György FALUDY

L‘ironie comme viatique de survie

György Faludy, (1910 – 2006), est un poète juif hongrois qui aura eu le triste privilège de connaître à la fois les camps de concentration nazi et communiste. Il fut un des dissidents hongrois les plus célèbres et trouva refuge au Canada. Souvent nominé pour le prix Nobel de littérature, il aura traversé longuement son temps, provocateur et déchiré, exilé lui l’homme aux cinq passeports mais infiniment présent pour traquer et dénoncer l’horreur des temps présents.
Dans Mes jours heureux en enfer il décrit cette plongée dans la violence totalitaire et avec une ironie grinçante proche de Kafka, si proche de lui. Ironie exercée également contre lui-même car il baignait dans l’amertume. Avec un apparent détachement, une objectivité détachée il sut démonté les monstrueux rouages des goulags hongrois.
Il vécu, survécu plutôt, sous les ombres grimaçantes d’Hitler et de Staline. Il fut non seulement un immense poète, mais aussi l’image de l’insurrection. Contre les nazis, contre les communistes dès 1948 et plus encore pendant le soulèvement de 1956 à Budapest où il prit les armes contre l’occupation soviètique.
Apatride perpétuel il était l’intranquillité incarnée :
« Au Canada, il se sentait comme un Hongrois, en Hongrie, il se sentait comme un Juif, tandis que dans une synagogue, il se sentait comme un athée. » a écrit un de ses commentateurs.
Son royaume était la poésie comme une arme et son ironie son arme à tuer les fascistes et les communistes.
À sa mort, Faludy était le poète vivant le plus populaire dans le pays, une figure légendaire, vénéré et en tout cas intimidant tout le monde.
Ses poèmes d’amour, ses poèmes érotiques, ses poèmes sur les camps, et ses adaptations de ballades de Villon sont toujours lus et relus en Hongrie. Et lui sorte de Villon hongrois, moitié voyou, moitié prophète, demeure encore une conscience toujours présente.

Un bras d’honneur à la mort

« Si nous étions vraiment sains d’esprit, vraiment des créatures unis, nous n’aurions jamais toléré le bruit que nous faisons dans le monde »

Pourtant György Faludy fit grand bruit en ce monde, par ses écrits corrosifs ou pathétiques, par ses scandales et par ses mœurs.
Celui qui a pu dire : « Ma tante s’est coupé la gorge avec un rasoir. Le reste est mort pendant la guerre dans les chambres à gaz. Ma sœur flotte parmi les glaces du Danube » ne s’est jamais départi de la folle envie de vivre et de rire de la mort. Capable de se mettre en couple pendant 36 ans avec un danseur étoile du ballet de New-York, et aussi d’épouser à 91 ans une poètesse délurée de 27 ans, Fanny Kovacs, car il se moque éperdument de la morale et des bonnes gens.

Peut-il d’ailleurs avoir une morale et des bonnes gens après Auschwitz ?
Il se dit avant tout non masochiste pour expliquer son refus du totalitarisme.
Il a raconté souvent un rêve récurrent : Il retourne en Hongrie pour revoir la maison de son père. Mais le gouvernement hongrois est encore nazi ou communiste, et il est arrêté violemment. Il parvient à s’enfuir et saute à partir d’un balcon. Depuis le quinzième étage jusqu’à une rivière. Mais ils le rattrapent et le torturent. Ils le questionnent sans cesse pour qu’il cède. Un immense revolver est pointé sur sa tempe… Puis Il se réveille et se retrouve au bord de l’Adriatique ou de la Méditerranée ou de la rivière Hudson ou du Lac Ontario ou de l’océan Pacifique et il dit alors : « Je ressens alors une joie immense d’être encore vraiment un patriote hongrois et ce jusqu’à ma mort. Mais n’étant pas masochiste je suis content d’en être sorti ».
Depuis, György Faludy est rentré en Hongrie et la Hongrie est rentrée à nouveau dans un régime autoritaire de droite. Nous pouvons imaginer que le vieux et grimaçant Faludy aurait là encore fait un immense doigt d’honneur à ce gouvernement, lui qui le fit toute sa vie à la mort.

