Ernst Meister

Dire la phrase du tout, signe après signe

Y a-t-il un chantqui nous console ?Dis-moi le chant,qui nous console.Il n’y a pas de chantqui nous console,mais il y a ceux, si beaux,des gens de cendres. (Ombres, Traduit par Lambert Barthélémy et Hugo Hengl.)

Ernst Meister (1911-1979) est un considérable écrivain et poète allemand moderne, encore peu connu en France. Et rares sont les traductions de ses poèmes en français.
Cela tient aussi au côté parfois hermétique de ses textes, et aussi à sa vie souvent recluse dans sa région de Westphalie. Discret, à l’écart des courants et des modes, il ne se sentait proche en poésie que de son ami Paul Celan, mais aussi de Friedrich Hölderlin.

Et frappé douloureusement par le suicide de son ami Paul Celan en 1970, il tentera la folle utopie de vouloir fondre ensemble les deux démarches poétiques.
Une autre explication de son isolement littéraire est que sa poésie est fortement marquée par la théologie protestante, et la philosophie influencée par Heidegger, Schopenhauer, Nietzsche.

Le penchant de Meister pour les grandes abstractions et des concepts philosophiques, tire constamment son langage dans le domaine de la pensée. Ce qui la rend parfois difficilement traduisible.
Ses poèmes, surtout ceux fulgurants et compacts, sont plus proches des énigmes que du lyrisme, et il préfère la pensée à l’image, au risque d’être obscur. Sa poésie est très intellectuelle.
On a parlé de « poésie à la Kandinsky où toute réalité est dissoute en impressions élémentaires alogiques. »
Mais c’est méconnaître sa volonté, de vouloir dire, de façon non abstraite, par le poème, toute la profondeur de la vie. Sa foi dans le poème lui permet de se confronter au monde, à sa propre angoisse existentielle.
« Le poème trahit ce qu’il sait. Il te demande ce que tu sais. » (Ernst Meister.)

Il va jusqu’au dénuement des mots et des sons, « reprise et méprise » dit l’un de ses commentateurs.

« C’est quand noussommes dénudésjusqu’à l’argile qu’ilest questionjustementdu chantable ».

Corps à corps avec la parole, il n’est souvent que fractures, obsédé par la mort. Ses poèmes sont parfois des ellipses, des raccourcis cinglants, inquiétants, et l’épouvante semble se tenir tapie dans ses mots. Jamais l’extermination des juifs ne le laissera en repos, se ressentant profondément coupable, au nom du peuple allemand et aussi d’avoir brièvement fréquenté les SA, groupe paramilitaire Nazi, dans sa jeunesse.

Ses poèmes, souvent très courts, à la syntaxe compliquée, à l’absence voulue de musicalité, aux mots complexes, sans aller aux mots inventés comme Paul Celan, son ami, son proche, sont difficiles, mais essentiels.
Mais il est temps de le lire, lui qui s’est tenu toujours totalement à l’écart des modes et des courants littéraires.
Meister était, en fait, un étranger en son pays, et non par choix. Il n’a jamais été invité à rejoindre le Groupe 47, un collectif de plus de 200 écrivains qui ont représenté la création littéraire dans les années d’après-guerre. Mais seul il a continué à écrire, à creuser sa recherche du sens sous les cieux rudes de sa solitude.

L’homme a son chant à chanter,même si ballottépar le silence du mondeje ne veux rien jeterpar-dessus le zénith.

Ainsi comme il fut possible d’écrire après Auschwitz, il a été possible d’écrire après Paul Celan, son cadet de neuf ans. Écrire sur l’infortune, sur la solitude de vivre, la trahison des paroles.

Tu te voisComme un étrangerSouvent,Pour peu de tempsTu iras goutte à goutteVers la pourriture,Dans une apparence de repos.

Quelques signes d’un reclus

Allez, chassezhurlez aussilàje prends le reposd’un adieu,là, là, au dernier endroitoù je fus.

Ernst Meister est né à Haspe, quartier industriel de Hagen, en Westphalie, le 3 septembre 1911. Son père dirige une petite entreprise, où il finira par travailler pour survivre.

