Jean-Pierre Luminet

Le chant des pulsars

« l’univers mourra dans un bruissement » (Elliot)

« la nature aime se cacher et que l’harmonie de l’invisible était plus belle que l’harmonie du visible. » (Héraclite)

Je me souviens vaguement - mais quand même, c’était il y a quinze milliards d’années - une explosion
fulgurante au milieu de ce vide, tout petit vide initial, mais si calme.
Depuis, et le temps et l’espace et l’immense tapisserie des étoiles, et ces centaines de milliards de galaxies elles-mêmes porteuses de centaines de

milliards d’étoiles.
Et tout s’éloigne, converge, vit et meurt.
Dans ce ballet cosmique, des
soleils passent, des galaxies épuisées s’entre-dévorent ou s’entrechoquent et certaines étoiles, dont toute la matière gazeuse originale s’est figée sont aussi vieilles que l’univers.
D’autres naissent encore.

Des quasars au fin fond de l’univers brillent plus que cent milliards de soleils, et ces phares nous donnent des signaux incompréhensibles. La musique des sphères tombe encore sur nous énigmatique, irradiante.
Dans certaines galaxies, des monstres sont blottis "les trous noirs". Comme un univers cannibale, ils absorbent toutes les étoiles qui passent à portée de leurs dents d’infini et de griffes virtuelles. Ils avalent tout, même la lumière, et sont au-delà de l’imagination.
"Tout tombe dans ce gouffre béant et s’éteint pour toujours. Le trou noir constitue une masse si comprimée qu’il possède un énorme pouvoir d’attraction. Tout ce qui passe à proximité est inexorablement avalé. La lumière même succombe à cette force d’attraction, ce qui explique que les trous noirs soient invisibles pour l’œil humain."; Ces invisibles dévoreurs sont tapis au fond de l’espace, prêt à nous dévorer un jour. Ils tordent toute vision : à cause des distorsions de l’espace et du temps qui sont engendrées par le trou noir, la forme des courbes est totalement distordue par la courbure de l’espace et du temps ;
Dans cette structure de l’univers parfois des signes.
Ainsi des étoiles s’allument et s’éteignent plus de trente fois par seconde. Ces étoiles à pulsations décrivent la lente agonie d’étoiles à neutrons. Elles chantent.
Entre le chant plaintif des étoiles effondrées, toupies de l’enfance du monde, et la mort stellaire définitive des trous noirs, néant en compression, des milliards de galaxies. Dans cette écume immense sans aucun centre du monde, seule la matière parle encore et les étoiles viennent de quelque chose. Les nuages interstellaires, qui les ont précédés, viennent eux aussi de la lumière. L’univers pulse comme un cœur, mais comme un cœur minéral. Qu’y a-t-il dans le coeur d’un trou noir une fois qu’il est ouvert ? "D’abord ce qu’il y a autour d’un trou noir et ce qu’il y a dedans. Alors, ce qu’il y a autour d’un trou noir, c’est toutes les illusions optiques. Imaginons par exemple que l’on puisse se promener dans un vaisseau spatial et s’approcher d’un trou noir. Le paysage qui serait derrière le trou noir, par exemple le fond des étoiles, serait totalement déformé parce que le trou noir joue le rôle d’une sorte de lentille qui va déformer les images., Décrire le paysage extérieur d’un trou noir, est décrire ses projections sur les images.". Luminet avec émotion et poésie s’est approché de ses miroirs noirs de l’infini. Si l’univers infini est fascinant, l’œuvre des hommes qui ont tenté de percer son mystère est tout aussi passionnante.

Parmi celles-ci, je m’en souviens également, sur une toute petite galaxie, sur une toute petite planète près d’une étoile, l’homme.
Ce sera un de ceux-là, une espèce solitaire, Jean-Pierre LUMINET, qui nous parle de ces merveilleux chaos apparents, le cosmos et nous fait entendre le cri
lancinant des pulsars, baleines échouées de l’infini. Il nous dit que notre univers est chiffonné, et nul ne pourra le repasser. Il nous dit pourquoi la nuit est noire et surtout qu’il y a « l’écume de l’espace et du temps, incessamment recommencée. Avec ses métaux.
Chaos granuleux, fusion, coagulations, émergences, bouffées rythmiques. Vibrations lumineuses sur les voiles du temps. Dans ce monde déchiré, recomposé, détruit et recousu la belle et merveilleuse conception des musiques des sphères, même si elle reste seulement poétique, nous permet d’oublier le grand vide quantique. Nous sommes entre deux vides avec du vide à l’intérieur, il nous reste notre conscience d’homme pour exister. Cette conscience nous a permis à nous les provisoires de laisser des musiques, de ne pas avoir peur sur notre tout petit esquif suspendu dans le grand vide. L’univers est obscur, mas un jour il nous répondra. Ce que nous entendons est la musique des astres en train de mourir, il nous appartient de faire une musique de vie avec ou sans les étoiles. « Seuls la musique des sphères, la harpe éolienne et quelques instruments électroniques récents se passent de l’homme pour être mis en vibration. C’est finalement au corps humain que revient le rôle d’agitateur, de stimulateur et d’organisateur de la matière sonore.