Pour lui souffrir n’est pas une vertu, et avoir survécu n’est qu’un hasard et une chance. Sa vie peut se lire comme l’intertexte de la condition des juifs en Hongrie. Imre Kertesz en témoignera aussi.
György Faludy parle de son « séjour » au camp de concentration communiste de Recsk comme d’une période d’enrichissement intellectuel, le lieu d’où il s’est construit une anthologie rêvée de livres sans avoir aucun livre. Là où sa nature de poète s’est épanouie contre l’abjection, et là dans sa cellule disciplinaire où la froide lumière du soleil d’hiver dansait pour lui contre le mur de la prison. Dans ce camp, comme Mandelstam, il passe son temps a enseigner les autres prisonniers. Leur martelant toujours ces mots :

« « Je vais vivre, je vais pouvoir survivre, et c’est tout ce qui compte ».
György Faludy, l’espoir chevillé au corps, a voulu vivre et témoigner sur eux, les bourreaux du mal quotidien, qu’ils soient nazi ou communiste.
Ainsi le poème Pour la postérité il l’écrira avec son sang sur du papier toilette, avec une paille tirée d’un balai, pour que plus tard l’on sache la réalité des camps, du goulag hongrois, trente ans avant Soljenitsyne.
Comme il le dit, il a eu la chance de pouvoir mourir très souvent, il n’a pas su la saisir, et se retrouve tout étonné d’avoir survécu.

Il n’écrira pas sur son sort, mais sur les barbares, sur la cruauté du monde, mais aussi sa grandeur, sur la pollution, sur le monde qui va à l’abîme, sur la liberté absolue de la poésie et sa nécessité pour les opprimés, sur la mollesse de l’Occident. Il sait que « même notre propre discours est rarement plus qu’un bruit dérangeant la paix générale des choses.»
Mais il prendra la parole pour tous ceux qui furent broyés, oubliés, déshumanisés. Et lutin espiègle et clown tragique il aura fait un grand bras d’honneur à la mort, et à tous ses serviteurs.

Les jours heureux de György Faludy dans l’enfer de la vie

Mes geôliers m’avaient sauvé d’une vie dans laquelle j’aurais dû renoncer à écrire, à mes amis, à toutes les relations humaines, à mes habitudes, y compris celle de penser, le tout afin de faire place à la peur, l’insécurité, l’impuissance et l’humiliation. Quand ils ont fermé la porte de la cellule derrière moi, j’ai soudain retrouvé ma liberté : le droit et la possibilité illimitée de penser. (Mes jours heureux en enfer.)

Lui le sans domicile fixe, sauf pendant la période heureuse de l’exil au Canada, il n’a vraiment habité que les librairies, les bonnes, celles qui avaient deux portes donnant sur deux rues différentes, pour s’enfuir le cas échéant. Mais lui le perpétuel traqué a vécu pleinement, et n’a jamais n’abdiqué sa grandeur d’homme, même face aux tortures et aux bourreaux.
Il était né le 22 septembre 1910 à Budapest, il mourra le 1er septembre 2006 dans la même ville aimée et detestée à la fois, bouclant ainsi la boucle.
Sa famille juive était aisée avec un père scientifique, professeur à l’Université, qui aurait tant aimé que son fils suive la même voie que lui comme ingénieur chimiste. Car tous les ingénieurs chimistes ont une très bonne situation, alors que la Hongrie compte vingt mille poètes, tous misérables.
György Faludy fait semblant de suivre des cours à Vienne, mais son père s’aperçoit qu’il n’a jamais mis les pieds à l’Université de Chimie.
Alors György Faludy sera ouvertement poète, et comme il vivait dans un pays opprimé, il voudra être avant tout un honnête homme plus qu’un bon poète, chi-ose plus importante en ces temps tragiques. Il le sera merveilleusement. Ses poèmes étant publiés très tôt, il devient célèbre très jeune.

