Olivier Debré

II a été dit à propos des toiles d’Olivier Debré un propos de Constable :
"II est impossible d’en éteindre la Lumière car il s’agit de la lumière de la nature".

Et, au-delà de la virtuosité des surfaces, des rayonnements de la couleur, il est bien une constante dans les Œuvres de Debré, fussent-elles oriflammes, rideaux de scène, stations de métro, paysages de la Loire ou de Shanghai, géographie imaginaire de la Norvège, il est donc une présence permanente : une transparence poétique des espaces du dedans.
Tout vibre mystérieusement, enveloppé de quelques couleurs, tout frémit pour aboutir à n’être que lumière, traîne d’aubes et de couchants, réceptacle de cette nature que Debré aime tant.

"Quand je suis comme le vent, comme, la pluie, comme l’eau qui passe, je participe à la nature et la nature passe à travers moi…
Je traduis l’émotion qui est en moi devant le paysage…
équi intervient, mais l’émotion qui me domine. Je ne suis sincère que dans le choc, l’élan. »

Le travail de l’inconscient a cheminé en lui, il lui a appris à voir et le dedans et le dehors.
"Alors que le scribe, le mathématicien vont de l’idée au signe le peintre, lui, va du monde au signe".

Et Olivier Debré a fait signe au monde, il l’a fait s’attabler le long de ses larges toiles. Il pouvait ainsi parler face à face de l’intensité bouleversante de la nature, qu’il a voulu rendre sans fard et en osmose profonde. Ce fut cette belle partie de campagne à partir des années soixante et jusqu’à la fin des années quatre-vingt-dix. Celle qui coule toujours en nous. Peignant à même le sol parfois, il faisait glisser son rêve dans les grands bras de la Loire.
"Que je peigne par larges coups de brosse, ou que je pose des touches, je peins mon émotion", et l’émotion faisait des méandres en nous.

Taches vives bleues des hautes montagnes en "lumières d’automne", ou ruissellement des fluides de couleurs, Debré sait rendre le fugitif, le paysage, les passages.
Les nuages se sentent chez eux dans sa peinture. Ces bleus si caractéristiques sont ceux sans doute des couleurs profondes du ciel et de l’eau, diluées les unes dans les autres sur la chair de la toile.
Mouvement et espace, puits légers de couleur au centre et taillis denses à la périphérie, les toiles de Debré semblent rester humides.
Et une spiritualité limpide monte de ces instants. Fils de la Touraine, il est aussi un long fleuve majestueux, frère jumeau de sa chère Loire coulant lentement en lui.

Parfois la Loire déborde et cela donne cette immense toile six mètres (Rouge de Loire de Touraine – 1983-84). Parfois elle se perd en méandres et la "Longue traversée gris bleu de Loire à la tache verte", peut alors se faire.
Des souvenirs de ses amis aussi affleurent dans ses Œuvres : Le Corbusier, Poliakoff, de Stael, Soulages. Son œuvre change de rive après le choc de l’expressionnisme abstrait américain (Kline, Rothko).

La couleur devient la représentation de la toile, le monochromatisme le hante et il tente de saisir les infinies variations d’une seule couleur. Les signes du mystère passent aussi comme des "signes personnages", graffitis de l’infini.

De son abstraction si proche des éléments de la nature sortent des signes, des magies, des écritures d’ailleurs. Fluide, infiniment fluide est son abstraction qui toujours fait un signe amical et lointain aux références du réel.
Les paysages sont sa contemplation, ceux de la Touraine, de la Scandinavie, de la Chine,.. Devant ces contemplations, tout vibre en lui de sensations et d’émotions.
Ses paysages mentaux, ses marches en lui-même ont toujours besoin de l’aiguillon du réel.

On est loin de l’abstraction pure et plus proche d’une quête de la pureté de la peinture.
L’émotion ruisselle, les couleurs chantent. Ses toiles sont saturées de couleurs avec des coulées de nature, des monticules de matière.
Il recrée une géographie du réel. Non pas dans un espace construit mais dans un vaste panorama de l’imaginaire.

Seule la couleur est le mortier de ses édifications. Mouvements des choses et des signes, couleurs et matière habitent ses toiles. Et à partir des années soixante le seul langage sera la couleur, pas la forme. La forme lui semble incomplète pour traduire ce bouleversement de l’émotion ressenti devant un paysage. La couleur le peut dans sa ductilité, sa suggestion. Elle est la matière en profondeur, l’irrigation interne du mouvement de la terre.
Elle peut tout, elle construit tout.
Debré apprivoise les variations et les suggestions du monde vibrant, et il tend un miroir à la nature où elle aime venir se contempler.

Le besoin d’une vision panoramique du monde pour se mesurer à l’espace donneront ses immenses tableaux. Il conçoit des rideaux de scène, des toiles pour la Garonne tendues sur le fleuve, le fond de scène de l’Opéra Bastille, le rideau de la Comédie Française…

Cette immensité qui était en lui devait s’écouler sur ses peintures. Il voulait prendre au tendre piège de la couleur la lumière et l’espace, la matière et l’énergie.
"Je peins pour s’émerveiller et je fais de ma toile une sorte de miroir où le monde se réfléchit et se prolonge" Tout est dit par ce bonhomme si seul dans la peinture française. Sans école, sans descendant. Il reste solaire et seul.

"Toute ma peinture est sortie du sourire."

Ce sourire d’un "homme-peintre" comme il fut nommé, aura donné ce fluide et ce translucide qui fait sa peinture.

Cette peinture qui devient mélange de l’air qui passe libre dans ses toiles, de l’eau de pluie qui s’attarde, des soleils qui tardent à se coucher voulant se voir encore un peu dans ses couleurs.

Olivier Debré, assis dans la lumière avec sa femme, et avec sa grande amie, la conservatrice du Muséum d’Histoire Naturelle de Toulouse, est venu s’asseoir devant ses toiles.

Il a discuté tout un dimanche d’un peu de peinture mais surtout de poésie qu’il aimait tant.
Des rayons de soleil passaient le long de lui, et il parlait doucement vous regardant soudain au fond de vous, puis son regard s’en allait sur ses toiles accrochées au mur, un sourire, puis de longs, très longs silences. Parfois le souffle lui manquait, les yeux vifs lui redonnaient son oxygène.
Il rayonnait de l’intérieur de lui.

Quand il reparlait c’était pour dire comment par exemple la lumière et la joie douce qu’il avait apporté à l’hôpital La Salpétrière lui avait fait tant chaud au coeur, et il voyait l’éclat de sa toile sur les patients.

Il souriait encore.

Puis le long des couloirs, il s’est effacé doucement, hésitant.

C’était pour l’ouverture du métro à Toulouse en mai 1993. Il devait mourir trois ans plus tard, le premier juin 1969, il était né en 1920 à Paris.

La Loire coule encore avec ses biefs, ses courants, ses dérives.
Mais elle réverbère toujours les toiles d’Olivier Debré dans tous les ciels qui passent.

Gil Pressnitzer