Ilse Aichinger

Les comptines du désastre

« Nous pouvons retourner ce qui semble tourné contre nous ; nous pouvons précisément entreprendre de raconter depuis la fin et jusqu’à la fin et c’est de nouveau pour nous l’aube du monde. Alors quand nous nous mettons à parler sous le gibet, c’est de la vie même que nous parlons. »

Ilse Aichinger est cette grande dame, cette conscience inaliénable, de la littérature autrichienne en langue allemande, qui aura su tenir « un discours sous le gibet » et parler presque avant tout le monde, et en tout cas d’une manière totalement unique, de la Shoah, et l’aura racontée au travers des yeux d’une petite fille.
Son récit « Das vierte Tor » (« Le quatrième portail ») est le premier texte à parler des camps de concentration en Autriche dès 1945.

Elle écrit également un texte brûlot, un texte qui va fonder la nouvelle littérature autrichienne de langue allemande : « Aufruf zum Misstrauen » (« Appel à la défiance »).« Méfions-nous de nous-mêmes. De la clarté de nos convictions, de la profondeur de nos pensées, de la bonté de nos actions ! De notre propre vérité, il faut se méfier ». Cette défiance constructive fondera aussi son œuvre.
La plupart des écrivains seront marqués par cet appel à désapprendre pour mieux réapprendre la langue allemande, qui permettra d’« écrire après Auschwitz. »
Et son unique et aveuglant roman « Un plus grand espoir» écrit en 1947, et paru en 1948, va être une onde de choc, un saisissement, au sortir de la guerre d’extermination. Bien avant les textes de sa grande amie Ingeborg Bachmann, des incantations habitées de Paul Celan, des lamentos de Nelly Sachs qui restera son écrivain préféré, ou de ceux de Rose Ausländer, des témoignages cliniques de Primo Levi, une voix s’était levée pour jeter à la face d’un pays refusant toute culpabilité et se faisant passer pour victime, les vérités des blessures et des massacres.

Face à « l’austro-fascisme » dont parle Thomas Bernhard, son autre grand ami, elle ne déroulait que la marelle des jours des enfants pourchassés, assassinés. Le journal d’Anne Frank publié lui aussi en 1947 a pu émouvoir plus mondialement les gens, mais l’histoire d’Ellen narrée dans « Un plus grand espoir » n’est pas un simple journal, mais un roman, une odyssée, écrit dans une langue qui transcende la langue des bourreaux, qui la désapprend et la réinvente, débarrassée des ordures nazies.
On ne sort pas indemne de la tragique odyssée d’Ellen son double autobiographique, qui entre rêves et horreur du quotidien, nous raconte ce que fut la ville de Vienne dès 1938, toute entière tournée vers le massacre des innocents.
Cette prose lyrique et poétique n’avait pas de précédent, et n’aura pas de suite. Il s’agit d’une des œuvres maîtresses du vingtième siècle.

Cette errance des enfants pourchassés, interdits de tout – école, parcs, manèges, vie - en quête d’une protection contre les tueurs, d’un sauf-conduit, d’un certificat leur évitant la déportation, est décrite comme un conte atroce. Mais nul ne se portera garant pour eux.
Et les 200 000 juifs de Vienne seront traqués, dénoncés, en route pour l’extermination. 65 000 seront assassinés avec la pleine collaboration de ses habitants. 25 000 sang-mêlé (mischlings) seront eux aussi tués, car ils avaient trop d’ancêtres « mauvais », c’est-à-dire juifs. Ilse Aichinger était sang mêlé plus présentable, ce qui lui permettra de rester du côté de la vie, contrairement à sa famille maternelle, qui elle sera totalement anéantie.
« Aucun jour pour rien », dit pourtant Ilse Aichinger, qui avec les mots des victimes, des pourchassés, élève ces victimes à une sorte de rédemption, de transcendance, une fuite vers le ciel bleu, « là où ils ne seront pas serrés » (Celan).

Sa nouvelle Spiegelgeschichte, histoire dans un miroir, publiée en 1948 va marquer toute une génération.

Ilse Aichinger a aussi écrit de bouleversantes nouvelles parues sous le titre Eliza, Eliza, et des poèmes parus en allemand sous le titre Verschenkter Rat, (Conseil offert), et en français sous le titre « Le jour aux trousses» dans une traduction exemplaire de Rose-Marie François qui a tenté et réussi à rendre plus lisibles les énigmes hermétiques qui les constituent.
En effet Ilse Aichinger, enfant caché, ne peut écrire que dans une langue cachée, méfiante, cryptée, comme si les bourreaux étaient toujours parmi nous. Elle semble porter un devoir de méfiance, et non de haine.
« La mélancolie, c’est notre dernière possession. », est l’une de ses phrases. Et devant toutes ces vies perdues d’avance, ces fuites éperdues, ces désespoirs qui semblent venir boire dans ses mains, Ilse Aichinger dresse une stèle émue, mais sans aucun pathos, à tous ces enfants partis en fumée.
Elle le fait du point de vue de l’aliénation.
Et terrible sa voix d’enfant s’imprime à jamais en nous. Elle femme discrète, presque effacée comme ses poèmes qui se dissolvent dans le silence et l’interrogation. Ilse Aichinger semble ne vouloir laisser que peu de traces derrière elle, si ce n’est ses écrits qui sont autant « de brasiers d’énigmes » comme avait dit sa chère Nelly Sachs.

