Marie Bauthias

La poésie comme théorème premier

Marie Bauthias c’est d’abord une peur des apparences, et elle tient fermement son ombre en laisse, cette ombre qui à la vitesse de l’ombre veut parfois faire le grand écart.

Sous les remparts de son béret, du miroir opaque de ses lunettes noires portées en tout temps et tout lieu, sous le gilet pare-balles de la fumée de ses cigarettes du temps où elle se paraît des rideaux de bambous de la nicotine, elle ose à peine saturer l’espace. Avant que l’on ait vu ses yeux bleus ou marrons, on ne sait, celui-ci aura commencé sans doute à se dissoudre dans ses mots.

De cette cuirasse se risquent bien des aveux et des doutes sur le chemin du vrai.

Marie croit aux « clairvoyances acharnées à l’obscurité du bonheur. »

« L’imagination ne coagule jamais! » ainsi Marie avance en terre d’instincts et d’infinis terrifiants.

Si loin la main, mais les paumes seules tendues, si loin la main donne son poids qui n’est rien d’autre qu’un poids de main seule, comme elle l’écrit dans un recueil encore inédit.

Gravures, mots compacts taillés à même le papier parsèment sa route. Et si d’aventure un peu de sa confiance de louve vous est acquise, elle révèle son attachement profond aux forces de la terre. Des pots de confitures de ses demeures terrestres, là où sont les tomates et les rêves, vous sont offerts pour marquer son alliance avec la nature et son ressourcement au magma du monde..

Elle veut aussi être un pont-levis entre quelques obstinés dans la violente espérance des poèmes et quelques lecteurs qu’elle démarche comme une marchande ambulante des quatre saisons du cœur.

Sa générosité va de pair avec une pudeur qui lui interdit de se mouvoir dans le cirque habituel des représentations littéraires. Elle préfère dresser son marché de plein-vent de la poésie dans les marchés éthiques de l’amitié plutôt que de faire comme nombre de ses congénères les courbettes obséquieuses aux subventions et à la reconnaissance..

La seule perdition qui vaille pour elle est celle de l’amour.

Aimer laisser une main dans la blessure d’un verbe.

Le seul endroit où prendre racine, n’est pas dans la légèreté de l’être, mais dans ses failles. Pas dans le retrait, mais dans les reflets.

Et le travail de la vie, et ses histoires qui tracent nos voies :

Les

histoires

vivent sans nous

nous sans ailes en elles

les histoires nous vivent

Elle fait parfois penser à ces femmes qui venues de lointains pays, avec la jarre des mots sur la tête, les étalent secrètes et rougissantes au milieu des passants, sans rien marchander, ni céder aux apparences.

« L’incitatoire » est le titre d’une de ses collections.

À partir de mots et d’une gravure elle provoque l’imagination et le délire du destinataire. À partir de contraintes, de règles du jeu à la Daumal, doit s’opérer la transmutation de l’incantation à la main du poème.

Avec son trident neuf, elle déchaîne quelques flots pour lutter contre la lassitude des marées et des jours.

Gouaches et collages font la faïence de ses jours.

Fabrication artisanale de livres, photographies des instants de la dureté de vivre, mots essentiels qui se doivent pour l’honneur de sonner juste, tout cela laisse des cailloux blancs le long de ses routes

Totalement juste est la cible, l’aveu clandestin au-delà des théâtres des ambiguïtés qui ouvrira le pays interdit, notre part interdite.

il y a

noir et noué

un pays

qui conduit jusqu’à l’écho

multiplie l’homme

comme le diamant

la nuit

Ces mots, ses mots, car la parole est prise chez elle par l’écriture, balisent ses terres et ses énigmes, comme il se doit.

Marie Bauthias veut simplement:

refaire ce bruit

ce bruit de mer

d’espace en attente

Jouqueveil ou ailleurs, Marie, « offerte à l’amplitude », chemine vers la fin des terres. Ses mots parfois géométriques parlent par courtes secousses des silences ouverts, des illusions, des nuits migratoires :

La main posée sur la nuit est-elle dans un meilleur repos que cette autre creusant l’éclat magistral de nos terreurs ?

Ce pressentiment des terreurs et des gouffres est l’honneur des veilleurs de jours que sont les poètes.

Ces poètes qui devraient sans doute « être comme des loups dans la nuit »:

il est une géométrie

qu’aucun bleu ne soulève

ne soulèvera jamais.

