Antonio Gamoneda

Le poète de « l’oralité silencieuse »

L’inconnu semblable à notre cœur

Parle-moi pour que je connaisse la pureté des paroles inutiles,

que j’entende siffler la vieillesse, que je comprenne

la voix sans espoir.

Pierres Gravées

La voix sombre et pathétique d’Antonio Gamoneda nous parvient enfin pleinement. Mais si tardive aura été sa reconnaissance, lui l’exilé intérieur de Léon, dans sa terre de Castille, depuis 1934. Et en France beaucoup reste encore à faire pour sa parole singulière et troublante.

À Toulouse des lectures par Bruno Ruiz et la venue de Gamoneda lui-même, avec Bernard Noël, auront fait surgir la nécessité absolue de le lire.

Cet homme discret, presque secret, émerge à la lumière des livres publiés en France. Les traductions de Jacques Ancet et ses commentaires auront été les belles barques pour aller aux rives de Gamoneda. Gamoneda est reconnu comme l’un des plus grands poètes espagnols contemporains avec José Angel Valente.

La poésie de Gamoneda est singulière et saisissante, âpre même. Poésie d’exil intérieur. Elle est dominée par des obsessions : lassitude de l’âme, vieillissement redouté avec le sentiment de ne plus exister ou pire de se dédoubler, compagnonnage avec la mort.

Sa poésie porte l’expérience du seuil où le temps n’est plus, où les contraires ne peuvent s’annuler. Tout cela irrigue sa poésie comme lave noire.

« Je suis celui qui commence à ne plus exister

celui qui est toujours à sangloter.

Il est horrible d’être deux inutilement » Pierres Gravées.

C’est déjà la nuit dans la poésie de Gamoneda, une fatigue monte des mots. C’est déjà la nuit et la nuit tremble. Passé le bruit des mots, s’écoule la mémoire qui toujours « est conscience d’une perte ».

Malgré tout Gamoneda vit et écrit. Passe le temps, la couleur des jours. Gamoneda creuse l’opacité avec l’opacité des mots. Il dit et redit les mêmes images, les mêmes thèmes, pour clôturer la mémoire avant qu’elle ne s’enfuie.

Je reviens chez moi au travers de l’hiver : oubli et lumière sur les linges humides. Les miroirs sont vides et, dans les assiettes, la solitude est aveuglante. Livre du froid

La mort est partout omniprésente chez Antonio Gamoneda. Elle se tapit dans chaque mot. Et pour lui la poésie est « le récit de la manière dont on va vers la mort ».

Une poésie grave, d’où monte la nuit

Sa poésie est donc grave, c’est la « contemplation de mes actes au miroir de la mort » a-t-il dit, ajoutant « ma poésie s’est toujours inscrite dans la perspective de la mort ».

Ses poèmes sont aussi « des signes de son existence », et parlent dans la « quiétude des mères inclinées sur l’abîme » avec « la substance jaune du cœur ».

La présence obsédante de sa mère hante ses mots :

Tu agonisais dans les miroirs et tu n’as pas arraché de ton visage le visage de ta mère. Pierres Gravées.

Un curieux va et vient entre disparition et incarnation se fait dans ses textes. Tout s’efface et ne s’efface pas.

L’histoire récente de l’Espagne et de ses années de plomb et de sang se lit en filigrane. Guerre civile de 1936, chape de la dictature, résistance contre l’organisation policière de l’existence », sont l’enclos de sa vie. Cela s’est passé dans l’enfance et dans l’âge adulte avec « l’âge de fer dans la gorge ».

« J’ai appris à hurler tandis que du verre se brisait à l’intérieur de mes yeux » Clarté sans repos

Jacques Ancet distingue trois éléments fondateurs dans sa poésie :

- l’enfant orphelin - « j’ai usé ma jeunesse devant une tombe vide ».

- la pauvreté - « j’ai vu la pauvreté à travers l’oubli, et j’ai vu aussi, une seule fois, le visage de ma mère souriant sur le coton et l’acier. Une seule fois » Clarté sans repos.

« Je remercie la pauvreté pour que la pauvreté ne me maudisse pas » Description du mensonge

- la guerre civile - « j’ai vu aussi des os torturés ».

Ces éléments vécus pendant plus de trente ans ont été transformés en « états d’âme » et puis en poèmes.

À ces repères se superpose le vieillissement avec cette sorte de dédoublement qu’il opère aussi bien dans le corps que dans la tête, et surtout la fréquentation de la disparition.

Et toujours se disent les thèmes de la mère, des rencontres – tous ces « inconnus semblables à mon cœur » -, les marchés, les défunts « sous la langue ». Lumière et ombre. Et l’oubli :

« La poésie est l’art de la mémoire, donc aussi de l’oubli ».

