Federico Garcia Lorca

Les chemins sous la lune du poète

Présentation et poèmes du Llanto

Toutes les choses ont leur mystère, et la poésie, c’est le mystère de toutes les choses.
(Lorca)

Il tardera à naître, si toutefois il naît,
un Andalou si clair, si riche d’aventure
Je chante son élégance avec des mots qui pleurent
et j’évoque un vent triste parmi les oliviers
.
(Lorca)

Cet Andalou passionné ce fut Federico Garcia Lorca, il fut aussi le chien andalou courant après la lune et les hommes. Il fut la douceur même de ces figues filles du soleil, et la violence du feu de camp des gitans. De celui qui chantait avec la douceur du nard les chemins de lune, les frémissements du chant et de la danse à celui qui à New York, criera le chant des tours et du bitume, il y a une longue route.

Celle qui joint en lui cette douceur de jasmin à la fureur du cri andalou.

Il n’était pas poète, il était la poésie même.

Son chant mélodieux et sinueux semble retenir aussi bien les élans brûlés du flamenco que l’odeur des résédas. Ses mots restent en nous comme olives noires dans nos sacs intérieurs afin de traverser des déserts et des vies aux sources secrètes.

Que reste-t-il du bel Andalou? Des mots de source fraîche, des rires, des yeux noirs couvrant de désir les jeunes garçons et les matadors. De la musique, de la musique avant tout.

Lorca était musicien, peintre et cantaor des douleurs.

Et il vivait pour la musique. Du son du gramophone familial qui tournait sans cesse son moulin à musique, aux chansons et aux guitares, qui étaient dans l’air autant que le parfum des orangers.

Dans cette famille dont la langue maternelle était la musique, les zarzuelas et le flamenco inondaient l’air qu’il respirait.

Mon enfance a consisté à apprendre les Lettres et les chansons avec ma mère, à être un enfant savant dans le village, un autoritaire », se souviendra Federico.

Excellent pianiste et guitariste, il jouera plutôt des sons des mots.

Il avait le duende en lui : « Tous les arts sont capables de faire apparaître le duende (démon intérieur), mais là où il rencontre le plus d’espace, là où il est le plus naturel, c’est dans la danse et dans la poésie récitée, car elles demandent un corps vivant qui interprète, car elles sont des formes qui naissent et meurent de façon perpétuelle et soulèvent leurs contours sur un présent précis. »

Son osmose avec le monde gitan et le flamenco donneront chair à sa poésie. Les rythmes mêmes de ses poèmes, leurs accords, leurs dissonances rudes en sont issus.

« L’une des merveilles du "cante jondo", en dehors de l’essentielle mélodie, réside dans les poèmes. Nous les poètes (..) restons ébahis devant ces vers. Les plus infinies nuances de la Douleur et de la Peine, mises au service de l’expression la plus pure et exacte, battent dans les tercets et les quatrains de la "seguiriya" et ses dérivés. Il n’y a rien, absolument rien de comparable en Espagne, que ce soit au niveau du style, de l’atmosphère ou de la justesse de l’émotion (..) Quelle chose étrange, cette façon qu’a le poète anonyme d’extraire en trois ou quatre vers toute la rare complexité des plus grands moments sentimentaux de la vie d’un homme ! »

Le bruit des jets d’eau qui jasent, les « rascado » (accords brusques) sur la guitare, le pas d’un cheval noir seul près des oliviers et le vent triste.

Traces de Lorca

Triste aussi ce jour d’été, le 19 août 1936 (ou le 18 on ne sait). Lorca comme chaque été était retourné dans la ville de Grenade. Beau était le temps, joyeux ses compagnons. Et la garde civile franquiste arriva. Soupçonné de sympathies républicaines, et plus encore coupable de "ses mœurs dépravées" au regard du fascisme catholico-franquiste, il est arrêté à l’aube.

Federico Garcia Lorca est fusillé entre Viznar et Alfacar avec ses compagnons de captivité. Le franquisme aux tout premiers jours de la guerre civile n’a rien de plus urgent que de remplir de balles et de terre cette bouche d’or. Cette bouche qui juste venait clore la rédaction de « la maison de Bernarda Alba ».