Reconnue, admirée par Thomas Bernhard, Ingeborg Bachmann, le groupe littéraire des 47, elle a vu s’amonceler les prix littéraires à ses pieds. Mais Ilse Aichinger demeure lointaine, ailleurs, sautant dans le ciel bleu comme son héroïne Ellen, son double dans « Un plus grand espoir ».

Elle demeure comme ce drôle d’ange « qui longe nos haies aveugles, toute seule, et qui passe ». (Nom de papillon).

Une vie dans le miroir éclaté de l’enfance et le devoir de méfiance

« Je ne puis me représenter aucun endroit au monde dont je puisse dire : je suis vraiment chez moi. »

Ilse Aichinger est une déracinée à l’intérieur d’elle-même, juive par sa mère et avec un père fier de porter l’uniforme nazi. Elle échappera aux rafles, par son statut ambigu de sang-mêlé, pas tout à fait juive, pas assez aryenne, et la protection discrète de son père accentuera sa culpabilité de survivante. Seule la fraternité du petit groupe de fuyards comme elle, et dont très peu échapperont au massacre, sera un peu de chaleur.

Sa ville de Vienne, qu’elle aimait tant, va devenir une prison, un vaste territoire de dénonciation et de haine antisémite, où les voisins, les amis se détournent et vous traquent. Plus d’amis, pas de pitié, et la quête sans fin au certificat d’aryanité ou au visa permettant de survivre est sans espoir. Cette Vienne des opérettes et des valses, mais aussi de la Sécession et de Mahler, se donnait avec extase sur la Place des Héros à son maître Hitler.
« Ville homicide et familière», dira Aichinger de Vienne.

Ilse Aichinger ne pouvait plus être chez elle dans ce pays qui a massacré son enfance. Elle ne pouvait plus être non plus dans son pays intérieur, aussi c’est par un regard d’enfant qu’elle exorcisera les lambeaux de sa vie brisée, pour que « le jour aux trousses » ne la rattrape plus.
Elle est née à Vienne le 1er novembre 1921, ainsi que sa sœur jumelle Helga. Sa mère est juive et exerce le métier de médecin. Son père est instituteur catholique et sensible aux thèses nationalistes en cours, fier de son aryanité. Elle passera sa petite enfance à Linz.
Les parents divorcent en 1926, Ilse est élevée à Vienne par sa mère, et son père coupe les ponts avec la famille. Il devient un partisan des nazis, renie sa famille, et il portera l’uniforme nazi après l’Anschluss de 1938.
Pourtant il aidera en secret sa fille à passer entre les mailles du filet.

De 1938 à 1945 la famille juive d’Ilse Aichinger est soumise aux humiliations et aux persécutions. Sa mère perd son emploi de médecin, mais surtout la déportation frappe sa famille et la plupart de ses proches, frères et sœurs de sa mère et sa grand-mère adorée, sont assassinés en 1942, dans les camps d’extermination près de Minsk.
Sa sœur Helga réussit à s’enfuir en 1939 en Angleterre dans l’un des derniers transports d’enfant, Ilse n’a pas cette chance, Ilse devait suivre avec le reste de la famille, mais le projet va échouer. En tant que demi-juive, Ilse ne peut poursuivre aucune étude et ne peut entreprendre en 1939 ses études de médecine car la loi raciale le lui interdit. Sa mère et elle, sont soumises au service obligatoire de travail.

Elles seront réquisitionnées pour travailler dans les services sanitaires de l’armée. Ilse vit avec sa mère dans une toute petite pièce sombre, proche de la Gestapo, située à l’Hôtel Metropol de Morzinplat! Elle lui sert de caution, car les lois raciales de Nüremberg, stipulent que la mère juive est protégée jusqu’à la majorité de son enfant sang-mêlé si elle vit sous le même toit avec sa fille mineure si celle-ci est« au premier degré sang-mêlé.
Ilse Aichinger se réfugie dans l’écriture.
En 1945, l’Autriche étant « libérée », mais non dénazifiée à cause de la guerre froide naissante, Ilse peut reprendre des études de médecine qu’elle va vite abandonner pour l’écriture.

