Jan Skácel

Le naufragé de la poésie tchèque

Quand je perdrai ma voixnon seulement par ma fauteet que tu seras la seule à m’entendrealors je te diraice que ne dit que le muetet celui que le silenceavait prévenu. Skácel

Si parmi les poètes tchèques Jaroslav Seifert, Prix Nobel, et Vladimir Holan sont connus et reconnus hors de leurs frontières, Jan Skácel n’a pas eu cette chance et son œuvre reste à découvrir pour les lecteurs francophones. Interdit de publication de 1969 à 1981, il ne pouvait être lu que par la voie des « samizdat » et par l’opiniâtreté des maisons d’édition tchèques à l’étranger.

Viscéralement lié au sud de sa Moravie natale et à Brno sa capitale, la terre de Leos Janacek, il sut en dégager les odeurs d’enfance, la nature foisonnante, les traditions, mais il fut bien autre chose qu’un poète régionaliste.
La dignité et la morale sont au cœur de ses interrogations. Il aura été la conscience de la Tchécoslovaquie sous le joug de la normalisation soviétique et il était vénéré dans son pays.
Milan Kundera se réfère à lui parfois (livre Ignorance).

Interdit de publication pendant 12 ans il est une légende souterraine, solitaire et solidaire.
Sa conception sans concession de la poésie, lui interdit toutes facilités, des métaphores brillantes, ou des mots clinquants. Il ne va pas mendier « la muse de porte en porte ». Sa soif de mots ne doit pas excéder « sa dose quotidienne » !

Il faut se contenter de prendre le plus dense des mots, les tenir « comme un œuf, les dégager de l’humain et en briser la coquille. » La poésie qui a pu grandir va droit, et les mots viennent après maturation « à quatre pattes comme des agneaux, un âne ou un enfant. » Elle est parfois si limpide, si dense, qu’elle en est difficile, complexe.
« Le présent de la poésie ne se comprend qu’au travers d’un léger deuil. De ne pas pouvoir être vue jusqu’à ne pas être vue, elle se partage avec nous. »

Il lui faut être à la fois le noyé et l’eau.
Et ce naufragé aura porté au plus haut la langue tchèque.
Chaque vers doit être porté pour durer, mûri longuement, lentement, péniblement.Et les mots du poème doivent autant surprendre le poète que le lecteur, car pour Jan Skácel ils montent le plus souvent de l’inconscient et d’un besoin intérieur impératif.

Les poèmes ne peuvent pas être inventésils sont sans nous, quelque part à côté de nous
quelque part derrière nous. Ils sont là dans l’éternité
le poète trouve le poème
. Jan Skácel.

Jan Skácel était l’un des principaux poètes de la génération qui soit entré dans la scène littéraire dans la seconde moitié des années 50.

Entre mythes, et la hantise du temps qui passe, le mal et la douleur, ainsi que la durée de la mémoire, imprègnent sa poésie :
…le temps est éternelet tout ce qui a été créé l’a été pour nous à partir de nousla peur la douleur l’herbe des steppes la mort et ton amour. (Millet l’ancien).

Et lui fils courageux, orné d’une déchirure, habillé de fierté et de larmes,
a su marcher dans les chaînes, debout, une gerbe de cheveux au front.

L’homme de Moravie

« Je suis né à Znorovy, et ce village est situé en Moravie et aussi sur le bord de la Morava, je veux dire la rivière Morava. Dans mon enfance, elle inondait au printemps de vastes prés où l’herbe poussait ensuite si haut qu’elle pouvait cacher un cheval. »
C’est ainsi que Jan Skácel évoquait la première étape de sa vie dans sa contrée chérie.

Jan Skácel, est né le 7 février 1922 à Vnorovy u Stráznice dans le sud de la Moravie. Il est mort le 7 novembre 1989 à Brno.
Il était un immense poète tchèque, toujours ancré dans sa Moravie et sa rigueur morale.

