Hubert Reeves
président de la Ligue ROC
Le guetteur de l’univers
Parfois, de grands passeurs se lèvent, qui font que le chaos, la complexité des choses s’estompent et tout redevient simple, retrouve l’évidence du premier jour, l’apaisement du dernier.
Peu importe au fond, que ces sorciers, ces sourciers plutôt, aient raison scientifiquement, ils ont su à un moment de l’histoire comprendre nos peurs, notre irrépressible besoin de consolation, nos interrogations lancées depuis des siècles à la lune pâle: D’où venons-nous, où allons-nous?
Reeves est de ceux-là, après bien d’autres, mais comme notre époque a son look, elle s’est choisie cette tête de lutin malicieux échappée d’une Blanche-Neige cosmique, hilare et dégageant une infinie bonté.
L’évolution stellaire, la nucléosynthèse, les trous noirs, le big-bang, certes tout cela notre dieu-lare, alliant la magie du conte et le mythe du savant rêveur, peut nous en parler.
Mais il s’agit pour lui de tout autre chose : du sens de l’univers.
Et merci mille fois à celui qui, face à tout l’absurde fondamental a su proclamer qu’il était l’heure de s’enivrer. Même et surtout si nous touchons vraiment du doigt « que nous autres civilisations sommes mortelles et même en train de mourir.»
« Si nous avons un rôle à jouer dans l’univers, c’est d’aider la nature à accoucher d’elle-même ». Merci au mage souriant qui essaie, de lutter avec son entêtement et sa pureté de gosse contre le suicide annoncé de l’humanité.
Visionnaire tendre, Hubert Reeves a su dépasser la connaissance pour parler aux consciences. Il sait rêver contre la proclamation de notre fin. Nous sommes en péril par toutes les blessures infligées au visage de la terre. Nous avons le mal de terre, et bientôt le mal des fantômes. Mais il n’endosse pas les habits noirs des oiseaux de malheur, il se veut : "Moi je dis souvent que je suis volontairement optimiste. Parce que si on est pessimiste, c’est pire. Il ne faut pas décourager, il ne faut pas démobiliser les gens". Il se veut un donneur de leçons d’espérance, et non pas de leçons.
« Ce n’est pas la Terre qui est en danger ; elle va continuer à tourner sur elle-même et autour du soleil. La nuit succédera toujours au jour et le jour à la nuit. Et cela durant des milliards d’années… jusqu’à la mort du soleil. Ce n’est même pas la vie qui est menacée. Elle est robuste et les espèces ont déjà connu cinq extinctions majeures. Celles qui disparaissent font de la place pour d’autres. Et quand les dinosaures ont été éliminés, les mammifères se sont développés… Et nous sommes là.
C’est nous qui sommes en péril. Plus exactement nos descendants, enfants et petits-enfants. Comment en persuader nos contemporains ?»
Aussi Reeves quand il descend de son char étoilé se bat pour la faune sauvage, pour l’homme trop civilisé. Il nous ouvre les espaces du temps et de la lumière en pointant notre immense petitesse : " Les êtres humains se perçoivent maintenant comme les habitants d’une planète minuscule orbitant autour d’une étoile ordinaire à la périphérie d’une galaxie comme il y en a des milliards. "
Hubert Reeves, en tant que poète, passe de la démonstration à la parole prophétique. Il est notre compagnon de voyage et nous parle aussi bien de la beauté des oiseaux que de celles des étoiles. Et aussi de notre moi profond : «J e cherche à comprendre comment fonctionne ce «moi avec lequel je m’éveille chaque matin. » Avec son allure de Bouddha rieur, de Socrate malicieux, il nous recoud une éternité.
Né à Montréal le 13 juillet 1932, docteur en astrophysique nucléaire, il est depuis 1966, Directeur de Recherches au MRS.
Des livres prodigieux, au sens de prodiges, tels que Patience dons l’Azur, Poussière d’étoiles, Malicorne, L’Heure de s’enivrer, des films les Étoiles meurent aussi, la Vie dans l’univers, de nombreuses émissions de télévision (Monsieur Étoiles filantes, c’était lui !) l’ont popularisé auprès du public, rendant plus proche sa question constante : l’univers a-t-il un sens ?
Lui « coeur tendre qui boit le néant vaste et noir », ne veut pas être un enfant du hasard, un être sans conscience ni complexité, laissant libre cours à ses pulsions de mort. Sa croisade pour accoucher d’un sens fini par nous troubler. Toute cette générosité est une religion de l’homme, un investissement sur l’intelligence. Longtemps sur France-Culture il a tenu, et il tient encore, ses Chroniques du ciel et de la vie. Sa voix de rocaille avec son bel accent du Québec faisait rouler les pierres de tous les ruisseaux. D’ailleurs sa voix il la prête aux musique qu’il aime (Pierre et le Loup, Le carnaval des animaux, Ma Mère l’Oye (Maurice Ravel, La Cantate pour la Fin du Temps (Olivier Messiaen), Les Quatre Saisons (Antonio Vivaldi)...
Vulgarisateur de secrets enfouis, de sciences profondes, il démystifie le discours scientiste mais sans faire appel à l’obscur. Il se bat toutes voiles dehors, toute parole prophétique clamée, pour l’environnement : « La Terre ne sera plus jamais comme elle était en 1900, par exemple. La vie continuera, elle évoluera, mais est-ce que l’humanité sera capable de survivre ?"
« Les théories sont grises, mais les arbres sont verts ». Lui, il conte, il dialogue entre ciel et terre avec l’univers ou un papillon : « J’essaie de dire aussi qu’un papillon n’existe pas pour être épinglé dans une boîte de collection. Et j’espère que l’écho répète ! j’espère surtout que tous ceux qui l’entendent le redisent autour d’eux».