Et elle publie en 1945 son récit « Das vierte Tor » (« Le quatrième portail ») premier texte à parler des camps de concentration en Autriche. Il dérange, mais ne change pas les consciences.
En 1946 son « Appel à la défiance » a un impact immense sur les intellectuels.
En 1948, paraît son seul roman « Die grössere Hoffnung » (« Un plus grand espoir »), chef-d’œuvre en partie autobiographique, et roman phare du siècle. C’est aussi l’année de parution de Pavot et Mémoire de son ami Paul Celan.
De 1949 à 1950 elle est lectrice auprès de l’éditeur Fischer, qui sera son éditeur exclusif. De 1950 à 1951 elle devient l’assistante d’Inge Aicher-Scholl à l’École de design d’Ulm.
Elle rejoint en 1951 le groupe littéraire allemand « Gruppe 47 ».
En 1952 son livre « L’homme ligoté » (Der Gefesselte) est récompensé.
Elle se marie en 1953 avec le poète Günther Eich. Elle aura deux enfants avec lui, Clemens en 1954 et Mirjam en 1957.
Elle écrit à cette époque des pièces radiophoniques dont « Die Knöpfe », les boutons, qui la rendent célèbre. Et les prix littéraires s’accumulent.

Après avoir vécu en Allemagne, Francfort et Bavière notamment, la famille retourne en Autriche près de Salzbourg en 1963. Après un nouveau séjour à Francfort en 1984, elle va s’établir définitivement à Vienne. En 1965 son recueil de nouvelles Eliza, Eliza, parait, tandis que son recueil de poésie « Verschenkter Rat », Conseil gratuit, paraît en 1978 et regroupe la totalité de ses poèmes de 1955 à 1978. Deux deuils vont assombrir sa vie, la mort de son mari Günther Eich le 20 décembre 1972, et celle de son fils Clemens, dans un accident en février 1998.
Après avoir écrit son autobiographie en 2001, « Film und Verhängnis. Blitzlichter auf ein Leben», Film et désastre. Les lumières aveuglantes d’une vie, après 14 ans d’abandon de l’écriture, Ilse Aichinger se retire progressivement de la vie publique et littéraire. Marquée à jamais par son enfance massacrée, elle dira que la vie est une proposition absurde et voudra disparaître, ou du moins s’effacer. « La peur reste avec moi» avouera-t-elle.

Elle vit à Vienne où son 90e anniversaire a été célébré avec faste en 2011. Mais elle reste étrangère à jamais. Pour elle l’étranger n’est pas un pays lointain mais sa ville natale de Vienne, pays étranger et homicide, mais si familier. Là entre café et cinéma, elle regarde s’écouler la courbe du temps.
« Qui est étranger, vous ou moi ? La haine est plus étrangère que d’être haï, et les plus étrangers sont ceux qui se sentent le plus à la maison. »

Raconter la fin pour restituer l’aube du monde

« Ne me rattrape pas mon jour,
mais reste à mes trousses. »
(Près de Linz).

Et le jour, mais aussi les nuits de fuite et de terreur passées à Vienne sont à ses trousses. Dans « l’outre noir » de l’humanité, là où la chasse à l’enfant battait son plein, Ilse Aichinger a survécu, mais comme tous les survivants avec la culpabilité profonde d’être encore vivant et les autres non. Elle a voulu témoigner, dire l’indicible :

« Entreprendre de raconter depuis la fin et jusqu’à la fin, et c’est de nouveau pour nous l’aube du monde ».

Raconter, non pour maudire ou haïr, mais dire comme le pourrait un enfant mélangeant réel et rêves, traques et comptines, faire se lever « un plus grand espoir ». Là où la neige ne rouillerait pas avant l’année, où le soleil ne serait pas décapité, et la grand-mère poussée au suicide.
Là où quelqu’un se porterait garant de vous, vous sauvant, par un certificat, de la déportation et du néant.
Mais cela arriva rarement et chaque bon habitant avait à cœur de dénoncer les juifs.
Elle parle peu du sort des adultes, mais plutôt de celui des enfants errants dans les cimetières et la faim. Ce qui fut son sort.
Et la descente des rêves s’est brisée :

Matin d’hiverAvant que ne rouille et se cassela descente des rêves,laissez-y glisser les bien-aimés,grands et petits en manteaux gris,regardez, la piste claire, la glace.(Traduction Rose-Marie François).

Et dans leurs petits manteaux gris les enfants sont partis vers les camps de la mort, et la glace reste seule et aveuglante, là où jadis ils patinaient.
Face aux cordes des bourreaux Ilse Aichinger semble s’évader par l’envol vers l’ailleurs, l’immersion dans les chansons populaires, les contes et les comptines. Elle transfigure le réel par l’irréel de l’enfance.

Elle écrit en allemand, mais en fait elle semble écrire dans une langue étrangère qui parfois se recoupe avec celle-ci. Sa langue est de l’autre côté de notre condition humaine, elle devient un pays pour la fuite des enfants, un refuge où les enfants ne sont plus pris à parti « par les chasseurs » - mot qui revient souvent chez elle pour désigner les nazis -.
Dans ce pays tournent des manèges pour eux, les parcs ne leur sont plus interdits, et ils ne sont plus obligés d’apprendre une langue pour s’enfuir outre-océan.
« Toujours chercher pour rester ailleurs ».

