Dylan Thomas

Flamboyant jusqu’à la brûlure

Dans la direction de la ville élémentaire

J’avance aussi longtemps que dure notre éternité.

(Vingt-quatre années)

Dylan Thomas est considéré outre-Manche comme un des plus grands poètes du vingtième siècle.

Et son traducteur, son merveilleux traducteur, Alain Suied aura permis son passage en notre langue.

Il fut une de ces âmes insoumises qui approchérent trop près du soleil et se sont liquéfiées dans l’alcool.

Il semblait avoir pour ressort intérieur une forme d’extase et de transe verbale.

Merveilleux conteur il fut l’un des premiers à enregistrer ses poèmes, à vivre de conférences, et à jouer de sa voix charismatique.

Un parcours de lave en fusion

Ce Gallois né le 27 octobre 1914, à Swansea ville côtière du Pays de Galles, en savait peu sur cette langue étrange, et beaucoup sur toutes les langues du monde, et des morts qui reviennent parler toutes les nuits aux vivants. Fils d’un maître d’école dur et austère qui voulait n’entendre que la langue anglaise, il idéalisa sa jeunesse en la repeignant d’imaginaire. Il se souviendra toujours de la ferme de Carmathen que possédait la famille de sa mère et de sa jeunesse à Swansea.

Il partit à Londres en novembre 1934 pour entreprendre une carrière littéraire, absolument persuadé de son génie.

A vingt ans son recueil Eighteen Poems (18 poèmes) le fait connaître et reconnaître.

Plus tard Twenty-five Poems en 1936, Deaths and Entrances en 1946 et en 1952 son anthologie finale, Collected Poems font de lui un « prince en poésie ». Il a écrit des nouvelles, des scénarios de films, réalisé des émissions de radio, des pièces.

Lui le séducteur rencontra la femme de sa vie Caitlin Macnamara en avril 1936, et ils ne se quittèrent plus, après s’être mariés en juillet 1937. Mais Dylan eut bien des amours parallèles, Caitlin aussi.

Dylan revint vivre au pays de Galles en 1938.

Populaire, célèbre, vendu comme une rock-star il finira par se détruire de tavernes en bouges, à New-York en 1953.

C’était pendant sa quatrième tournée triomphale de conférences-lectures, juste avant ses 39 ans. Il s’effondra à son hôtel, son cher Chelsea hôtel le 3 novembre 1953. Fier de lui il déclara: « j’ai bu 18 whiskys, je pense que c’est un record ! »

Il mourut quelques jours plus tard, le 9 Novembre 1953 à l’hôpital St. Vincent.

Son corps fut ramené au Pays de Galles, dans un humble cimetière, à Laugharn, au Sud-Ouest du pays de Galles, avec la seule ombre d’une croix. Paysage enfin calme, mer qui ruisselle, lune toute blanche. Peu furent aussi prodigieusementdoués que lui, peu se gaspillèrent autant. Il fit lui-même son épitaphe:

« After 39 years, this is all I’ve done ». (Après 39 ans, c’est tout ce que j’ai fait).

Son œuvre était presque close à vingt ans, mais lui ne vendit pas d’armes, ne connut pas l’absinthe, et se survécut entre envolées poétiques et envolées éthyliques.

Celui qui a écrit « Do not go gentle into that good night » et « Fern Hill » et surtout la pièce de théâtre radiophonique « Under Milk Wood », (Au bois lacté), ne peut être qu’un immense bonhomme. Frisé et rondelet, il écarquillait ses yeux sur le monde, et s’en moquait sans doute.

Les mots, il avait appris à les faire sauter dans son cercle de flammes, et très petit. Souffrant sans cesse d’asthme, de bronchites, sa mère le soignait avec des histoires.
Tous ces mots ont formé une ronde dans sa tête

Portrait du poète en feu follet ivre

Il fut un immense provocateur, puis une bête de cirque poétique que l’on montrait dans les cercles selects américains ou anglais. On lui jetait un sucre, il le ramassait en lisant de sa voix forte ses poèmes qui faisaient frissonner, voire plus, ces vieilles ladies.

Dès le 22 février 1952 il enregistre ses poèmes avec succès.

Une fois qu’il avait pu dire ce qui cheminait en lui, il avait mis le cap sur son restant de vie : séduire et baiser, boire et tomber à la renverse pour oublier qu’il fut un jeune poète prodige.

Charismatique il l’était, jongleur de mots, comédien et cabotin, envoûteur et désespéré sans doute.

Avec son visage poupin, son nez retroussé, et sa voix rauque il passait parmi les gens, détaché et ailleurs. Non pas amer, mais entrelacé à jamais aux cigarettes et au whisky.

Amoureux des lumières de la nuit, et des éclats de peau des femmes, il titubait dans la grandiloquence quand cela le servait, et basculait dans le sublime quand il était seul avec le papier blanc.

