Bohuslav Reynek

Un ermite en sa demeure, la demeure de la poésie

Il faut regarder, regarder intensément et rêveusement le visible, pour voir vraiment, pour tout à la fois déployer et affûter sa vue et l’éblouir alors de visions, non pas de fantasmagories, d’hallucinations, mais d’images bien concrètes saturées de matière, de couleurs, de présence, et par là même infusées d’invisible, poreuses et résonnantes; ainsi le familier se révèle-t-il soudain puissamment insolite.

(Sylvie Germain)

Bohuslav Reynek est inconnu en France, et seuls le livre fervent et vibrant de Sylvie Germain « Bohuslav Reynek à Petrkov » et la longue contemplation de ses gravures sur des sites tchèques, nous auront amenés vers ce poète secret et fondamental, à jamais fusionné avec sa Bohême des hautes terres, celles de Vysocina. Il était aussi comme Bruno Schulz un graveur, et également un traducteur émérite des poètes français (Claudel, Corbière, La Fontaine, Hugo, Verlaine, Bernanos, Giono, Francis Jammes,...) et allemands (Trakl surtout, pourtant si éloigné de son paysage mental, et Georg Heym). Il aura également mis en images et traduit sa femme Suzanne Renaud (Lyon, 1889 — Havlíckuv Brod, 1964).

Dans une émission de Radio Prague on posa cette question à Sylvie Germain: « Pourquoi avez-vous choisi Bohuslav Reynek, ce personnage bizarre, un homme solitaire, qui vivait loin du monde dans une ferme perdue au milieu du Plateau tchéco-morave ? »

À cette question Sylvie Germain elle répondit ceci :

« Mais pour toutes ces raisons. Je trouve que ce sont déjà de très bonnes raisons. Mais surtout pour son œuvre que je trouve magnifique et très originale. C’est l’œuvre de quelqu’un d’une totale intégrité, d’un immense courage. C’est cela que j’aime finalement. Je trouve que les plus belles formes de courage et d’héroïsme, ce ne sont pas les flonflons militaires ou des grandes expositions de la bravoure, mais c’est souvent ce qui se joue dans l’ombre. Et Reynek était un homme de l’ombre, c’était un homme infiniment discret, qui portait, comme illuminé, toute sa vie une foi profonde ; il y avait une dimension mystique dans la foi de Reynek. Il a traversé une des pires périodes qui soit, la guerre, l’occupation des nazis et puis le communisme. Il a vécu cette période avec sa femme, la poétesse française Suzanne Renaud qui a été assez brisée par tout cela. Je trouve que l’œuvre qu’il a créée, à l’aube, avant d’aller nourrir ses cochons, assis près de sa grande poêle en train de graver avec vraiment les moyens du bord, il n’avait presque pas de matériel, il était assez autodidacte dans ce domaine-là, c’était vraiment une manière chez lui de traduire ce qu’il y avait de plus profond en lui, donc une œuvre extraordinaire, que ce soit le cycle de « La Passion », que ce soit le cycle de « Don Quichotte de Cervantes », ou sa poésie. Pour moi, il y a beaucoup de ce que l’on peut appeler, je me méfie des grands mots comme l’âme tchèque, mais disons de l’esprit de ce pays, peut-être. En tout cas, j’ai été extrêmement touchée par cette œuvre. Alors même que mon niveau de tchèque était misérable, un jour en lisant un livre de Reynek, quand j’habitais encore Prague, dans les samizdats à l’époque parce qu’il était interdit de publication, j’ai été extrêmement touchée, j’ai même senti qu’il y avait une sorte de consonance avec l’œuvre d’un autre poète que j’adore, le poète autrichien Georg Trakl. J’ai appris après d’ailleurs qu’il avait traduit Trakl. Donc, vous voyez, c’était comme s’il y avait une force qui permettait par la douceur même de la musique de Reynek à une étrangère comme moi avec une connaissance minime de la langue, d’y être sensible. »

Alors pourquoi Reynek maintenant ? Parce qu’hélas la situation de Reynek en France ne s’est pas améliorée et sans le travail entrepris par sa femme Suzanne Renaud et ses fils, plus rien ne subsisterait en langue française. Il importe donc de parler de Reynek, Reynek le poète, l’écrivain, le graveur. On trouve une hauteur mystique qui rappelle les films d’Andreï Tarkovski.