Ilse Aichinger n’aime pas les interprétations de son œuvre, il faut laisser infuser cette écriture sibylline, d’un désastre vu à hauteur d’enfance, aux frontières de la mort, à la lisière des rêves.

Le rêve chez Ilse Aichinger ne sert qu’à créer une autre réalité mieux habitable, là où se trouve « un plus grand espoir ».

Et aussi bien dans son roman, ses nouvelles, ses poèmes, reviennent sans cesse les thématiques de la fuite, de la méfiance, de la perte, de la nature qui se referme contre les enfants. Ils ne restent à ces enfants que des lambeaux d’enfance, construits avec les poupées de quelques souvenirs, de quelques chansons qui traînent dans la tête, de quelques lieux familiers interdits.
Elle qui du côté maternel a vu disparaître la quasi-totalité de sa famille, ne dresse pas un chant de consolation, car elle n’y croit plus, mais des écharpes de tendresse, des échappées de rêve, et le «plus grand espoir », n’est pas de survivre, mais de rejoindre l’étoile du berger et le ciel bleu.
Elle refuse toute parabole, toute symbolique, et ses mots angoissants, parfois hermétiques, parlent de l’obscurité qui descend sur la vie. Elle n’aura avoué lors des interrogatoires de l’histoire, seulement que le sombre commence à descendre sur tout.

Tout semble chuchoté, naître du silence et y retourner, pour ne point se trahir et se faire prendre.
Ce silence habité est son cri intériorisé, sa langue :
« Aujourd’hui, la langue ne parle plus, elle a perdu la parole. Nous devons sortir de cette « manipulation », sinon nous sommes tous perdus...Car la fausse langue fait de nous des sans-abri, la vraie langue nous procure une demeure...La langue est le premier et le dernier lieu de la vie. » (Materialen cité par Rose-Marie François).

Ses poèmes courts, ramassés dans leur mystère sont à lire et écouter en état de veille, car ils semblent souvent nous échapper, énigmatiques, méfiants. Ils glissent, ils passent, loin de nous, mais déjà en nous.

Ils sont ainsi imprégnés de senteurs, d’animaux, de couleurs, de tristesse aussi, de lumière se souvenant des lieux enchantés de l’enfance avant le désastre. La pluie frappe contre la fenêtre de ses mots.

Et toutes ses comptines du désastre nous disent dans une langue cachée, l’enfant caché. Il ne reste que quelques cailloux blancs à déchiffrer. La biographie d’Ilse Aichinger est l’une des clés. La connaissance de l’Autriche en ce temps, ses histoires populaires, ses légendes et ses horreurs, en est une autre.

Sur le silex de ces poèmes incantatoires, il suffirait aussi de se laisser porter par des yeux d’enfants et par la courbe du temps. Ils résistent au sens des adultes et s’ouvrent à celui des enfants. Les ombres du désastre deviennent alors de noirs oiseaux qui grincent sous nos regards.
Ces enfants dont le seul sauf-conduit était un permis de mourir, errent sous la lune, avec une étoile jaune couvrant l’étoile du berger. Ils passent et repassent, à peine esquissés dans les poèmes, mais à jamais inconsolables.

Ce rejet, cette chasse à l’enfant, galope dans toutes les nuits des mots. Enfance rasant les murs, se souvenant des villages, mots cachés, écriture dissimulée pour raser le sens d’une langue qui a menti.
Ce monde meurt et vous rend coupable de ses fautes. Et les ombres consolatrices ne se sont jamais penchées sur eux. Ils sont restés seuls, puis emportés dans le néant. Maintenant les enfants sont partis, anéantis, quelques-uns sont restés et brûlent toujours de leurs heures sombres.

« À l’orée de l’enfance et au fond de forêt », Ilse Aichinger a une parole unique et bouleversante qui ne se laisse entendre qu’à ceux qui savent lire les lignes secrètes des comptines, les chants des pommiers et de la neige, recouvrant les désastres et les bourreaux. Malgré les épées à la lisière de l’enfance, rien ne pourra abolir l’enfance pour Ilse Aichinger.

Il y a un langage magique chez elle, comme des formules secrètes d’exorcisme de la terreur, même si les mots restent impuissants face au silence et au non-dit.

«La bonne littérature est identique à la mort. », dira-t-elle désabusée « car tout ce que vous dites ou écrivez n’est que la conclusion de ce qui ne se dit pas et passe ».
Il fait nuit, il fait froid dans le pays des mots d’Ilse Aichinger. Et aux portes des églises, dans la ville, ne tournent que la mort et la dénonciation, et les rêves sont pendus aux clochers, évanouis dans les parcs.