Radio Prague mentionne ceci :

« Il était issu d’une famille d’un maître d’école, il passe les cinq premières années de sa vie à Znorovy qui s’incruste profondément dans sa mémoire. « Je retiens de ce village plus que de tout le reste de ma vie », dira-t-il. Il fréquente les lycées de Breclav et de Brno. Bachelier en 1941, il ne travaille que quelques mois comme ouvreur dans un cinéma, avant d’être envoyé aux travaux obligatoires en Autriche. Après la guerre, il étudie à la faculté des lettres Mazarik à Brno et devient ensuite journaliste dans des revues littéraires. Ainsi il entra en 1948 comme journaliste au quotidien Rovnost, d’où il sera licencié. De 1963 à 1969, il est rédacteur en chef de la revue Host do domu (Un invité dans la maison).

Après l’invasion soviétique, les écrits de Skácel, sont interdits… Exclu de la littérature officielle, il accepte sa condition humaine et poétique, mais continue à s’insurger contre la bêtise et la médiocrité et à exprimer par les vers l’amour de son pays, de la nature et de l’homme, continue à chanter l’enfance et les enfants, la douleur et la mort. Ses poèmes ne sont publiés qu’en samizdat et à l’étranger. Ce n’est qu’au début des années 80 que le poète, entré dans la dernière décennie de sa vie, peut de nouveau publier dans son pays.

Jan Skácel meurt le 7 novembre 1989, quelques jours seulement avant la Révolution de velours et la chute du régime communiste.
Ce n’est qu’après sa mort qu’on lui décerne le prix Pétrarque et le prix d’Europe centrale. »
Et ses poèmes, certains du moins, sont devenus des chansons populaires.

Il y a trois grandes tristesses dans ce mondetrois tristesses grandes et personne ne saitcomment éviter ces grandes tristesses

La première tristesseJ’ignore où je mourraiLa deuxième tristesseJ’ignore à quel momentEt la dernièreJ’ignore où je serai dans l’autre monde

C’est ce que raconte la chansonLaissons-le ainsiLaissons la chanson chanterSaisissonsl’angoisse comme un poignet et entrons.

Traduction Jan Rubes

Jan Skácel dans la dignité de l’homme et dans l’herbe des mots

Le poète se défendcomme l’abeilleet offre sa propre mortÀ ceux qui l’ont blessé. Jan Skácel.

Jan Skácel offre sa mort symbolique à tous, par sa poésie qu’il refuse d’expliquer, la voulant à la fois mystérieuse, et compréhensible par les enfants.

«Comme tous les arts, la poésie est essentiellement un mystère. Chaque tentative pour définir leur magie, se termine par un fiasco parfois ridicule, parfois brutal. L’explication d’un poème, c’est le poème lui-même, et il est indissolublement lié avec elle. Je ne me laisserai pas entraîner à essayer d’éclaircir certains vers, dont je ne sais pas moi-même exactement pourquoi je les ai écrits et où je l’ai lu. » Jan Skácel.

Sa poésie joue avec la syntaxe de la langue tchèque, dont il joue très librement. Imprégné des traditions de la Moravie du Sud, de ses contes, de ses atmosphères, il est aussi très marqué par le minimalisme de la poésie chinoise. Ses textes sont souvent très ramassés, très compacts, précis et profonds.

Meurt avant moi, un tout petit peuAvant moiPour que jamaisTu ne prennes seulle chemin de lamaison

Hanté par le mal et la culpabilité du monde, écrasé par la « normalisation communiste », il demeure une voix libre, profondément morale. Il est donc bien autre chose que « le barde » de la Moravie, bien qu’il soit imprégné des chansons populaires de cette région, de ses proverbes, de son essence.

Mars

De la forêt entre dans le village le printemps.Sous le bras, il porte le violon,l’instrument antique fait à partir de trois bois.Puis, un soir, une chanson résonne dans les jardins.Et au plus profond dans la nuit et sur une seule cordele musicien inconnu nous raconteces choses simples.