Aujourd’hui encore malgré les fouilles on n’est pas sûr d’avoir retrouvé son corps. La fosse commune de la terre a accepté son corps, la fosse commune du temps l’a refusée.

La terre est le probable paradis perdu.

Et celui qui avait ouvert pour nous le plus grand livre des illuminations, le plus andalou des donneurs de magie, demeure brûlant et vif. « Le rossignol d’Andalousie » chante toutes les nuits.

Federico Garcia Lorca est né le 5 juin 1898 à Fuente Vaqueros, près de Grenade, en Andalousie. Il va depuis de naissance en naissance au travers de sa musique, ses mots, ses dessins.

Né avec une cuillère d’argent dans la bouche, il sera l’astre de Grenade, puis de Madrid où il rejoint le mouvement intellectuel qui, à partir des années trente, allait être appelé la « Génération du 98 ».

Ses amis, Manuel de Falla, Pablo Neruda, Dali, Bunuel, sont tous éblouis par ce magicien qui tirait des chapeaux de ses mots toutes les colombes du monde. Il aura peu attendu la gloire, et dès 1927 ses « Chansons » et sa pièce « Maria Pinada » font de lui l’enfant adulé des lettres espagnoles. La parution du « Romancero Gitan » en fait un dieu vivant. Il aurait pu se complaire dans le rôle de troubadour de l’Andalousie, mais un voyage en 1929 à New York change en profondeur son écriture et son rapport au réel.

Écrit en pleine urgence à New York même, « Le poète à New York », « Au roi de Harlem » et « Ode à Walt Whitman » sont d’un souffle différent et autrement ample que ses coplas. Là il est immense et prophétique, loin du délicat écheveau de Grenade.« Assassiné par le ciel,entre les formes qui vont vers les serpentset les formes qui cherchent le cristal,je laisserai pousser mes cheveux.»

Retourné en Espagne, il est nommé directeur du théâtre ambulant « La Baracca » qui va sillonner l’Espagne dans ses plus petits recoins

La poésie sur la poudre des chemins

La pierre est un dos fait pour porter le temps.

Lorca va marcher au travers des pierres et du temps, des figues et des chevaux. Le poète est connu, mais l’amoureux fou du théâtre un peu moins : Le théâtre c’est la poésie qui sort du livre pour descendre dans la rue.

Ce besoin de descendre des salons littéraires, des cénacles, Lorca le trouve sur la poudre des chemins, dans les rues.

On ne comprend rien à Lorca si on ignore son amour fusionnel avec la culture populaire, cette vénération qui lui vient de Manuel de Falla. Sa belle croisade pour la renaissance du flamenco aura été sainte.

« Il me semble que le flamenco est l’une des plus gigantesques créations du peuple espagnol. J’accompagne déjà des fandangos, des peteneras, et les cante des gitans : les tarantas, bulerias et romeras. Tous les après-midi, Le Lombardo (un gitan merveilleux) et Francisco de la Fuente (un autre gitan splendide) viennent me donner des leçons. Ils jouent et chantent d’une façon géniale, atteignant le plus profond du sentiment populaire. »

« Le théâtre est une école de larmes et de rire, une tribune libre où l’on peut défendre des morales anciennes ou équivoques et dégager, au moyen d’exemples vivants, les lois éternelles du cœur et des sentiments de l’homme.

Le théâtre est un des instruments les plus expressifs, les plus utiles à l’édification d’un pays, le baromètre qui enregistre sa grandeur ou son déclin ».

Par le théâtre, Lorca, dandy plutôt pas engagé dans les courants politiques, se ressource dans son idée du peuple.

On revient de sa jeunesse comme d’un pays étranger. Le poème, le livre est la relation du voyage.

Et porteur du don des mots, Lorca donne sa poésie à tous:

S’il est vrai que je suis poète par la grâce de Dieu - ou du diable -, je le suis aussi par la grâce de la technique et de l’effort.