Là, il raturait sans trêve sa vie, et devenait lucide lui le « Portrait of the Artist as a Young Dog », le portrait de l’artiste en jeune chien. Jeune chien fou il avait su s’ébrouer, japper à la lune, mordre les bourgeois aux mollets de leurs certitudes.

Ivre il l’était avant tout de mots.

« Après la première mort, il n’y a rien d’autre » proclamait-il.

Il a connu d’autres morts, et il n’y eut plus grand-chose.

Icare foudroyé dans le soleil des bouteilles, il laisse des plumes qui volèrent encore très haut.

Un alcoolique est quelqu’un que tu n’aimes pas et qui boit autant que toi.

Il savait sa chute, il se souvenait aussi d’avoir percé à jour la force qui traverse l’arc électrique du vert pour donner la fleur.

Il est peu de poètes aussi rimbaldiens. Ivre de vivre, fou de jeunesse, extatique devant la force brute de la nature.

Il a collé son oreille contre le ventre de la terre et en a su toute la violence, la destruction et la vie. Et c’est le monde de l’enfance qu’il chante le mieux, la nature biologique en marche. L’innocence perdue. L’origine du souffle, de la création par la puissance de la parole :

Au commencement était le mot, le mot

Qui des bases solides de la lumière

A dérobé toutes les lettres du vide.

Dylan Thomas fut une énergie folle, un délire en mouvement, un archange de la soif d’exister.

Pour tout cela merci Dylan Thomas.

Frénétique il fut, feu follet affolé aussi. Il n’a pas l’air de son temps, romantique attardé, loin des préoccupations sociales ou politiques.

Lyrique, intimiste, il n’a pas d’influence marquée sur d’autres poètes, à part Sylvia Plath sans doute qui le lisait éperdument.

Même si Robert Zimmerman le renie maintenant, nous nous souvenons de lui. À qui en pleine nuit a reçu la houle sonore de « Under the milkd wood», (le bois lacté), plus rien ne fut pareil dans sa vie.

Je fus de ceux-là. Merci Dylan.

Ces voix chuchotées, émergeant de « cette bonne nuit » et qui disent :

Les hommes bons, passée la dernière vague, criant combien clairs

Leurs actes frêles auraient pu danser en un verre baie

Ragent, s’enragent contre la mort de la lumière.

Le poète de la grande soif

Dylan Thomas était l’homme de la grande soif, inextinguible. Soif d’intensité, soif de boire la fusion de la terre. Sa lave et ses océans. La poésie de Dylan Thomas est cosmique, tellurique. Il part du foisonnement de son monde intérieur, plein d’images et de fureur, pour aller jusqu’aux chaos des étoiles.

« Il y avait un monde et en voici un autre... », Dylan Thomas prend appui sur son panthéisme vibrant pour la nature, dont il célèbre les collines glorieuses, la mer profonde, comme dans des « visions et prières » pour chanter le cosmos.

Mais à son chant charnel et sensuel, car Dylan Thomas est avant tout un poète sensuel, s’ajoute ses élans mystiques, voire métaphysiques. La Bible si souvent scandée dans son enfance l’irrigue avec ses notions du mal et du bien, ses démons et ses tentations.

« Ce monde est mon partage et celui du démon » peut-il ainsi proclamer. Dylan Thomas porte aussi en lui le poids de cet enfant mort, premier né de ses parents, dont le fantôme le poursuivra:

« Je suis le fantôme de cet ami anonyme sans prénom qui écrit les mots que j’écris... »

Lui qui partira au fil de la vie comme un chien crevé imbibé d’alcool à trente-neuf ans, est aussi le poète de l’innocence, ce « bébé » jamais devenu adulte, qui court encore dans l’herbe et tutoie le soleil.

Il n’a pas su conserver la frénésie de ses vingt ans jusqu’au bout, il a fini par mettre le moteur auxiliaire de la technique quand les vents de l’imagination affalaient ses voiles. La griserie sonore des mots devenait plus importante que leur poids, et il faisait l’histrion par dérision de tout.

Sa quête du Paradis Perdu est une quête de soi certainement, mais aussi celle du retour à la Genèse originelle, à la pureté perdue. Avec des accents de prophète, lui « l’artisan sacré » aura au moins par l’alchimie de ses mots, la beauté souvent obscure et énigmatique de ses images, changé la trajectoire de la poésie anglaise, lui le gallois illuminé. Il est entré avec violence dans la bonne nuit de la vie.

Il a connu les bombardements de Londres, mais ce sont les bombardements de sa vie qu’il a décrit.

Il sait que c’est « la ténèbre qui façonne l’homme », et des ténèbres il en était empli.

Dylan Thomas a écrit beaucoup de poèmes d’anniversaire, non pas pour se célébrer comme un Walt Whitman ni pour parler de son âge de vent, « de bois en dérive », mais pour faire chanter son angoisse et savoir à chaque instant qu’il « appareille vers la mort ».

