Georg Trakl

Étranges sont les voies nocturnes de l’homme

Poète des lacs sombres, des décadences et des transgressions, Trakl est le poète contemporain le plus dérangeant. Étranges sont ses voies nocturnes, et il reste un étranger pour tous. Maléfique sa poésie, éclatante et perverse son écriture.

« Qui pouvait-il bien être ? » demandera Rilke juste après la mort de Trakl. « Je suis à moitié né, je suis complètement mort », disait lucide Trakl.

Trop de réponses vont tuer la réponse, on peut juste s’approcher un peu de ce poète en éludant sa complexité et son sens du religieux très personnel, Pain et vin, ceux de la religion mais aussi ceux qu’il apportait aux prostituées les soirs d’hiver passent dans son œuvre.

Mais plus encore la neigeuse nuit, est dans ses mots qui sont « une croix de sang dans l’éclat des astres ». Il se voyait comme un pauvre Kaspar Hauser, l’homme sans identité, l’étranger total.

Une poésie noire et glacée

Issue des débris pourrissants de l’Europe austro-hongroise, de la joyeuse apocalypse viennoise, du nihilisme féroce berlinois, une poésie noire et glacée a vu le jour : la poésie expressionniste de langue allemande. Pressentant les bruits terrifiants de la grande « guerre-boucherie » qui s’avance dans les tranchées des têtes, toute une génération de peintres, d’écrivains hurlera avant de disparaître, broyée devant la bêtise coagulée en haine répandue. Il aura retransmis le crépuscule métaphysique de l’Occident.

D’ailleurs « Occident » est l’un de ses plus beaux textes. Il est profondément l’homme du déclin et il n’aura de cesse de décliner.

Trakl est né à Salzbourg le 3 février 1887, il est mort le 3 novembre 1914 à 27 ans.

Il était pharmacien militaire, pour mieux se rapprocher de ses drogues. Sa vision de la boucherie de Grodek, entre le 6 et le 11 septembre 1914, le marqua au tréfonds. Il fera une tentative de suicide pour ne plus voir au fond de lui tous ses corps déchiquetés, ces dormeurs sombres au front fracassé.

Trakl est mort autant d’overdose de cocaïne une nuit de 3 novembre 1914 à l’hôpital psychiatrique de Cracovie que d’overdose du monde en sang. Il demeure, sans doute le plus grand de ces sacrifiés, comme Franz Marc, August Macke, qui surent jusqu’aux bouts des "champs d’horreur" parler de beauté. Nul n’aurait connu sa poésie et son théâtre sans le dévouement de son éditeur Ficker. Et depuis il est le soleil noir de la poésie allemande. En 1925 ses restes sont ramenés en Autriche près d’Innsbruck, pas si loin de vienne qu’il détestait. Une seconde vie commence dans la conscience littéraire européenne. Il devient la voix du malheur dans l’écrin du lyrisme proche de Novalis, avec des formes qui semblent rassurantes, - sonnets, quatrains -, mais qui pervertissent le genre.

Mélange incandescent de l’expressionnisme morbide, de la pureté d’un Hölderlin, de la fulgurance d’un Rimbaud, il reste une énigme pour nous. Sa poésie hallucinatoire et complexe le désigne comme l’un des grands poètes modernes de l’apocalypse. Pour lui les villes sont froides et mauvaises et sentent la proximité de la mort. Cette mort qu’il sent monter de la décomposition de l’Occident. Il se reconnaîtra dans l’expressionnisme allemand, ce cri poussé jusqu’à la mort.

Poète des hautes décadences, de la pourriture et de l’alcool, il a su être fulgurant, illuminé mais surtout, crépusculaire. Hanté par la mort et le désir d’innocence, lui le frère incestueux de Gretl sa sœur, son double, son amour,

« Toujours tinte la voix de lune de la sœur». Son avortement après son mariage avec un autre, le poussera près de la folie. Il sera le poète de la décomposition. Sa lecture fait autant peur qu’elle fascine. Les philosophes et les psychanalystes (Lacan, Lukacs, Derrida, Martin Heidegger surtout qui a beaucoup écrit sur la dissolution poétique dans son écriture,…), l’ont longuement étudié.

Beaucoup de compositeurs l’ont mis en musique (Boucourechliev, Webern,…). Témoin en première ligne de l’effondrement de l’empire austro-hongrois, à cheval sur la déchirure de son siècle, il étendra cette destruction à l’intérieur de lui-même. Il s’effondrera comme une étoile morte, sur lui-même. Drogué dès sa jeunesse, il aspirait au bleu du ciel, à la fleur bleue de Novalis. Cette quête du sacré passait pour lui dans la fascination de la décomposition, par son sacrifice. Dostoïevski et Rimbaud l’illuminent. Pauvre et désespéré il sera un errant.