Il semble incarner la pureté même et le pouvoir de résistance de la poésie face à « l’indigence du monde ». Il n’a pas laissé une œuvre mais une méditation aussi bien dans ses images que dans ses mots. Un étrange calme monte comme brouillard en automne des champs de ses oraisons. Une foi intense irrigue son passage terrestre. Il pousse le renoncement au monde non pas jusqu’à la résignation, mais jusqu’à la transparence.

Traces de Reynek

Bohuslav Reynek, est né (mai 1892) et mort (septembre 1971) à Petrov Manor, dans son manoir, dans un hameau situé dans les collines tchéco-moraves. Farouchement indépendant il aura vécu en marge de la société, ermite dans sa demeure, car sa véritable demeure était la poésie. Sa spiritualité chrétienne laisse derrière lui une petite lumière bleue. Une lumière très douce, humble si humble et qui ose à peine continuer à briller. Elle brille pourtant.

Pauvre et fier, il appartient à cette race d’artistes dont l’œuvre élaborée dans la solitude, l’humilité et la passion, luit comme une admirable réponse à l’horizon de la question posée par Hölderlin : «...et pourquoi des poètes en un temps d’indigence ? »
Le séjour de Reynek en ce monde s’est déroulé en une époque de particulière et extrême indigence morale et spirituelle, mais lui défia cette misère et refusa de se soumettre à sa fadeur, ne cessant d’arpenter les sentiers délaissés par la plupart des hommes pour converser à mi-voix avec la nature et les esprits des lieux, car il resta toujours à l’écoute du « chant secret, très doux, où le ciel et la terre s’appellent et se répondent ». (Sylvie Germain).

Il aura étudié d’abord à Jihlava (Iglau), là où Mahler débuta presque sa carrière de chef d’orchestre. Après des études très raccourcies à Prague, il abandonne cette ville trop tentaculaire pour lui pour retourner dans son antre de Petrkov. Il va y vivre en fermier pour maintenir le domaine familial. En 1926, Bohuslav Reynek épouse, à Grenoble, Suzanne Renaud qui écrivait aussi des poèmes et des histoires et qui accepte de le suivre dans ses contrées froides. Entre les deux guerres, Reynek, son épouse et leurs deux fils vivent l’été à Petrkov et l’hiver parfois aussi à Grenoble. Celle-ci le suivra donc dans son repaire de Bohème, mais ne tardera pas à découvrir la morsure de l’hiver tchèque, tant le froid est vif et profond là-bas. Le ciel vide, les corbeaux maléfiques.

Il vivra reclus en sa demeure. Chassé une première fois de sa maison par les nazis en janvier 1944, il ne la retrouve qu’après la guerre. La révolution communiste le surprend en 1948 au milieu de sa retraite, et sa demeure est confisquée avec ses œuvres et surtout ses bêtes qu’il aimait tant. Après bien des supplications, il obtient le droit d’être locataire dans un recoin du manoir, et n’a de cesse que de reconstituer un petit troupeau de brebis. Bon berger dans le sens évangélique, il voit la dispersion de tout le labeur de sa vie; ses livres sont interdits, et ceux qui étaient en librairies seront détruits. Mais lui est dans son monde intérieur et voit venir à lui, au fond de sa retraite, de jeunes gens éblouis autant par ses mots que par sa vie de saint. Entre 1960 et 1970, il est la légende vivante des jeunes poètes tchèques.