Il sait que l’amour n’est que « deux grains de sable ensemble au lit/ tête contre tête à l’entour du ciel », pourtant il n’aura vraiment qu’une seule femme dans sa vie, son amie d’enfance, Caitlin Macnamara.

Dans les mots de Dylan Thomas on peut entendre les mers convulsives, les collines en majesté, les morts qui viennent vers nous. Onirique il chemine entre les légendes galloises, la psychanalyse, la Bible, et ses propres visions.

Il voulait reposer comme pierre, il repose comme phare, soleil en vrille parmi nous, dans un monde toujours plus obscur. Homme violent, il fut surtout violent de tendresse, aveuglé de soleil et de vie palpitante. Ses poèmes sont des vagues, ses étranges images des créatures venant des abîmes. Il se disait « poète devant les portes de l’enfer », auquel il opposait « sa naïveté », en fait son libre égarement dans la prairie des mots. Il gambade entre sa solitude intérieure que seul l’alcool apaise, et sa posture de poète « maudit », en révolte devant l’état du monde. Toujours endetté, toujours saoul, toujours en train de griffonner un poème au dos d’une facture, le plus souvent génial.

Il aura jonglé avec le langage et les mots, et ce que la traduction ne saurait rendre c’est la musique et les rimes intérieures. Des alouettes chantent dans ses vers.

Il aura aussi jonglé avec sa vie, étonné à chacun de ses anniversaires d’être encore vivant et alors redoublant d’autodestruction joyeuse. Il savait le fin miroir entre illusion et réalité et s’amusait de passer sans cesse de l’un à l’autre, sans jamais prendre au sérieux l’éternité.

Dylan Thomas est l’un des poètes les plus attachants, celui qui a su s’ériger en légende, alors que d’autres, avec leur foi triomphante en leur art, ont été happés par la nuit.

Lui le clown sous la lune, le clown merveilleux, avait repeint la réalité. Il tentait simplement « d’étreindre les mots fous » qu’il avait gribouillé en glorification « de la mortelle erreur de la naissance et de la mort ». Il ne pouvait dormir sans blessure, ni rêver sans le refus absolu de pleurer la mort, lui le vivant, l’haletant, le poète.

Salut Dylan « times are no changing » et toi tu demeures.

Au bois lacté est l’espace où rencontrer Dylan Thomas.

Dans cette pièce jamais vraiment terminée, le songe d’une nuit d’été d’un village gallois, embrasse l’humanité entière. Dans l’imaginaire village de Llarreggub (dans la réalité Laugharne, son village) va monter la voix du monde. Rêves, peurs, banalités, quotidien rural, jalousies, sexes et désirs. Inondation du verbe, impudeurs des confessions, désirs enfouis, naïvetés à peine effleurées.

Ce ne sont que des conversations, cela fait la danse de vie de notre monde. Tout semble naïf, tout est tissé. La naïveté est toujours un paradoxe a dit un de ses amis.

Lui l’homme double, poète insoumis et solitaire, alcoolique jusqu’à la moelle ayant besoin d’entourage, il semblait lunaire. Râpeux il longeait les murs de la vie, effritant au passage chaque brique, pour mieux s’engloutir. Qui a le plus vite terrassé ce bonhomme, la gloire ou le delirium tremens ? En fait c’est Dylan méthodique et raisonné qui se sera terrassé lui-même et fort bien.

Et c’est à New York, deux ou trois jours avant sa mort, qu’il hurla :

Rien de rien, sinon que je viens de voir les portes de l’enfer s’ouvrir devant moi !

Oui vraiment:

« After the first death there is no other ».

Gil Pressnitzer

Dylan Thomas, présentation par Alain Suied

Le père de DYLAN est un modeste professeur de « grammar school »- mais un élément de sa biographie, rarement mentionné, devrait nous susciter: ce fils d’une ancienne famille Galloise a rompu avec la « tradition » - il ne sera pas, comme ses ancêtres, comme son propre père « un homme de religion », un prêtre.

.. Mais le petit Dylan sera « bercé » par la voix du grand-père lisant la "Bible le Roi-James" La poésie « obscure » et audacieuse de Dylan - tout comme son art prodigieux de la lecture poétique (qui assurera son succès foudroyant aux États-Unis) porte la trace de cet enracinement.

Son « philosémitisme » également. Remarqué par ses contributions poétiques dans le « journal » de son lycée, il entend aussi bien rendre hommage à la poésie « classique » anglaise qu’à l’Imaginaire Celte.

Contemporain des deux guerres « mondiales » et de l’essor de la Psychanalyse comme du Surréalisme, il « invente » sa propre langue poétique mais sans rien céder des diverses influences qui ont accompagné sa « formation ».