C’est l’heure où les yeux du voyant s’emplissent de l’ordre des étoiles.

Il a, comme il le dit lui-même, écrit de superbes poèmes qui claquent des dents.

Ce mélange impur et décadent entre âme et corps, écartèle Trakl entre ce monde ici-bas, et le ciel inaccessible.

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Ô que ce monde est triste, que la tristesse est nulle, et que le nul est monde -, et d’ailleurs - juste une étincelle de joie pure, et l’on serait préservé - un peu d’amour, et l’on serait sauvé.

La poésie au front fracassé

Ses idéaux seront fracassés dans la boue et la mitraille. Le chaos et l’effusion lyrique sont mélangés.

Trakl a su crier puis disparaître. Sa mise en garde devant « l’errance au travers des déserts de terre ravagée » est toujours là.

Les poèmes de Trakl sont construits sur ses silences et l’autodestruction.

Seul celui qui méprise le bonheur aura la connaissance.

Trakl aura donc eu la connaissance, elle l’aura foudroyé.

Il aura baigné dans l’opium, la cocaïne et le chloroforme, dévoré les images et le silence, le brun silence. Il a un côté sacrificiel et expie à l’avance dans ses mots le malheur du monde, ses péchés. Il sera passé plein d’une tristesse indicible, naufragé lucide et voulant se noyer encore. Sur la voie du malheur, Trakl donne voix au malheur, mais dans son étrange pureté il sait que:

tandis que je poursuis lentement mon chemin, un amour infini m’accompagne.

Il veut à la fois vivre l’enfer et le malheur et pourtant entendre le chant des oiseaux. Il veut avoir patience obscure de la fin. Il est le miroir terni de son époque.

Je suis une ombre loin d’obscurs villages.

À la source du bois j’ai bu

Le silence de Dieu.

Sur mon front vient du métal froid.

Des araignées cherchent mon cœur.

Il y a une lumière qui s’éteint dans ma bouche.

De nuit je me trouvai sur une lande.

« Quelques clôtures entourant l’infinie - non-parole, l’enclos d’une espèce de vide ineffable, voilà à quoi ressemblent ces vers-là. »(Rilke).

Et jamais Rilke ne put entrer dans cet univers. Il ne pouvait respirer dans cet univers oppressant et morbide.

Hanté par l’innocence et le mal effrayant, écartelé entre sa passion pour sa sœur et sa destruction méthodique par la drogue, Trakl est pourtant autre chose qu’un poète maudit et sulfureux. Il est un somnambule dans sa vie, faisant de l’équilibre entre la mort et l’âme. L’épouvante est muette, tapie dans ses vers.

Ses poèmes sont expiation complète. Son univers transparent, lisse, clos, nous renvoie à une œuvre énigmatique, mais que l’on pressent immense.

D’ailleurs, aucun poète ne suscite de par le monde autant d’études actuellement, et d’innombrables colloques lui sont consacrer, car il aura été récupéré par tous les amateurs de flux de conscience.

Mais qui est donc Georg Trakl, que serait-il devenu ?

À ces questions de Rilke, fasciné et repoussé à la fois, laissons les textes de Trakl répondre, au moment où sa bibliographie s’étoffe. Lisons-le urgemment, non pour les réponses arrachées à la terre gonflée de cadavres, mais pour quelques étincelles, ce peu d’amour qui sourd encore de nous.

Gil Pressnitzer

Choix de textes

Ces poèmes écrits par Trakl sont difficiles à rendre en français, tant sa poésie est obscure et aspire à l’être. Ces traductions personnelles ne sont qu’une approche. « Étranges sont les sentiers nocturnes de l’homme » écrit Trakl, bien étranges sont ses mots-plaintes à dire dans une autre langue. Hermétisme et pureté emmêlés font de ses vers des minéraux obscurs.

Ce qu’il écrit sur Novalis sera son épitaphe gravé sur sa tombe, un matin d’automne blême :

En terre obscure repose l’étranger saint,

Il ôta de sa bouche tendre la plainte, le dieu,

Quand en pleine force il s’effondra.

Fleur bleue

Son chant survit dans la maison nocturne des douleurs.

Adaptation personnelle

Grodek (dernier poème)

Vers le soir, les forêts d’automne retentissent

des armes de la mort, les plaines dorées,

les lacs bleus et par-dessus le soleil

encore plus sombre roule ; la nuit enserre

des guerriers mourants, la lamentation sauvage

de leurs bouches en éclat.