Le choc presque thermique entre la brûlure des mots et la froideur de la musique de ses vers, produit ce brouillard intense, ces averses rageuses que sont ses poèmes. Des mots dits juste avant le silence de la mise à mort.

Dans les étables où m’enveloppe l’obscurité, j’accueille la mort et nous conversons jusqu’à ce qu’elle lèche doucement mes lèvres.

Gamoneda parle la langue de l’oubli, des jours qui ne s’achèvent pas, de « la clarté de la peur ». Il n’est pas un vendeur d’ombre, ni de lamentations, mais un vieux sourcier des invocations.

« Je ne crois pas aux invocations mais les invocations croient en moi ». Description du mensonge

Il ne se ment dans aucune foi, dans aucune miette d’espoir vain :

« Nous sommes seuls entre deux négations comme des os abandonnés aux chiens qui ne viendront jamais ». Clarté sans repos.

« J’ai jeté à l’abîme l’os de la miséricorde ». Clarté sans repos

La langue de Gamoneda n’est pas dans le fluide mais dans les pierres brûlées et gravées.

Opaque est sa langue, lourde, drue. La mémoire est fouaillée, désossée. Gamoneda a un rythme particulier dans ses vers. Un ton des choses perdues et qui reviennent affleurer pour parler des « sans-voix ».

Le rythme obsédant de ses vers donne une sorte de marche funèbre. Maintenant il s’éloigne de la forme poétique habituelle avec des lignes métriques repérables, pour édifier des « blocs rythmiques » indécis.

Mots repris, ressassés autour des figures des mères, des vieillards, de l’oubli, des chevaux, de la mort. Il semble s’élever de sa poésie comme une voix à qui répond un chœur. Ceci pourrait être proche des mots de Saint-John Perse. Car sa poésie est orale avant tout. Mais « une oralité silencieuse » pour reprendre le mot de Jacques Ancet.

« Une oralité silencieuse »

Il lutte, il chante face au rien, il cerne le néant et la disparition. Au travers de lui passent les fragments d’enfance, la vie sous l’horreur dévote franquiste, et surtout « les disparitions qui brûlent ».

La recherche illusoire de la vérité, « parce que la vérité a dit non », ne peut plus faire justifier la quête des mots.
La vérité est-elle dans la langue ou dans l’espace des miroirs ?

La vérité est-elle ce qu’on répond aux questions des princes ?

Quelle est alors la réponse aux questions de potiers ? Description du mensonge

Il reste au-delà d’une poésie sociale, la simple et profonde amitié du prochain. Pacotille et fer-blanc des jours en faux-semblants. Quand raison et espoir sont enfuis la seule consolation vient de la beauté suprême de ses images, intenses et fulgurantes.

J’ai vu les miroirs face aux visages qui ont refusé d’exister

c’était le temps, c’était la mer, la lumière, la colère. Pierres Gravées

La peur d’être vieux aussi. « Telle est la vieillesse ; clarté sans repos »

Vieillir et se retourner sur le passé. La vieillesse tombe comme un grand froid, un froid qui envahit insidieusement, et se ne se murmure alors que le livre du froid. La vieillesse et « ses bêtes blanches ».

Ce désespoir peut rebuter, car il place « la poésie dans la perspective de la mort. Pourtant il n’est ici que courage, lucidité, et non pleurs, sobriété et non verbiage indécent.

Il y a du sucre sous la nuit, il y a le mensonge comme un cœur clandestin sous le tapis de la mort.

Et ses brassées d’enfance, font le temps, tissent une vie. Antonio Gamoneda vient d’un milieu pauvre, il sait la sueur et le travail, l’engagement et la solidarité. À voix basse il parle de la souffrance, mais aussi de reflets d’espoir. Il creuse l’envers du monde.

Contre l’agilité de la mort Gamoneda oppose la solidité lourde de ses mots. Poésie sacrificielle d’un homme lent contre le temps vorace, et qui regarde droit en face le vieillissement et la mort :

Assieds-toi maintenant pour contempler la mort. Pierres Gravées.

Le rideau final semble tombé sur les images. La clarté sans repos est là. Tout est fini. Demain sera un ressassement. Et les jours ne finissent pas. « Terre sans repos et oubli rempli de sang » envahissent sa langue parfois ample et oratoire, parfois coupante et exacte. Il semble sculpter dans la pleine matière des mots des peurs et des silences. On peut parfois voir la lumière dans ses textes mais jamais le jour.