II est surtout universel. Une belle conscience humaine. Homme intègre qui jamais ne tricha, ne se renia, ni ne se compromit devant la terreur rampante du régime. Homme ferme, homme debout, il a su restituer dans la densité de ses poèmes la résistance à toute oppression.
Il est avant tout authentique. Tard venu à la poésie il frappe par sa maturité, son refus de toutes les modes littéraires.
Dans la revue qu’il anima jusqu’à l’invasion soviétique, il était à l’écoute de la jeune poésie et admirait surtout Seifert.
Il a intitulé un de ses recueils « Ce que le vin sait de nous ». Mais toute sa poésie serait « Ce que Skácel sait des hommes ».

Pour Jan Skácel l’histoire n’est pas morte, et même s’il n’a pas pu connaître « La révolution de Velours », car décédé dix jours avant, il a cru en l’humanité, même s’il en connaissait les noirceurs.
Malgré les assassins de la vie quotidienne, il a eu le courage de tous les jours. La vérité du vin, la dignité des hommes, feront, il en est sûr, le jour et l’amour. Vivre malgré tout, envers tout, sans tiédeur, car vivre debout.
Dans son extrême absence à lui imposée par l’occupant et ses sbires tchèques, complices espionnant même le silence, il a pu se consoler avec sa belle Moravie.

Et savoir que quelques jeunes gens sous un porche, dans un recoin de rue, se passaient fiévreusement ses poèmes ronéotypés, rare source d’espoir et de dignité en ces temps de cendres, réconforte.

Alfonso Gatto avait écrit : « …Vivre c’est toujours affirmer un salut désespéré, urgent. » Et Jan Skácel, plus amer que désespéré, aura par le salut de ses poèmes opposé l’urgence à la résignation. Il aura mis « la nuit à l’envers » et fait réveiller l’aube.

Et entre le temps et le hasard, la hantise de la mort, Jan Skácel aura écrit, non pas à un bureau, mais en mettant la raison en veilleuse, en rencontrant les arbres et les hommes :
«Je ne suis jamais seul à la maison. A la maison, en Moravie on dit -. « Chez nous ». Et avec nous, je suis entouré par tant de choses fortes que je n’ai jamais écrit un vers dans mon appartement, j’ai besoin de marcher, de la pluie..., la poussière des routes en terre, le balancement des feuilles dans les arbres, j’en ai besoin, ainsi que de rencontrer des gens inconnus pour les évaluer et de passer parmi eux, d’entendre quelques mots, d’autres mots à dire à haute voix, se débarrasser de la sagesse et de la perception rationnelle pendant un certain temps, me trouver seul au milieu de la foule. À la maison je peux tout au plus - sur la table de la cuisine - car je n’ai pas de bureau - écrire quelques vers, et ensuite soit de les jeter à la poubelle ou les mettre avec un certain espoir désespéré dans le fichier. Rien de plus. Et puis aller dormir. »

Dans sa poésie si colorée, où la nature devient audible, mais non un exil, Jan Skácel fait passer le poids du temps, l’odeur de roseau de l’enfance.

Le contrat

Je ne veux pas qu’un dieu quelconque me gratifie.J’ai le mien depuis longtemps,à mon propre usage et pour ma rectitude.Et pour l’humilité dont j’ai besoin.Il arrive parfois que l’âme humaine puecomme un chien mouillé.Je ne blasphème pas. Je veux seulementque la douleur soit douleuret qu’une larme soit larme.Tristessa Traduction Jan Rubes

Gil Pressnitzer

Source : articles de Radio Prague

Choix de textes

Les îles

En mettant la nuit à l’envers
contre notre désir contre notre blessure
sous le ciel étoilé nous déshabillons le noir

Et même si le continent de notre espoir
devait être submergé
et que tout allait disparaître de même qu’un peu de vous

ne désespérons guère

De la mer du temps après nous émergeront
de nouvelles îles pour de nouveaux naufragés.

