Lêdo Ivo

Une patrie dans le monde et dans une langue

« Les heures se suivent, se dépouillant de ce que nous ne sommes pas, de ce que nous n’avons pas été, de ce que nous n’avons pas combattu. » (Lêdo Ivo) Un étonnant poète brésilien de 87 ans nous aura été révélé par une éclatante traduction de Philippe Chèron, et les mots ainsi jetés face au néant, contre le soleil, nous aveuglent encore. Un requiem écrit pour sa compagne deviendra méditation sur les volcans de la vie qui se réveillent.
Ainsi il existait au Brésil une voix si puissante, terrifiante de beauté, à la fois universelle et ancrée jusqu’au sang dans ses terres brésiliennes, et dans la langue portugaise. Ancré dans la chair profonde de sa patrie, mais pour lui « sa patrie est la vie », Lêdo Ivo est à la fois enfant du monde et enfant de ses racines indiennes qu’il revendique. Maceió, sa ville natale, est la marée de sa vie, toujours venant battre contre lui, vibrante dans l’incertitude du ciel et de l’eau.
La « terre-mère » est présente, mais aussi l’océan presque natal. On entend dans sa poésie le cri des navires gémissants, le chant des oiseaux, les bruits de la ville, le bouillonnement des choses, les pluies comme des présages, la pourriture inéluctable du monde.

Il passe dans ses recueils toute la nostalgie des forêts, l’éclatement du vert des feuilles, la pression de la houle, l’odeur et les parfums de la lune.
Profusions de forces vives et débordantes, lianes des mots, tout cela est la glaise de ses paroles. Si l’imagination le porte, une passion du réel le guide. Il sait la vie dramatique, mais il la chante avec amour pour prendre possession de cette terre et apaiser les cœurs déchirés des hommes, dont il veut prendre la mesure et la grandeur. Avec l’arc de ses mots, l’armure de ses livres, il avance vers nous. Parée de magie verbale, de rites anciens, de formules ancestrales, des amulettes des images sa poésie nous envoûte.

Ainsi tous les passages du vent sur les forêts des paroles et les rides de la terre il les connaît et il les chante. Maceió, sa ville natale entre terre et eau palpite dans ses vers, au milieu des cales de navire, des navires échoués qui abîment la mer, de la marée de la vie. Car Lêdo Ivo est le chantre de la marée de la vie. Cette vie qui est comme vagues incessantes, inépuisables comme ses paroles. Il nous parle d’un monde violent mais où le poète peut tisser des territoires libérés et des espaces fraternels. Sa poésie est une poésie main dans la main, celle d’un frère oublié mais prodigue.
Ici une louange à ce « poète-fleuve », prolifique, débordant, au souffle amazonien, sera humblement tissée.
Contre le naufrage de la mémoire, il y a la mémoire de Lêdo Ivo, l’homme à la haute voix.

Torrentielle est sa poésie, pluie bienfaisante dans la moiteur de nos jours.

Parfois incantatoires, ses mots sont notre canopée.

Une vie comme le fleuve Amazone

Brassant comme un immense fleuve sa vie et son œuvre considérable, Lêdo Ivo est à la fois, et tout à la fois, poète, romancier, essayiste, surtout journaliste d’ailleurs. Il est l’une des grandes voix du Brésil, et le phare de la littérature moderne de ce pays, dont la prestigieuse génération dite «des années 45» fut le renouveau. Il en est la figure emblématique.
Lêdo Ivo est né le 18 février 1924 à Maceió, ville brésilienne, capitale de l’État de l’Alagoas. Mais Maceió est surtout un port sur la côte atlantique. La présence de l’océan, des bateaux, du vent sur la mer, va parcourir et sa vie et son œuvre.
Il a fait ses études primaires et secondaires dans sa ville natale, à l’American School Baptist College. Il apprend dès son jeune âge le latin, l’anglais, le français, ce qui lui permet « d’avoir un ballast culturel pour affronter le grand large. »

En 1940, il s’installe à Recife, où il commence à travailler comme journaliste dans la presse locale et étudie à l’Institut Carneiro Leao. Il participe aux mouvements poétiques en intégrant les groupes littéraires actifs. Après un retour dans sa ville natale Maceió, il s’installe à Rio de Janeiro en 1943, où il s’inscrit à la Faculté de droit.Il travaille dans des revues littéraires et dans la presse de Rio, en tant que journaliste professionnel. Il vit désormais à Rio, d’où il voit des papillons bleus s’envoler de la statue du Christ.