« Je n’ai vu que lumière dans les chambres de la mort ». Description du mensonge

Le poète est venu de son lointain village et le chant continue à s‘élever :

Il est venu le papier dans la main

Il m’a fixé de ses yeux fatigués

il est venu avec papiers et mains

et j’ai senti son regard dans ma vie. Blues castillan, blues du comptoir

Il est encore là, après le désespoir, lui le poète de l’effacement :

Peut-être suis-je transparent et déjà seul, mais je l’ignore. En tout cas

l’unique sagesse est à présent l’oubli. Clarté sans repos

Gil Pressnitzer

Choix de textes

Toutes les traductions sont de Jacques Ancet

Blues castillan (1961-1966)

Blues de l’escalier

Une femme monte dans l’escalier

elle a un chaudron plein de peines.

Une femme monte dans l’escalier

elle porte le chaudron des peines.

J’ai rencontré dans l’escalier la femme

et devant moi elle a baissé les yeux.

J’ai rencontré la femme et son chaudron.

Je n’aurai plus la paix dans l’escalier.

Je parle avec ma mère

Maman : tu es maintenant silencieuse comme l’habit de qui nous a quittés. Je fixe le bord blanc de tes paupières et je ne peux penser.

Maman : je veux tout oublier

au fond d’une respiration qui chante. Passe-moi tes grandes mains sur la nuque tous les jours pour que ne revienne pas

la solitude.

Je sais que sur chaque visage on voit le monde. Ne va plus chercher sur les murs, maman. Regarde le visage que tu aimes :

dans chaque visage humain, mon visage.

J’ai senti tes mains.

Perdu au fond des êtres humains je t’ai sentie comme tu sentais mes mains avant ma naissance.

Maman, ne recommence plus à me cacher la terre.

Telle est ma condition.

Et mon espoir.

Passion du regard (1963-1970)

Dis-moi, que vois-tu dans l’armoire horrible

et dans la vaisselle des pleurs : c’est quoi ?

Quand tu contemples la mélancolie

dans les pharmacies et que, sur les murs,

les accusations déjà sont écrites,

qui es-tu à la fin, pourquoi te taire ?

Face aux animaux et face au silence,

plonge tes mains dans l’eau, tes mains griffées

d’aubépines. Ne pleure pas ; dis-moi

quels sont ces noms qui vivent dans ton cœur.

Pierres Gravées (1996)

Dans la quiétude des mères inclinées sur l’abîme.

Dans certaines fleurs refermées avant d’être embrasées

par l’infortune, avant que les chevaux n’apprennent à pleurer.

Dans l’humidité des vieillards.

Dans la substance jaune du cœur.

J ’ai vu l’ombre poursuivie par les fouets jaunes,

acides jusqu’aux bords du souvenir,

les linges devant les portes de l’indignation.

J’ai vu les stigmates de l’éclair sur des eaux immobiles, dans des étendues visitées par les présages

J’ai vu les matières fertiles et d’autres qui vivent dans tes yeux ;

J’ai vu les résidus de l’acier et les grandes fenêtres pour la contemplation de l’injustice (ces ovales où se cache la phosphorescence) :

c’était la géométrie, c’était la douleur.

J’ai vu des têtes absorbées dans les cendres industrielles;

J’ai vu la lassitude et l’ébriété bleue

et ta bonté comme une grande main avançant vers mon cœur.

J’ai vu les miroirs face aux visages qui ont refusé d’exister :

c’était le temps, c’était la mer, la lumière, la colère.

C’était un temps égaré d’oiseaux. Il n’existait d’autre lumière que celle d’un grand drap dont nous ignorions la trame. C’était juillet dans l’air, mais les balcons s’ouvraient sur février et sur la mort. La chaux bouillait sous une menace d’ombre et les couloirs menaient à l’entrée de la peur. Dans les chambres, des mères s’inclinaient pour écouter les pleurs d’enfants encore à naître (de fils pendus au tablier sanglant).

Je vois le cheval agonisant près du puits d’eaux obscures, les poules tout autour.

La rosée aiguise sa pureté sous les dents jaunes et le crépuscule arrive aux pupilles désertes (ombre des figuiers, sérénité de l’herbe, profondeur de l’air traversé de martinets).

Je vois le dos de l’indifférence, les couloirs voués à la contemplation de l’ennui entre les hauts bégonias, entre les grandes feuilles somnolentes. Je sens la curiosité des chiens et la pitié des femmes : c’est le paysage de l’enfance, l’odeur incorporée à mon esprit dans les accès de l’âge.

Description du mensonge (2004)

La rouille s’est posée sur ma langue comme la saveur d’une disparition.