« Dans les années 60, Bohuslav Reynek devient l’auteur-culte de la jeune génération. Les jeunes étaient fascinés par le côté mystérieux de l’artiste, dont la vie et l’œuvre sortaient absolument de l’ordinaire. Ils venaient chez lui, à Petrkov, et partaient avec des feuilles graphiques que l’artiste leur donnait en cadeaux. »

Reynek mourra comme il avait vécu, il quittera ce monde sur la pointe des pieds. Son atelier dort encore près du vieux poêle en faïence qui ronronne toujours face à la nuit qui couvre le monde. De son dénuement, de sa solitude à couper au couteau, il en a fait une sainteté. Il la creusait en un regard profond qui se pose intensément sur l’invisible aux alentours du réel. Le vent souffle d’où il veut, mais le vent aura soufflé sur Reynek.>

Le livre de Sylvie Germain rend compte de cette conversation, toute sa vie entre Reynek et la nature, entre « Reynek et les esprits ».

À la fois enclos dans son intériorité et l’extérieur des paysages de sa Bohème qui cognent à sa porte, il va de plus en plus profond dans sa foi catholique. Il en tire plus qu’un mysticisme, un véritable humanisme qui au-delà de la miséricorde va vers la fraternité. Ce veilleur derrière le verglas des jours, derrière la buée de sa fenêtre nous aura aimés.

Ses gravures reprennent ses thèmes.

Pauvre donc il aura vécu, pauvre il mourra, toujours si peu diffusé. Quelques œuvres publiées à l’étranger assurent la permanence de son nom quelque temps. Après 1989, il sera enfin publié dans son pays, sorti du glacis communiste.

Quand l’ange noir Georg Trakl eut cessé de hanter ses sentiers, il se tourna vers un mysticisme catholique représenté à l’époque par Joseph Florian.

« D’un symbolisme tardif son œuvre poétique, évolue vers un expressionnisme laconique et condensé où l’attente mystique du salut s’ancre dans les humbles réalités de la vie campagnarde. Grâce aux accents étonnamment modernes qu’il a su donner à son attachement aux traditions, Reynek influence encore de jeunes poètes d’aujourd’hui. » (Petr Král)

Il est frappant d’observer la communauté spirituelle entre Reynek - après sa période expressionniste - et les derniers poèmes de O.V. Lubicz Milosz comme le Cantique du printemps :

Sois notre hôte ; arrête-toi ;

....

Nous te nourrirons de pain, de miel et de lait.

Ne fuis pas.

....

Il y a une belle chambre secrète

Dans notre maison de repos ;

Là, les ombres vertes entrent par la fenêtre ouverte

Sur un jardin de charme, de solitude et d’eau.

Il écoute... il s’arrête...

Que le monde est beau, bien-aimée, que le monde est beau !

ou Nehumim :

Ô mon frère ! ô mon corps ! ne crains pas. Je connais le chemin.

Entrons dans les profondes vapeurs de la Montagne

Qui prend son essor et s’élève

Avec le confiant qui la gravit,

Jusqu’à la nuée longue, jusqu’à la couleur-mère,

La blancheur bleue, l’annonciation de l’or.

L’aube paraît derrière nous !

Milosz vers la fin de sa vie donnait à manger aux oiseaux et se nourrissait de Dieu, miette à miette. Reynek soignait ses brebis, ses chats, et ses anges et Dieu le nourrissait.

La même simplicité d’au-delà des choses, la même foi translucide passent dans leurs mots « pleins de neige ». Le côté franciscain de Reynek fait qu’il crée des gravures, écrit des poèmes, comme pousse l’herbe au printemps pour recouvrir l’hiver.

Mais à la différence de Milosz qui avait au cœur une Lituanie mythique, Reynek est ancré dans la glèbe de sa Bohème natale et retirée, de sa demeure, de ses bêtes à qui il donne à manger tous les jours.

René-Guy Cadou avait du fond de son village les mêmes élans, mais avec une fausse foi de charbonnier, celle de Reynek est authentique car il est le charbonnier :

seigneur

juste le temps qu’il faut pour t’aimer

pour sourire

pour cerner ton sommeil de gestes maladroits

et maintenant dormir

être une force reposante sur ton épaule

pour longtemps

Cadou disait joliment : « Poète ! René Guy Cadou ? Mais montrez-moi la trace des clous ! » Reynek aurait pu montrer les traces des clous et des stigmates.