En 1944 il publie son premier recueil « Les imaginations. », suivi en 1945 par « Ode et élégies » vite remarqués. Puis vont se succéder bien des ouvrages de poésie, romans, nouvelles, essais et chroniques. Féconde est sa production, comme une éruption fertile. Il sera de cette espèce rare : prosateur et poète.
En 1947, son premier roman L’Alliance a reçu le Prix de la Fondation Aranha. En 1949, il est diplômé de l’École nationale de droit, mais il n’a jamais exercé, préférant continuer à exercer le journalisme. Au début de 1953, il s’installe à Paris. Il visite alors plusieurs pays en Europe, car il aura toujours en lui à la fois « l‘immobilité de la pierre et le voyageur ».

À la fin de 1954, il retourne au Brésil, et reprend ses activités littéraires et journalistiques. En 1963 il fait un séjour de deux mois aux États-Unis, invité par les Universités à faire des conférences.
La suite de cette vie majestueuse comme un long fleuve est faite de publications, de nombreux prix, de distinctions qu’il accepte fièrement.
Il devient presque le représentant officiel de la culture brésilienne à l’étranger, et chez lui il est considéré comme un monument national.

Il a été marié à Maria Sarmento Leda Ivo de Medeiros (1923-2004), et le couple a trois enfants: Patricia, Mary Grace et Gonçalo.
La mort de son épouse donnera le déchirant Requiem.
Maintenant couvert de reconnaissance et d’honneurs il attend la fin du parcours et de se jeter dans la mer inconnue. Mais le limon de ses paroles va demeurer longtemps après l’écume du temps.
Sa vie aura été un long voyage, lui qui jamais ne pourra s’éloigner de l’envoûtement de sa ville natale, ville et mer ouverte sur le monde, sur le sucre de la vie.

« Ma patrie c’est la langue »

La poésie de Lêdo Ivo n’est pas comme souvent une poésie d’exil. Elle est ancrée jusqu’au sang dans sa terre, dans sa langue.
On sent la poussée des forêts primitives, les houles de l’océan, la rouille des villes, les poussées du désir.

Le vent si présent, ne le pousse pas dans le froid et la solitude. Il le soulève vers l’amour et les étoiles. Il n’y a pas pour ainsi dire de silences dans ses paroles, mais le bruit de fond de la vie, tumultueuse, présente. Ce mélange constant entre mouvement et immobilité, pierres figées et voyages intérieurs et réels, donne cette tension particulière à son verbe. La splendeur de sa langue, sa véritable patrie, qu’il partage avec tous les bruits du monde où il veut être présent, porte haut et fort la musique sonore et puissante de sa poésie.

Il passe une soif de justice et de liberté dans ses écrits.
Il sait la beauté du monde et ses horreurs. La rouille du temps et le frémissement d’un oiseau porté par le vent.
Aujourd’hui, puisque selon lui Babel est installé partout, même dans le cœur des hommes, il faut retrouver une célébration des racines, une nouvelle alliance avec la langue.

« La poésie est la langue, est le don suprême de la parole. » Pourtant paradoxalement il affirme le contraire, voulant dépasser son ancrage patrimonial à une langue.
Une langue allant plus loin que la langue elle-même, particulière et universelle à la fois :

Ma patrie n’est pas la langue portugaise.
Aucune langue n’est la patrie.
Ma patrie est la terre molle et collante où je suis né
et le vent qui souffle à Maceió.
Ce sont les crabes qui courent dans la boue des mangroves
et l’océan dont les vagues mouillent encore mes pieds quand
je rêve
(Ma patrie). Cette langue imbibée de son enfance, de ses paysages portuaires, fera de lui ce poète aux hautes paroles :
« Merci à cette langue, par elle je suis là. J’ai certainement été introduit en poésie par les bateaux de mon enfance et les vents de mer qui, dans les lagunes et les palmiers, les îles et les chantiers navals rouillés, réalisent ce frère séparé de nous qui se mêle avec les crabes semi-cachés dans la terre molle et les mangroves sombres de Maceió, ma ville - J’ai imaginé cette terre mêlée à l’eau, elle est ma racine et ma ville natale, ma patrie et ma langue, et même mon cauchemar. » (Discours de Lêdo Ivo).