Les jeunes munis du permis de mourir
ont disparu
.
Seuls flottent encore des bouts d’histoire qui font encore écran entre les « chasseurs », les nazis, et le rêve qui permet la survie quelques instants encore. Contes de vieilles femmes, contes de petite fille, contes de la vie qui glisse des doigts. Avec cette logique des enfants qui affirme que ce qui peut être imaginé, décrit, peut exister, et réciproquement. Ces contes prolongent la vie en faisant se lever un espoir, bien sûr irrationnel. Le paradis de l’enfance est le seul endroit où se sont réfugiés les anges.

Dans cette horreur diffuse même le soleil « succombe au départ » et la neige rouille avant l’année. Les ombres renouvellent leurs traces pour mieux cerner les proies, et la menace est tapie dans la ville, dans la sombre forêt, dans le visage des gens. Et aucun chemin ne s’ouvre.

Dans la plupart des poèmes le monde est projeté dans une lumière blafarde, portant déjà une sorte de linceul. Ces courts poèmes sont des devinettes tragiques, renfermées sur elles-mêmes. Ils semblent familiers car ils parlent de choses simples, humbles à portée de réel, tout semble élémentaire et tout est masqué, caché.

Parfois on peut entrevoir des émotions en filigrane, des visions d’enfance, des mélancolies de perte irrémédiable.
Ilse Aichinger ne fait que très rarement des allusions à la judaïté, elle parle des enfants juifs de façon universelle, parfois lointaine. Car tout est vu à hauteur d’enfance, avec les yeux de la victime, de la proie, et nul apitoiement ne s’élève.

Aussi la logique sans rime ni raison des enfants abreuvent ses mots, à nous de jouer à la marelle de l’émotion, si proche du silence.
« J’écris parce que je ne vois pas de meilleur moyen de me taire.»

Et pour Ilse Aichinger « le silence n’est pas le vide, mais la plénitude

Aussi un grand silence s’élève comme brume de ses poèmes. Ils sont passés et commence en nous leur obsession.

Ainsi ces histoires que demande encore et encore Ellen à sa grand-mère, afin de retarder le suicide de celle-ci.

Elle se méfie des images, des connexions entre elles, et dans ses poèmes nomme l’essentiel des êtres et des choses, méfiante de la poésie même, méfiante du monde.
« Je sais que le monde est pire que son nom et que par conséquent, son nom est aussi mauvais. » Ilse Aichinger, pas tout à fait juive, elle la demi-juive, car ayant un père aryen en uniforme nazi, est dans cet entre-monde où l’on peut basculer de la vie à la mort selon qu’on a de « bons » ou de « mauvais » ancêtres, au seuil des douleurs. Elle se définit comme « une exilée dans l’exil », et ses textes sont une quête pour trouver sa place, et un sens à tout cela.

Elle a perdu son espoir de sauver l’enfance, et donc l’humanité. Sa vie se réduit à son devoir de récit de la destruction d’un siècle.
Parler de ceux, qui comme sa grand-mère le disait, « auraient préféré être disparu avant la naissance », comme ces enfants « nés pour être assassinés »
Mais peut-être que le sens secret est la longue durée de sa vie et de son écriture.
« L’écriture est d’apprendre à mourir", a noté Aichinger.

Elle qui craint tant que le silence soit de retour, a forgé les armes de la mémoire par ses livres.

Et elle aura su « mettre des mots compréhensibles sur l’incompréhensible. »
Et un jour « Les renards d’or vont nous apparaître sous la neige ».

Gil Pressnitzer

Source :
Le jour aux trousses, recueil de poèmes traduit de l’allemand et présenté par Rose-Marie François, collection Orphée, éditions de la Différence, 1992.

 
 
 
 
 
 
 
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Choix de textes

Un plus grand espoir

La lune pâlissait.
Ellen essayait de saisir le visage de sa mère. De ses deux bras, elle essayait de saisir ce visage brûlé de larmes sous le chapeau noir. Ce visage qui avait donné au monde chaleur et vérité, ce visage de toujours, ce visage unique. D’un geste implorant, Ellen voulut saisir une fois encore ce premier visage, ce trésor de secrets, mais le visage de sa mère était devenu insaisissable, il s’échappa et devint pâle comme la lune quand blanchit l’aube.
Ellen hurla. Elle rejeta la couverture, essaya de se redresser et saisit le vide. De ses dernières forces elle baissa les barreaux. Elle tomba du lit. Et elle tomba loin.
Personne n’essayait de la retenir. Nulle part une étoile à laquelle s’agripper. Ellen tombait à travers lesbras de toutes ses poupées et de ses ours en peluche. Comme un ballon traverse un cerceau, elle tombait à travers la ronde des enfants dans la cour qui ne voulaient pas la laisser jouer avec eux. Ellen tombait à travers les bras de sa mère.