Qui boit du vin dans le noir

Traduction Jan Rubes

Les anges
Si je vous livre tous mes diables
mes anges s’en iront avec eux

Je resterai seul et je le regretterai
et je me demanderai où est l’espérance

et en vain pour moi aux clochers en ruine
sonneront les cloches

Les neiges, les neiges vertes ne tomberont plus
les anges blancs ne reviendront plus.

Millet l’ancien (Dávné proso), trad. Yves Bergeret et Jerí Pelán, Atelier La Feugraie, 1997,

Le cauchemar
Soudain du fond du rêve l’enfant crie
et ses pleurs le réveillent

ce grand Petit il en a rêvé
une chose archaïque s’est passée

l’enfant ne sait ni qui ni quoi

Et voici l’abîme de cet instant
où le sureau noir fleurit blanc

et la nuit sent la tige de poivre d’eau

Millet l’ancien (Dávné proso), trad. Yves Bergeret et Jiri Pelán, Atelier La Feugraie, 1997.

Le temps
Si l’angoisse de l’herbe des steppes se calmait
si le vent perdait la voix si l’eau ne trouvait plus où se jeter
si la pierre avait pitié si la lumière s’éteignait dans le ciel
et si l’homme tournait le dos au mal

alors incassable paraîtrait la cruche
qui tant va à l’eau
que
zut, aide-moi
à ramasser les morceaux le temps est éternel
et tout ce qui a été créé l’a été pour nous à partir de nous
la peur la douleur l’herbe des steppes la mort et ton amour

Millet l’ancien (Dávné proso), trad. Yves Bergeret et Jirí Pelán, Atelier La Feugraie, 1997,)

Le pays d’en face

Une semaine avant les cerises ou encore plus tôt
les belettes blanches traversent les routes
et le vent soulève la poussière
dorée comme les ostensoirs et les nuits

les nuits sont profondes

les nuits sont profondes comme les gouffres où filent les étoiles
et si le désir te réveille après minuit
n’attends pas jusqu’à l’aube

Tous nous sommes tatoués pour un long voyage
l’un a les talons noircis
un autre un genêt au petit doigt
sur la colline l’arrête-boeuf nous a lacéré les mains

La mort n’est qu’une seule fois et pour toujours
mort le corps n’est qu’une balle
de laquelle on extrait l’âme
comme une graine dure

Pour un moment nous redevenons enfants
dans la basse-cour aux lapins et près de l’échafaud des poules
si près
que le sang nous a éclaboussés

Et demain nous partirons pour le pays d’en face
la glaise nous a tous tatoués les talons
au bord du chemin une hermine blanche s’arrête et se dresse
la mort n’est qu’une fois une seule et pour toujours

une semaine avant les cerises ou encore plus tôt

(Millet ancien, Traduit du tchèque par Yves Bergeret et Ji?í Pelán, Atelier La Feugraie)

Poème qui refuse d’avoir un titre

Les enfants avec leurs hameçons retournent au village
portant un poisson dans un mouchoir noué.
Il vit toujours,
remue lentement ses branchies sous la toile humide
et se couvre de glaire.

Dieu a permis
et livré le poisson aux enfants comme le secret des profondeurs
et comme un bijou muet, presque une rançon
de tout ce qu’il nous cache.
En vérité, cependant, c’est là, faite d’argent froid, une clé
de toutes les maisons
qu’il fait exprès de construire sans portes pour nous.

Les enfants n’en savent rien ; fiers, ils emportent leur proie
par un chemin blanc bordé de chardons.
Le ciel s’est couvert
et il pleut, on dirait avec une tendresse menue-monotone.

(Millet ancien, Traduit du tchèque par Yves Bergeret et Ji?í Pelán, Atelier La Feugrai)

Je veux l’entendre

Au fond de chaque chanson
même la plus triste
au fond de chaque verre
quelque chose sonne doucement.

Une fois plus fort
Une autre fois à peine.

Je veux l’entendre.
Dieu sait ce qui me pousse
à attendre que vienne ce son,
sinon j’aurais la peur au cœur.