Sa traduction, ou plutôt ses adaptations plus que personnelles, qu’il édite à compte d ‘auteur, des ballades de François Villon, en 1934, est un grand succès. Il fait ses études à Budapest, Vienna, Berlin, Paris, Graz. Puis accomplit son service militaire de 1933 à 1934.
A l’occupation allemande, après les accords de Munich, il est arrêté par le régime nazi en 1938. L’officier chargé de son incarcération lui montre son mandat d’arrêt et lui dit qu’il le sortira d’un tiroir dès qu’il aura reçu une carte postale de György Faludy provenant de Paris. Et sa fuite pour Paris est organisée. Ce qui a fait dire à György Faludy cette phrase terrible :

« La différence entre le nazisme et le communisme soviétique est que les nazis en sauvent au moins un, et les communistes aucun, par lâcheté. ». Quand la France s’effondre en 1940, il s’enfuit pendant un an au le Maroc. Il obtient un visa pour les États-Unis en 1941. Là il sera éditeur pour une revue hongroise d’exil « Free Hungary ». Il va s’engager et se battre dans les rangs de l’armée américaine. « Le seul poète hongrois a l’avoir fait », comme il s’en targue.
Il sait aussi que : « pendant la Seconde Guerre mondiale dans les camps de concentration mes poèmes contre les Allemands étaient très populaires. Beaucoup de gens, des milliers, les savaient par cœur. Il a été un grand réconfort pour eux dans une mauvaise situation. »
En 1946, plein d’espoir, il revint en Hongrie. Toute sa famille avait été anéantie par les nazis.
II fait partie du comité de rédaction du journal « La voix du peuple », journal des sociaux-démocrates. Il va détruire au passage la statue d’un évêque antisémite hongrois Ottokar Prohászka. Les menaces planent sur lui, mais il refuse de s’exiler, il veut décrire par le menu, avec férocité, ces barbares au pouvoir.
Le régime communiste ne va pas longtemps le tolérer, et après des années de persécution et de censure, il est enfermé en 1950 dans le camp de travail forcé de Recsk, mais aussi camp d’anéantissement des prisonniers politiques. C’est cet enfer qu’il décrit dans Mes jours heureux en enfer Ce livre de 1962 attendra longtemps avant d’être publié en Hongrie, en 1987 en samizdat et finalement, en 1989 en édition officielle. Pendant sa détention il va enseigner la littérature, l’histoire et la philosophie aux autres prisonniers. Il est libéré avec 1300 survivants en 1953.
Profitant des événements de 1956, et du soulèvement du peuple hongrois contre la dictature communiste, il parvient à s’enfuir en passant par l’Autriche et par Paris. Son exil durera jusqu’en 1989, année de son retour dans son pays natal. Après des séjours au Royaume-Uni à Londres, il devient sujet britannique. Il édite le journal « La gazette littéraire hongroise », fer de lance de l’insurrection anticommuniste.
Il migre au Canada, en Italie et à Malte, puis il va connaître pendant vingt ans la plus belle époque de sa vie au Canada en 1967, à Toronto. C’est à Malte qu’un amoureux fou, Éric Johnson le rencontre enfin, éperdu d’admiration, après l’avoir pourchassé. Il était danseur au ballet de New-York, et avait tout quitté, apprenant le hongrois pour s’approcher de son idole, György Faludy, qui après le décès de sa seconde épouse, Zsuzsa Szeg?, y vivait. Celui-ci à 56 ans se laisse convaincre par la beauté de ce jeune homme et ils formeront un couple homosexuel solide, pendant 36 ans. Pour lui, Faludy va écrire de très beaux sonnets dès 1979:
Le destin a décrété que je sois le double de votre âge
A côté de votre corps, je deviendrais faible
L’os tombe de mon bras
.Éric Johnson sera aussi un grand poète en langue latine, publié par l’Observatore Romano !
Entre les oiseaux peuplant librement sa petite maison, et la beauté des paysages du Canada (le récit de la Forêt sous la pluie les restitue), il vit paisiblement. En 1976, il a reçu la citoyenneté canadienne et deux ans plus tard, il est élu docteur honoris causa de l’Université de Toronto où il enseignera régulièrement.
Rentré triomphalement en Hongrie, où il est resté une légende vivante, en 1988 après le changement de régime, il ne s’assagit pas pour autant. Il reste le provocateur lucide de son pays, du monde. Son amant Johnson, lui, est à peine toléré, sous l’alibi de « secrétaire ». Le gouvernement postcommuniste octroie une vaste demeure au poète.
Il reçoit la plus haute distinction littéraire hongroise, le prix Kossuth en 1994, alors que toutes ses œuvres étaient confisquées, interdites dans son pays pendant tout ce temps : « Entre 1947 et 1988 mes livres ont été interdits en Hongrie, Mes recueils de poésie et de prose n’avaient paru qu’en anglais, en 1980, à New York, ».
Des anthologies de ses poèmes paraissent enfin en hongrois, en 1990. En 2000 il publie « Après mes heures heureuses en enfer ».
Après le scandale de son mariage sulfureux le 24 juillet 2002 avec Fanny Kovacs, jeune poétesse ambitieuse de 27 ans, lui a 91 ans, il continue à déranger jusqu’à sa mort à 96 ans. Car si on lui pardonnait sa liiaison homosexeuelle, celle avec une jeune fille ne passait pas. La photo d’eux posant nus sur Penthouse fut ressenti comme un ultime outrage de ce vieux fou.
Ultime provocation, alors que dans ce numéro de très beaux poèmes d’amour de Faludy ne furent même pas lus.
Ainsi en allait-il de cet étonnant bonhomme dont la grandeur et la beauté des mots furent souvent cachées par ses scandales.À Toronto un parc porte son nom. Son fidèle amant Éric Johnson mourra dans la misère en Inde en 2004.