Il pose son regard sur l’émerveillement du monde qu’il réenchante :
« Dans le ciel, passe une volée de canards, le cou raide tendu vers l’avant.
Je compte. Il y en a cinq. Le chiffre cinq se met à exister devant moi.
Les nombres ont-ils un mode d’existence en dehors de la tête de celui qui les pense ? »
De son gousset, ce troll sort la montre qui mesure le temps de l’univers. Sa barbe blanche baigne dans la voie lactée. En la secouant fort il fait tomber des exoplanètes. Son rire fait passer plus vite les comètes. Dans ses mouchoirs il a sans doute une partie de la masse manquante de l’univers !
Parfois lassé des attaques des chers confrères qui l’accusent de ne brasser que de l’astro-vent il se retire sur l’astéroïde 9631 qui porte son nom. Mais lui a su nous parler. Il témoigne pour la mémoire vivante de l’univers.
Pour Reeves, la constante évolution est là et il veut intégrer tous les acquis de la science moderne. « Fierté de l’homme en marche sous sa charge d’éternité » (Saint-John Perse), voilà une autre définition de ce merveilleux contemporain nommé Reeves, qui est aussi un de nos plus grands conteurs d’histoires à vivre debout. Et ce n’est pas la moindre de ses magies de voir apparaître sous la même barbe, le savant et le conteur fou, nous enseignant : « Enivrez-vous ! »
« Je ne puis penser sans émotion au moment où Mozart, ayant tout juste terminé l’écriture du Don Giovanni, dépose sa plume et regroupe ses feuillets. C’est un temps fort de la vie de l’humanité et, par extension, de la réalité tout entière.
Tous les créateurs, musiciens, peintres, poètes, ont ajouté de la beauté au monde. Ils ont enrichi notre vie en nous donnant accès à des moments de bonheur ineffable.
Et, en généralisant, je pense que tout être humain, dans sa sphère d’activité, petite ou grande, peut être un artisan du huitième jour. »
Certains comptent les étoiles, Hubert Reeves conte les étoiles.
Reeves est le guetteur de l’univers, l’artisan du huitième jour. Par lui peut-être la terre restera humaine et les étoiles, étoiles.
Gil Pressnitzer
poème d’Hubert Reeves :
Terre, planète bleue (extraits)
Terre, planète bleue, où un cosmonaute, au hublot de sa navette, nomme les continents des géographies de son enfance...
Terre, planète bleue, où une asphodèle germe dans les entrailles d’un migrateur mort d’épuisement sur un rocher de haute mer.
Terre, planète bleue, où un dictateur fête Noël en famille alors que, par milliers, des corps brûlent dans les fours crématoires.
...
Terre, planète bleue, où un orphelin se jette du troisième étage pour échapper aux sévices des surveillants.
Terre, planète bleue, où, à la nuit tombée, un maçon contemple avec fierté le mur de briques élevé tout au long du jour.
Terre, planète bleue, où un maître de chapelle écrit les dernières notes d’une cantate qui enchantera le cœur des hommes pendant des siècles.
Terre, planète bleue, où une mère tient dans ses bras un enfant mort du sida transmis à son mari à la fête du village.
Terre, planète bleue, où un navigateur solitaire regarde son grand mât s’effondrer sous le choc des déferlantes.
Terre, planète bleue, où, sur un divan de psychanalyse, un homme reste muet.
Terre, planète bleue, où un chevreuil agonise dans un buisson, blessé par un chasseur qui ne l’a pas recherché.
Terre, planète bleue, où, vêtue de couleurs éclatantes, une femme choisit ses légumes verts sur les étals d’un marché africain.
Terre, planète bleue, qui accomplit son quatre-milliard cinq cent-cinquante-six-millionième tour autour d’un Soleil qui achève sa vingt-cinquième révolution autour de la Voie Lactée.
le beau site www.hubertreeves.info vous en donnera l’intégralité ainsi que des conférences.
Hubert Reeves anime aussi deux autres sites:
Ligue Roc pour la préservation de la Faune Sauvage: www.roc.asso
Objectif: Biodiversité: www.objectif-biodiversite
Bibliographie
Soleil, Édition La Noria, Paris, 1977, édition La Nacelle, Genève, 1990.
Patience dans l’azur, Le Seuil, collection « Science ouverte », Paris, 1981.
Poussières d’étoiles, Le Seuil, collection « Science ouverte », Paris, octobre 1984.
L’heure de s’enivrer, Le Seuil, collection « Science ouverte », Paris, 1986.
Malicorne, Le Seuil, collection « Science ouverte », Paris, 1986.
Comme un cri du cœur, Les éditions l’Essentiel (Guy Saint-Jean), Montréal, 1992.
Compagnons de voyage, Avec Jelica Obrenovitc, Le Seuil, collection « Science ouverte », octobre 1992.
Dernières nouvelles du cosmos, Le Seuil, collection « Science ouverte », 1994.
L’espace prend la forme de mon regard, éditions Myriam Solal, Paris, 1995, Les éditions du Seuil, juin 1999.
La première seconde, Le Seuil, collection « Science ouverte », septembre 1995.
La plus belle histoire du monde, Le Seuil, 1995.
Intimes convictions, éditions Parole d’Aube, PUF, 1996.
Oiseaux, merveilleux oiseaux, Le Seuil, collection « Science ouverte », septembre 1998.
Sommes nous seuls dans l’univers ?, Les éditions Fayard, 2000.
Les artisans du huitième jour, Les éditions du Seuil, 2003.
Mal de Terre, 2003
Chroniques du ciel et de la vie, 2005
Je n’aurais pas le temps,Le Seuil, 2008
Petite histoire de la matière et de l’univers,Les éditions le Pommier, 2008