Après l’obtention du baccalauréat en 1930, il mène des études de théologie évangélique à Marbourg, suivant le désir de son père, mais il adopte vite un détachement critique envers la théologie et le christianisme. Ernst Meister avait déjà commencé à écrire de la poésie, de la prose, et des œuvres dramatiques.
Aussi il se lance dans l’étude de la littérature allemande, de la philosophie et l’histoire de l’art, études qu’il va suivre à Berlin en 1931.

Il y rencontre Klaus Mann qui le conseille et l’admire : « Je vous confirme que vous êtes un poète. » Il s’imprègne de philosophie et d’histoire de l’art en 1932.

Il va assister à des conférences de Karl Löwith et Hans- Georg Gadamer, deux anciens étudiants de Martin Heidegger, et qui ont tous deux eu un impact énorme sur son développement.
Plus tard, il a commencé à travailler sous la direction de Karl Löwith sur une thèse sur Nietzsche, un projet qu’il a finalement abandonné en raison de l’exil forcé de Löwith, chassé en tant que juif. Mais il avait déjà publié son premier livre en 1932, Ausstellung, (exposition), et qui lui valut d’être qualifié de "Kandinsky de la poésie". Il est d’ailleurs aussi peintre et attiré justement par Kandinsky.

Pour d’obscures raisons tactiques, lui déjà mal vu par le régime hitlérien pour son modernisme, il devient membre de la SA, section d’assaut hitlérienne, en 1934. Il en tombe malade et en sera chassé.

Il renonce à la poésie, et à l’écriture après 1933 (le gouvernement allemand le considérant comme « dégénéré »), et ne publie plus rien. Son silence a duré deux décennies complètes. Entre-temps il s’est marié avec Else Koch en 1932.
En 1939 il retourne vivre dans sa famille à Haspe où il devient employé dans l’entreprise de son père. Mais il continue à écrire, dans un isolement relatif.
Au cours de la Seconde Guerre mondiale, il va de maladies prolongées en maladies. Il a été appelé au service militaire à deux reprises. Il a d’abord servi dans une artillerie de chemin de fer dans Rügenwalde (dans l’actuelle Pologne), où il a été blessé et jugé inapte au combat. Lors de son deuxième enrôlement, il a été déployé à Stalingrad, mais sa division ne s’est jamais rendue là-bas. Après une autre période de maladie et un service militaire supplémentaire en France, Meister a fini en Italie, où il a été capturé par les Américains et détenu comme prisonnier de guerre. Il a pour compagnon de captivité un livre, Hyperion de Friedrich Hölderlin.
Après sa libération il retourne vivre à Hagen, et écrit, sans publier.

Huit ans après la guerre, en 1953, Meister publie seulement son deuxième recueil de poèmes Unterm schwarzen Schafspelz, (Sous la toison noire de l’agneau), après avoir publié quelques textes dans des revues. Puis en 1953 il se met aussi à peindre intensément, surtout des aquarelles et des gouaches.
De 1954 à 1957, il publie d’autres recueils de poèmes.
Il fait la rencontre de sa vie, celle avec Paul Celan en 1958. Il se lie aussi avec Heinrich Böll et surtout avec Ingeborg Bachmann en 1961.

Huit ans plus tard, il va se consacrer exclusivement à l’écriture, son seul moyen de subsistance, car s’il a travaillé longtemps comme employé dans l’entreprise paternelle de matériels de chemin de fer, son frère le licencie en 1960. Il doit alors vivre de sa plume.
Il séjourne souvent en France, à Séguret en Provence dès 1963. C’est là qu’il peint. Il va écrire de nombreuses pièces radiophoniques, Hörspiel en allemand, genre très en vogue alors.
Il commence à perdre la vue à partir de 1967, ce qui va accentuer sa nature dépressive. Il fait en 1972 un pèlerinage sur la tombe de Paul Valéry, qu’il admire.

Il aura en fait surtout vécu à Hagen, jusqu’à sa mort le 15 juin 1979.

Les publications et les prix s’enchaînent. Et en 1978 il rencontre E.M. Cioran à Paris, lors de la remise du prix Rainer Maria Rilke.
Sa reconnaissance en Allemagne advint à la fin des années 50 avec l’obtention des prix Hülshoff, Rilke (1978) et Büchner (à titre posthume, l’année de sa mort en 79).

signe après signe

Du cielil y a surtout(point de Dieux)mais il y acette Infortune :étoile du possible. Traduction Denis Thouard et Françoise Lartillot.