Une œuvre d’alarme et d’éveil

György Faludy est un grand poète juif hongrois, mais aussi un penseur important. Il est aussi un grand traducteur, notamment de François Villon.Il a une vision lucide et désespéré du monde, gangrené par les temps barbares, il sait que l’humanité est menacée de disparition pour la première fois dans son histoire. Mais il veut croire en sa rédemption, à son pouvoir de se sauver

Pour cela il écrit des poèmes comme autant de témoignages non pas sur lui, mais sur ce qui unit les êtres humains. Il veut restituer le sens de l’histoire. Il est un poète de morale et d’éthique qui doutait que la littérature survive au 21é siècle.Mais dans la recherche du bonheur et du plaisir esthétique il ne connaissait ni de barrière d’âge, ni de sexe, ni de circonstances.Nous sommes à la veille d’un nouveau Moyen Âge, qui sera très sombre.

Il s’inquiète d’une époque technologiquement très développée, mais privée des plus belles dimensions de l’existence humaine.

Pourtant il affirme la victoire de l’esprit et de l’âme sur le temps et la matière. Sorte de sentinelles dans la nuit, il bat sur le tambour de ses mots le réveil de l’humanité face aux oppresseurs, hélas jamais disparus.

« J’essaie non pas d’écrire des poèmes, mais des vérités définitives.»

Sources :- Interview de György Faludy en 1985 à Alan Twigg, parue sur ABC Bookworl

- études de Rory Winston

Gil Pressnitzer

Choix de textes

Pourquoi restez-vous assis dans votre chambre ?
Écrivez-vous ? Méditez-vous ?
étudiez – vous ou seulement vous vous reposez ? Qui sait ?
Car je ne vous ai jamais
espionné. Mais parfois, tard dans la nuit, tu m’appelles
et nous sortons marcher parce que le ciel est plein d’étoiles.

(Le Sonnet Quinzième extrait)

Tu m’as abandonné il y a déjà trente ans

Tu m’as abandonné il y a déjà trente ans. Je t’aime encore.
Te souviens-tu comme j’embrassais en pure perte tes lèvres sans vie ?
Nous espérions alors avoir huit enfants, mais un seul est advenu.
La vie d’exil est affligée de misère et de douleur.

Notre amour était comme roc, non pas comme des plates-bandes étiolées
Pendant cinquante ans il s’est tenu fier et debout
bien que faire l’amour fut macération, tu disais, cruellement.
Cela te répugnait, aussi je ne t’inquiétais point du tout.

Mais une fois, juste avant que tu meures, dans la pénombre de la nuit,
Tu serras mon corps entre tes bras, m’embrassa si fort
que cela me fut pénible. Mais maintenant tu coules rapidement, malade, cancéreuse.

« Cela ne peut pas être vrai. C’est l’extase, c’est le paradis ! », disais –tu dans un râle
et tu tombas ensuite de sommeil. J’étais agenouillé sur le lit, horrifié.
Pour la première fois de notre vie. Je pleurais. Pour la première fois et la dernière.

