Jean-Pierre Metge

Hommages

Jean-Pierre Metge n’était pas dans la célébration de soi, mais dans celle des autres.
Mais il fallait laisser quelques traces de ce passeur passionné de la poésie.

Le club Metge ou les photocopieurs

Panorama 2001, 10 juin 2001

Jean-Pierre Metge était un copain des photocopieurs, qui le lui rendaient bien. Il les a mis au service de la poésie et de l’amitié. Il suffit de jeter un œil sur le fameux bulletin de liaison d’Escalasud (association de poètes, chanteurs, comédiens et plasticiens) dont il assura rédaction, fabrication et diffusion avec une belle opiniâtreté pendant plusieurs années, parce qu’il n’arrivait pas à le refiler à quelqu’un d’autre. J’ai envie de dire que tout Metge était là : dans les coups de cœurs et coups de gueule mêlés recouvrant d’une écriture serrée ces feuilles grand format qu’il photocopiait et adressait à tous les adhérents. Et dans l’humilité qu’il mettait à s’acquitter ponctuellement d’une tâche assez lourde.

C’était à la fois précis et généreux. Précis parce que bourré d’informations pratiques, de dates de manifestations, d’avis de parutions, etc. Jean-Pierre avait ce côté journaliste qui s’en va recueillir les dernières nouvelles du front. Mais il les diffusait avec sa générosité habituelle, les agrémentant de dessins, de commentaires, de « dernière minute » en diagonale dans les coins du « journal », de photos récupérées ici ou là, de coupures de presse, de poèmes des uns ou des autres, de comptes rendus de lectures. Dans le beau fouillis vivant de la création et de l’urgence. On en savait plus en cinq minutes, en parcourant son bulletin, qu’en lisant un magazine ! Et sans jamais occulter un débat, son honnêteté foncière lui faisant un devoir de rendre compte des avis contraires, des chamailleries et oppositions qui ne manquent jamais d’animer de tels cénacles. En fait et au bout du compte, le seul vrai lien, à Escalasud, c’était lui. Lui qui faisait circuler la parole, nous donnait des rendez-vous et réchauffait nos ardeurs parfois vacillantes de sa plume chaleureuse. On ne peut pas penser à Escalasud sans se souvenir de ses bulletins, entendre son rire, se rappeler combien son amitié était fédératrice.

Sans compter qu’il se déplaçait partout, était de toutes les rencontres. Aller à telle ou telle manifestation, c’était avoir de grandes chances (et la chance tout court) de le retrouver. Je me souviens ainsi d’un retour, dans la nuit, de Rodez où nous avions assisté aux Journées de poésie ; nous nous suivions, avec Casimir Prat, et nous cherchions désespérément une station-service. Mais nous n’avons trouvé qu’un bistrot d’ouvert, à Albi, et nous l’avons pris d’assaut car c’était l’anniversaire de Jean-Pierre, que nous avons fêté dignement avant de rentrer au petit matin !

Les photocopieurs, Jean-Pierre les a bien d’autres fois mis à contribution et notamment, bien sûr, après l’aventure de A Chemise ouverte, pour sa dernière entreprise éditoriale, le Panorama des poètes en Midi-toulousain. Son pari – sortir de toutes les structures et contraintes légales et financières pour publier des plaquettes de poètes – il l’a gagné. Grâce à ses amis les photocopieurs, certes, mais surtout à beaucoup d’huile de coude, d’ingéniosité, et, disons le mot, de dévouement à la cause poétique. Et, comme toujours, en tissant ou en renouant des liens, en favorisant des rencontres, en ouvrant des voies. Tous ceux qu’il a accueillis là sont définitivement entrés dans le cercle d’une amitié rayonnante, constituant du coup une bande de copains, ceux du club Metge…

Jean-Pierre était de l’espèce plutôt rare des poètes qui s’oublient, préfèrent laisser passer les autres devant. En homme qui avait pas mal vécu et beaucoup donné, il gardait le sens du relatif et accueillait d’un sourire passablement narquois les prétentions et les prétentieux. J’ai dit plus haut que tout Metge était dans le bulletin, formule malheureuse parce que réductrice. Jean-Pierre était surtout dans sa poésie, bien sûr, extrêmement sensible, et dans laquelle on le reconnaît si bien. Mais Jean-Pierre était aussi ailleurs, actif et réactif sur les fronts de la lutte anti-nucléaire ou pour l’Occitanie, attentif dans son observation des insectes, et l’on pouvait le découvrir tout aussi passionnément admiratif dans sa volière de Mirepoix au milieu des faisans et des pigeons. L’explosion d’AZF l’avait meurtri, comme Sylvette, son épouse et Laurène, sa fille, les contraignant à un déménagement difficile. Mais plus encore que les ennuis matériels, c’est le spectacle du monde, l’injustice de la situation faite aux sinistrés et l’impunité assurée aux responsables du désastre, qui l’auront, je crois, le plus blessé, en même temps que révolté.