Son « art morose » qui déchire tous les « masques » et les « peaux » du réel baigne dans son histoire personnelle et familiale aussi bien que dans le multiple héritage des cultures qui l’ont formé.

Son génie, sa modernité viennent d’avoir su faire de ces contradictoires lumières un seul cri poétique universel.

Dylan, une parole intraduisible en anglais

DYLAN THOMAS n’écrit pas seulement à l’intérieur de la langue anglaise : il écrit à travers l’imaginaire gallois, à travers la vision particulière du poète (qui s’adresse souvent à d’autres poètes par des références discrètes aux œuvres de ses prédécesseurs) et enfin à travers la parole ample de l’Ancien Testament, dont son grand-père lui lisait le soir de longues pages venues de la traduction exemplaire dite « du Roi James »... Il est sensible aux découvertes Freudiennes et n’hésite pas à employer un langage cru, une parole de nerfs et de nervures, de sensualité et d’angoisse; il réagit aux terribles épreuves de la Guerre à Londres (il travaille pour la BBC...) mais il a gardé la leçon poétique majeure des « classiques » : il transmet l’intuition du Chaos initial, l’impossibilité de réparer le mal des générations, la nécessité de servir la parole éclairante et souffrante.

Il mêle l’individuel, l’intime et l’œuvre au noir poétique et universelle.

C’est son « histoire personnelle », amoureuse, familiale qu’il évoque et en même temps sa poésie « parle pour chacun ». (Celan).

Dylan Thomas, qui ne connut la gloire qu’au seuil de la mort, à la suite de voyages et de « tournées » de lecture aux USA, vécut en marge des « mouvements » littéraires de son époque; il voulut faire entendre la musique du Paradis - en vérité dire l’étonnement premier du monde, la reconnaissance aux générations passées, la solitude poétique du vivant.

Alain Suied, présentation du spectacle « Dylan Thomas » à Bordeaux

Poème en hommage à Dylan Thomas

DYLAN

Rêveur du pays de Galles

et de la terre d’enfance

plongeur dans les rivières secrètes

de l’Inconscient liquide

Dylan de bière et de mélancolie

Dylan qui écoute le murmure

souterrain des poètes

de la noire origine

au surgissement de lumière

du cœur.

Dylan noyé

dans l’exil

Dylan de rêve et de trop vive

lucidité.

Dylan Thomas poème d’Alain Suied Paru dans Le Capital des mots n°9 de juillet-octobre 2008

Alain Suied

Choix de textes

>

Laisse-moi fuir

Être libre (Du vent pour mon arbre !

De l’eau pour ma fleur)

Vivre de soi à soi

et noyer les dieux en moi

Ou écraser leurs têtes vipérines sous mon pied.

pas d’espace, dis-tu, pas d’espace

Mais tu ne m’y incluras pas

Même si ta cage est robuste.

Ma force sapera ta force;

Je déchirerai l’obscur nuage

Pour voir moi-même le soleil

Pâle et déclinant, pousse atroce

Traduction d’Alain Suied Dylan Thomas Vision et prière Gallimard COLL. POESIE -

N’étant que des hommes, nous marchions dans les arbres

Effrayés, abandonnant nos syllabes à leur douceur

De peur d’éveiller les freux,

De peur d’arriver

sans bruit dans un monde d’ailes et de cris.

Enfants nous nous serions penchés

Pour attraper les freux endormis, sans briser de brindilles,

Et après une douce ascension,

Élevant nos têtes au-dessus des branches

Nous nous serions émerveillés des étoiles inaltérables.

Loin de la confusion, telle est la voie

Tel est le prodige que l’homme sait

Loin du chaos parviendrait la joie.

Cela est la beauté, disions-nous,

Enfants émerveillés par les étoiles,

Cela est le but, cela est le terme.

N’étant que des hommes, nous marchions dans les arbres,

Traduction d’Alain Suied Dylan Thomas Vision et prière Gallimard COLL. POESIE -

RESTE IMMOBILE, DORS DANS L’ACCALMIE

Reste immobile, dors dans l’accalmie, souffrant avec la blessure
Dans la gorge, qui brûles et fais retour. Toute la nuit à flot
Sur l’océan de silence nous avons perçu le son
Qui venait de la blessure enveloppée dans le drap de sel.

Sous la lune d’un mille au-delà, nous avons tremblé écoutant
Le bruit de l’océan couler comme sang de la blessure criante
Et quand le drap de sel se rompit en un ouragan de chants
Les voix de tous les noyés nagèrent dans le vent.

Ouvre un chemin à travers la triste lente voile,
Ouvres grandes au souffles les portes du bateau errant
Pour que commence mon voyage vers la fin de ma blessure,
Nous avons entendu le bruit de l’océan chanter, et vu le drap de sel scander.
Reste immobile, dors dans l’accalmie, cache la bouche dans la gorge
Ou nous devrons obéir, et chevaucher avec toi entre les noyés.