Mais en silence s’amoncelle au fond du pâturage

nuée rouge, là vit un dieu coléreux,

le sang est vidé, froid de lune

Toutes les routes débouchent dans la pourriture noire

Sous les rameaux d’or de la nuit et des étoiles,

Vacille l’ombre de la sœur au travers du bois muet

Pour saluer les esprits des héros, les têtes en sang

Et doucement sonnent dans les roseaux les flûtes

obscures de l’automne

Ô deuil plus fier autel d’airain

La flamme chaude de l’esprit nourrit aujourd’hui

une douleur violente,

Les descendants qui ne verront pas le jour.

Adaptation personnelle

Plainte

Sommeil et Mort, les sinistres aigles

Des nuits qui cognent contre ma tête :

de l’homme l’image d’or

la vague glacée le noie

dans l’éternité. Sur d’horribles rochers

se brise le pourpre du corps

et la sombre voix se lamente

au-dessus de la mer

sœur au cœur envahi de tempêtes, vois sombrer la barque des peurs

sous les étoiles

le visage silencieux de la nuit ;

Adaptation personnelle

Occident 3

Vous, les grandes villes

de pierres dressées

sur la plaine !

Dans le silence s’en va

celui qui n’a point de patrie

Avec le front enténébré, avec le vent,

les arbres nus sur la colline

Vous les fleuves qui mourrez là-bas

Immense peur

de l’horrible crépuscule

dans les nuées de la tempête

vous les peuples mourants !

Vague blême

se brisant au bord de la nuit

étoiles tombantes

Adaptation personnelle

Révélation et naufrage (extraits)

Et il parla une voix sombre venant de moi

De mon cheval j’ai rompu le cou

au fond de la forêt la plus noire,

quand la folie jaillit de ses yeux pourpres

tombèrent sur moi les ombres des ormes,

le rire bleu de la source

et le froid noir de la nuit

quand je débusquais, chasseur sauvage,

un gibier de neige dans un enfer de pierre.

Mon visage mourut.

Mais comme je descendais la sente rocheuse,

la folie me terrassa et je criais,

haut dans la nuit,

et comme je me couchais

avec des doigts d’argent sur les eaux muettes,

je vis que mon visage m’avait abandonné.

Et la voix blanche me dit : Tue-toi !

Gémissante une voix d’enfant se leva en moi

et me regarda, rayonnante,

de ses yeux cristal, au point que je m’abattis

pleurant sous les arbres,

la voûte puissante des étoiles

Avec des semelles d’argent,

je descendis les degrés d’épine

et j’entrais dans la chambre blanchie

à la chaux

Calmement, un chandelier y brûlait

et je cachai ma tête

en silence dans les toiles pourpres.

Et la terre rejeta un cadavre d’enfant,

une forme lunaire

qui sortit lentement de mon ombre,

plongea bras cassés

des pierrailles, neige en flocons.

Adaptation personnelle

Lamentation

Plein sommeil et mort,

les aigles tristes bruissent autour de cette tête

toute la nuit durant

L’image dorée de l’homme

Que la vague glaçante de l’éternité l’engloutisse.

Sur de lugubres récifs s’écrase le corps pourpre

et se plaint la voix sombre sur la mer.

Sœur d’une mélancolie furieuse

Vois une barque lourde de peur coule sous les étoiles,

Sous la face close de silence de la nuit.

Adaptation personnelle

Rondeau

Il s’est enfui l’or du jour,

le brun du soir et aussi ses couleurs bleues :

Les douces flûtes du berger se sont éteintes

Il s’est enfui l’or du jour

Adaptation personnelle

Mélancolie

L’âme bleue s’est refermée muette

Dans la fenêtre ouverte tombe la forêt brune

Le silence des bêtes sombres ; dans la profondeur meule le moulin

sur le chemin,, les nuages dévalent,

Ces étrangers dorés. une cohorte de coursiers

jaillit rouge dans le village. Le jardin brun et froid

L’aster tremble de froid, sur la clôture peinte tendrement

l’or des tournesols est déjà presque enfui.

La voix des jeunes filles, la rosée a débordé

dans l’herbe dure et l’étoile blanche et froide.

Au milieu des ombres chères vois la mort peinte

chaque face pleine de larmes et fermée sur elle-même.

Adaptation personnelle

Délirium

La neige noire, celle qui s’écoule des toits ;

Un doigt rouge plonge dans ton front

Dans la chambre nue coulent au fond des névés bleus,

ils sont les miroirs défunts des amants.