Lors de l’hommage que lui ont rendu ses amis, Casimir Prat a eu raison de rappeler qu’en dépit de toute sa gentillesse et de son humilité, Jean-Pierre Metge restait un homme « contre ».

Pour ma part, l’image que je garde reste celle de Jean-Pierre assis au coin du feu avec les siens, dans sa petite maison de Mirepoix où nous allions de temps à autre le visiter. Celle d’un homme sans doute travaillé de contradictions autant que de projets, avec le plus souvent une idée à mettre en œuvre et une colère à organiser en refus, mais avec toujours cette si formidable chaleur dans l’accueil : des gens, des poèmes, des animaux, de la vie qui va et où l’on essaie, tant bien que mal, de jouer le mieux contre le pire, l’amitié contre

Michel Baglin
Décharge n° 117, mars 2003

Manuscrits

Certes Metge photocopiait encore et encore, mais il est judicieux de voir comment était son écriture, lui qui préparait entièrement ses revues.

Choix de textes

Ton coin de ciel tracé à la craie blanche
sur le trottoir secret des petites voisines
tu cours au fond du pré un mouchoir au genou
La grille des marelles devient la cage vide
où meurent les initiales
ces oiseaux de l’automne
Les colliers d’orge bleu redeviennent ficelles
Assis sur ce seuil triste
toi l’enfant que je fus
tu lances des graviers
sur les feuilles d’octobre
et les grillages gris
emprisonnent le soir.

Toujours exilé malgré moi ; toujours en partance. De mes pays du Sud je connaissais surtout les routes qui épousaient les paysages. Depuis peu sont éventrés les territoires de l’enfance, les virages sont laissés à l’oubli. Routes droites, routes communes, routes rapides : ne plus s’attarder au cœur de deuil des coquelicots.
Il reste heureusement des terres indomptables ; paysages karstiques aux calcaires imprimés de coquillages éternels, Causses où l’on peut errer encore jusqu’à perte de vue d’un muret gris à l’autre, à l’entour des dolines et des genévriers.
Plus au sud, j’habite d’autres paysages. Là, la campagne ne m’appartient plus : propriétés privées. En mes vers je parle prisons. Restent les cieux déjà océaniques mais jamais franchement d’azur.
En ce présent de paysans morts, éloigné du Lot, captif des banlieues toulousaines, je n’ai plus où marcher. Alors, par les mots, j’essaie de recréer mes Suds. Ils ont pour eux, mes Suds, la saute d’humeur de leurs vents, leurs nuages, leurs sécheresses, leurs noms de lieux qui rappellent la langue ancienne. Ils ne se veulent pas universels si l’universel c’est l’uniformité fa de : ils se veulent uniques, riches de leur diversité pour demeurer universels.
Par mes poèmes je suis de leurs luttes déjà perdues d’avance, de leur mélancolie et si, comme eux, je suis triste au quotidien, nous avons au moins l’assurance d’être et pour cela, peut-être, d’être aimés.

On a parlé toute la nuit
Si les verres sont des soleils
On a bien bu trente soleils
Qui donnent aux lèvres un goût d’avril
On a parlé de tous ces riens
Qui font que les jours sont si longs
De tris minutes ou de trente heures
On a parlé pendant des heures
On a parlé de nos jardins
Du sulfate et des murs bleuis
Des feuilles sombres du pommier
On a parlé d’arbres fruitiers
Qui donnent à mai un goût de lèvres...

Décharge n° 117, mars 2003

Peines passées dans le tamis des mains
Peines à venir
dimanches gris comme les pierres
nos seuls soleils sont des lichens

Plus de savons gros cubes pâles
plus d’eaux bleutées
où jouent les doigts
le village est mort au lavoir

Chardons de mots tristes
haillons de chairs
vieillir sous le baiser des ronces
quand plus n’importent les saisons
à ceux
que l’on aime plus qu’avec distance
dans le temps mort

Hauts murs de tessons
pour limiter nos jardins noirs
seul le regard blessé.
au-delà des lignes grises
voyage
jusqu’aux branches immuables de l’espoir.