Pour lui, écrire est une mission, une exigence éthique, et la poésie n’est accomplie qu’avec l’autre, le lecteur:
« La littérature est un système et un séjour, un héritage et une promesse, une grâce et une fidélité, une accumulation continue de la mémoire, la question qui jamais ne se lasse de rendre nos cœurs impénétrables. Mais notre parole, même si perdue ou endommagée par le vent dans la soirée, servira toujours et notre tâche consiste à exprimer le mystère de la vie et créer une nouvelle image du monde. Dire ce qui ne dit pas et faire chanter ceux qui ne chantent pas, c’est notre honneur… Le poème est un sortilège de la langue, une magie créée par les hommes. Il est aussi le tableau du monde, une célébration de l’univers sans fin, donc le témoin d’une vocation et d’un enseignement, il aura toujours une utilité, et en assurant la continuité de la langue maternelle à travers le temps, le poème permet de renouveler l’image de l’existence humaine en tant que preuve supplémentaire de nos vies. » » (Discours de Lêdo Ivo).

Son passeur en langue française, Philippe Chèron, écrit ceci : « Ainsi, cette œuvre extrêmement abondante et variée (poésie, romans, nouvelles, chroniques, etc.), rendue possible par une grande facilité d’écriture et une longévité sereine et lucide, projette une singulière lumière rasante sur notre monde. La mélancolie et l’ironie, la lucidité et la sensualité, la tristesse et l’enthousiasme y brillent à tour de rôle comme d’étranges feux follets dans la pénombre et l’étouffante moiteur marine des mangroves. Cet éclairage aide à considérer la vie et le monde d’une autre manière, ouverte à tout, capable de concilier, ne serait-ce que le temps d’un éclair, la splendeur et l’abomination. »
Ce navigateur du cœur des hommes veut croire et nous faire croire que le secret de la vie n’est pas la mort. Mais le rapport aux autres hommes. Il aura été toujours fidèle à la vérité de son imagination.
« Je dirais que mon travail est que je crée. Je suis le fruit de mes paroles. »
Comme un fleuve de conscience ses paroles nous irriguent.
Les grands poètes sont comme des fleuves silencieux
Calme chacun d’entre eux
son chant s’allonge dans la plaine
empli son lit sans heurt
chaque bras touche chaque fleur…

(Jacques Bertin Les grands poètes sont comme des fleuves silencieux)
Lêdo Ivo est un « poète-fleuve », immense, avec ses méandres et ses chutes, ses splendeurs et ses renoncements.
Il a su apporter « l’aube dans la nuit noire » (sonnet de mes vingt ans.)

Gil Pressnitzer

Sources :

sites: Site Œuvres ouvertes de Laurent Margantin

Choix de textes

Le très long poème Requiem écrit en 2005-2006 après la perte de sa compagne, est un exaltant chant de vie entre deux néants.
Philippe Chèron l’a traduit et publié en œuvre ouverte sur le site de Laurent Margantin « Œuvres ouvertes ».
Nous nous sommes permis d’en extraire quelques chants parmi les huit.
Le texte intégral se trouve ici: Requiem / Lêdo Ivo