Ce que le vin sait de nous,Brno, 1988,, éditions de La Lettre volée, Bruxelles, 1998, Traduit du tchèque par Jan Rubes

Les statues et la neige

La neige aime les statues et ses plumes blanchâtres
lors de leur chute se reposent dessus.
Sur les têtes des saints,
sur les revers des généraux
sur les poitrines de bronze ou de grès,
là partout la neige fait son lit.

Sur les vieilles places où, minuit passé,
tu n’entends battre que ton propre cœur,
sur le nez romain de Charles de Zerotin
partout un ange se dresse au-dessus d’une rampe
sur les torses sublimes
la neige ne fond pas.

Te souviens-tu, un soir assombri comme au crayon
de toutes ces lignes, de fils traversant le ciel et de boue,
la première neige tombait et fondait sur tes cheveux
mais elle s’obstinait sur les statues.

Les vieux messieurs auraient tout rendu
les médailles de leurs manteaux
l’or des auréoles
et les sculpteurs auraient donné tout
même leur béret français pour que
sur les seins de Vénus sous l’arcade
durs comme de la pierre
une seule veine, gorgée de sang
devienne bleue sous le bronze

et de son front chaud et de sa joue brûlante
une première goutte,
une deuxième, une troisième, puis une cinquième...

Ce que le vin sait de nous, Brno, 1988,, éditions de La Lettre volée, Bruxelles, 1998, Traduit du tchèque par Jan Rubes.

Adaptations personnelles à partir de traduction en anglais ou allemand

Averse

Et cela sera autre sans la moindre question
comme au fond du lac les chênes noyés
Et nous nous habituerons au vide sans mots
Et aux ténèbres toujours présentes
L’averse de tes jours est tombée sur le rocher
Et s’écoule dans la vallée
Le pressentiment est resté la mémoire du futur
Et la mort et l’amour sont bien égaux
Partout dans la ville sonnent des orgues
et les oiseaux bleus boivent dans des flaques
où le tonnerre s’est lavé

Filles de la chanson

Ma nuit est la plus sombre
D’où émerge le matin
et l’horreur de ces petits oiseaux sous les fenêtres
commence à fond.

Alors je me lève
Et déshérité de la veille
Je vais à la salle de bains.
Et arrivé là, j’ai honte parmi tous mes meubles.

Encore une fois, je ne suis que moi-même
dérobé de telle sorte
que, par rapport à l’éternité je ne suis suspendu qu’à un fil.
Tout me rappelle honteusement
qu’hier je n’étais qu’une verticale.

L’eau me libère pour un moment
De la porcelaine blanche avec mon ongle
J’enlève en grattant un cheveu
Trop lié à vous.
À nouveau tout va mal, pire encore.

Mais alors, je me souviens encore
et en buvant mon café, je récite les versets,
lentement, difficilement, pour les prolonger:

" Sur les gazouillis des oiseaux il se lève
et toutes les filles de la chanson pleurent. "

Sonnet avec un paysage en lieu et place d’un collier

et parce que nous serons vite vieux
et comment les maisons deviendront oiseaux
J’ai trouvé un paysage pour nous

Là où il est une boisson
une montagne rose
la chute vers le bas
et aussi une pente

où le souvenir perdure encore
et je te le donne
Comme je t’offre la vie de la mort de chacun

Ainsi que jadis je fus submergé
dans la prairie des éléphants
dans l’herbe non foulée

L’enseignant de la seconde mort

Sur un long banc le long de quatre murs blanchis à la chaux
étaient assis les enfants décédés
très récemment
Maintenant, ils attendaient
pour leur seconde mort.