La poésie de Reynek

Voici, je me penche sur une photo de Bohuslav Reynek prise par Dagmar Hochava, et par la beauté vibrante de cette image qui capte même l’intérieur du poète, je m’approche à pas feutrés de cet homme. Le vieux poêle rougeoie pour transmettre un peu du feu terrestre à la marmite. Mais le froid s’infiltre partout, tant que Reynek ne met pas ses pieds par terre. Il est là, où plutôt ailleurs, un cahier noir à la main, son corps usagé replié sous lui. Il écrit, non il n’écrit pas, il prend en dictée des frottements d’ailes que font des anges ou des corbeaux par la fenêtre. Son vieux manteau l’enserre, la chaise en bois le soutient plus haut que les brouillards du monde.

Il est immobile, si seulement sa main bouge, c’est qu’il y a urgence à déposer ces mots si lourds et translucides à la fois, l’éternité passe si vite. Reynek est là, il veille, il est courbé.

Le silence a posé sa main sur son épaule. On sent la neige à la fenêtre et sur le papier. D’ailleurs le papier crisse comme si on marchait sur la neige.

Reynek ne bouge pas. Il oublie le froid, il bascule dans le blanc de la feuille du carnet noir. Il est en oraison. Autour du vieil homme il y a la buée de toute une vie.

Reynek écrit, médite, sommeille parfois contre le poêle en fonte. Il guette, il veille, il s’est détaché du monde. Le monde le croit mort, cela l’indiffère. Le monde des visibles est si loin de lui. Il attend l’épiphanie d’une image, le foudroiement d’un mot. Au mur des gravures avec des Christs ou des arbres, des chats aussi. Une brebis pas loin, au chaud dans la paille, oui il aime tant les brebis, plus nombreuses ici que les humains.

Il attend au centre de sa toile de sainteté. Il attend quelques papillons de grâce. Il saura les faire se poser, dépeindre leurs ailes et leur fragilité; Et surtout les laisser repartir vers les cieux. Dans une autre photo il est contre la vitre, il regarde ce paysage immuable depuis sa naissance ici. Immuable et changeant à chaque grain de soleil ou de gel. Il regarde la cour, les traces des enfants qui jouèrent là. Le vide a pris ses quartiers dans la niche du chien. Bientôt il faudra aller dans le froid donner à manger aux animaux.

Une autre photo le montre en train d’éplucher des patates, avec toute la concentration sacrée de l’homme qui peint des icônes. Le sacré est aussi dans les tubercules. Sorte d’Andreï Roublev des éléments les plus humbles. Lui qui a écrit un poème nommé Famine, savait le poids de chaque chose

La poésie de Reynek, pour le peu que nous puissions nous en approcher, fait un bruit d’herbes, un crissement de neige, un envol d’oiseaux noirs. Dans les mornes eaux des jours il semble inlassablement effectuer un rituel dérisoire et merveilleux, qui un jour accouchera d’un miracle. Il chemine au plus près du souffle du mystère de l’être humain. Il n’est pas un cœur pleurant, mais un paysan de l’absolu, retournant obstinément les mottes de l’infini. Il parle aux animaux, aux arbres, aux oiseaux, et aux hommes. Lune et givre, titre d’un de ses recueils, se marient dans sa pénombre. Son évolution depuis l’avant-garde tchèque (surréalisme, cubisme,...) jusqu’au plus extrême dénuement est le cheminement d’une destinée, d’une mission, d’une exigence intérieure.

La ville est absente de son univers poétique, la nature prend toute la place, tous les soupirs. Ce poète au rebut du monde, à l’écart des gens, aura vécu entre patience et mystère, édifiant le barrage de ses gravures et de ses poèmes contre le désespoir. L’immense question de la souffrance et de la douleur il l’aura transcendée en œuvre. Œuvre non pas de consolation mais de révélation. Il n’aura vécu en fait que pour quelques visitations.