Et Lorca polit, travaille mille fois un texte pour qu’il soit l’évidence même, la simplicité immédiate, allant dans toutes les consciences lettrées ou pas. « Je ne comprends pas grand-chose aux questions sociales ou politiques, mais je serai toujours du côté du peuple ».

Poète-musicien autant que musicien-poète il laisse mille traces sonores derrière lui. Il produisait en riant, comme l’oiseau chante, ses textes « comme en usine ».

Ce petit Andalou aux cheveux gominés, à l’air autant voyou que savant, aura laissé le fer rouge de ses mots sur nos siècles.

Il a parlé « à partir des chambres du sang », et le sang coule encore. Homme du chant intime et du tragique immense, Lorca restera « une fable des fontaines ».

On a osé toucher à Lorca en le tuant dans une fosse anonyme mais à ce crime Jean Cassou a répondu ceci :

« Toucher à Garcia Lorca, rompre cet hymne vivant, cette jeunesse et cet enivrement de rossignol, ce fut une offense atroce à tout ce qui, dans ce coin de terre, est nature, floraison et beauté. Ce fut injurier la vigne et l’olivier, l’œillet et le jasmin, frapper à mort la nuit, la lune, la mer, jeter le plus insolent défi à ces passions que le peuple porte en lui et qui lui paraissent à ce point sacrées qu’il ne peut les égaler qu’aux éléments éternels. Il ne peut plus y avoir de poésie au monde tant que ce cadavre de poète n’aura pas été vengé. »

Tous les jours l’offense est lavée en lisant Lorca.

Le dernier mot sera pour l’hommage d’Antonio Machado à Lorca :

On le vit marchant entre des fusils

Par une longue rue

Qui donnait sur la campagne froide

de l’aube, encore sous les étoiles.

Ils tuèrent Federico

Alors que pointait la lumière.

Le peloton de bourreaux

N’osa pas le regarder au visage.

Tous fermèrent les yeux ;

Ils prièrent...Dieu lui-même ne te sauverait pas...

-

Federico tomba mort

- du sang sur le front, du plomb dans les entrailles -

... C’est à Grenade que le crime eut lieu,

Vous savez - pauvre Grenade ! - dans sa Grenade !

[...]

On les vit s’éloigner...

Taillez, amis,

Dans la pierre et le rêve, à l’Alhambra,

Une tombe au poète,

Sur une fontaine, où l’eau pleure,

et, éternellement dise :

Le crime eut lieu à Grenade... dans sa Grenade !

(Traduit par G. Pillement)

Gil Pressnitzer

Choix de textes

POÈMES DU LLANTO POR IGNACIO SANCHEZ MEJIAS

Traduction de VICENTE PRADAL

LA BLESSURE ET LA MORT

À cinq heures de l’après-midi.

Il était cinq heures précises de l’après-midi

Un enfant apporta le drap blanc

à cinq heures de l’après-midi.

La chaux déjà prête dans un panier

cinq heures de l’après-midi.

Le reste n’était que mort et rien que mort

à cinq heures de l’après-midi.

Le vent a emporté les cotons

à cinq heures de l’après-midi.

Et l’oxyde a semé du verre et du nickel

à cinq heures de l’après-midi.

Voici que luttent la colombe et le léopard

à cinq heures de l’après-midi.

Et une cuisse avec une corne attristée

à cinq heures de l’après-midi.

Le glas a commencé à sonner

à cinq heures de l’après-midi.

Les cloches d’arsenic et la fumée

à cinq heures de l’après-midi.

Aux coins des rues des groupes de silence

à cinq heures de l’après-midi.

Et le taureau seul le cœur fier !

à cinq heures de l’après-midi.

Quand est arrivée la sueur de neige

à cinq heures de l’après-midi.

Quand l’arène s’est couverte d’iode

à cinq heures de l’après-midi.

La mort pondit ses œufs dans la blessure

à cinq heures de l’après-midi.

à cinq heures de l’après-midi.

à cinq heures précises de l’après-midi.

Le lit est un cercueil sur roues

à cinq heures de l’après-midi.

Flûtes et os sonnent à son oreille

à cinq heures de l’après-midi.

Déjà le taureau mugissait à son front

à cinq heures de l’après-midi.