Dylan Thomas, N’entre pas sans violence dans cette bonne nuit… et autres poèmes, traduit de l’anglais et préfacé par Alain Suied, Gallimard, 1979, p. 35

colline de fougères (Fern Hill)

Alors j’étais jeune et si facile à vivre sous les larges branches des pommiers

autour de la maison mélodieuse, et heureux de voir l’herbe si verte,

la nuit par-dessus

temps me fut laissé de héler et de grimper couvert d‘or dans l’apogée de ses yeux

et honoré parmi des chariots j’étais devenu le prince des villes des pommes

et une fois après quelque temps, majestueusement, je possédais et les arbres et les feuilles

les chemins avec les marguerites et l’orge

la descente des rivières et le fruit de la lumière.

et comme j’étais alors jeune et vert et insouciant, célébré parmi les granges

autour du jardin heureux et je chantais comme si cette ferme était ma demeure,

sous le soleil qui redevenait jeune une fois seulement,

temps me laissa jouer et exister

qu’il soit couvert d’or pour la miséricorde de ses fins,

et vert et or j’étais Chasseur et Berger, les veaux répondaient à mon cor, les renards des collines grognaient clair et froid,

et le sabbat sonnait lentement

dans les cailloux des flots sanctifiés.

Pendant tout le temps du soleil, tout courait, tout était beau, les champs de foin

montaient aussi haut que la maison, les mélodies des cheminées, tout était aérien

et jouant, joliment et fluide

et du feu vert comme de l’herbe

Et nuitée sous les simples étoiles

comme je montais dormir les hiboux avaient transporté la ferme ailleurs,

longtemps j’ai écouté toute la lune, béni au milieu des écuries, les engoulevents volant parmi les meules, et les chevaux clignotant dans le Sombre.

Et puis il fallait se réveiller, et la ferme, comme un blafard voyageur errant avec la rosée, revenait,

le coq sur l’épaule : tout était brillance,

c’était Adam et la toute jeune fille,

le ciel recueillait à nouveau

et le soleil s’arrondissait pour ce jour particulier.

Cela devait donc être après la naissance de la simple lumière

au commencement, lieu en tissage, les chevaux captivés marchant au chaud

hors des hennissements de la verte écurie

sur les chants de la félicité.

Et honoré parmi les renards et les faisans de la gaie maison,

sous le nuage tout neuf et heureux autant que le cœur puisse revenir de si loin

dans le soleil naissant et renaissant encore et encore

j’ai couru dans mes chemins nonchalants

mes désirs dévalaient de-ci de-là au travers de la haute demeure du foin

et rien ne m’importait, face au bleu commerce de mon ciel, puisque ce temps permet avec ses tournants plein de mélodies si rares, de tels chants du matin

avant que les enfants verts et dorés

ne le suivent en tombant hors de la grâce.

Rien ne m’importait, en ces jours blancs comme des agneaux,

ce temps m’emporterait au plus près du grenier peuplé

par l’hirondelle démultipliée par l’ombre de ma main,

dans la lune toujours montante,

Ni dans cette chevauchée vers le sommeil,

je devrais l’entendre voler avec les champs immenses

et réveiller la ferme à tout jamais enfuie du pays des enfants.

Oh comme j’étais jeune et si facile à vivre dans la miséricorde de ses fins,

Le temps me maintient, encore vert et mourant,

Bien que je chantais encore dans mes chaînes comme la mer.

Adaptation personnelle

Repose sans bouger, dors apaisé (Lie still, sleep becalmed)

Repose sans bouger, dors apaisé, avec cette blessure

Dans la gorge, te consumant et te retournant. Toute la nuit surnageant

sur l’océan silencieux nous avons entendu le son

Qui venait de la blessure enroulée dans le drap du sel.

A un mille sous la lune nous avons tremblé en écoutant

la houle sonore de l’océan comme sang de la blessure bruyante

et quand le drap du sel se déchira en un orage de chants

Les voix de tous ceux qui se sont noyés remontèrent dans le vent.

Ouvre un sentier au travers de la lente et triste voile,

Jette au grand large du vent les portes du bateau errant

Pour qu’enfin commence mon voyage au bout de ma blessure,

Nous avons entendu chanter la houle sonore de l’océan, nous avons vu

Le drap du sel se raconter. Repose sans bouger, dors apaisé, cache la bouche dans la gorge,

Ou nous devrons obéir, et avec toi chevaucher au travers des noyés.

Adaptation personnelle

J’ai tant voulu partir (I have longed to move away)

J’ai tant voulu partir

Loin des sifflements du mensonge passé

Et du cri constant des vieilles terreurs,

Devenant plus atroce à fur et à mesure que le jour

Passe par-dessus la colline dans la mer profonde.

