Michel Chapuis
le tragique et l’humain
Né dans un château dans le Pas-de-Calais, Château-Beauvoir, en 1925, il s’était retiré en silence à Fitou. Le vent de Corbières lui aura parlé du temps passé. Il est décédé le 11 octobre 2004, toujours en silence.
Il fut tour à tour poète brûlant proche des surréalistes, imprimeur à Versailles, photographe de publicité à Paris, co-producteur de séries télévisées du temps où la télévision avait un sens, et surtout pendant plus de quinze ans producteur à France-Culture où pendant 600 émissions il donna la parole aux artistes.
Puis cet homme de "passion et de fureur" décide de se consacrer totalement et humblement à la peinture, pour exposer pour la première fois à 44 ans.
Cet ami de Picasso, Bram Van Velde, cet adorateur de Paul Klee, ce compagnon de route du mouvement "Cobra" (Lindstrom, Jorn) aura élaboré après un passage par la peinture abstraite, une œuvre de "rage et de générosité", immédiatement accessible car sortie du rêve.
Avec ses traits larges, ses contours épais émergeant de couleurs épaisses pour des paysages déserts ou de noirs au bord de l’abîme comme ces visages hurlant dans le vide qu’il lance sur la toile, sa peinture a un côté hallucinatoire, désespéré.
"La peinture apprend à toucher l’intouchable
Mes derniers rendez-vous auront été
avec les paysages
Les lèvres de la terre, toujours ouvertes avant de se refermer sur les
muettes tombes
Mes enfants sauront que je suis passé
par là". (Michel Chapuis)
L’exposition présente depuis les sources de l’œuvre jusqu’aux tableaux récents, permettant de jauger une vie en peinture depuis 1962, trente six ans de travail, de sentiments et de sensations.
"Un bon tableau est peint pour comprendre et admirer la vie qui est notre seule chance d’aimer". (Michel Chapuis).
Son œuvre, présente maintenant dans les musées et chez les collectionneurs, sera approchée à travers un choix de ses peintures, et grâce à l’aide de certains collectionneurs. Puisse-t-elle selon le vœu de Michel Chapuis "écrire une histoire de l’art sans en avoir l’air, tout comme l’histoire d’une vie sans y toucher".
"Les peintures de rage où la générosité se glisse dans la désespérance. Mes tableaux sont noirs et sont faits pour se voir dans le noir, où ils ont leur lumière". Michel Chapuis
Retiré du monde dans un âpre village des Corbières, Michel Chapuis, ne quitte jamais - ou presque - la fraîcheur de sa maison carrelée envahie de tableaux.
Des étagères bondées de livres d’art et de plaquettes d’exposition du monde entier font alliance avec les murs épais pour le garantir contre la tramontane et le soleil dévorant qui à longueur d’année déferlent dans les rues étroites.
L’agitation, le vent et la bêtise s’arrêtent sur son seuil. Seuls rentrent la lumière et les génies du lieu qui s’invitent en amis à ses dîners d’ectoplasmes.
C’est entre ces murs et avec cette compagnie très « sélect » que le chaman inspiré laisse rebondir son imagination.
Il y met à nu l’esprit des arbres, des choses et parfois des gens. Bien au-delà des formes, il cherche le double sous l’écorce.
Plongeant la main sous la surface mince des apparences, il délivre un monde inattendu qui affleure et livre aux traits épais du pinceau ou du marqueur noir sur papier journal, ses volcans rose incandescent, ses hippogriffes timides et ses arbres intelligents, qu’il habille des couleurs qu’ils méritent, ou rassemble en troupes hétéroclites et séduisantes.
« Le poète est la partie de l’homme réfractaire aux projets calculés » (René Char).
Les tableaux-poèmes de Michel Chapuis opposent la permanence des arbres et des maisons simples au déferlement de l’information planétaire.
Ils sont un antidote puissant et salutaire à la course sans fin de notre industrie, aux jugements trop sommaires, et aux gavages de nos antennes paraboliques.
C’est l’instant d’en faire provision.
Gérard Blanc