Gil Pressnitzer

Choix de textes

Textes inédits

1er mai 2005

Jouqueveil

regard qui s’ajoute à nos peaux ne vaut qu’à devenir une nuit

parmi d’autres une langue un peu moins étrangère où nos figures

désarmées commencent à briller.

-

briller d’un silence au ventre.

-

le ventre de nos demeures.

-

le ciel bleu songe vaste

vautour prêtant les portes

d’où en se défaisant le monde se fait

fait une fois encore boire des miracles à nos cœurs

comme il se doit

-

attendre l’œil

de vague en vague

des questions plus rien ne reste

-

tout reste à entendre

tout reste à taire

-

nos amours poussent comme l’herbe. tombent pitoyablement.

avancent sur les rêves, reculent sur les mains, rêvent de toutes

mains. guettent. mangent jusqu’à l’air entre nous.

-

dans l’absence claire

on se bat

sans mains

jusqu’aux tempes

du ciel à moitié vide

-

dans tes yeux

nage une ombre

et sombre

tendre dans les miens

l’ombre qui nage aussi

-

une ombre qu’aucun regard sans toi ne peut rejoindre.

-

l’ombre d’un soir qui traverse sans répondre.

-

sommes-nous de mémoire des éternels vivants qu’une terre

pleine de lèvres apaise comme des survivants?

-

du bleu... du bleu sans qui le silence ne saurait prendre vol.

-

la mer reviendra-t-elle pour nos yeux dire une fois pour toi

l’amour oublié dans ses larmes?

-

il y a moins de solitude à être seul seulement seul.

Parce que

parce qu’aucun mot ne pèse

plus que la bouche

et le rêve qu’elle donne

parce qu’aucun geste ne meurt d’être debout

parce qu’aucun œil ne boit

le silence des langues mieux que

l’ombre invisible du tien

parce qu’aucune chair ne dit l’effroi qui l’aventure

ou la sommeille

parce qu’aucune racine ne baigne d’un seul sang

DEPUIS TOUJOURS IL ME SEMBLE

QU’AUCUNE MUSIQUE NE MANGE A MA TABLE

JE ME DEMANDE

JE TE DEMANDE

POURQUOI

à G. P., aux autres

lumières de printemps

fondantes claires

où nul désordre ne regarde

trop loin

à la table

des morts

d’ici

d’ailleurs

des chants dans les sorbiers

puis des ombres

des ombres à vomir

encore prisonniers de mémoires

marchant à rebours

aujourd’hui

où êtes-vous?

****

la rencontre s’est faite. foudre nouvelle, comme foudre les écrits

de ces derniers jours ramassés d’on ne sait quel ciel. Allégeant la

part qui hante vampirise tout entier l’homme. buvant à cet Autre

désespérément. qui sommes-nous? qui cessons-nous d’être en

écrivant ?

-

de phrases en phrases nos visages se greffent d’aubes d’ombres

cicatrisent d’avoir chercher le frère.

***

«L’ombre des leurres» (extraits)

proche ou lointaine c’est

l’ombre qu’on recherche

le seuil où pourrait être dit la main son lit

le trésor qui veille à trouver à venir

la parole nomade qui nous rendrait amis

on cherche sans savoir une nuit efficace

un ciel qui roule de plus haut

sans doute l’autre endroit

le premier mot ouvert

on cherche

l’éclat et son sort

-

de quoi vivre

ou s’enfuir

le vain soleil des mains

en haleine du corps

de quoi dire

l’ombre qu’il faut

pour autant que l’on vienne

en prendre le rayon

-

quel ciel achemine

la figure manquante des aurores

lentement lèvres à lèvres

accole l’occident aux épaules

des grands fleuves de notre mémoire

-

le printemps reste à boire

luire sans mots des bouches

de ceux qui partent

la plupart du temps

reviennent

le regard à la main des hautes fougères

-

au secret de l’écorce

nos prairies mangent d’orgueil

la couleur et l’attente

le vent qui cueille le rire dans les pleurs

la courbe des mots tendres assis

à notre oreille

l’avalanche des paumes

inscrite sous nos yeux

déjà le désordre furtif d’une peau

grandement amarré

- la douce prière que le désir ne nous a pas rendue -…

……………………………………………..

Textes publiés

Le carré bleu (septembre 2001) extraits

La mer. C’est n’importe où. Un bleu souvent un grand rectangle

à remuer le ciel. La mer et peut-être un soleil. Un jour.