Le croissant de lune la rattrapa, et, chavirant sournoisement comme tous les berceaux, il la projeta loin de lui. Les nuages n’avaient rien d’un édredon, le ciel n’était pas une voûte bleue. Mensonges, tout cela. Le ciel était béant, mortellement béant, et dans sa chute Ellen comprit que le haut et le bas avaient cessé d’exister. Elles l’ignoraient donc encore, ces pauvres grandes personnes qui appelaient « saut » la chute vers le bas et « vol » la chute vers le haut ? Quand le comprendraient-elles ?
Dans sa chute, Ellen déchira les images du grand livre d’images, le filet des acrobates.
Sa grand-mère la souleva et la remit dans son lit. Brûlants et inexorables comme des courbes de température, la lune et le soleil, les jours et les nuits, montaient puis retombaient.

Traduction :Uta Müller et Denis Denjean. Copyright éditions Verdier.

Eliza, Eliza

Les anges de la nuit

Ce sont les jours clairs de décembre, qui ne se font pas d’illusions sur leur propre clarté et ainsi deviennent de plus en plus clairs, qui s’irritent de leur pâleur et accueillent leur brièveté comme une promesse, qui se nourrissent des longues nuits, assez forts pour parvenir sans peine à leur terme, assez forts, assez faibles et doux.
Ce sont les jours qui tirent du noir leur éclat et rien que de lui. Il y en a peu. Car s’il y en avait beaucoup, il y aurait aussi trop de bizarre, trop d’horloges de clocher deviendraient tout simplement l’œil même de Dieu.
Aussi ces jours sont-ils rares afin que le bizarre reste bizarre, afin que les gens revenus de la guerre ne souffrent pas trop souvent de leurs membres arrachés par les balles, ni ne tiennent trop de choses dans leurs mains amputées depuis longtemps par le gel. Qu’ils ne connaissent pas trop la paix de la nuit.
Mais parfois, il y a des nuits comme des oiseaux qui ont oublié de prendre leur vol vers le sud. Ils déploient leurs ailes claires au-dessus de la ville et l’air vibre de leur chaleur, ils rendent encore une fois notre souffle invisible avant le gel. Et quand vient l’heure, ils se dépêchent de
mourir. Ils ne veulent ni long crépuscule ni nuages rouges, ils ne répandent pas leur sang àla vue de tous. Ils tombent des toits et il fait sombre.
Peut-être s’il n’y avait pas ces oiseaux égarés, ces jours clairs de décembre, pas un seul ne croirait encore aux anges, alors que tous les autres en rient déjà, pas un seul n’entendrait les froissements des ailes avant l’aube, alors que tous les autres n’entendent qu’aboyer les chiens...

En ce temps-là, j’ignorais encore que ce sont les anges qui prouvent notre existence.
Ce n’est pas nous qui les rêvons, ce sont les anges qui nous rêvent. Nous sommes les fantômes de leurs nuits claires, c’est nous qui claquons les portes qui n’existent pas, qui sautent par-dessus des cordes qui cliquettent comme des chaînes.
Peut-être devrions-nous être plus doux dans leurs rêves, afin de ne pas leur faire peur...
Traduction : Henri Plard. Copyright éditions Verdier

Dédicace

Je ne vous écris pas de lettres,
mais il me serait facile de mourir avec vous.
Doucement, nous nous laisserions glisser
le long des lunes, une première halte
auprès des cœurs de laine, puis
une autre parmi les loups, les framboisiers
et ce feu que rien n’apaise ; à la troisième,
j’aurais traversé les fines mousses
des nuages raréfiés,
passé sans effort le pauvre fourmillement
des étoiles, pour arriver
dans votre ciel, tout près de vous.

traduit par Rose-Marie François

Enfant trouvé

Glissé sous la neige,
inconnu des anges,
ni trésor, ni faveur,
jamais offert aux fées,
mais caché dans les grottes,
toutes traces vivement effacées
des cartes de la forêt.
Un renard enragé
le mord et le réchauffe,
lui prodigue bien vite les premières tendresses
puis s’en va, tremblant et torturé,
se rendre à la mort.
Qui aidera cet enfant ?
Les mères,
leur angoisse ancestrale,
les chasseurs,
leurs cartes faussées,
les anges,
leurs plumes chaudes,
leurs ailes vides de missions ?
On n’entend rien,
ni dans l’air un battement,
ni au sol un pas sourd.
Ah ! Reviens donc, toi,
vieux sauveur frénétique,
glisse-toi encore auprès de lui,
mords-le, égratigne-le,
réchauffe-le, tant que sont encore chaudes tes pattes
de voleur,
car à part toi
personne ne viendra,
sois-en sûr.
traduit par Rose-Marie François

À VUE

Tout se trouve à découvert,
les abris des rabbins,
les ruches des abeilles,
en écrin des bateaux-cibles
qui tiennent bon
se laissent prendre les rivages,
cavernes et bêtes crevassées.
Tes genoux tremblent,
Jonathan, quand tu
oses foncer,
mais saute, toi, ils te retiendront sans peine,
pique à ta boutonnière une violette,
les charpentiers sont sans défense
dans chaque pierre.