La droiture du poème

« Un poème est un événement qui doit agir par lui-même dans la droiture de son existence »

Il aura scruté le fond des êtres et des choses, s’interrogeant sur l’impuissance des paroles, mais sans jamais renoncer pour autant :
« Jamais je ne me suis trouvé en fuite devant la phrase ».

Meister a voulu tracer une route, un chemin de haute solitude, entre Hölderlin, celui de la folie, et Paul Celan, son frère en angoisses et interrogations. Il semble écrire un dialogue poétique exigeant pour répondre à ces deux maîtres.

L’un, Celan, se suicidant au moment de la célébration du bicentenaire de la naissance de Hölderlin, en 1970.
À l’un il va emprunter sa langue allemande compacte, explosée de l’intérieur pour la dégager de la gangue des bourreaux. Et à l’autre une langue hallucinée en attente du retour des dieux.
Il se méfiait et du silence et des mots :

Celui-ci ne tient pas de journal intime.Fond, issu de la mort, les morts.qui porte les colonnes d’eauet toujours la flotte battue des paroles…(Le fond des choses ne peut parler).
Le poète se devait d’endurer, de poursuivre. Lui qui ne fut que si tardivement reconnu en Allemagne, a voulu dire « la phrase du tout », le signe des signes.
Certes il n’aura pas eu la profondeur, l’invention poétique de Paul Celan qui se méfiait lui de la langue allemande, mais il partage avec lui les thèmes de la mort et du néant, de l’horreur aussi parfois.

« Ce qu’est la terre, je ne l’apprendrai pas, étant moi-même terre. »

Taraudé par l’existentialisme, la pensée d’Heidegger, il semblait torturé par la finitude du destin humain, et sa vanité.

La recherche du sens de l’existence est un thème récurrent de ses poèmes.

Il faisait partie de cette génération de fils sacrifiés d’après la guerre.

Être est terribleà côté du regardInquiet de la fleur. (Signe après signe)

Le poids de la théologie est prégnant chez lui, parfois accablant, alors qu’il s’est détaché de toute croyance, et il porte en lui comme une culpabilité dévorante de l’horreur des crimes nazis: « Cette gueule hurlant au triomphe de l’esprit sain.» (Meister).

Pour rendre compte de cela et faire face au tragique de l’histoire, il n’y a que la force du poème, le poids des mots :

Le motMain dans la main,Avec la douleur,Bascule-t-il,

Pour que soit un enversPar signe sûr ? (Proximité de l’origine)

Il définit ainsi sa poésie : « La création poétique est un néant accompli dans la déchirure du monde humain.»

Et il aura élaboré sa poésie aux portes du néant :

«La mort est l’extinction de l’existence à travers laquelle j’ai fini par comprendre le monde. Cela engendre même de la poésie »

Mot donc main dans la main avec le néant, la douleur, Ernst Meister a essayé de dialoguer avec la lumière, face à l’horreur de l’infini, et l’effroi devant l’éternité accablante.

Souvent les poèmes de Meister sont d’austères paysages métaphysiques, qui sont autant de prises de conscience d e la finitude de notre condition humaine. Et l’univers semble seulement constitué de notre seul regard, même si nous nous sentons épiés par l’inconnu.

« Ce qu’ont été les dieux sont les yeux maintenant, clair-vivants du regard. »( Dans la faille du temps.)

Ernst Meister aura été un «poète-philosophe» en quête de l’absolu, de «l’étoile du possible.», même aux confins du néant. Il aura porté un regard sur l’existence, une présence au monde, une épreuve du monde.

Cette œuvre difficile reste encore à découvrir.

« Rarement un poète a osé s’approcher si près de la mort, comme vous. C’est là votre victoire. » E.M. Cioran

Gil Pressnitzer

Source : L’Étoile du possible traduction de l’allemand par Denis Thouard et Françoise Lartillot, édition La différence.
Les Yeux les barque s présentation par Eryck de Rubercy, édition Silvaie.