J’ai tant voulu partir

Loin du rituel des salutations

Car il y a des fantômes dans l’air

Et des échos de fantômes sur la page

Et le tonnerre des appels et des notes.

J’ai tant voulu partir mais j’ai peur.

Quelque vie, pas encore usée, pourrait exploser

Hors du vieux mensonge brûlant sur le sol

Et, crépitant dans l’air, me laisser à moitié aveugle.

Jamais dans la peur primale de la nuit,

La séparation du chapeau des cheveux,

Les lèvres serrées devant la radio,

Je ne tomberai sous la plume de la mort.

Et donc je ne m’inquiète pas de mourir,

moitié usage et moitié mensonge.

Adaptation personnelle

Le dialogue de la prière (The conversation of prayer)

Le dialogue des prières sur le point d’être dites

Par l’enfant qui va au lit et l’homme dans l’escalier

qui monte vers son aimée mourante dans la haute chambre,

L’un indifférent envers qui il ira dans son sommeil

l’autre plein de larmes si jamais elle était déjà morte

Passe de l’un à l’autre dans l’obscur le son qu’ils savent devoir s’élever

depuis le sol vert jusqu’aux cieux questionnant,

De l’homme dans l’escalier et de l’enfant dans son lit.

Le son sur le point d’être dit dans les deux prières

pour un sommeil dans un pays protégé et pour un amour qui meurt

Sera le même chagrin qui s’envole. Qui consolera-t-il ?

L’enfant dormira-t-il indemne ou l’homme va-t-il pleurer ?

Le dialogue des prières sur le point d’être dites

s’échange entre le vif et le mort, et l’homme dans l’escalier cette nuit

ne la trouvera en train de mourir mais vivante et chaude

au feu de son amour dans la haute chambre.

Et l’enfant indifférent vers qui va sa prière

se noiera dans un chagrin aussi profond que sa tombe toute faite,

et au travers de ses yeux de sommeil il fixera la vague à l’œil sombre,

le traînant en haut de l’escalier jusqu’à celle qui repose morte.

Adaptation personnelle

Vingt-quatre ans

Vingt-quatre ans me rappellent les larmes de mes yeux

(Enterrez les morts de peur qu’ils ne marchent vers la tombe en cours)

Je suis recroquevillé en tailleur dans la porte naturelle de l’aine

cousant un linceul pour un voyage

à la lumière du soleil carnivore.

Habillé pour la mort, la pavane sensuelle a commencé,

avec mes veines rouges débordantes d’argent,

dans la direction finale de la ville élémentaire

j’avance aussi longtemps que l’éternité.

Adaptation personnelle

Dans l’autrefois c’était la couleur du dire (Once It Was The Colour Of Saying)

Dans l’autrefois c’était la couleur du dire

trempant ma table du côté le plus laid de la colline

avec un chavirement d’un champ où une école se tenait tranquille

et une nappe noire et blanche de filles jouait toujours plus;

les doux toboggans du dire je dois les anéantir

pour que les noyés jeteurs de charme se lèvent comme coq et tuent

quand je sifflais avec les garçons farceurs à travers le réservoir du parc

où la nuit arrivée nous lapidions les froids les cinglés

amants dans la saleté de leur lit de feuilles,

l’ombre de leurs arbres devenait mot à plusieurs ombres

et une lampe d’un éclair pour les pauvres dans la nuit;

Maintenant mon dire doit être ma ruine,

et toute pierre je la déviderai comme une bobine.

Adaptation personnelle

Clown sur la lune

Inédit posthume attribué à Dylan Thomas

Mes larmes dérivent comme

Les pétales d’une rose magique

Et toute ma douleur coule

De la faille des cieux et de neiges sans nombre.

Je pense que si je retombais

Sur terre, je m’effriterais ;

C’est si triste et beau

C’est le tremblement d’un rêve.

Traduction d’Alain Suied dans la Revue Improbable N°30

MOI, LE PREMIER PRENOMME (I, the first named)

Moi, le premier prénommé

Je suis le fantôme de cet

Ami anonyme, sans prénom

Qui écrit les mots que j’écris

Dans une chambre tranquille

Dans une maison imbibée d’envoûtement ;

Je suis le fantôme de cette maison

Remplie des langues et des yeux

D’un fantôme sans tête

Que je crains pour toujours

Jusqu’à la fin anonyme.

Traduction d’Alain Suied La revue improbable N°24, décembre 2002

N’entre pas sans violence dans cette bonne nuit (Do not go gentle into that good night)

N’entre pas sans violence dans cette bonne nuit,

Le vieil âge devrait brûler et s’emporter à la chute du jour ;

Rager, s’enrager contre la mort de la lumière.

Bien que les hommes sages à leur fin sachent que l’obscur est mérité,

Parce que leurs paroles n’ont fourché nul éclair ils

N’entrent pas sans violence dans cette bonne nuit.