La chambre s’irisait d’agonie

à cinq heures de l’après-midi.

Voici qu’au loin arrive la gangrène

à cinq heures de l’après-midi.

Trompe d’iris dans les vertes aines

à cinq heures de l’après-midi.

Les blessures brûlaient comme des soleils

à cinq heures de l’après - midi.

Et la foule brisait les fenêtres

à cinq heures de l’après-midi.

À cinq heures de l’après-midi.

Ah ! Ces terribles cinq heures de l’après-midi !

Il était cinq heures à toutes les horloges !

Il était cinq sombres heures de l’après-midi

LE SANG RÉPANDU

Non, le ne veux pas le voir !

Dis à la lune de venir,

Car je ne veux pas voir le sang

d’Ignacio sur le sable.

Non, je ne veux pas te voir !

La lune grande ouverte.

Cheval de nuages calmes,

et la grise arène du songe

avec des saules aux barrières.

Non, je ne veux pas le voir !

car mon souvenir s’embrase.

Allez prévenir les jasmins

à la blancheur si petite

Non, je ne veux pas le voir !

La vache du vieux monde

passait sa triste langue

sur un mufle de sangs

répandus sur le sable,

et les taureaux de Guisando,

quasi-mort et quasi-pierre

ont mugi comme deux siècles,

lassés de fouler la terre.

Non

Non, je ne veux pas le voir !

Par les gradins monte lgnacio

avec son fardeau de mort.

Il cherchait le lever du jour,

et point de lever du jour.

Il cherche son profil sûr

et le sommeil le désoriente.

Il cherchait son corps splendide

et trouva son sang ouvert

Ne m’obligez pas à le voir !

Je ne veux pas sentir le jet

perdant peu à peu sa force ;

ce jet même qui illumine

les gradins et se déverse

sur le velours et le cuir

d’une foule assoiffée.

Qui me crie de m’approcher ?

Ne m’oblige pas à le voir!

Il ne ferma pas les yeux

Quand il vit tout près les cornes,

mais les redoutables mères

relevèrent alors la tête.

Et au cœur des élevages,

passa un souffle de voix secrètes

qu’à de célestes taureaux criaient

des gardiens de brume pâle.

Il n’y eut de prince à Séville

qu’on puisse lui comparer,

ni d’épée comme son épée.

ni de cœur si véritable.

Comme un fleuve de lions

sa merveilleuse force

et comme un torse de marbre

sa sagesse ciselée

Un air de Rome andalouse

baignait son visage d’or

et son rire était un nard

de sel et d’intelligence

Quel grand torero dans l’arène !

Quel bon montagnard en montagne !

Si doux avec les épis !

Si dur avec l’éperon !

Si tendre avec la rosée !

Éblouissant à la feria

Terrible avec les ultimes

banderilles de ténèbres !

Mais voilà qu’il dort sans fin.

Voilà que les mousses et l’herbe

ouvrent de leurs doigts précis

la fleur de sa tête morte.

Et voilà que son sang vient et chante :

chante dans les marais et les prairies,

glisse sur des cornes transies de froid,

vacille sans âme dans la brume,

trébuche sur des milliers de sabots

comme une longue, obscure, triste langue,

pour former une mare d’agonie

près du Guadalquivir jonché d’étoiles.

Oh ! le blanc mur d’Espagne !

Oh le noir taureau de peine !

Oh le dur sang d’lgnacio !

Oh rossignol de ses veines !

Non

Non, je ne veux pas le voir !

Pour le recueillir, point de calice.

Point d’hirondelles pour le boire,

Point de givre de lumière qui le glace.

Point de chant ni déluge de lys,

Point de cristal pour le draper d’argent.

Non.

Moi, je ne veux pas le voir !

DÉPOUILLE MORTELLE

La pierre est un front où les songes gémissent

dépourvus d’une eau courbe et de cyprès glacés.

La pierre est une échine qui peut porter le temps

avec arbres de larmes et rubans et planètes.