Requiem (extraits) Traduction de Philippe Chéron

« Un peu profond ruisseau calomnié la mort »
Mallarmé
I
C’est ici que j’attends la venue du silence.
En face de l’arsenal putride
je ne distingue qu’une étincelle
dernier reste des feux.
Comme tous les restes, il a la marque
des choses cachées pour toujours,
des êtres ensevelis au sommet des dunes ;
comme les lettres marquées au fer rouge
sur la croupe d’un cheval volé par un gitan, ou une tache de naissance
sur la hanche bien-aimée.
Maintenant la nuit descend pour toujours.
Mon regard fatigué suit la pirogue
qui s’éloigne des mangroves.
Une lumière sur le banc de sable. Un crabe dans la vase. Et la vie s’évapore comme les âmes
dans un ciel qui n’abrite aucun dieu.
Tous les paysages que j’ai vus sont réduits en poussière sur les cartes postales rongées. Et l’ongle sale, ourlé de noir,
prend la place de la main ancienne. Les portes successives des docks remplis de chapelets d’oignons et de sacs de sucre
se resserrent dans l’obscurité, se réduisent à une seule porte
insoumise au point du jour.
Face à la mer, sur la Barre San Miguel,
à peine maintenant je le sais :
la journée la plus longue de la vie d’un homme dure moins qu’un éclair.
On ne célébrera plus le temps
parmi les constellations.
Le ciel et la terre vont s’enfoncer
dans la cendre trompée des matins dérobés par la mort.
Et tout ce que j’ai aimé s’évanouit.
Le nuage écarlate se pose doucement
entre les maisons en pisé et la mer fendue par les vagues. L’heure est venue de dire adieu à l’eau noire qui s’agite dans la brume de la lagune
et au vent planétaire qui sèche les poissons accrochés aux barres de fer des cabanes
et à la mer « caeté » qui s’est ouverte au pied des falaises de ma patrie perdue. L’éternité passe comme le vent.
Seul le temps est éternel. C’est ici que j’ai toujours été au milieu de mon peuple décimé,
et au-delà des dunes mes mains ont préparé le bûcher doré d’un étonnant festin anthropophage. Une nuit de cendres succède à présent aux clameurs et à la joie. La mer étouffe tous les naufrages et tout feu s’éteint, tout feu doré se traîne et se meurt dans le silence du monde.
Ici, en ce lieu d’eau et de terre de mes naissances successives, mon ombre erre au milieu des décombres des navires perdus ou rêvés.
Et je cherche en vain, dans les eaux outragées, la chasteté de l’eau claire et intacte, qui affleure dans la mer quand perce l’aurore au cœur de la nuit muette.
Ô porte promise à la consolation de la vie, après tant d’immondices et tant de splendeur ! En cette nuit finale, les bûchers célestes
brûlent tout espoir et enterrent dans la cendre les rêves insensés des âmes terrestres et le râle qui abolit tout paradis.

Dans la nuit crématoire, la mort est un bûcher.
.....
A présent le silence du monde scelle mon âme.
Dans la roseur de l’aube un rayon rouge
vise la nuit obscure.
Distant de moi-même par la mort, ce coquillage qui ne laisse pas entendre le bruit de la mer, c’est ici que s’achève, dans la vase noire des marécages, mon long voyage entre deux néants.
La pluie sur la ville

Il pleut sur la ville
et la pluie inonde la chaussée, répand le désastre
et le manque de rencontre
et elle cherche à abattre les palmiers qui à la fin de l’aprés-midi
voulaient à peine - grâce pleine - les étoiles.

Le tonnerre retentit, épouvantant les oiseaux
qui sont venus se réfugier dans ma chambre.
Les éclairs, photographes de l’ absolu, illuminent les gens qui passent- ce sont d’autres visages, ma sœur, ce sont les faces
révoltées parce que les divinités ont rendu impossibles leurs idylles,
l’ arrivée à l’heure dans une maison, le déjà ajourné transperce l’ ineffable.

Les rigoles d’écoulements reçoivent finalement la Poésie. Comme
ils sont beaux
et nets les bateaux en papiers
qui naviguent en cherchant les règnes fantastiques, les règnes inaccessibles!
La pluie a une chanson. Jamais une élégie
pour saluer sa gentillesse. Jamais une ode,
un hyménée, une églogue de déploration.

Mon frère, laisse la gouttière tremper tes dernières
poésies. Peu importe que demain tu te réconcilies avec les grands
thèmes poétiques.

Le lendemain n’est pas consommable. La pluie t’enseigne
à être invariable sans te répéter.
(Anthologie “Poésie du Brésil » Paris, septembre 1997. Traductions Lucilo Varejão, Maria Nilda Miranda.)

Adaptations personnelles, Gil Pressnitzer

Les chauves-souris

Les chauves-souris se cachent parmi les corniches des
douanes.
Mais où les hommes se cachent-ils, puisque
cependant le vol d’une vie toute dans l’obscurité
s’écrase toujours sur les murs blancs de l’amour?

La maison de notre père était pleine de chauves-souris
pendantes, comme les lampes, comme chevrons anciens
soutenant le toit menacé par la pluie.
«Ces enfants sucent notre sang », soupira mon père.

Pourquoi l’homme jette-il la première pierre sur ce mammifère
qui, comme lui, se nourrit du sang d’autres animaux
(Mon frère !, mon frère !), et pourquoi la communauté exige-t-elle
la sueur des semblables même dans l’obscurité?