En morceaux lourds éclate la tête et cherche le sens

des ombres dans le miroir des névés bleus.

Au sourire glacial d’une jeune fille morte.

Dans des parfums d’œillets pleure le vent du soir.

Adaptation personnelle

Crépuscule

Toute souffrance te saccage, te déchire

Et tremble du désaccord de toutes les mélodies

Toi harpe brisée - pauvre cœur

d’où fleurissent les fleurs malades de la mélancolie

Qui a convoqué ton ennemi, ton meurtrier

Qui a volé la dernière étincelle à ton âme,

comme il enlève le divin de cette terre mesquine

Et l’a fit putain, détestable, malade, en dissolution.

 
 
 
 

Tu es dans le milieu de la nuit profonde

Un rivage mort à la mer muette,

Un rivage mort:

Jamais plus

Tu es dans le milieu de la nuit profonde

Tu es dans le milieu de la nuit profonde

Le ciel dans lequel, astre, tu brûlas,

Un ciel où nul dieu jamais plus n’éclôt,

Tu es dans le milieu de la nuit profonde

Tu es dans le milieu de la nuit profonde

Un non-né dans un doux sein

Et qui jamais ne fut ni jamais ne sera,

Tu es dans le milieu de la nuit profonde

Silence

Au-dessus des forêts luit blafarde

la lune qui nous fait rêver

Le saule au bord de l’étang sombre

pleure sans bruit dans la nuit;

Un cœur s’éteint - et insensiblement

les brouillards débordent et montent -

Silence, silence!

Adaptation personnelle

 
 
 
 
 
 
 
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Au soir, ils portèrent l’Étranger dans la chambre des morts ;

une odeur de goudron, le doux soupir des platanes roux ;

le vol noir des choucas ; sur la place on a relevé la garde,

le soleil aura sombré derrière une toile noire ; toujours reviendra cette soirée enfuie.

Dans la chambre voisine, la sœur joue une sonate de Schubert,

très doucement son rire coule sur la fontaine délabrée.

Adaptation personnelle

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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Métamorphose du mal

Automne : marche noire à la lisière de la forêt ; minute de destruction muette ; le front du lépreux aux aguets sous l’arbre nu. Soir passé depuis longtemps, qui sombre maintenant sur les couches de mousse ; novembre. Une cloche sonne et le berger mène au village un troupeau de chevaux noirs et rouges. Sous le taillis de noisetiers, le chasseur vert vide un gibier. Ses mains fument de sang et l’ombre du gibier gémit dans la frondaison au-dessus des yeux de l’homme, brune et taciturne ; la forêt. Des corneilles qui se dispersent ; trois. Leur vol ressemble à une sonate, pleine d’accords pâlis et de mélancolie virile ; un nuage doré fond en silence. A côté du moulin, des garçons allument un feu. Le frère du plus blême est flamme et il rit enfoui dans sa chevelure rousse ; ou bien c’est le lieu du crime, à côté duquel passe un chemin pierreux. Les épine-vinettes ont disparu, à longueur d’année ça rêve dans l’air de plomb sous les pins sylvestre ; peur, obscurité verte, le gargouillement d’un homme en train de se noyer : de l’étang aux étoiles, un pêcheur tire un grand poisson noir, le visage plein de brutalité et de folie. Les voix du roseau, d’hommes se querellant dans son dos, il se balance sur une barque rouge à travers les eaux glacées de l’automne, vivant dans les sombres légendes de sa race, et les yeux en pierre ouverts sur des nuits et des terreurs virginales. Le mal.

Qu’est-ce qui te force à te tenir en silence sur les marches effondrées, dans la maison de tes pères ? Noirceur de plomb. Que portes-tu à tes yeux, avec ta main d’argent ; et tes paupières sombrent comme saoules de pavot ? Mais à travers les murs de pierre tu vois le ciel étoilé, la Voie lactée, Saturne ; rouge. L’arbre nu frappe avec rage le mur de pierre. Toi sur des marches effondrées : arbre, étoile, pierre ! Toi, une bête bleue qui tremble en silence ; toi, le prêtre blême qui l’égorge sur l’autel noir. O ton sourire dans le noir, triste et méchant, au point qu’un enfant blêmit dans son sommeil. Une flamme rouge a bondi de ta main et un papillon de nuit s’y est brûlé. O la flûte de la lumière ; ô la flûte de la mort. Qu’est-ce qui te force à te tenir en silence sur les marches effondrées, dans la maison de tes pères ? En bas un ange frappe à la porte d’un doigt cristallin.

