Henri Heurtebise

Historique de Multiples

Multiples est installée, grâce à la volonté obstinée d’Henri Heurtebise, dans le paysage poétique depuis un peu plus de vingt-cinq ans (les débuts datent de mai 1970) ; le numéro 50- 51 comporte à la fois une rétrospective de ce quart de siècle à travers un choix de poèmes publiés par cette revue, de la correspondance aussi inédite que passionnante adressée par Jean Malrieu à Henri Heurtebise, ainsi que des poèmes de Bernard Manciet, de Robert Momeux et de Jean Rousselot. Un numéro qui tantôt erre, s’attarde, prend son temps sans pouvoir jamais -hélas ! - paresser, tantôt cavale le long d’un quart de siècle consacré à la poésie.

Quelle aventure, se dit-on, cette revue ! Quelle richesse qu’une anthologie pareille, même trop partielle! Ce voyage vivant longeant le cours d’un temps qui ne peut mourir est ponctué par des arrêts auprès de ceux qui firent la chair et le sang de la revue: Jean Malneu, Claude Saguet, Simon Brest, René Cazajous, Serge Pey, Jean Bénac, Francine Caron et Michèle Ourmières aux délicats poèmes érotiques, Xavier Orville, auteur d’un surprenant texte onirique sur une rétroprojection de soi dans les limbes, Casimir Prat, Jacqueline Roques, Ivan

Nikitine, et bien sûr, Henri Heurtebise (pour qui le poète « est un libre-senteur »).

Les lettres écrites par Jean Malrieu à Henri Heurtebise, publiées ici pour la première fois, prennent qui les lit sans le lâcher. On y trouve, dans le pêle-mêle épistolaire, de quoi faire son bonheur plusieurs fois par page: des conseils à un jeune poète, l’écriture serpentine de la vie de tous les jours (« la vieillesse vois-tu, c’est de ne plus être maître de son corps. Tu ne peux le comprendre, un jour ça arrrive insensiblement et on a beau dire qu’on s’habitue, ce n’est jamais vrai. J’ai un coup de cafard comme un coup de brume, brusquement... »), d’innombrables considérations sur le temps qu’il fait (en juin 1969: « l’été s’annonce pluvieux et pourri »), des jugements sur des poètes (Prévert, Ponge, Maïakovski...), la description haletante de la difficile gestation puis naissance de la revue Sud (« le mot Sud fait vibrer les fibres marseillaises et poétiques au souvenir des Cahiers du Sud »).

Ces pages: un torrent en crue qui charrie la vie par le truchement de lettres d’amitié.

Le numéro 52, dont la couverture a été dessinée par Bernard Manciet, se maintient à l’exigeante hauteur de ce qui est déjà une histoire, celle d’une revue de poésie.

Le sculpteur Pierre Rogissart-Seemann y dévoile son oeuvre poétique, avec ses « attouchements d’être », ses poèmes «sans retour ».

Michel-Louis Brumaire y livre un fort beau « Journal d’été ».

Brûlée, torturée, saccagée et saccageante la poésie de Jean-Pierre Pouzol2 déploie en quelques feuillets ses divers aspects.

Quant à Henri Heurtebise il laisse au lecteur des « discrétionspoétiques » qui sont autant de méditations sur son art.

Il n’y a pas (Jean Malrieu le remarquait voici longtemps) à Toulouse de revue poétique digne de ce nom.

Les ombres de Pèïre Goudouli (Pierre Godolin), le plus illustre des poètes toulousains, s’en irritent probablement. C’est plus loin, à Muret, cette maudite ville où se décida le destin de ce qui allait devenir la France lorsque Pierre d’Aragon, commandant les armées méridionales, y trépassa lors d’une célèbre bataille, qu’est solidement plantée autour d’Henri Heurtebise l’ancre de Multiples.

Les Temps Modernes n° 596 /Robert Redeker

Robert Redecker