Alain Borne

Imposer le plaisir à ta peau comme la faux aux iris

Poète et avocat - avocat ou poète.

Aucune importance à plaider l’un ou l’autre tant cette importance ne nous mène nulle part avec BORNE, si ce n’est vers l’impossible, l’impossible qui nous suit et le suit de poèmes en poèmes. Poèmes qui resteront toujours et sans

cesse pour lui « l’approche d’une approche »...

Dommage, mais pour qui... sa vie privée s’entasse discrètement d’années en années sans que de bruits en courent.

sans de folles amours à poursuivre..., seul, aux multiples soupçons du poème se guide le lecteur, grattant de lui - même tout le sang, l’amour et le sperme qui veillent d’une femme à une autre, d’une chose à une autre et des mots à

leur fin.

Et là alors, se plante la vie au centre du poème, ce pieu d’obsession que si peu d’entre nous savent bien dire - bien maudire.

Cette obsession personnelle et intime, qu’il suffit d’encrer dans des pages...

Cet amour qui se couve la nuit, le jour...

Cette mort entre les syllabes qui culbute la phrase et le cœur dans la phrase...

Ce sang qui coule et se retient...

Cette âme dans des membres et les membres qui grincent en implorant quel Dieu ?...

Ca y est...

Le poème dort enfin qui venait lui servir de cage. de repère ébloui où jeter ses amours, ses crimes, Lislei.,.

Mais mon propos n’est pas d’analyser ou d’expliquer les extravagances d’un BORNE ou de tout poète.

Extravagances sentimentales, érotiques, humaines et quotidiennes, celles de BORNE comblent déjà tous ses textes jusqu’aux espaces qui s’y voilent, qu’il serait impossible de ne pas atteindre ses fièvres et d’y glisser nos yeux comme

dans une plaie sans cesse ouverte entre l’âme et le cœur, entre l’air et le sexe et les fleurs du jardin de Saint-Pont...

Marie Bauthias (Novembre 1990 « Revue l’Abat-Jour »)

ALAIN BORNE.

Né le 12 Janvier 1915 à SAINT-PONT.

Dès vingt ans publie ses premiers poèmes.

Fréquente P. Seghers, A Beguin. L.Aragon, P. Eluard, P. Emmanuel.

H. Michaux restera le poète qui l’impressionne le plus.

Meurt accidentellement le 21 Décembre 1962 sur une route du Vaucluse

Mais ma nature est d’être sans foi, sans espérance, sans charité. Et de ne

voir dans l’homme qui me ressemble que l’animal qui me ressemble et va

mourir...

... inutile mois d’août,

tu pèses à mes cuisses,

loin de mon plaisir,

et tes os respirent

un air étranger,

et ta laine fauve

froide de salive,

appuie son ennui

à mes lèvres closes...

Chanter et non crier, parler et non écrire.

La seule que j’aime est loin de moi à écraser des

lits pleins de semence.

Elle jonche de lis l’ordure puis elle s’en pare.

Avoir la mort au fond du cœur n’est rien au prix

de cette balle de soleil et de boue dont je ne

parviens pas à vraiment mourir.

L’amour et la poésie sans borne

Alain Borne aura aimé le palais idéal de l’amour et celui du facteur Cheval, la peau des femmes et celle des harengs. Il aura voulu écrire car pour lui écrire « C’est contre la mort que j’écris, comme on écrit contre un mur. C’est contre la mort que j’écris » (la nuit me parle de toi). Il aura tant douté « Pourquoi est-ce en tant de mots que je n’ai rien dit ? ». Sa parole ne s’entend plus, peut-être le voulait-il ainsi. « Si je savais ce qu’est l’amour, je me tairais longuement. » et les mots d’Alain Borne seront toujours posés sur les jupes des femmes et à la margelle de la mort.

Sous les costumes impeccables et mornes, sous la robe d’avocat, sous tout le poids de cette province de Montélimar secrète et hautaine, vivait en exil perpétuel un poète tremblant du désir des femmes et hurlant de peur de disparaître. Ce grand écart entre un grand bourgeois, plus ou moins raide comme le justice et la poésie sonnante et trébuchante qu’il écrit amplifiera certainement ses fossés intérieurs. Mais avocat il restera sur ses hauteurs éthiques et sera la parole des prévenus FLN, et toujours avocat de la défense jamais de l’accusation.

Corseté dans son personnage et enfermé dans son moi, il aura écrit des textes inégaux mais beaucoup sont des écrits majeurs. Il refusait des influences trop vite collées à sa poésie (Valery, Saint-John Perse,..), il était plus près de Milosz et de Rilke et aussi du réel vu comme Michaux et de la révolution intérieure malgré sa silhouette caricaturale de bourgeois et de haut membre du Rotary Club, ce qu’il fut si longtemps. Homme bien, homme de biens, beau parleur en plaidoirie, toujours sur ses gardes, il était en grand désespoir en fait. Il ne se livrait presque pas à ses amis, encore moins à ses auditeurs quand il lui advenait de faire lecture. De haut de sa haute taille il voyait au loin les hauteurs inaccessibles.

« Pour moi la poésie seule est la vie, tout le reste est subsistance »

Solitaire il sera, même en poésie. Brillant, il n’aspirait qu’au silence. Il était toujours de l’autre côté des miroirs et des apparences.