J’ai vu de grises pluies accourir vers les vagues

en élevant leurs tendres bras déchiquetés

pour n’être pas la proie de la pierre couchée

qui détache leurs membres sans s’imprégner de sang

Parce que la pierre prend semences et nuées.

squelettes d’alouettes et loups de la pénombre,

mais ne donne ni sons, ni cristaux, ni chaleur,

rien qu’arènes et arènes, des arènes sans murs.

Sur la pierre est couché Ignacio le bien né.

C’est fini. Qu’y a-t-il ? Contemplez sa personne :

La mort l’a recouvert de pâles fleurs de soufre

et lui a fait une tête de sombre Minotaure.

C’est fini. La pluie pénètre par sa bouche.

L’air comme affolé fuit sa poitrine creuse,

et l’Amour, imprégné par des larmes de neige,

se réchauffe au sommet des terres d’élevage.

Que dit-on ? Un silence empuanti s’installe.

Nous sommes en présence d’un gisant qui s’estompe,

près d’une forme claire qui eut des rossignols

et devant nous se crible de cavités sans fond.

Qui froisse le suaire ? Ce qu’il dit n’est pas vrai !

Personne ici ne chante ni pleure aux alentours,

ni pique des éperons, ni effraie le serpent :

ici, je ne veux rien que des yeux ronds, ouverts

pour voir ce corps sans possible repos

Moi, je veux voir ici les hommes à la voix dure,

qui domptent les chevaux et dominent les fleuves,

ces hommes au squelette sonore et qui chantent

d’une voix rocailleuse et pleine de soleil.

Je veux les voir ici, devant la pierre.

Devant ce corps aux deux rênes brisées,

moi, je veux qu’ils me montrent où se trouve l’issue

pour ce capitaine attaché par la mort.

Et je veux qu’ils me montrent un pleur semblable au fleuve

dont les brumes sont douces et les berges profondes,

pour emporter le corps d’Ignacio et qu’il se perde

sans entendre le souffle redoublé des taureaux

.Qu’il se perde en la ronde arène de la lune

qui en naissant joue à la bête immobile et blessée;

qu’il se perde sans chant dans la nuit des poissons,

dans la broussaille blanche de la vapeur glacée.

Je refuse qu’on couvre de linges son visage

afin qu’il s’accoutume à cette mort qu’il porte.

Va-t’en Ignacio Ne regrette pas le chaud mugissement.

Dors, vole, repose la mer aussi se meurt !

ÂME ABSENTE

Le taureau ne le reconnaît pas, ni le figuier

ni les chevaux, ni les fourmis de la maison.

L’enfant ne le reconnaît pas ni le soir

parce que tu es mort pour toujours.

La crête de la pierre ne te reconnaît pas,

ni le satin noir dans lequel tu t’abîmes

Ne te reconnaît pas non plus ton souvenir muet

parce que tu es mort pour toujours.

****

L’automne reviendra avec ses conques,

raisin de brume et de monts réunis,

mais nul ne voudra voir tes yeux

parce que tu es mort pour toujours.

Parce que tu es mort pour toujours.

comme tous les morts de la terre.

comme tous les morts qu’on oublie

en un monceau de chiens éteints.

Nul ne te reconnaît. Non Mais je te chante

Je chante pour plus tard ton profil et ta grâce

L’insigne maturité de ton érudition,

ton appétit de mort et le goût de sa bouche.

La tristesse qu’avait ta vaillante allégresse.

Il tardera à naître, si toutefois il naît,

un Andalou si clair, si riche d’aventure

Je chante son élégance avec des mots qui pleurent

et j’évoque un vent triste parmi les oliviers

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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Comment résister à ajouter ces quelques chants :

chant du cavalier

Cordoue

lointaine et seule.

cheval noir, immense lune

olives dans mon sac

bien que je connaisse cette route

à Cordoue jamais n’arriverai.

À travers les plaines, à travers vent

cheval noir, lune rouge

la mort m’observe

du haut des hautes tours de Cordoue.

Ay ! quelle longue route.

Ay ! quel cheval courageux.

Ay ! Mort tu veux me prendre

sur la route de Cordoue.

Cordoue

lointaine et seule

(traduction personnelle)

Chant de la lune, lune

à Conchita García Lorca

la lune descendit à la forge

avec ses volants de nard.