L’oubli est entré dans ma langue et je n’ai eu d’autre conduite que l’oubli,

et je n’ai accepté d’autre valeur que l’impossibilité.

Comme un bateau calcifié dans un pays d’où la mer s’est retirée,

j’ai écouté la reddition de mes os s’établissant dans le repos ;

j’ai écouté la fuite des insectes, la rétraction de l’ombre pénétrant ce qui restait de moi ;

j’ai écouté jusqu’à ce que la vérité eût cessé d’exister dans l’espace et dans mon esprit,

et je n’ai pu endurer la perfection du silence.

Je ne crois pas aux invocations mais les invocations croient en moi :

elles sont venues de nouveau comme d’inévitables lichens.

La fermentation de l’été s’introduit dans mon cœur et mes mains lasses glissent dans la lenteur.

Viennent des visages qui ne jettent pas d’ombre ni ne font crisser la simplicité de l’air;

sans ossature ni passage, comme s’ils ne tenaient qu’au contenu de mes yeux, à l’unité de mes mots, à l’épaisseur de mon écoute.

Ils sont obéissants et j’éprouve leur réunion comme la santé qui se réfugie dans l’obscurité.

C’est une amitié au-dedans de moi-même ;

c’est une trame ourdie par des mains qui sont douces à l’intérieur des jours…

Aujourd’hui est le jour de la réflexion lumineuse, le jour de me mépriser au fond de tes yeux.

J’ai craint la vie tout autant que la mort ; il y a de la lumière sur ces boîtes vides,

pierres sur la tête de ma mère,

longues accusations sous les chiffres de l’hiver.

Les fonctionnaires et les veuves masqués sous la peau de leurs enfants ont écrit des pages incandescentes et toi tu dormais dans leurs bras ; tu reposais dans leurs bras et l’écriture a pénétré dans ton ventre.

Tu ne rêvais pas de la liberté.

L’oubli est ma patrie sous surveillance et j’ai eu même pays plus grand et inconnu.

Je suis revenu dans un silence de paupières à ces forêts où je fus traqué par des pressentiments et des propositions d’hommes malades.

C’est là que la peur voit la force de ton visage : ta réalité dans la disparition

(qui s’étendait comme la pluie au fond de la nuit ; plus lente que la tristesse, plus humide que des lèvres sur mon corps).

C’étaient les grands jours de la trahison.

La phosphorescence était mon aliment. Tu as créé le mensonge entre les jambes de ma mère ; la douleur n’existait pas et tu as créé la compassion.

Tu revenais aux hortensias

et tu as sangloté sous la loupe des commissaires.

J’ai vu la lumière de l’inutilité.

Ma bouche est froide dans les prières. Ce récit incompréhensible est ce qui reste de nous. La trahison prospère dans des cœurs inviolables.

Profondeur du mensonge : tous mes actes au miroir de la mort. Et les charbons resplendissent sur la peau des héros encore éveillés au seuil de l’imbécillité.

Et ce hurlement de vitre en vitre, ces blessures qui ne sont visibles qu’à l’instant de l’amour...

Quelle est cette heure, quelle herbe pousse sur notre jeunesse ?

Clarté sans repos (2004)

Dans les églises et dans les cliniques

j’ai vu des colonnes de lumière et des ongles d’acier

et j’ai supporté agrippé aux mains de ma mère.

À présent

j’écarte des tissus de crêpe et des canules hypodermiques :

je cherche les mains de ma mère dans les armoires pleines d’ombre.

Caché dans le crépuscule, un animal me surveille et prend pitié de moi. Lourds sont les fruits corrompus, bouillantes chambres du corps. Fatigue de traverser cette maladie pIeine de miroirs. Quelqu’un siffle dans mon cœur. J’ignore qui c’est mais j’entends sa syllabe interminable.

Il y a du sang dans ma pensée, j’écris sur des stèles noires suis moi-même l’animal étrange. Je me reconnais : il lèche les paupières qu’il aime, il porte sur sa langue les substances paternelles. C’est moi, sans aucun doute : il chante sans voix, il s’est assis pour contempler la mort, mais il ne voit que· lampes, des mouches et les légendes des rubans funèbres. Parfois, il crie dans les soirées immobiles.

L’invisible est dans la lumière, mais quelque chose brûle-t-il dans l’invisible ? L’impossibilité est notre église. En tout cas l’animal se refuse à se fatiguer dans l’agonie.

Il est celui qui veille en moi quand je dors. Il n’est pas né pourtant, il doit mourir.

J’ai vu des lavandes englouties dans un vase de larmes et la vision a brûlé en moi.