Les hommes bons, passée la dernière vague, criant combien clairs

Leurs actes frêles auraient pu danser en un verre baie

Ragent, s’enragent contre la mort de la lumière.

Les hommes violents qui prient et chantèrent le soleil en plein vol,

Et apprenant, trop tard, qu’ils l’ont affligé dans sa course,

N’entrent pas sans violence dans cette bonne nuit.

Les hommes graves, près de mourir, qui voient de vue aveuglante

Que leurs yeux aveugles pourraient briller comme météores et s’égayer,

Ragent, s’enragent contre la mort de la lumière.

Et toi, mon père, ici sur la triste élévation

Maudis, bénis-moi à présent avec tes larmes violentes, je t’en prie.

N’entre pas sans violence dans cette bonne nuit.

Rage, enrage contre la mort de la lumière.

Traduction d’Alain Suied Dylan Thomas Vision et prière Gallimard COLL. POÉSIE -

BALLADE (poème de jeunesse)

Je ne saurais manger une rose rouge,

Je ne saurais manger une rose blanche,

C’est en vain que le long cytise rougeoie,

C’est en vain que tombent les neiges cireuses du camélia

Et la crème de lumière du lys.

C’est en vain que les grappes de calices du lilas

Profèrent leur généreuse douceur.

Les abeilles l’adorent ; l’homme

Regarde, admire, désire mais ne mange pas.

Donne-moi la laitue qui s’est rafraîchie

Au cœur de la riche terre:

Sa moindre feuille, joyeuse élève,

Froissée de rire, a la gaîté croquante.

Donne-moi la moutarde et le cresson

Dont les tiges semblent à l’écoute

Comme les nymphes dans la nuit argentée

Au-dessus des tresses du corail;

Le radis qui cligne de l’œil, rond et rouge,

Et brille comme un rubis;

Et la bénédiction de l’oignon

Qui se répand sur le plus modeste repas;

La tête volontaire et glorieuse de la tomate,

Le froid concombre coupé fin;

Et laisse l’impériale betterave

Régner rouge sur toutes choses.

Même si les craintifs poètes préfèrent

Les façons banales des fleurs

Pour chanter leur Belle en bouton et en floraison,

Ces amours végétales, seules, enflamment

Les passions minérales de mon cœur-silex.

traduit de l’anglais par Alain SUIED

Tu ne désespéreras pas (You shall not despair)

Tu ne désespéreras pas

Si je t’ai blessée

Ou si j’ai rejeté ton amour;

Il y a un amour plus grand que le mien

Qui te réconfortera

Qui posera sur toi des mains plus douces.

Je ne suis plus pour toi Amitié et Beauté;

Ton corps ne me réjouit plus,

Ni la splendeur de ta noire chevelure,

Mais je ne t’humilie pas;

Tu seras prise à nouveau avec douceur

Et réconfortée de tendre larmes;

Tu seras aimée suffisamment.

Poème de jeunesse. Traduit de l’anglais (Pays de Galles) par Alain Suied.

La revue improbable N°23, octobre 2002

Celui qui manque

Cherche-le, Toi, Soleil, dans l’effroyable désolation

Parce qu’il T’aime, cherche-le et bénis

Son visage abandonné d’une caresse divine.

Avec légèreté, Toi, Vent, sur sa chère, sa sombre tête

Où se déploient les ailes d’un sommeil sans rêves,

Murmure une bénédiction pour les morts.

Doucement, Toi, Pluie, pour l’amour de sa mère,

Répands sur lui Tes larmes; il ne s’éveillera pas :

Aucun pleur ne peut briser le repos des profondeurs

Traduction inédite Alain Suied La revue improbable

De toute fleur

À chaque heure je soupire

Car tout ici a forme de feuille

Et de nuage.

À chaque fleur, je meurs

Car tout ici a forme de chagrin

Et de linceul

Traduction inédite Alain Suied La revue improbable

De mon anniversaire (extraits)

.....

Pleurer sur mon voyage vers la destruction,

Les navires de l’aube rivés au sol,

Et même si je crie avec ma langue en ruines,

Laissez-moi dénombrer mes bénédictions:

Quatre éléments et cinq

Sens, et l’homme, cet esprit qui aime

Trébuchant dans la vase tournoyante

jusqu’à son pur royaume de cloches de nimbes

Et de dômes de clair de lune,

Et d’océans qui emportent notre être secret

Dans les os noirs et profonds,

Sphères bercées dans la chair des coquillages

Et ce dernier bonheur, le plus grand:

Que plus je m’approche

De la mort, homme solitaire dans ses tortures,

Plus le soleil fleurit

Et plus l’océan, de tous ses crocs, exulte;

Et chaque vague de ma route

Chaque orage que je happe et le monde même

Avec une foi plus triomphante

Que jamais depuis que le monde est nommé,

Tissent son matin de louanges,

J’entends les collines se gonfler

D’alouettes et verdir de fruits et tomber

Et les alouettes de la rosée chanter

Plus haut ce printemps tonnant et les îles

Fières, les âmes humaines, voguer

Parmi de plus nombreux archanges!