Le garçon observe la vue

le garçon l’observe

dans l’air frémissant

la lune bouge ses bras

et montre lubrique et pure

ses seins de dur fer-blanc.

« Cours lune, lune, lune

si les gitans venaient

ils tordraient ton cœur

en chaînes et bagues de blancheur"

Garçon, laisse-moi danser

quand les gitans viendront,

ils te trouveront sur l’enclume,

vite endormi.»

« Cours lune, lune, lune

car maintenant j’entends leurs chevaux »

« garçon, laisse ma blancheur

sans tâche »

le cavalier s’approchait

battant son tambour.

Dans la forge était le garçon,

avec ses yeux fermés

au travers de l’oliveraie ils vinrent,

tout de bronze et de rêves, les gitans.

Leurs têtes haut-dressées

leurs yeux mi-clos.

Ay ! comme chante la chouette

comme la hulotte chante dans l’arbre !

au travers du ciel la lune prend

le garçon par la main.

Dedans la forge, les gitans

crient et hurlent.

Le vent garde, il garde

le vent monte la garde.

(traduction personnelle)

Mort de la peterena

(poème du cante jondo, Graphique de la Petenera)

Dans la blanche maison meurt

la malédiction des hommes.

Cent pouliches galopent

Leurs cavaliers sont morts.

Et sous la palpitante

constellation des lampes,

tremble sa jupe moirée

entre ses cuisses de bronze.

Cent pouliches galopent.

Leurs cavaliers sont morts.

De longues ombres découpées

viennent de l’horizon incertain

et le chant obstiné d’une guitare se casse.

Cent pouliches galopent.

Leurs cavaliers sont morts.

Dans la blanche maison

meurt

(traduction personnelle)

La femme adultère

Je la pris près de la rivière

Car je la croyais sans mari

Tandis qu’elle était adultère

Ce fut la Saint-Jacques la nuit

Par rendez-vous et compromis

Quand s’éteignirent les lumières

Et s’allumèrent les cri-cri

Au coin des dernières enceintes

Je touchai ses seins endormis

Sa poitrine pour moi s’ouvrit

Comme des branches de jacinthes

Et dans mes oreilles l’empois

De ses jupes amidonnées

Crissait comme soie arrachée

Par douze couteaux à la fois

Les cimes d’arbres sans lumière

Grandissaient au bord du chemin

Et tout un horizon de chiens

Aboyait loin de la rivière

Quand nous avons franchi les ronces

Les épines et les ajoncs

Sous elle son chignon s’enfonce

Et fait un trou dans le limon

Quand ma cravate fût ôtée

Elle retira son jupon

Puis quand j’ôtai mon ceinturon

Quatre corsages d’affilée

Ni le nard ni les escargots

N’eurent jamais la peau si fine

Ni sous la lune les cristaux

N’ont de lueur plus cristalline

Ses cuisses s’enfuyaient sous moi

Comme des truites effrayées

L’une moitié toute embrasée

L’autre moitié pleine de froid

Cette nuit me vit galoper

De ma plus belle chevauchée

Sur une pouliche nacrée

Sans bride et sans étriers

Je suis homme et ne peux redire

Les choses qu’elle me disait

Le clair entendement m’inspire

De me montrer fort circonspect

Sale de baisers et de sable

Du bord de l’eau je la sortis

Les iris balançaient leur sabre

Contre les brises de la nuit

Pour agir en pleine droiture

Comme fait un loyal gitan

Je lui fis don en la quittant

D’un beau grand panier à couture

Mais sans vouloir en être épris

Parce qu’elle était adultère

Et se prétendait sans mari

Quand nous allions vers la rivière

(traduction Jean Prévost - Editions Gallimard)

Bibliographie

Complaintes Gitanes, éditions Allia, 2003

Romancero gitan ( Points Poche) Traduction Alice Becker- Ho, 2008

Poésies, trois volumes, Poésie-Gallimard de 1965-1968

García Lorca : Œuvres complètes, tome 1 poésie, tome 2 théâtre, La Pléiade, 1981