Ils étaient assis de manière bien élevée et avec leurs petites mains sur leurs genoux
Totalement immobiles et si tranquilles
que, derrière la fenêtre ouverte, les chaînes du manège
de l’automne pouvaient s’entendre

Avec leurs petits cous ils touchaient le mur
et attendaient jusqu’à ce que le professeur vienne
et attendaient patiemment
comme jamais auparavant dans leur vie

Puis des pas ont été entendus dans le corridor
le professeur entrait, il est arrivé sans visage
comme s’il n’y avait pas de seuil
et les enfants l’ont accueilli sans un mot
Et parce que tous étaient déjà bien après la mort

aucun d’entre eux ne tremblait de peur
Ils savaient tous
Qu’ autrefois n’était pas assez

Puis, quand il a commencé à les appeler par l’ordre alphabétique
ils se levèrent l’un après l’autre
et après une légère inclinaison
de leur tête à peine ébouriffée
à petits pas ils ont quitté la salle de classe

Minuscules ils étaient tous de la première année

Sans cesse

Inlassablement la neige tombe toute la journée
comme si certains voyous avaient battu à mort
avec des bouteilles de bière
un cygne dans le ciel
et que ses plumes tristes tombaient.

J’ai tellement peur du silence mortel,
du poids sur les arbres et de l’éternité,
qui cesse chez les humains

que j’en deviens muet.
Et je n’ai aucune honte
pour mon tourment, seigneur, tu le sais.

Il tombe sur moi en silence, sans un mot,
Comme de vains regrets,
Du moins de ce que nous sommes capables d’avoir,
en attente d’un mot gentil.
Alors que dehors, derrière la fenêtre, elle tombe.

Et tout le temps encore et pire.

Tristessa

Les morts

Nos morts viennent tout le temps
Ainsi, nous ne pouvons jamais être seuls
Et ils viennent ici comme des ombres
Dans la cendre de leurs cheveux et l’argile des prairies
Leurs visages sont comme effacés
Mais nous sommes honorés par notre mutuelle connaissance
Après les bleuets de la magie de l’été dernier
Leurs mains sentent très faiblement
Ils me saluent discrètement comme un des leurs
Un bossu dont la présence a été révélée

Un bon jour pour mourir

À l’heure de notre mort
quand le bon jour pour mourir
arrive
Nous allons arracher les grains de la mauvaise herbe
du printemps de l’enfance
Nous allons soulever une image sainte
Et à peine toucher l’eau
du printemps de l’enfance
À l’heure de notre mort
quand le jour viendra
le bon jour pour mourir
L’humble roi lépreux sourira

Une brève description de l’été

Feux sauvages
des quatre côtés brûle l’été

des fleurs d’acacias soporifiques poussent
l’âme verte du vin couve dans les vignes
Les coquelicots saignent dans le blé

L’obscurité vient
et la lune se promène sur le pont d’argent

Le monde est comme le pain retiré du four
que la nuit ronge

Un chant sur la culpabilité la plus proche

Il y a un ressort rempli de sang
Et tout le monde a bu de celui-ci
Et quelqu’un a tué seulement un moineau
Et quelqu’un est terriblement offensé

Et après, il se repent
Et laisse l’eau ses mains faire tache
Et les regarde contre la lumière du soleil
Et il craint de ne pouvoir le soutenir

Et a tenu mais pas longtemps maintenu
L’eau dans ses doigts, oh mon Seigneur
Et écrasé la roche dans la carrière vide
Et il a prié: lapide-moi ou prends Ton épée

Et a tenu mais pas longtemps maintenu
Et sa crainte il n’a pu la soutenir
Et le printemps est rempli de sang
Et nous avons tous maintenant sa tache
1981

Proverbes

Je m’inquiétais tellement du sort du monde
que j’ai commencé à échafauder des proverbes.
Ce sont de longues vérités aussi bien que ses courtes.
Et si la punition ne vient pas immédiatement,
vous avez la durée du mandat de votre propre vie pour votre culpabilité.
Et personne ne pourra jamais défaire ce qui a été fait.
Et personne ne peut écrire une chanson
pour une jeune fille aveugle et pour un oiseau sans ailes.