Dans le halo d’une poitrine jeune comme la nuit
se cache l’homme, dans les fibres de son oreiller, à la lumière de ses sens
ô l’homme qui garde les pièces d’or de son amour.
Mais la chauve-souris, dormant comme un pendule, garde elle seulement le jour offensé.

à sa mort, notre père nous a laissé (à moi et mes huit frères)
sa maison où la nuit il pleut des carreaux cassés.
Nous avons soulevé l’hypothèque et conservé les chauves-souris.
Et entre nos murs, elles se débattent: aveugles comme nous.

Ma Patrie

Ma patrie n’est pas la langue portugaise.
Aucune langue n’est la patrie.
Ma patrie est la terre molle et collante où je suis né
et le vent qui souffle à Maceio.
Ce sont les crabes qui courent dans la boue des mangroves
et l’océan dont les vagues mouillent encore mes pieds quand
je rêve
Ma patrie c’est la chauve-souris accrochée au plafond des églises rongées par le temps,
la danse folle du soir à l’hospice de la mer,
et le ciel courbé à travers les constellations.
Ma patrie est le sifflement des navires
et le phare sur la colline.
Ma patrie est la main du mendiant au matin radieux.
Ce sont les chantiers navals en ruine
et les cimetières marins où mes ancêtres tuberculeux
n’arrêtent pas de tousser
et de frissonner dans les nuits froides
et l’odeur de sucre dans les entrepôts du port
et les mulets se débattant dans les filets des pécheurs
et les rangs d’oignons recroquevillés dans l’obscurité
et la pluie qui tombe sur les cages à poissons.
La langue que j’utilise n’est pas et n’a jamais été ma maison.
Aucune langue ne peut tromper, la nation.
Elle me sert seulement à de célébrer mon pays muet et pauvre,
ma patrie dysentérique et édentée, sans grammaire et sans aucun dictionnaire

mon pays est sans parole et sans mot.

Le cœur de la liberté

J’étais, je suis et je serai
dans le cœur de la réalité,
près de la femme qui dort,
avec l’homme qui meurt,
à côté de l’enfant qui pleure.

Parce que dans mon chant, les jours sont fugitifs
et le ciel est l’annonce d’un oiseau.
Ne pas me retirer d’ici,
de la vie qui est ma patrie,
et passent les aigles dans le sud
et demeurent les volcans éteints
qui un jour vomiront le printemps.

Ma chanson est comme la veine ouverte
ou une racine centrale dans la terre.
Ne pas me retirer d’ici, jamais je ne trahirai
le centre de la maturité de tous mes jours.
Seulement ici chaque minute change comme des rivages
et le jour est un lieu de rencontre, comme des carrés,
et le cristal pèse comme la beauté
sur la terre qui embaume en créant le monde.
Adieu, toi hermétique, pays de mort fausse.
Je bois cette heure comme l’eau, je me réfugie dans le séjour
lorsque l’aube se mélange avec la rosée et le fumier,
et je suis libre, je me sens enfin, définitivement
comme le temps dans le temps, et la lumière dans la lumière
et toutes les choses qui sont au centre, le cœur de
la réalité qui coule comme des larmes.

(Linguagem, 1951.)

Ballade du campement

Je ne viens pas t’aimer
mais pour découvrir
ce que ton corps éprouve
et que je ne vois pas.

À l’école on m’a dit
tant de choses sur toi!
Dans ce campement dans le désert
tout peut commencer.

Un jour je serai poète
Et je chanterai cet instant
où tu m’as appelé en criant

moi ton premier amant.

Oh! laissez-moi entrer dans l’Amour
avec les yeux ouverts...

(Cântico, 1949.)

O Jour

Du fond de l’après-midi vient le jour qui vit à tout jamais
pareil au murmure de l’eau entre les rochers
où se cachent dans les feuilles avant l’aube les poissons poursuivis par les hommes.

N’ont-ils pas compris l’autre jour mélodieux au grand air
dans les perspectives des gratte-ciels, dans les cinémas et dans les déplacements.
L’heure a gardé une épaisseur secrète
et les gorges où le lieu a émigré
implorent à peine ce qui reste froid et ensommeillé.

Les imprécations dorment dans l’air, comme une résistance des anges

et la douce illusion qui défigure un genou fendu

dans l’eau

comme si leurs corps avaient ressenti que le moment s’était envolé.
La vie, délivrée de tout vocabulaire superflu, est célébrée sans

Mémoire
dans l’esprit enchaîné à un interminable maintenant
à jamais présent comme l’océan des plages.