Oh! Plus sacrés sont leurs yeux,

Et moins solitaire mon humanité lumineuse

Et j’appareille vers la mort!

Traduction d’Alain Suied Dylan Thomas Vision et prière Gallimard COLL. POÉSIE -

Mon art morose

Dans mon métier, mon art morose

exercé dans la nuit silencieuse

quand la lune seule fait rage

quand les amants sont étendus

avec toutes leurs douleurs dans les bras,

je travaille, à la lumière du chant,

non par ambition ou pour mon pain

ni pour le semblant, ni par commerce

de charmes sur des scènes d’ivoire

mais pour le salaire ordinaire

du profond secret de leurs cœurs.

Ni pour le prétentieux, ignorant

la lune qui fait rage, j’écris

sur ces pages mouillées d’embruns,

ni pour les morts trop hauts

avec leurs rossignols et leurs psaumes

mais pour les amants, leurs bras

enlaçant les chagrins du Temps,

qui n’accordent ni attention, ni salaire

ni éloge à mon métier, mon art morose.

Traduction d’Alain Suied paru dans la république des Lettres

Copyright © Dylan Thomas / La République des Lettres, jeudi 01 août 1996, repris dans"Vision et Prière" Gallimard

Et la mort n’aura aucune emprise

Et la mort n’aura aucune emprise.

Les hommes morts et nus ne feront plus qu’un

avec l’homme dans le vent et la lune de l’ouest ;

Quand leurs os sont grattés proprement et que propres s’en vont leurs os,

ils auront des étoiles au coude et au pied ;

Même s’ils deviennent fous ils seront sains d’esprit,

Même s’ils s’abîment au fond de la mer ils se redresseront ;

Même si les amants se seront perdus l’amour ne le sera pas ;

Et la mort n’aura aucune emprise.

Et la mort n’aura aucune emprise

Sous les sinuosités de la mer

eux, les gisants au long ne mourront pas sous le vent;

tordus sur des chevalets quand cèdent les ligaments,

Liés à la roue, pourtant ils ne se briseront pas ;

La foi se cassera en deux dans leurs mains,

et les démons à une seule corne leur passeront au travers ;

fendus jusqu’au tréfonds ils ne craqueront pas

Et la mort n’aura aucune emprise.

Et la mort n’aura aucune emprise.

Plus jamais les mouettes ne crieront à leurs oreilles

ni les vagues se brisant bruyamment sur les rivages ;

Là où soufflait une fleur peut-être qu’aucune fleur ne

dressera sa tête au saut de la pluie ;

Même s’ils sont fous et raides morts comme des clous,

les signes à en-tête enfoncent les marguerites;

éclatent dans le soleil jusqu’à ce que le soleil se brise,

Et la mort n’aura aucune emprise.

mars 1933 magazine New English Weekly

Adaptation personnelle

Au bois lacté Extraits

« Le temps passe. Écoute. Le temps passe. Rapproche-toi. Tu es le seul à pouvoir entendre le sommeil des maisons, dans les rues, dans la nuit lente profonde salée et noire de silence, la nuit en bandelettes. Toi seul peux voir, dans les chambres aveuglées de jalousies, les combinaisons culottes et les jupons sur les chaises, les brocs et les cuvettes, les verres à dentiers, le Nième Commandant au mur et les portraits jaunissants des morts attendant le petit oiseau qui va sortir. Toi seul peux entendre et voir, derrière les yeux des dormeurs, les mouvements et les pays et les labyrinthes et les couleurs et les constellations et les arcs-en-ciel et les airs de chansons et les désirs et les envolées et les chutes et les désespoirs et les mers immenses de leurs songes… »

Traduction inconnue

Bibliographie

En anglais

18 Poems (1934)

25 Poems (1936)

The Map of Love (1939)

The World I Breathe (1939)

Portrait of the Artist as a Young Dog (1940)

New Poems (1943)

Deaths and Entrances (1946)

Selected Writings of Dylan Thomas (1946)

Twenty-Six Poems (1950)

In Country Sleep (1952)

Collected Poems, 1934-1952 (1952)

The Doctors and the Devils (1953)

Under Milkwood (1954)

Quite Early One Morning (1954)

Adventures in the Skin Trade and Other Stories (1955)

A Prospect of the Sea (1955)

A Child’s Christmas in Wales (1955)

Letters to Vernon Watkins (1957)

The Beach of Fales (1964)

en français

Vision et prière, poèmes traduits par le poète Alain Suied, coll. Poésie Gallimard

Ce monde est mon partage et celui du démon, Points Poésie