Les voyageurs de nuit

Les vols de la propriété des dieux nous ont réveillés vers minuit
Nous tâtons aveuglément autour de nous
et somnolant demandons les nouvelles
combien est fraîche la nuit
Le rêve persiste
comme un œuf non brisé sur un rocher
Et c’est le moment où nous rêvons de nous-mêmes
Et le centaure a la tête de la tourterelle
Avec quels automnes allons-nous partager
les repas du chevreuil
nous
qui voyageons dans la nuit
et questionnons avec de telles voix endormies

Un instant

Pour aucune vérité du monde
Mais si vous préférez,
pour un peu morceau de silence.
Il y a un moment qui partage en deux la terre.
Quelque temps d’humilité,
quand quelqu’un souffle sur nous.

Les cendres

Il écrivait avec le doigt dans la poussière et n’a rien laissé
et le vent chante quelque chose depuis peu déjà si loin
et près du derrick le troupeau de cerfs
se tenait immobile
et écoutait avec une certaine attention

Ce qui est de cela et ne sera pas
était déjà écrit autrefois
Pourquoi dire haut et fort que l’herbe a été piétinée
Et cela surgit
lorsque tombe la pluie et quelque chose d’autre

Qui est au moins un peu comme nous
attendra
Non, vraiment personne ne peut
soulever des lames si lourdes
Et la main oh seigneur était l’autre main

Il écrivait avec le doigt dans la poussière et n’a rien laissé
et le vent chante quelque chose
depuis peu déjà si loin
Une telle main oh seigneur ce que l’autre main
élèvera une ville et périra dans les cendres.

Un homme interdit

Tout ce que j’ai est retourné vers le dedans
Et existe de l’autre côté comme les cravates
Sur la paroi arrière de la garde-robe

Lentement je m’habitue au silence et aux odeurs

Je peux soulever une plume de la boue
sans la jeter au loin

Parfois, je me raconte une histoire
Et une autre fois je chante une petite chanson
À propos de mes jambes bonnes seulement pour la douleur
Et mon âme pour se maintenir

Et encore, je suis inaudible comme la lumière

Alors je suis engagé avec le silence si méticuleusement
Que j’ai coupé la gorge de la peur en la touchant

Des autres et de moi-même

Et quand les aveugles regardent en arrière
C’est comme si je faisais partie d’eux

Nous nous poussons ensemble dans le chas de l’aiguille

Les voilà, les toutes petites griffes des chauves-souris

accrochées au sommeil de l’hiver

La dernière soif

Donc, il y a longtemps que nous avons trépassé
et tellement de soif
tellement de belle soif
nous sommes partis en restant à la maison
C’était il y a si longtemps
et tant d’années se sont écoulées depuis lors
C’est incroyable
et toujours tout pareil avec ce goût de quartzite
et après de soufre
cette soif toujours cette soif pour la dernière fois

L’enterrement de Jaroslav Seifert

Les gens n’avaient pas encore fini
jetant des poignées de terre dans la tombe
pour en faire sa patrie pesant sur lui encore plus.

Les conducteurs commençaient à faire démarrer leurs moteurs sous un mur
et il semblait qu’il pleuvait un peu.

Le cimetière s’est vidé
et tout fut silence
comme si quelqu’un
avait mis un chien errant dans sa cour.

Et quand la nuit tombe,
La belle et folle Victoria viendra ici par un déversoir
avec un nénuphar dans ses cheveux.

Le poème

Là où nous avons mis le sel à la maison,

Longtemps je ne fus pas chez moi.
La mère,
avec des yeux coupables,
à la porte salua cette rare visite.
Le père ferma le livre,
l’étroit était comme le temps
les reliefs de la journée.

Ils m’ont fait asseoir derrière la vieille table,
M’ont offert du vin de framboise.
Les tilleuls regardent à l’intérieur.
à la fenêtre ouverte, je fis salutation
surpris d’être ivre.

Bourgeons, tout petit bourgeons, disons,
est-ce possible
un dé à coudre plein de vin
et, en outre, de framboises?

Idiot
Grand comme un doigt de la terre,
tu es si petit à l’intérieur,

la rose exhalait directement dans l’oreille

Soudain, je me suis souvenu,
où nous avons à la maison mis le sel.