(Cântico, 1949.)
Les Illuminations

Je suis tombé sur toi comme une volée de passereaux.

Et tout est amour, est magie, est Kabbale.
Ton corps est beau comme une lumière de la terre
pour la division parfaite de l’équinoxe.

Somme des cieux passée entre deux hangars,
Il est la hauteur de tout ce qui serpente
La terre fabuleuse et maritale.

Déplace la nuit au jour parce que tu existes,
féminine et totale dans mes bras,
comme deux mondes jumeaux dans une seule étoile.

(Um Brasileiro em Paris, 1955)

Sonnet des hauteurs

Mon attitude réservée va vers le vent
le ciel haut, à un endroit sombre
qui me transperce de mécontentement
et ne se jette pas dans la mer, ni dans la rivière.

Les changements me ligotent, toujours en moi
les changements me tuent, et chaud et froid
et encore brûle l’instant
la lumière du désir, comme un poulain en rut.

Mon corps ne veut rien, mais mon âme
déploie ses feux et veut tout
et va au-delà de la compréhension humaine.

Et même si rien ne l’étreint, ne s’apaise pas
et, l’âme seulement, porte mon corps vers le changement,
au ciel et prie pour l’ineffable et non pour le vent.

(Acontecimento do soneto, 1948.)

Sonnet de la conciliation

Que l’amour ne me trompe pas, comme la brume
retient une sécurité imprévue.
Avant tout, maintenez le sol sur lequel repose
ce qui sera perdu comme l’écume.

Je vois que j’ai été élu mais sans
raison pour le faire, et sans mémoire
pour juste profiter et éviter
que l’amour ne s’en aille vers nulle part.

Cela aussi ignore précisément
le motif réel de l’offre,
Alors rassemblez l’essentiel et l’accessoire.

Avant tout, montrez tout ce qui est tissé
loin de ces jours inconsommables
et qui donne certitude à la nuit incertaine.

(Acontecimento do soneto, 1948.)

Première leçon

À l’école primaire
Ivo a vu le grain de raisin
et appris à lire

Tout en restant un petit garçon
Ivo a vu Ève
et a appris à aimer

En homme en devenir
Ivo a vu le monde
ses nourritures et ses boissons

Un jour, sur le mur
Ivo a vu le monde
la leçon de la plèbe

Et appris à voir
Ivo a-t-il vu l’oiseau ?
Ivo a-t-il vu l’œuf ?
Dans le nouveau guide
Ivo a vu la grève
Ivo a vu le peuple.
(Estação Central, 1964)

Le grand chant

Je n’ai plus de chansons d’amour.
Je les ai jetées par la fenêtre.
J’étais en compagnie de la langue,
et j’élucidais le monde.

De la mer j’ai gardé la meilleure vague
qui est moins changeante que l’amour.
Et de la vie, j’ai gardé la douleur
de tous ceux qui souffrent.

Je suis un homme qui a tout perdu
mais qui a créé la réalité,
bûcher des images, dépôt
des choses qui jamais n’ont explosé.

Je veux ne garder que l’essentiel:
l’aqueduc de la ville,
la route du littoral,
le reflux d’une parole.

Loin du ciel, même le plus proche,
et près des confins de la terre,
je suis ici. Ma chanson
fait face à l’hiver, cela est concret.

Mon cœur bat
sa chanson du plus grand amour.
Bat pour toute l’humanité,
en fait, je ne suis pas seul.

Je peux maintenant faire savoir
et dire que le monde est trop grand.
conduis-moi par la main comme paroles
de géographies absolues.

Plante de Maceio

Le vent de la mer ronge les maisons et les hommes.
ceux qui vivent ici, de la naissance à la mort,
sont toujours couverts par un léger linceul de chaleur étouffante
et d’embruns. Les dents de la mer
mordent, jour et nuit, ceux qui ne cherchent pas à se
cacher dans le ventre des navires
et sont restés à sucer un soleil de sable.
Pénétrant les rochers, la brise de mer
brûle les poils des rats débauchés
qui, dans les égouts, entendent le vomissement noir de
l’océan disparu dans les poches de mangrove
et je rêve de granges et de cales de cargos.