Par-delà la pluie j’ai vu des serpents malades - beaux dans leurs ulcères transparents -, des fruits menacés d’épines et d’ombres, des herbes attisées par la rosée. J’ai vu un rossignol agonisant et sa gorge pleine de lumière.

J’en suis à rêver l’existence et c’est un jardin torturé. Devant moi passent des mères blanchies dans le vertige.

Ma pensée est antérieure à l’éternité mais il n’y a pas d’éternité. J’ai usé ma jeunesse devant une tombe vide, je me suis exténué en questions qui percutent encore en moi comme un cheval qui galoperait tristement dans la mémoire.

Je tourne encore en moi-même tout en sachant que je vais tomber dans le froid de mon propre cœur.

Telle est la vieillesse : clarté sans repos.

Je sens le crépuscule sur mes mains. Il arrive à travers le laurier malade. Je ne veux ni penser ni être aimé ni heureux ni me souvenir.

Je ne veux que sentir cette lumière sur mes mains

et ignorer tous les visages, et ne plus sentir le poids des sons sur mon cœur,

voir passer les oiseaux devant mes yeux et ne pas remarquer qu’ils s’en sont allés.

Il y a des fissures et des ombres sur des murs blancs, il y bientôt plus de fissures et plus d’ombres et finalement il n’y aura plus de murs blancs.

C’est la vieillesse. Elle coule dans mes veines comme une traversée de gémissements. Toutes

les questions vont cesser. Un soleil tardif pèse sur mes mains immobiles et de ma quiétude, ensemble et doucement, s’approchent, comme une seule substance, la pensée et sa disparition.

C’est l’agonie et la sérénité.

Peut-être suis-je transparent et déjà seul, mais je l’ignore. En tout cas, l’unique

sagesse est à présent l’oubli.

Bibliographie

Biobibliographie d’après Jacques Ancet

Antonio Gamoneda est né à Oviedo, dans les Asturies, en Espagne, en 1931. Son père meurt l’année suivante et il s’installe avec sa mère à León, dans une banlieue ouvrière, en proie à toutes sortes de difficultés matérielles. Ils sont témoins des répressions de la guerre civile puis de l’après-guerre, sous régime franquiste. En 1941 il entre dans un collège religieux qu’il quitte dès 1943 pour prendre en 1945 un poste de coursier de bureau. À partir des années 50 et 60, après son mariage et la naissance de ses trois filles, il s’engage dans une formation culturelle et littéraire d’autodidacte et dans un intense travail d’écriture et parallèlement dans un groupe militant antifranquiste. Il dit lui-même que son « profil d’écrivain va être déterminé par un ensemble de composantes historiques et biographiques : pauvreté familiale, rare fréquentation de l’école publique et contemplation innocente de la cruauté et de la misère morale de la guerre civile et de l’après-guerre militarisée […], ». En 1969, il commence à travailler aux services culturels du Conseil général, il crée et dirige une collection littéraire tout en animant un centre d’expositions. En 1978 il devient gérant d’un organisme voué à l’éducation des paysans et des ouvriers. Aujourd’hui il se consacre entièrement à l’écriture et depuis la moitié des années 80 son travail commence à être reconnu. Il est à présent considéré comme une des grandes voix de la poésie espagnole d’aujourd’hui et il a reçu le Prix européen de Littérature en 2006.

Traductions françaises

Poèmes, traduction Roberto San Geroteo, Noire et blanche, numéro spécial, 1995

Livre du froid, traduction et présentation Jean-Yves Bériou et Martine Joulia, 1996, 2e éd. 2005

Pierres gravées, Jacques Ancet, Lettres Vives, 1996

Substances, limites, in Nymphea, traduction Jacques Ancet, La Grande Os, 1997

Cahier de mars, traduit par Jean-Yves Bériou et Martine Joulia, Myrrdin, 1997

Blues castillan, traduction Roberto San Geroteo, Noire et Blanche, 1998

Froid de limites, traduction et présentation Jacques Ancet, Lettres Vives, 2000

Description du mensonge (extraits), traduction Jean-Yves Bériou et Martine Joulia, Myrrdin, 2002

Pétale blessé, traduction Claude Houy, Trames, 2002

Blues castillan, traduction et présentation Jacques Ancet, José Corti, 2004

Passion du regard, traduction et présentation Jacques Ancet, Lettres Vives, 2004

De l’impossibilité, traduction Amelia Gamoneda, préface Salah Stétié, Fata Morgana, 2004

Clarté sans repos, traduction et présentation Jacques Ancet, Arfuyen, 2006

Cecilia, traduction et présentation Jacques Ancet, Lettres Vives, 2006