Un site dédié à Ernst Meister : http://www.ernst-meister.de

Choix de textes

MELANCOLIE

Et toute parole est adieu,
lancé à travers la porte de la maison des morts,
où chante une tête d’ossements,
où des doigts d’ossements jouent
la vieille romance :

Livide - la face interne de la rouge enveloppe de la
pomme,
Plus livide encore l’enfant sur la marche de pierre,
quand tombe le soir et qu’il tremble,
ne sait pas où partit sa mère,
qui pleurait et répète sans cesse,
que son sang coule,
qu’elle s’évide... s’écoule... s’éva...

Vous les êtres, où êtes-vous, qui tenez les mots,
nous tenez ?
Vous les anges ? - les anges gisent en leur cercueil,
empoussiérés de la neige des soupirs.
Ils gisent dans cette autre salle de la maison,
où des doigts d’ossements jouent la

vieille romance :

Livide - la face interne de la rouge enveloppe de la pomme...
(Sous la toison noire (1953)

L’Étoile du possible traduction de l’allemand par Denis Thouard et Françoise Lartillo.

L’OBSCURITE

L’obscurité, on ne lui
demande pas :
comment ça va ?
Ça ne chante pas.
Ça n’a pas d’yeux.
Obscurité est un chien mort.

L’Étoile du possible traduction de l’allemand par Denis Thouard et Françoise Lartillot.

Sur soi tout repose

Je repose sur moi.

La ville s’en va se promener par les rues
Une montagne s’escalade elle-même.
Un avion se fige dans son élan
Et réfléchit sur lui-même.
Le fleuve parle : où dois-je couler ?
Dieu parle : Mère, je ne peux plus continuer.
Il fait si chaud.
La chaussée parle : je n’ai plus d’essence.
Un soir entoure tendrement le monde et dit : Bonsoir.
Des mères parlent en chœur :
Sur soi tout repose.
Elles rient.

Traduction personnelle

Avant que de s’endormir

Les rossignols
en attente de consolation: Vous reviendrez vous
les emplumés.

Ici dans la voie lactée
Où en secret toujours
Fredonnent les nourrices,

Où mais aussi moi, moi !
Pataugeant dans le lait ou
La neige ou le sommeil.

Horriblement résonne
La cloche du cerveau.

Les yeux les barques (1960)Traduction personnelle

Nous vivons
des éloignements.

La mort
vient à notre rencontre
d’aussi loin que la plus haute
étoile

Une nature affairée
met en nous la mesure.

Espace sans paroiTraduction personnelle

Un enfant dit

Un enfant dit : sombre je suis
Printemps est.
Le jardinier va vers la terre.
Le soleil va vers
La terre et la mer.
Des portes s’ouvrent avec fracas
Des cercueils battent.

Suis-je donc clair ?
Neige s’est noyée dans le feu,
Et là maintenant la primevère.
Une violette à la bouche
Un homme
En mer.
Un enfant dit :
sombre je suis.

Là ! Femme, ta peau
devient vieille sur ton cou.
Là ! Fille, comme tu es velours.
Un berger fait paître
Mes yeux- je ne le vois pas.
Un enfant dit : sombre je suis.

Point d’orgue, 1957.Traduction personnelle

Maintenant

Maintenant.
Maintenant, cela fait si longtemps.
Maintenant :
Septembre-
après-midi.

Odeur
Cendre chaude

Ainsi, comme si,
brûlé aujourd’hui,
j’étais moi-même cette cendre.

Suis-je là ?
Ne le suis-je pas ?
Assiette ronde
et lourde de pommes,
De poires,
Est la lumière.

Suis.
Suis avec les fleurs là.
Cils du soleil,
Noyaux centraux
Dans le cercle de leurs pupilles :
Yeux.
Mes yeux si proches.
Ne suis-je plus ?

Le jour de l’homme
dans la ténèbre de bronze :
Un éclair.

Maintenant :
Un jour de septembre,
Une après-midi,
MAINTENANT.
cela fait si longtemps.

Point d’orgue, 1957.Traduction personnelle

Étoile du voyage

Cette joue rouge et l’autre
blanche ; vers où
voulons nous partir, mes
pères, mes mères
hélant le chien, celui
qui il y a déjà trois mille ans
jaillit dans la poussière d’Egypte ?