Ô l’enfer du sommeil ; ruelle sombre, jardinet brun. Dans le soir bleu sonne doucement la figure du mort. De petites fleurs vertes voltigent autour d’elle et son visage l’a abandonnée. Ou bien il se penche, devenu blême, sur le front froid du meurtrier dans l’ombre du couloir ; adoration, flamme pourpre de la volupté ; mourant, le dormeur est tombé dans l’obscurité par-dessus des marches noires. Quelqu’un t’a quitté à la croisée des chemins et tu regardes longtemps en arrière. Pas argenté dans l’ombre des petits pommiers estropiés. Le fruit luit pourpre dans les branches noires, et dans l’herbe le serpent change de peau. Ô l’obscurité ; la sueur qui apparaît sur le front glacé et les tristes rêves dans le vin, à l’auberge du village sous des poutres noircies par la fumée. Toi, contrée encore déserte, qui transforme la fumée brune du tabac en îles roses et qui tire du dedans le cri sauvage d’un griffon alors qu’il chasse autour de noirs écueils en pleine mer, au milieu de la tempête et de la glace. Toi, un métal vert et dedans un visage enflammé, qui veut partir et chanter les temps obscurs de la colline aux ossements et la chute en feu de l’ange. Ô désespoir, qui tombe à genoux dans un cri muet.

Un mort te rend visite. Du cœur s’écoule le sang qu’il a lui-même répandu et dans le sourcil noir niche un instant indicible ; sombre rencontre. Toi – une lune pourpre, alors que lui apparaît dans l’ombre verte de l’olivier. Vient après lui une nuit éternelle.

(traduit par Laurent Margantin)

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Psaume

Il est une lumière que le vent a éteinte.
Il est une cruche de bruyère, qu’une après-midi un homme ivre délaisse
Il est une vigne, calcinée et noire des trous pleins d’araignées.
Il est un lieu, qu’ils ont badigeonné de lait

Le fou est mort. Il est une île des mers du Sud,
pour capturer le dieu Soleil. On bat les tambours.

Les hommes représentent des danses guerrières.

Les femmes balancent leurs hanches dans des lianes tordues et des fleurs de feu,

quand chante la mer. O notre paradis perdu.

Les nymphes ont quitté les forêts d’ors.

On enterre l’étranger. Alors se lève une pluie d’étincelles.

Le fils de Pan apparaît sous la silhouette d’un terrassier,

qui dort à midi sur l’asphalte brûlant.

Il est des petites filles dans une cour avec des petites robes pleines d’une déchirante pauvreté !

Il est des chambres, emplies d’accords et de sonates.

Il est des ombres qui se prennent dans les bras devant un miroir aveugle.

À la fenêtre de l’hôpital se réchauffent des convalescents.

Un vapeur blanc sur le canal apporte des épidémies sanglantes.

La sœur étrangère apparaît à nouveau dans les mauvais rêves de quelqu’un.

Reposant dans le bosquet de noisetiers elle joue avec ses ombres.

L’étudiant, peut-être un double, la regarde longtemps de la fenêtre.

Derrière lui se tient son frère mort, ou bien il dévale le vieil escalier en colimaçon.

Dans le sombre des bruns châtaigniers s’estompe la forme du jeune novice.

Le jardin est dans le soir. Dans le cloître, volettent les chauves-souris tout autour.

Les enfants du concierge cessent leurs jeux et cherchent l’or du ciel.

Derniers accords d’un quatuor. La petite aveugle court tremblante par les allées.

Et plus tard son ombre tâte les murs froids, cernés de contes et de légendes

sacrées.

Il est un bateau vide, qui le soir descend le canal noir.

Dans les ténèbres du vieil asile déclinent des ruines humaines.

Les orphelins morts sont couchés contre le mur du jardin.

Des chambres grises sortent des anges aux ailes tachées d’excréments.

Des vers gouttent de leurs paupières jaunies.

La place devant l’église est sombre et silencieuse, comme aux jours de l’enfance.

Sur des semelles d’argent glissent des vies antérieures

Et les ombres des damnés descendent vers les eaux qui soupirent.

Dans sa tombe le magicien blanc joue avec ses serpents.

Silencieusement dessus l’ossuaire s’ouvrent les yeux d’or de Dieu.

Adaptation personnelle

Bibliographie

Poèmes 1 et 2, en bilingue chez Garnier Flammarion, traduction et présentation Jacques Legrand, 2001

Crépuscule et déclin (Poésie-Gallimard) traduction Marc Petit, 1990