Adaptation personnelle

Retiens parmi mes poèmes celui-ci

Retiens parmi mes poèmes celui-ci
qui sait combien de temps il sera avec toi encore ?
S’il t’appartient, on te l’empruntera,
la bibliothèque publique le prendra,
ou bien: son papier est d’une très basse qualité,
qui jaunit, se casse, ne cesse de se déchirer,
il se dessèche, s’effiloche, peut même gonfler
ou bien tout seul, il se met à flamber,
à deux cent quarante degrés il brûle déjà -,
et que crois-tu c’est à quelle température
qu’une grande ville tout entière se consume ?
Retiens parmi mes poèmes celui-ci

Retiens parmi mes poèmes celui-ci
parce que bientôt les livres auront disparus,
il n’y aura plus de poètes et plus de rimes,
il n’y aura plus d’essence pour ta voiture,
ni de rhum pour que tu te saoules,
car l’épicier, dès lors n’ouvre plus,
et toi, tu peux jeter ton argent aux égouts
parce que l’instant s’approche déjà
où ton écran de télé, à la place des images
diffusera des rayons chargés de mort
et parce qu’il n’y aura personne pour t’aider,
tu comprendras alors, que tu ne possèdes plus rien à toi
que ce qui est logé derrière ton front.
Fais-moi donc, une place là-bas.
Retiens parmi mes poèmes celui-ci

Retiens parmi mes poèmes celui-ci
et récite-le lorsque les mers n’en peuvent plus,
nous inondent, putréfiées de vase,
et le vomi de l’industrie recouvre déjà
chaque parcelle sous ton pied,
tel l’escargot de sa bave,
lorsque les lacs sont assassinés,
et avec des béquilles, arrive la fin fatale,
lorsque la feuille pourrit sur son arbre,
la source régurgite des eaux de charogne
et la brise du soir t’apporte un souffle de poison :
quand tu mettras le masque à gaz,
tu pourras réciter parmi mes poèmes celui-ci

Retiens parmi mes poèmes celui-ci
pour que je reste avec toi. Enfin, peut-être,
et si tu survis encore au millénaire
et si pour quelques courtes années le ciel se découvre,
parce que la revanche furieuse des bacilles
échoue et tout vacille,
et les régiments voraces de la technologie
remuent plus de force que toute la terre –
alors, sors ces vers de ta mémoire
pour les chanter encore une fois
avec moi : parce qu’où sont passés
l’amour et la beauté ?

Retiens parmi mes poèmes celui-ci
pour que je te tienne compagnie quand je ne serai plus,
quand ta maison où tu habites te fais souci
parce qu’il n’y a plus d’eau ni de gaz,
et tu prends la route pour te chercher un logis,
des bourgeons, des grains, des germes pour te nourrir,
pour te trouver de l’eau, te saisir d’un gourdin,
et sans un bout de terre disponible alors pour que tu prennes,
tu tues l’homme et tu le manges –
alors, que je puisse marcher à tes côtés,
sous les ruines, sur les ruines, à pas mesurés,
et que je te murmure aux oreilles : zombie,
où vas-tu ? Ton âme sera de suite transie,
dès que ces murs de la ville, tu les auras franchis
Retiens parmi mes poèmes celui-ci

Ça se peut aussi que là-haut,
il n’y ait plus de monde nouveau, et toi, en bas
au fond du bunker, tu te demandes :
combien de jours te restent-ils avant
que l’air putride pénètre à travers
les plaques de plomb et le béton ? À quoi donc a servi l’homme, alors, combien a-t-il valu ?
si sa vie aboutit à une telle fin ?
Comment t’envoyer un signe pour te consoler,
s’il n’y a pas de consolation qui soit franche ?
Devrais-je t’avouer que je pensais toujours à toi
pendant toutes ces longues années-là,
durant des jours de soleil et durant des nuit noires,
et bien que je sois depuis longtemps disparu,
mes deux yeux te regardent toujours, tristes et vieux ?
Quel autre message pourrais-je t’envoyer ?
Oublie donc, ce poème parmi mes poèmes.
Traduction à partir du hongrois de Margit Molnar

Poème d’amour, 2006

(À F. K.)