Donne à boire à la terre, donne
de l’eau à remâcher,
étoile de la jalousie parée,
étoile contre lait et sang :
étoile du voyage.

Après encore bien des temps.
quand d’innombrables collines sur collines
se sont polies,
le jeune cri, celui
qui éclate de sous la colline du sein,
devra aussi apprendre,
ce qui plus tôt fut ressenti :

Les dieux sont morts,
et pourtant leurs ombres mêmes donnent
nourriture à l’envie.

La formule et le lieu, 1960.Traduction personnelle.

Toi dont je ne sais rien, prends
pour toi cette énigme ; la rose grise sans cesse
saute sur elle-même ; plus ne cherche
à trouver, à chercher (dans l’espace
tombe et tombe un fil à plomb) ; prends
la lune, laisse briller, ce qui point ne brille (« toi »
maintenant totalement éteint) ; ainsi
est accrochée une tâche au ciel (le soleil
le sait-il ? nulle déesse n’existe), pourtant
une bouche, qui se tait, enseigne
de loin un peu la mienne… Ce qui est le plus proche
s’éloigne; Le lointain souffre
dans la parole, et point ne souffre ; Détresse
est devant et souffre,
Mort
n’est pas lune
pour les morts.

La formule et le lieu, 1960Traduction personnelle

Parler et se taire

Me faisant face
est le silence
de la pierre : c’est pourquoi
j’écris
le bruit juste d’avant la nuit.

Et quelqu’un dit :
Répulsion
Est mon dire,
c’est pourquoi
je me tais,
ne parle à personne,
et aussi même pas à moi.

Laisse briller
La lune
Comme une
vieille figure

(qui sait
quand je partirai
d‘ici).

Traduction personnelle

Le tremblement,
ce que l’on se raconte à soi-même
grâce à l’apparence
de la feuille remuée par le vent.

Le soir vient
là où,
me traînant derrière l’homme,
çà et là
je vais.

Signe après signe (1968)Traduction personnelle

Semblable au granit :
Comme cela
la tête se ressent…
Douanier, laisse-moi passer,
que je prenne place
en ton pays de rien,
les globes de mes yeux dans les mains…
Alors elle viendrait, très jeune,
assommée de sommeil,
et elle mangerait
l’un d’eux.

Traduction personnelle

Ne pas
encore une fois
se réinventer.

Un instant
encore aller
entre l’air aveugle.

Être est terrible
à côté des regards insistants
de la fleur.

Signe après signe (1968)Traduction personnelle

Mon lit je le fais
Dans le temps,
Dans son vert,
Dans sa neige.

La neige
Me fait fondre : me colore
Le vert
De gris.

Signe après signe (1968)Traduction personnelle

Parler du dehors
Du temps qu’il fait
De la neige fragile,
de la clarté qui ne peut se diviser
de la très vieille lumière ?

Non. Surtout pas cela.

Je me le dis
du fond de ma tête,
depuis des viscères
horrifiés.

Pourtant je peux
encore t’attendre.

Vint la nouvelle(1970)Traduction personnelle

LE FOND EST SANS PAROLE

Lui- ne tient pas de journal,
Fond, tenant par le mort, les morts,
qui porte les colonnes d’eau,
et la flotte,
toujours frappée, des paroles...

Lui, enfoui sous l’ombre et la rouille,
sans gorge, sans-syllabe sous
le battement des rames, le sillage des quilles !

M’y enfoncé-je ? J’attraperais bien,
dans le noir, tel une mèche pourrie
l’habit de l’enfant phénicien, sonde
sans attache, écho errant, l’épave
d’une lyre...

Et si je plonge?
Je chercherais avec des lampes, je trouverais
un livre de bord, lequel cependant
de la tournure d’être-mort
ne parlera, mais seulement
du commencement du déclin :
NOUS SOMBRONS.
NOUS DEVENONS FOND.

La formule et le lieu, 1960
L’Étoile du possible traduction de l’allemand par Denis Thouard et Françoise Lartillot

Là où est la croix,
sur le sablier,
l’éclair prend racine.

Ici, dans le point
qui voit
où tu en es,

séjourne toute durée.