Peu à peu il se détache des influences lourdes et lentes de Trakl et des surréalistes pour chercher au cœur des mots une méditation. L’influence de Josef Florian, missionnaire fervent et poète, sera si forte qu’il va quitter son écriture qui oscillait entre un symbolisme tardif et un expressionnisme hérité de Trakl, pour aller vers autre chose. Dorénavant ses mots deviennent à la fois compacts et transparents, un appel messianique. Au travers de mots au ras du quotidien, au plus près de la nature flottant devant sa fenêtre. Au fur et à mesure qu’il s’enroule dans la campagne, il évacue dans ses mots toute couleur trop vive. Il réduit en aumône les images qui doivent suivre humblement le sens; « L’ange marchait devant, le chien suivait derrière » disait Bobin, ici les images ferment la marche.

La poésie de Reynek ne regarde pas par la fenêtre du monde, elle regarde vers l’intérieur. Solitaires semblent les mots qui ne pourraient s’assembler que dans une main supérieure qui ramasse tout ce qui tombe. Les branches se balancent au vent, un enfant joue, un corbeau passe, une croix fait le couchant, la poésie de Reynek déploie son manteau pour nous protéger de notre froidure intérieure.

Les images de Reynek

Reynek commence son œuvre gravée en 1948 quand dépouillé des biens du monde, léger lui-même, il peut aller léger vers l’invisible.

Que nous montrent ses gravures ? Elles sont profondément symboliques. Elles expriment l’accomplissement d’un graphisme intérieur ; elles montrent à nu la rude poésie épinglée sur une eau-forte. Ce ne sont que des soupiraux sur la palpitation du monde. Une sorte de fresque humble des consolations du monde.

« Il n’a aucun maître et il n’entre dans aucune école d’art... Petit à petit, il abandonne le dessin et la peinture, pour se consacrer uniquement à l’art graphique. Il fait des milliers de pointes sèches, souvent rehaussées de couleurs, de monotypes et d’eaux-fortes ».

Des humbles scènes de la nature, des chèvres, des Christ et des suaires, des prophètes, des arbres rouges d’oiseaux flottant dans l’attente, des cours de ferme, Don Quichotte, poules, brebis, apôtres, modèlent un passage intérieur.

Comme dans des films de Tarkovski, il s’agit de rendre visible un chant de l’âme. Humblement, par un rituel quotidien et dérisoire, toujours répété avec cette croyance folle à un miracle.

Comme dans le Conte des Contes de Youri Norstein, une baie rouge, une branche, un corbeau, un enfant aux joues en feu, un loup sans doute aussi, et plus que la mélancolie monte la tendresse humaine. Par-dessus le givre, il reste l’amour. Dans le plus ordinaire des jours la transcendance. La plus simple des apparences vient brouter au fond des images, et l’ange de l’avent se pose au sommet de l’arbre glacé.

Sur l’une d’elles qui semble des manuscrits arrachés au passé, des peaux du temps qui roulent par terre, on voit près d’un arbre dénudé un paon solitaire qui semble picorer toute la misère humaine. Les dernières oies passent loin dans le ciel, les étangs débordent d’orages et de neige. Mais Reynek voit au-delà de la boue de la terre, il reconnaît les empreintes des fraternités. Reynek admirait par-dessus tout Georges Rouault, il en a gardé la flamme mais tamisée et épurée. Tout monte en brouillard de conscience de ses images.

Reynek en nous

Il serait injuste d’enfermer Reynek dans la douceur étroite et enclose du catholicisme. Il n’a pas à être canonisé, mais à être lu. Il témoigne plus que de Dieu, il témoigne du courage des hommes de ne pas s’avilir, de résister intérieurement, de croire aux fleurs, aux oiseaux, aux animaux et aux humains en peine.

Chat et Jésus-Christ vivent ensemble dans l’univers de Reynek. Il est vain d’aller vers lui comme pour un rituel. Il tenait sa poésie comme on tient son jardin, avec obstination, avec amour.

Plus que simplement et uniquement un poète mystique, Reynek avec les fruits de la consolation qu’il nous offre, va par-delà les rituels et les révélations. Il nous rend palpable le silence qui l’aura entouré dans sa vie, il nous apprend que ce silence est le langage de l’être.

Celui que nous apprenons dans son œuvre.