Elle n’était pas la première, loin de là. Nous étions étendus nus
et, d’un bras, je caressais doucement son corps.
J’espérais que cela lui était un peu agréable
avec juste une touche d’ennui coutumier.

Cela fut plus. Je me penchai au-dessus
son petit mamelon gauche méditant ce à quoi le comparer:
un grain de corail? ou une fraise des bois?
une minuscule tulipe peut-être encore en bouton?

Juste un instant a passé et je suis entré dans une autre
réalité. Mets-je évanoui ou tout juste réveillé?
Autour de nous, le calme régnait bleu,
des fleurs sauvages malsaines ont commencé à tourbillonner derrière mon front.
C’était le goût et la flagrance de ta peau,
mais pas de ton parfum, qui lui a totalement tout envahi. Ils ont chassé
au loin mes ennuis, mes soucis mes peurs, mes peines,
mon passé et mes souvenirs, ne laissant que cet amour.

Emmêlés l’un dans un autre, nous deux seuls
peuplant la terre, nos épaules collées dans ces moments.
Nous perdions notre chemin dans les cheveux de l’autre.
Nous méditons sur le nombril de l’autre.
Tu peux t’en aller loin, mais tu resteras avec moi
entre mes dents se tient un seul brin de tes cheveux.
J’utilise l’ombre de ton corps pour ma couverture.
Ne dis pas un mot, car tous nos secrets sont partagés.

Beaucoup de gens ne se seront jamais étreints avec une telle passion
et beaucoup n’auraient jamais osé en prendre le risque, même
si c’est tout ce que je reconnais comme l’amour:
grimpant tout le chemin de nos draps vers le ciel.

Adaptation personnelle du dernier poème de Faludy

Bibliographie

En hongrois

1937 Heinrich Heine : Deutschland (traduction et adaptation)
1937, 1988 François Villon Ballades, adaptation)
1938 le guetteur de Pompéi, poèmes
1947 Rosée d’automne, poèmes
1948 Rabelais: Pantagruel (traduction et adaptation)
1957 Tragédie d’un peuple, essai
1961 Mémorial de la rouge Byzance, poèmes choisis
1962 Mes jours heureux en enfer (autobiographie)
1966 Caroton, nouvelle
1970 Erasme de Rotterdam (biographie)
1975 Lettres à la Postérité, poèmes
1978 Est et Ouest, poèmes
1980 Anthologie poétique1983 Apprenez mon poème par cœur, 60 poèmes
1983 Douze sonnets
1983 Poèmes de prison, 1949-1952
1985 Ballade pour Isabelle, poèmes
1985 Poèmes choisis, 1933-1980
1987 Cadavres, marmots et musique de criquets, poèmes
1987 Mes jours heureux en enfer en hongrois, samizdat
1988 Notes sur la forêt en pluie
1989 Poèmes de prison, 1950-1953
1990 200 Sonnets
1990 Vers érotiques
1992 Un tambour dans la nuit, poèmes choisis
1994 Notes sur le temps présent, articles de journaux
1995 100 Sonnets
1995 Poèmes choisis
1998 Voguant vers Kerkova, poèmes
2003 Confessions sur le temps poèmes choisis, 1933-2003)
2004 Anthologie de poésie baroque (traduction)
2004 Chefs d’œuvre de la poésie catholique : Gloire à Dieu, traduit et adapté
2005 Anthologie des plus beaux poèmes érotiques: L’attraction des corps, traduit et adapté
2006 Au seuil de l’enfer mémoires)
2006 Après Mes jours heureux en enfer, mémoires
2007 Notes dans le déluge du temps, articles
2007 Faludy en Blanc et noir – Conversations avec György Faludy; par György Faludy et Fanny Kovács

En anglais

1962: My Happy Days in Hell;
1966: City of Splintered Gods

1970: Erasmus of Rotterdam.
1978: East and West: Selected Poems of George Faludy1983: George Faludy: Learn This Poem of Mine by Heart: sixty poems and one speech

1985: George Faludy: Selected Poems 1933

1987: Corpses, Brats, and Cricket Music poems.

1988: Notes From the Rainforest.

2006: Two for Faludy

En français

Rien n’est actuellement disponible.