Traduction Rose-Marie François

Marianne

Cela me console de savoir

que dans l’or des nuits

un enfant sommeille

Que son haleine passe près des forges et son soleil,

très tôt,

se lève avec le coq et les poules

au-dessus de l’herbe humide.

traduit par Rose-Marie François

Bien trop tôt

Tu ne couches auprès de moi aucune pierre,
pour mettre plus haut notre deuil si ancien,
ne me donnes aucune lumière à craindre
et aucune crainte, pour faire plus de clarté,
même pas un lambeau de mélancolie,
que réclame chaque étoile.
Tu t’agites près de ton enfant trouvé
et moi je n’ai pas encore trouvé
les demoiselles de cire,
qui sont plus calmes,
que Jésus dans la crèche,
pas encore.
Adaptation personnelle

Conseil pour le temps présent

Avant tout
tu dois croire
que le jour survient
quand le soleil se lève.
Mais si tu ne le crois pas,
dis oui.
Ensuite,
tu dois croire
et de toutes tes forces,
que la nuit survient,
quand la lune se lève.
Si tu ne le crois pas,
dis oui,
ou approuve en hochant la tête,
cela ils l’acceptent également.
(Zeitlicher Rat, 1978)
Adaptation personnelle

Comptine

Le jour, celui où tu es venu
dans la glace sans chaussures
le jour, celui
où les deux veaux
ont été conduits à l’abattoir
Le jour, celui où
je me suis tiré une balle dans l’œil gauche.
Mais plus jamais, ce jour où
dans le journal des bouchers on pouvait lire,
la vie continue,
le jour, où elle a continué.
Adaptation personnelle
Jour qui passe
Une journée tranquille de Juin
me brise les os,
m’égare,
me jette contre le portail,
me pend aux clous,
qui avec les couleurs
jaune, blanc et argentée,
ne me ratent pas,
avec personne,
laisse donc au loin la casquette des fous,
ma chanson préférée,
m’étrangle
avec ses frais nœuds coulants
tant que je respire encore.
Reste, cher jour.
Adaptation personnelle

Le commencement du lieu

Je n’ai pas confiance en la paix,
ni aux voisins, ni aux buissons de roses,
au mot chuchoté.
J’ai entendu,
qu’ils étendent les peaux au collet,
qu’ils basculent les bancs avant l’hiver,
leurs braillements de joie dégringolent
armés pour le sommeil
au travers des écoles et des églises
encore et encore.
Qui croient encore les oiseaux
qui demeurent,
la fumée par-dessus l’herbe rase ?
Adaptation personnelle

Échanges de lettres

Si la poste passait la nuit
et que la lune glissait sous la porte
les mots malades,
ils surgiraient comme des anges
dans leurs blanches tuniques,
et se tiendraient silencieux
sur le seuil.
Adaptation personnelle

Réponse de l’hiver
Le monde est fait de l’étoffe
qui réclame de la considération,
plus d’yeux désormais,
pour regarder les blanches prairies,
plus d’oreilles, pour entendre
dans les fourrés le frémissement des oiseaux.
Grand-mère, où sont donc tes lèvres
pour goûter les herbes,
et qui donc nous fera humer le ciel
jusqu’à la fin ?
quelles joues se frottent et s’écorchent aujourd’hui encore
aux murs du village ?
N’est-ce pas une sombre forêt
où nous sommes parvenus ?
Non, grand-mère, elle n’est pas sombre,
je le sais, car j’ai longtemps habité
avec les enfants à sa lisière,
et aussi il n’y a pas de forêt.Adaptation personnelle

Pénurie de servantes

Qui des rochers conserve la trace,
qui borde les herbes,
et nous enferme dans les places
de l’autre côté des rues ?
Ceux qui mangeaient avec la cuillère,
ont emporté avec eux dans leurs souliers
les pierres,
et ils sont partis depuis longtemps.
Qui encore nous aide,
qui laisse maintenant le soleil
dans son jeu léger ?
Sommes-nous d’arbre en arbre
restés tout seuls
ou bien les ombres, les consolatrices, vont bouger,
hors de leurs filets,
pour bientôt se pencher sur nous ?
Adaptation personnelle

Chemin de village

En automne se moquent les étourneaux
et parfois j’entends les portes
cogner deux fois,
dont une fois en rêve.
Qui nous a donné les images,
les pommes rouges,
dans le jardin du charbonnier,
absurdement, mais disposé
à se perdre avec nous.
Adaptation personnelle

Treize ans
La fête des cabanes est loin,
le brillant des châtaignes,
alignées devant la fenêtre du jardin.
Et encore dans la pièce
la bougie,
les religions du monde. La poussière des déserts sous le pneu du vélo.
Après ce midi
le crépuscule survient plus vite.
Les compagnons
et une tombe verte,
Rajissa.
Le soir nous serons à nouveau là,
nous ne serons plus jamais là.
Adaptation personnelle