« Il est inutile de crier. Le piège est profond et je descends en chantant, sachant que c’est un piège et que je ne retrouverai jamais l’air libre où les étoiles tremblent comme des yeux que le vent touche »

Pourtant cette peur de se livrer s’efface quand on lit simplement certains de ces poèmes. Et ses mots en marge de la vie première deviennent révélateurs. il aura vraiment vécu dans la panique des poèmes et l’odeur des femmes. A-t-il d’ailleurs eu une enfance ? La sienne aura été dans l’aura de sa mère, sa surprotection aussi. Il ne lui survivra qu’un an. Il aura été élevé, enfant unique, par des femmes exclusivement et ensuite au travers du corps des autres femmes il recherchera cette douceur première. Sa faim et sa soif des femmes ne seront jamais comblées, et l’absence toujours triomphera.

Il ne voyait l’amour que comme il doit être vu : comme la foudre. Il sera ivre de femmes, de peinture, de vie et de mort.

Lourde, lourde était la province pesant sur ses épaules avec toutes les fenêtres qui vous épient, ce Montélimar bien pensant et la tradition familiale qui en faisait un homme gris, mais un homme bien comme il faut aux yeux des futiles. Son pessimisme deviendra un chant de plus en plus grave et concentré :

« Tu es pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon néant ». Cette horreur du trou béant et de la vermine à nous accueillir le terrorise. Et la vie sera cela :
C’est le passage du noir au noir à travers de la lumière que je chante. Écoutez mon histoire elle va de la mort à la mort, mais j’ai vécu et surtout « je sais que tout est néant, mais j’aime le néant et je le chante
.

Il est fermé, sa poésie se veut dense et énigmatique, avec pourtant tant de bouteilles à la mer, qu’un autre Alain Borne sourd à chaque vers. Celui pris vif dans le triangle sacré de l’amour, de la mort et du rêve. L’enfance et les saisons viendront se perdre dans ce triangle. Il aura couru "à la remorque de son sexe et de son espoir, cherchant au-devant de lui la pointe irréelle du triangle". Nous en sommes sans doute tous là.

Je fais taire mes jours, j’écoute la montagne...Je voudrais que ce chemin soit moins seul d’être redit. je voudrais y retrouver ma trace et que la même neige conserve les mêmes marques.

Cette disparition déjà vécue au présent, noue la gorge à ses poèmes, et fait son vertige.

Je m’endors et je meurs.

Quand je serai mort

vous ne penserez plus à moi

avec moi mourra ma musique.

et si des lèvres vives la chantent encore

ce seront elles que vous aimerez

(en une seule injure)

Des amis, Paul Vincensini, Philippe Biget et Max Alhau auront su empêcher le froid oubli et garder vive la présence d’Alain Borne.

Ténébreux et inconsolé Borne est passé, secret et laissant dans le corps de ses poèmes des silences transparents.

« J’évite encore la mort en écrivant un poème »

Il y a des poèmes qui ne se nourrissent ni de roses ni d’oiseaux, qui ne boivent pas la rosée des fleurs, qui ne se penchent pas sur la source, qui n’aiment pas les jeunes filles à l’instant du bourgeon.

Ils ont un visage dur et une odeur d’hiver qui dédaignerait la neige.

Ils parlent de chevaux, de labours, d’humbles herbes, d’enfants sans jouets.

L’amour y semble caché mais apparaît soudain aux trous de l’étoffe avec son insolent éclat de toujours.

Ils sont avides comme des rustres. Ils ont de grosses mains. Leur rire est triste. Ils grelottent. Ils ont faim. Ils donnent à manger. Le sang coule d’eux, frais, rouge et vite noir, luisant comme un long regard échappé.

Les poèmes qui ne se nourrissent ni de roses ni d’oiseaux ont une santé à briser le monde.

Il leur arrive de montrer vraiment l’intérieur du corps qui est rouge et l’intérieur de l’âme qui est noir et vide.

Choix de textes

Ceci n’est pas un rêve

ni du sommeil ni de la veille

ni de la nuit ni du jour.

Ceci n’est pas un fantôme

ni le délire d’une pensée

ni le visage d’un désir.

Ceci n’est pas une absence forgée

d’espoir

ni un espoir travaillé de sang.

Ceci n’est qu’un visage Lislei une

présence

un corps fait sur le plan de tous les

corps humains

avec partout les cordes rouges

liant les blanches charpentes

et la tunique étrange

tissée comme d’étoiles

qui auraient séjourné dans la neige

longtemps.

Un corps avec sa cloche sourde

et sa flamme au fronton

et ses deux lianes douces rejointes

pour les gestes

d’un être de péril.

Ceci n’est rien Lislei

qu’un glaçon de chaleur déposé sur

l’hiver

un amas corruptible de membres

animaux.

Qu’y puis - je Lislei

s’il me semble qu’un ciel le traverse

et qu’une éternité

y pèse sa chance dernière.

Il faudrait que je vous enseigne

l’amour selon le rite terrestre

que je vous montre

comment font les bêtes pour gagner la joie

et que vous sachiez que c’est ainsi

également pour l’homme que tourne le rêve

et que je l’étrangle à le serrer contre vous.

Je connaissais l’attente

le glaïeul éclatant du désir

et sa racine noire

et sa noire fenaison

la statue qui vous brûle

puis tombe de l’odeur comme d’un piédestal

et n’est plus qu’un peu d’os

dans son linge de peau chaude...

Tu passeras comme j’ai passé

répands tes yeux pourtant sur mon poème

afin qu’un peu de vie s’étende encore

ici où j’ai tué

un de mes grands songes dérisoires.

L’heure s’épuisait.

Les heures.

Le soleil trichait dans la gloire blanche de

l’horizon.

Une ombre passa, rapide humaine,

comme pour donner vie au paysage et

le faner.

Je vous ai vue pour la première fois Lislei au temps des neiges

mon cœur fui visité d’hiver de printemps et d’automne...