En lui
tu serais
toujours mis au monde,

et voudrais,
mais sans honte,
exister.

(Espace sans paroi, 1979 ; traduit de l’allemand par Jean-Claude Schneider)

Tu meurs dans
le hasard ou le loisible.
La terre, cette patrie,
cache pour
longtemps le muet,

le faiseur de paroles
que les sons comme une femme ont séduit
et les teintes d’une végétation
plantée dans le vide.

(Tu voulais cependant
avoir des yeux encore
et des oreilles à l’heure

où déclinent les astres)

(Espace sans paroi, 1979 ; traduit de l’allemand par Jean-Claude Schneider)

l e bossu

Il va.
Il a fait un mauvais rêve.
Il va bossu et respire à peine.
Il va.
Son front lui pend sur le ventre.
Il va.
Ses mains plongent de même.
Il va.
Son front est tombé sur son pied.
Il va.
Et devant lui roule sa tête.
Elle répète la litanie :
Je suis chez les vers.
Mon rêve était mauvais.
Il va bossu par le jour.

Exposition(1932)

L’Étoile du possible traduction de l’allemand par Denis Thouard et Françoise Lartillot

Ce qui est propre à la terre,
ce sont les fruits,
et dans les cavernes
c’est l’air.

J’ai mangé du miel,
"ivre de l’odeur
de mon propre

pourrissement".

(Espace sans paroi, 1979 ; traduit de l’allemand par Jean-Claude Schneider)

Tard dans le temps
tu diras

tu as été un homme.

Tu ne le dis pas,
ne peux pas le dire –
tu le dis maintenant.

(Espace sans paroi, 1979 ; traduit de l’allemand par Jean-Claude Schneider)

Une voix
crie.
Celle

de qui ?
Impassible
quelqu’un marche,

parce que toute chose
étrangère qui lui arrive
est en vérité.

(Espace sans paroi, 1979 ; traduit de l’allemand par Jean-Claude Schneider)

Être poussière,
ce n’est
vraiment pas une fonction.

O
solitudes à jamais,
désert de l’éternité.

Né,
me voici jeté
dans le savoir.

(Espace sans paroi, 1979 ; traduit de l’allemand par Jean-Claude Schneider)

Des orages
en marche au-dessus
du lac ont heurté
la fenêtre en grondant.
La foudre a lu
l’écriture de nos visages.

(Espace sans paroi, 1979 ; traduit de l’allemand par Jean-Claude Schneider)

Une fois encore

une volée d’oiseaux

passait près de nous,

dans les yeux

une autre lumière

(ne provenant des nids

ni du ciel

ni de la terre).

Au-delà de

l’au-delà.

Les becs rubis.

Au delà de l’au-delà

Traduction Louis Guillaume

Bibliographie

Bibliographie en français :

Les Yeux les Barques, André Silvaire, 1960
Au-delà de l’au-delà, André Silvaire, 1964
[ces deux titres ont été réunis sous la même couverture par les éditions du Rocher, en 2005, traductions de Flora Klee-Palyi, Louis Guillaume, Eckhart Koch]
Espace sans paroi, traduction Jean-Claude Schneider, Atelier La Feugraie, 1992.
Dans la faille du temps, précédé de L’Étrange année, traductions de Françoise Lartillot et Denis Thouard, éditions de La Différence, 1993
L’Étoile du possible, éditions de La Différence, 1998.
Ombres, traduit de l’allemand par Lambert Barthélémy et Hugo Hengl ; éditions fissile, 2008.

Bibliographie en allemand

Ausstellung, 1932
Unterm schwarzen Schafspelz, 1953
Dem Spiegelkabinett gegenüber, 1954
Der Südwind sagte zu mir, 1955
… und Ararat, 1956
Fermate, 1957
Pythiusa, 1958
Zahlen und Figuren, 1958
Lichtes Labyrinth, 1960
Die Formel und die Stätte, 1962
Flut und Stein, 1968
Es kam die Nachricht, 1970
Sage vom Ganzen den Satz, 1972
Im Zeitspalt, 1976
Wandloser Raum, 1979
Ausgewählte Gedichte 1932-1976, 1977-1979

Samtliche Gedichte, 1987