Fin de ce qui ne fut pas écrit

Ainsi nul ne saura
de nos atomes cognés l’un contre l’autre
quand nous aurons couru sur le pont,
et de ce qui est resté allongé derrière nous,
ils ne l’apprendront pas :
les faibles signes des noms,
les soleils sans tête.
Les halls d’entrée des hôpitaux
sont silencieux.
Adaptation personnelle

Ancienne vue

Je me suis habituée à cette fenêtre
et que la neige tombe au travers de mes yeux,
mais qui a suivi les disparus
par la porte du jardin ouverte,
qui a condamné, ce qui était là,
la citerne de pluie
et la lune comme lune,
toutes les herbes gelées ?
Qui se balançait avant le matin,
tant que les cordes grinçaient,
qui pose la main de cire
sur la fenêtre de la cuisine,
s’est allongé dans le blanc
et me prenait moi-même ?

Adaptation personnelle

Si tard

Couleurs bois
et la chandelle
rouge rouille s’enflamme dans l’ombre,
quand souffle le vent
au travers de la tranchée,
en partant le soleil se laisse prendre.

Quand d’abord
le fournil et la grange
s’étirent jusqu’au déclin,
le ciel attrape
les racines,
rouille la neige avant l’année.

Adaptation personnelle

Partie de la question

Haut sur la place se tient l’eau,
l’air s’élève encore en bulles,
mais ce qu’elles chantent,
ne résonne plus en moi.
Les poissons tournent autour des portails des églises,
qui me donnera la réponse :
Dois-je être dans la montagne
ou dans la maison, avec ceux
qui m’aiment,
dans un regard à la ronde,
les crissements de tous les pas
encore une fois ?
Comme mon pays devient noir,
maintenant tout au fond
se tord vert
le temps.

Adaptation personnelle

Florestan

Maintenant je vais,
mon frère,
te capturer dans les couloirs
et sous la neige te pousser,
Les passages
je vais te les montrer
et les lieux
où brièvement
tu pourras te reposer.
Je veux te chasser
des places claires,
pour que tu t’envoles plus loin
et que tu viennes jusqu’à moi,
notre couronne
vers la nuit.

Adaptation personnelle

Nuit la plus jeune

Car qui devra venir dans la lumière
sinon les rayures de la neige,
épées à la lisière de l’enfance, et contre la forêt
les branches des pommiers,
que la lune a lavé de noir,
les poules, qui sont comptées ?
Adaptation personnelle

Promenade

Puisque le monde ne se réalise que par éloignements,
escaliers des maisons et marais,
et que le tolérable devient suspect,
aussi ne tolérez pas
que derrière vos étables les pies
s’envolent en peu de temps, scintillantes,
pour se précipiter dans les étangs scintillants,
que votre fumée s’élève encore
devant les forêts,
il nous vaut mieux attendre,
jusqu’à ce que les renards d’or
apparaissent dans la neige.
Adaptation personnelle

 
 
 
 
 
 
 
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Bibliographie partielle

Bibliographie

En français

« Un plus grand espoir » (Die größere Hoffnung), 1948 (roman) traduction française éditée chez Verdier, mars 2007
Eliza Eliza, 1965 (nouvelles), traduction française éditée chez Verdier sous le même titre, comprend également "l’Homme ligoté" (mars 2007)
Eliza, Eliza (nouvelles et prose courte). Traduction par Jean-François Boutout, Sylvaine Faure- Godbert, Uta Müller et Denis Grandjean, Henri Plard. Editions Verdier, 2007
Un plus grand espoir (roman) Traduction par Uta Müller et Denis Grandjean Editions Verdier, 2007
Le jour aux trousses (poésies) Traduction par Rose-Marie François La Différence (collection Orphée n°113 / édition bilingue), 1992.

En allemand

Die größere Hoffnung, 1948 (roman)Verschenkter Rat Gedichte. - Fischer, Frankfurt, 1978
Meine Sprache und ich. Erzählungen, FISCHER TASCHENBUCH – 1978
Der Gefesselte (1953)- Fischer
Eliza, Eliza (1965)- Fischer
Nachricht vom Tag (1970)- Fischer
Schlechte Wörter (1976)- Fischer
Wo ich wohne (1963)- Fischer
Ilse Aichinger Werke. FISCHER TASCHENBUCH - Verlag, 1991
Zu keiner Stunde. S. FISCHER – Verlag
Wo ich wohne, 1963- Fischer
Auckland, 1969- Fischer

Spiegelgeschichte, Fischer, 1948
Film und Verhängnis. Blitzlichter auf ein Leben, 2001, Fischer

Hörspiele (pièces radiophoniques)

Knöpfe (1953)
Besuch im Pfarrhaus (1961)
Nachmittag in Ostende (1968)

Gare Maritime. Fischer 1976.
Zu keiner Stunde. Szenen und Dialoge. Fischer, 1980