C’est ici que je suis né, là où la lumière du phare
aveugle et où dans la nuit des hommes s’estompent les hiboux.
Le vent lèche les dragues pourries,
pénètre à travers les persiennes des maisons qui suffoquent,
écorche les dunes funèbres
où les bouches des morts boivent la mer.
Même ceux qui aiment cette terre de la haine
sont toujours séparés par la brise
qui sème l’insomnie chez les mille-pattes
et trafique le fret des navires.

Ici est ma place, enracinée dans mon sang
comme la boue au fond de la nuit lacustre.
Et au lieu de me détourner, je suis toujours ici
et je serai ce vent léger et la lumière du phare,
ma mort vit comme poissons rouges pris au piège.

La porte

toute la journée la porte est ouverte
mais la nuit, je vais la fermer.
Je n’attends aucun visiteur nocturne
si ce n’est un voleur sautant par-dessus le mur des rêves.
La nuit est si calme et me fait entendre
la naissance des sources dans les forêts.
Mon lit est blanc comme la Voie Lactée
est trop court pour moi dans la nuit noire.
Je veux occuper tout l’espace du monde. Ma main
distraite
renverse une étoile et chasse une chauve-souris.
Les battements de mon cœur intriguent les hiboux
qui, dans les branches des cèdres, ruminent l’énigme
du jour et de la nuit, que l’eau a fait éclore.
Dans mon rêve de pierre immobile et voyageur.
Je suis le vent qui caresse les artichauts
et les rouilles des harnais suspendus dans l’écurie.
Je suis la fourmi qui, guidée par les constellations,
respire le parfum de la terre et de l’océan.
Un homme qui rêve est tout ce qu’il n’est pas:
la mer que le navire a endommagée,
Le sifflement noir du train entre les feux,
l’éclaboussure qui obscurcit le tambour de kérosène.
Si avant de dormir je ferme la porte, dans le rêve, elle s’ouvre.
Et celui qui ne vient pas pendant la journée,
marcher sur les feuilles sèches de l’eucalyptus
vient la nuit et connaît le chemin, comme la mort
mais qui n’est pas encore venue, mais je sais où je suis
- Couvert par un linceul, comme tout ceux qui
rêvent
et remuent dans l’ombre et crient les mots
qui ont fui le dictionnaire et ont été respirable
par la nuit qui sent le jasmin
et la douceur du fumier en fermentation.
les visiteurs indésirables passent à travers les portes
verrouillées
et les persiennes qui filtrent le passage de la brise m’encerclent.
Oh, mystère du monde! Aucune serrure ferme la porte de la nuit.
Avez-vous eu la pensée de dormir la nuit
seul
protégé par des barbelés enserrant mes
terres
et par mes chiens qui rêvent les yeux ouverts.
La nuit, une simple brise détruit les murs des hommes.
Bien qu’à l’aube ma porte sera fermée
je sais que quelqu’un l’ouvre, dans le silence de la nuit,
et, dans l’obscurité, veille sur mon sommeil agité.

Bibliographie

POÉSIE

Principaux recueils de poésie

As imaginações, 1944,
Ode e elegía, 1945
Acontecimento do soneto. Barcelona:
Ode ao crepúsculo,1948;
Cântico, 1949;
Linguagem: (1949-19041). 1951
Acontecimento do soneto. Ode à noite. 1951;
Um brasileiro em Paris e O rei da Europa.1955
Uma lira dos vinte anos (As imaginações, Ode e elegia, Acontecimento do soneto, Ode ao crepúsculo, A jaula e Ode à noite). 1962;
Estação central.1964;
Tempo Brasileiro, 1965;
Finisterra. 1972;
O sinal semafórico (de As imaginações à Estação central). 1974;
A noite misteriosa. 1982;
Calabar. 1985;
Mar Oceano. 1987;
Crepúsculo civil. 1990;
Curral de peixe. 1995;
Noturno romano. 1997;
O rumor da noite. 2002;
Plenilúnio. 2004;
Réquiem, 2008.
Poesia Completa - 1940-2004-,2004.

Romans As alianças. 1947;
O caminho sem aventura. 1948;
O sobrinho do general. 1964;
Ninho de cobras. 1973;
A morte do Brasil. 1984.

Contes Use a passagem subterrânea. 1961;
O flautim. 1966;
Dez contos escolhidos,1986;
Os melhores contos de Lêdo Ivo. 1995;
Um domingo perdido. 1998.

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