Bleuissement des feuilles mortes et de l’hiver, Clapàs, 1993

Le Bourg

le ciel est à la neige
on devine à peine
la place du foirail et l’aubépine de ses seins

lassitude des jours
noyers gris
la mort mauvaise danse
partout sur le pays

ils ont brisé
depuis longtemps déjà
la lampe de la poésie
tous ces mots qu’ils n’ont jamais dits
à force d’habitude

tous ces mots qu’on n’a su chanter
sur les clavecins
d’un siècle déjà cassé
il a neigé passe Sylvie
mes horizons sont limités
aux silences de la mésange

Nos seuls soleils sont des lichens, L’Arrière-Pays, 2003

Tu semblais avoir pétrifié le temps à croûte de calcite
avec tes rochers plats émergés d’avant l’homme
légèrement creusés pour recevoir la pluie
auges surréalistes abreuvoirs des geais bleus

Tes murettes refuges des mousses charnues d’ombres
étiraient nos balades aux sentiers de la vie
jusqu’à perte de pas
et les brebis passaient
sous les érables nains
laissant aux prunelliers
un peu de leur suint
comme un tribut au vent payé pour la saison

Nous les enfants glissions immortels hors des âges
un bâton à la main pour flageller les ronces
dans ces couloirs étranges d’étoiles de lichens
nos rires tintaient clair

Quelles que soient les années
aubépines de mai ou mûres de juillet
à hauteur de visage
l’essentiel était là
à cœur d’Éternité et au chant des loriots

Mais l’enfance a changé
dernier wagon d’automne
la gare d’abandons s’endort jusqu’à l’été
On laisse aux vieillards tout le soin des troupeaux
le pays est à eux comme ils sont à l’hiver
leurs silhouettes sont si fragiles qui s’éloignent sur les chemins

On pille les vieux murs
pour orner des jardins
tu meurs un peu pays
avec l’âme des hommes
et malgré les saisons

***

À la heurtée du temps
des vents contraires
et des pierres de taille
grande place déserte sauf les jours de foirail
quand pleurent les moutons

gris de pluie des façades à angles vifs et froids
et ardoises des toits aux guipures de zinc
les portes sont fermées pour un deuil quotidien
quand la langue des jours de neige retenue
imprègne les secondes d’un instant irréel

Gramat
j’habitais là toute l’année
puis les dimanches tristes seulement
puis en passant trop rarement dans les souffles d’été

N’avoir su rire parler ni pleurer quand il l’aurait fallu
je ne suis plus qu’un étranger.
et les vivants ne sont plus là

Automnes je n’ai plus où aller hors saison
je n’ai plus où m’asseoir dans l’enfance
pas même sur les marches mouillées des lieux publics
à la terrasse des cafés morts

au détour des ruelles
chaque silhouette preste
m’est désormais femme inconnue

Notre jeunesse s’ennuyait aux jeudis gris
à la nuit trop vite tombée
pourtant je suis revenu
les mains vides
comme pour mieux caresser la chair grenue des calcaires
pour mal éteindre les flammes sous sa robe d’octobre
comme pour mal étreindre le présent

***

Ici l’on a les paysages qu’on peut
pour toute sortie des dimanches
une route qui s’achève
toujours la même
au-delà de la grille des peupliers

la maison basse est là
sulfatée de bleu
aux confins des coteaux
et des vignes absentes

L’autan balaie
la danse des cravennes
aux lanières de vent
sur les hauts crépis du silence
enchâssés de galets.

Les ombres recomposent
sur un tas de graviers
les figuiers de septembre

petit mur du lavoir aux briques disjointes
puits asséché chaîne rouillée
la roue grince en vain
aux gestes du passé

27 poètes du midi toulousain, Panorama 2001 n° 3

Biographie

Jean- Pierre Metge est né le 23 mai 1949 à Agadir (Maroc). Issu de vieilles familles de paysans et de tisserands de l’Ariège et du Lauragais, fils de soldat, il a souvent voyagé. Enfance et adolescence dans le Lot (Causse de Gramat).

À seize ans normalien à Toulouse où il est l’élève du philosophe esthère Charles-Pierre Bru. Instituteur en Haute-Garonne de Cintegabelle à Toulouse, puis Professeur d’Histoire, il a vécu à Toulouse où il rencontre en 1986 les poètes d’Escalasud, association pour laquelle il rédige un bulletin intérieur: de 1990 à 1994 (206 numéros).

Il crée les éditions A Chemise ouverte en 1994 puis devient membre fondateur du Passe-Mots. En 2000 il lance l’idée de Panorama 2001, 27 Poètes du Midi Toulousain dont il dit : « Ceci n’est pas une revue ou l’émanation d’une quelconque association, c’est l’expression forte et fraternelle d’une action directe faisant fi du carcan administratif et des manipulations d’argent. Cette action veut s’inscrire en toute illégalité dans la vie, la nôtre, la vôtre… dans votre quotidien ».

Atteint d’une pancréatite, il meurt le 8 octobre 2002 Toulouse.

In Nos seuls soleils sont des lichens, L’Arrière-Pays, 2003