Avec moins de raison qu’ailleurs. Quand les bleus s’improvisent ne finissent plus.

La mer. Jour après jour. Comme si de rien n’était.

………………..

On restait là en maintenant de cornet en cornet le soir. Même la

mer ne prenait plus la peine d’articuler ses blancs. Encore une fois l’heure poussait de

travers.

…………………………………..

La mer. En plein midi. Assise, à

se mêler de tout. La mer à

l’infini.

………………………………….

Aujourd’hui. Dix heures. Envisager la mer. L’obliger à d’autres bleus que ceux qui la soutiennent. Attendre. La voir hésiter. Se servir du ciel. Souligner sa nouvelle cachette. jusqu’au soleil à ses côtés les choses ont de l’avance.

………………………………..

Juillet. On détachait les ombres tout au long des terrasses

certains de lire leurs souffles jusqu’aux chambres. L’heure flotte en travers de l’été. Il faisait

bleu sur la mer comme au ciel.

Le jour n’avait plus à casser ses billes.

………………………………………………

La mer. L’horizon sur la tranche. La fin du poème. Les mots à

venir n’ont de paumes que pour toi. Grains de nuit serrant entre

des nattes la pupille des gares.

Faut-il prendre le monde, les cadrans, d’assaut.

………………………………………

Bleu sur bleu. La mer dans le regret de l’aube. Plaie sans nom et lointaine. Offerte.

niveau de ronces où de terre

de miel le sang se panse de

milles traces. Par elles le jour aime. A fendre l’œil.

……………………………………….

C’était un carré bleu. A plat sur le mur qui prenait quand il le

voulait figure de haute mer. De plus en plus. On lissait chaque jour ses bords. II bougeait.

C’est certain. Comme les fables dans la nuit de l’homme bougent.

De la multiplication des contours à la découverte des plaies (décembre 2001) -extraits-

Je reste

dans le souvenir large

de la mer

qui ne voulait plus parler d’elle

du soleil dans les yeux

du sourire halluciné

de la petite mort dans l’âme

de l’homme face aux gouffres

agitant de là-bas

un squelette minuscule

dans le silence ouvert

et illusoire

d’un cœur inachevé.

Pas de remords, mais un tourbillon lent et long qui fait de la mer un danger

lorsqu’on s’y soumet de près.

Comme

des

loups

dans

la

nuit

que

les lunes malignes

voudraient

réduire

à de douces énigmes,

on

sillonne

les

heures

en

pensant

que

bientôt

le

siècle

aura

lui

aussi

quelques indices

essentiels

à commettre.

(L’aveu clandestin)

Refait ce bruit

ce bruit de mer

d’espace en attente.

La mer n’est plus qu’un bruit

épelé dans le soir

un rêve de jeune buisson.

Le ciel rendait ses copies...

Il n’y a rien à craindre...

Des dames en parenthèses

expliquaient au hasard

le passage des pluies.

Les cadences du ciel

nous ont déjà griffés.

(Verrières, éditions Commune Mesure)

Bibliographie

Principales publications

Poésie

Fragments, Éditions Multiples, 1985
Verrières, Commune Mesure, 1990 (ouvrage typographié, illustré de deux biographies d’Alain Delpech)
L’aveu clandestin, La vie en rose, 1999
L’impossible veilleur (Tome III), Panorama des Poètes, 2001
Apôtre, aussi, Cadratins, 2003
L’œil aléatoire, Trident neuf, 2003 (illustré par treize encres de Léman-Flamrnous)
Théorème premier, Tipaza, 2004 (ouvrage illustré par Michel Joyard)
Traits - Attraits, Trident neuf, 2005 (ouvrage réunissant six dessins à l’encre de Claude Barrère)

Peintures

Peintures, coffret de 16 cartes d’art, Éditions Trident neuf, 2004
Illustrations des titres de la collection « l’incitatoire » du Trident neuf (P. d’Aubriac, F. Ducom, M. Lac, P. Marty, P.M. Macedo, J. Marty, G. Casula, E. Fauve, A. Larribert)
Textes dans diverses revues et anthologies

Textes inédits de l’auteur

D’emblée ou la transmigration du mot, 1993
Le carré bleu, 1996 et 2001
L’impossible veilleur (Tomes I, II, III, IV, V), 1996-97-98-99-2000
De la multiplication des contours à la découverte des plaies, 1998 et 2001
Une foi sans toit, 1999
Pierres à feu, 1999
Le désordre du lie, 2001
Fin de terres, 2003