« Celui qui est seul entend toujours des pas » écrivait-il, ne vous retournez pas ce sont les mots de Reynek qui viennent à vous. Berger il mène paître ses images et ses poèmes.

Reynek est un poète de l’invisible, il rend compte des pas d’un oiseau sur la neige, des pas des esprits en nous. Aussi Reynek demeure comme un tendre sourire.

Patience dans l’azur et la neige, Reynek dort mais son cœur veille.

Gil Pressnitzer

Choix de textes

Mon Dieu, je brûle de l’espoir

que les choses qui n’existent pas

adviennent

de voir le bout de la steppe dédaigneuse

où je risque mes pas en aveugle,

et de brûler :

je dormirai, comme un oiseau la joie viendra

m’ouvrir le cœur, comment - je ne sais pas,

et rageusement

tuera le serpent dedans, le monstre, le suspendra

en sang, à la branche, au plus profond humide des bois

du désespoir,

Et, sentinelle aux portes de mon âme,

adoucira de larmes les pervenches de l’attente

en chantant.

(traduction Xavier Galmiche)

les dernières oies

ont laissé leurs empreintes

sur la première neige

le dernier arbre roux

suspend ses anneaux

sur la rive blanche

la face du couchant

s’empourpre d’angoisse

l’ange de l’avent

emporte dans la nuit

les griffes de la forêt

(traduction Xavier Galmiche)

L’idiot (version numéro 2)

dans mon village, je suis l’andouille,

les chiens tristes savent qui je suis:

les chiens blancs dormants;

divaguant loin des autres;

jamais les enfants ne passent par la trame

ils me demandent de rester à distance,

ils sont des nuages-chien,

ils courent et ne geignent pas.

C’est ainsi pour nous la tristesse nous avale,

là où nous sommes en train d’aller, anonymes;

bénissez mon âme,

Vous l’ancien Berger,

par les dons inexplorés

par la lune et le sommeil dérangés

avec des épines sur votre tête,

votre tête si lourde, frappée et encore frappée

juste comme un cœur.

Amen.

(adaptation personnelle)

Famine

Nuit - et pas résonnants sur le perron -

pleure pour seulement une table vide

ou le mur a murmuré

ou la douleur qui jamais ne s’éveille trop tard

Soupirer le lit ? Hurler la porte ?

Claquer les embrasures de fenêtres ?

Sommes-nous tirés dans le gel

au travers du jour brillant, sans souper ?

Famine griffonnée par les griffes des chiens

dans le crépuscule, cela donne un signe.

(adaptation personnelle)

Soupir

Jours de travail, des croix, des Vendredis,

et où se cache le dimanche ?

fatigue, tristesse, désordre,

un pas incertain multiple tombe,

vers où s’envolent les anges ?

Caïn portait-il, déjà sur le flanc de sa mère

sur le front le signe,

et dans son cœur le remords du meurtre d’Abel ?

Qui viendra en aide à Caïn et à son enfant ?

(adaptation personnelle)

Bibliographie

Le Serpent sur la neige (1924), poèmes, édition et traduction de Xavier Galmiche, préface de Sylvie Germain, vingt-sept linogravures de l’auteur. Romarin Grenoble, 1997, - Les Amis de Suzanne Renaud et Bohuslav Reynek.

L’Œuvre de Bohuslav Reynek. Une éclaircie au loin..., édition établie par Annick Auzimour et L. Froulíková,Romarin, Grenoble 2000.).

Le givre et la lune (Mesic a jini) Traduction Michael Reynek, Romarin, Grenoble 2004.
Piéta dans la Barque, Catalogue de l’exposition Reynek à Prague en 2002. Pamatnik, Prague 2002.
Bohuslav Reynek: L’image dans l’œuvre poétique et graphique,ouvrage collectif,Romarin, Grenoble, 1997.

Bohuslav Reynek à Petrkov : un nomade en sa demeure. Sylvie Germain, Saint-Cyr-sur-Loire, Pirot, 1998.

Œuvres graphiques sur Internet:Bohuslav Reynek, œuvres graphiques