Tout ce qui restedes anges matin,
arbres encore bandés
tout le reste non touché,
entre deux peupliers
à moitié endormi en vol
un ange en lévitation
À travers les fissures dans le sommeil
il chante
Le premier dans la rue
celui que cette chanson blesserait
peut rester là soupçonnant à moitié
mais jamais n’attrapera un éclat
De la verdure
tout ce qui reste
de ces anges

Un moulin à neige rayé comme une planche
que le menuisier met de côté
Je marche le long de la rivière, convoquant sept tonnerres
lumineux et majestueux sur ma tête
sous les ponts les oiseaux d’hiver volent ici et là
l’eau vide
très au-dessus de nos têtes, le moulin de la neige
écrasement de la paille

Le soir

Dans le ciel le vent se lève

le vent de demain, pourpre

et encore une fois l’amour

encore une fois depuis si longtemps

dérange la mort à distance

Pouvoir lire dans la main morte

La ligne de vie est déjà noircie par la sueur

qui refroidit

sur les fenêtres les drapeaux de la tristesse

pendent avec fierté

on ne peut pas lire l’avenir

de la main d’un mort

puisque la mort ne peut pas même pas elle

se laisser déloger de la paume

Tout contre nous

Tout ce qui, encore enfant nous faisait rêver
tout ce qui

n’a pas même effleuré notre esprit

La beauté aussi
entr’aperçuedu coin de l’œil
celle aussi que nous

avons côtoyé

en aveugle

L’amour même

Même l’amour sera retenu contre nous

ce cercueil en verre

la toute première fraise de l’année

la rose d’automne de notre mémoire profonde

et tout cela sans lendemain de veille

Les mots

Il est des mots cruels et si désespérés

comme un épervier qui fond

en plein vol sur la blanche rive

tu aurais dû mon Dieu nous les cacher

La neige, sur la nuit qui tombe

La neige fraîche vient juste de tomber

il fait nuit
et des garçons jouent avec un seul doigt sur leur guitare

mon Dieu je ne sais pas pour qui ils jouent

en laissant aller quelques sons à peine

ceci ne vaut pas le silence

ni le dos noir des arbres

ce n’est rien-

et pourtant.

Bibliographie

En français

Paysage avec pendules, trad. Patrik Ourednik, Éditions K, 1990. Épuisé.
Millet l’ancien (Dávné proso), trad. Yves Bergeret et Jeri Pelán, Atelier La Feugraie, 1997 ; épuisé.
Ce que le vin sait de nous (Kdo pije potme víno), trad. Jan Rubeš, La Lettre volée, 1998.

Livres en tchèque

Combien d’occasions a une rose, Kolik prílezitostí má ruze, (Prague 1957),
Que reste-t--il de l’ange, Co zbylo z andela (Prague 1960),
L’Heure entre chien et loup, Hodina mezi psem a vlkem (1962),
La tristesse, Smuténka (Prague 1965),
Le vent s’appelle Jaromir,Vítr jménem Jaromír (Prague, 1966)
Vergettes, Metlicky (Pragu e,1968).
Perdue,Tratidla (Brno, 1974)
Le millet d’antan (Dávné proso, Brno1981)
Poèmes, Básne, Mnichov 1982
L’Espoir aux ailes de hêtre, Nadeje s bukovými knídly, (Prague 1983),
Berceuses, Uspávanky, (Prague1983)
Moulage à la cire perdue, Odlévání do ztraceného vosku (Brno 1984),
Où envoyer la corde, Kam odesly lane, (Prague 1985)
Qui boit du vin dans le noir, Kdo pije potme víno, (Brno 1988)
Pourquoi l’oiseau à partir d’une branche tombe, Proc ten ptácek z vetve nespadne (Prague 1988)
Et encore l’amour, A znovu láska (Brno 1991). Publication posthume.
Le onzième cheval blanc, Jedenáctý bílý kun, Brno 1964, contes.
Le treizième cheval noir, Trináctý cerný kun (Brno 1993), contes.