Ce que nous entendons est la musique des astres en train de mourir, il nous appartient de faire une musique de vie avec ou sans les étoiles. « Seuls la musique des sphères, la harpe éolienne et quelques instruments électroniques récents se passent de l’homme pour être mis en vibration. C’est finalement au corps humain que revient le rôle d’agitateur, de stimulateur et d’organisateur de la matière sonore ». Le chant des pulsars, le chant des étoiles en train de mourir nous parviennent au travers du silence du vide. Les formes de l’univers restent indéchiffrables et nos chères théories de la gravité généralisée montrent leurs limites. Et nous les êtres d’après le big-band recherchons pathétiquement des théories unitaires qui rétabliraient l’harmonie du monde. Le vide des espaces infinis nous effraie autant que Pascal.

Démocrite répond « Tout arrive par hasard et par nécessité ». Le concert des photons nous entoure, le ciel reste plein d’ondes mais désespérément incohérentes et sans harmonie aucune. Luminet ouvre les questions et elles sont vertigineuses: "La théorie de la relativité générale, les modèles de trous noirs, et les solutions cosmologiques de type big bang qui en découlent, décrivent des espaces-temps courbés par la gravitation, sans toutefois trancher sur certaines questions fondamentales sur la nature de l’espace. Quelle est sa structure à très grande et à très petite échelle ? Est-il continu ou discontinu, fini ou infini, possède-t-il des trous ou des poignées, contient-il un seul feuillet ou plusieurs, est-il lisse ou chiffonné ?
Des approches récentes et encore spéculatives, comme la gravité quantique, les théories multi-dimensionnelles et la topologie cosmique, ouvrent des perspectives inédites sur ces questions, étayées par de surprenantes observations astronomiques". Luminet se sert des recherches récentes en topologie et décrit "l’espace, fini mais de topologie multiplement connexe, donne l’illusion d’un espace plus vaste, peuplé d’un certain nombre de galaxies fantômes. L’univers observable acquiert la forme d’un "cristal" dont seule une maille correspond à l’espace réel, les autres mailles étant des répliques distordues, emplies d’images topologiques. Le fond diffus cosmologique porterait également des traces observables du pliage de l’espace à grande échelle."

Luminet en poète décrit les contes de l’univers, les traces des étoiles, du soleil et de la terre. On ne sait si l’univers et fini et infini. Le débat continue.
" Ce serait prétentieux et triste de mettre fin à un débat aussi important et profond. Après avoir longtemps basculé entre les modèles d’univers fini et infini, le débat s’endormait un peu car le modèle cosmologique dit standard favorisait l’univers strictement plat et infini. Cet article remet les choses en question et fait rebondir le débat. La nouveauté, c’est que, pour la première fois, on a un ensemble de modèles théoriques et des moyens instrumentaux qui permettent réellement de tester nos modèles et donc peut-être de trancher la question. Nous disons que si l’espace est fini et pas trop grand par rapport à l’espace observé, alors il est parfaitement stable et prouvable. Pour l’instant, nous avons proposé une structure de l’espace et nous faisons deux prédictions extrêmement précises." Luminet décrit des mondes à 32 dimensions, un univers fini mais sans bords ni limite, il n’y a pas d’extérieur. Il nous demande un effort de représentation. "Prenez une feuille de papier, par exemple. Pour que les deux bords opposés de votre papier soient les mêmes, vous les collez l’un à l’autre. Vous obtenez un cylindre. Si on se promène le long du cercle du cylindre, on revient à son point de départ, sans rencontrer ni bord, ni limite. Tout cela sur une surface finie. Pour l’univers, vous généralisez ça à trois dimensions en remplaçant les bords par des faces. En sortant par une face, vous rentrez par la face opposée, car les deux faces sont les mêmes points de l’espace". Le contenu et surtout le contenant de l’espace le contient tout entier.

Fini ou infini, l’univers ? Infinies les idées de Luminet ! Et son approche de l’invisible nous rend nous être humains visibles.

De là où je suis maintenant j’entrevois la petite planète n° 5523, découverte en 1991 au Mont Palomar. Elle porte le nom de Luminet.

Gil Pressnitzer

Bibliographie

* L’Univers chiffonné - Jean-Pierre Luminet

éd. Fayard
* Les trous noirs - Jean-Pierre Luminet

éd. Le seuil
* Les trous noirs - Jean-Pierre Luminet, -- CD audio

éd. De Vive Voix
* Éclipses - Les rendez-vous célestes - Jean-Pierre Luminet, Serge Brunier

éd. Bordas
* Le feu du ciel - Météores et astéroïdes tueurs - Jean-Pierre Luminet

éd. Le cherche midi
* Le rendez-vous de Vénus- Jean-Pierre Luminet

éd. Jean-Claude Lattès
* Le Bâton d’Euclide : Le Roman de la bibliothèque d’Alexandrie - Jean-Pierre Luminet

éd. Jean-Claude Lattès
* Les poètes et l’univers - Anthologie - Jean-Pierre Luminet

éd. Le cherche midi
* Figures du ciel ! - Jean-Pierre Luminet, Marc Lachieze-Rey

éd. Le seuil
* Noir soleil - Jean-Pierre Luminet

éd. Cherche-midi