Moses Mendelssohn

Le judaïsme émancipateur

dans les derniers mots de Socrate

Moses Mendelssohn, grand-père du musicien Félix Mendelssohn, est né à Dessau, le 6 septembre 1729, d’une famille juive allemande, très pauvre. Il alla à Berlin, où il apprit l’allemand littéraire et le latin, au point de pouvoir lire les Essais sur l’entendement de Locke.

Il fut pris sous la protection d’un riche négociant, l’un de ses co-religionnaires, comme précepteur et bibliothécaire qui l’associa par la suite. Il débuta ses œuvres philosophiques par ses Entretiens philosophiques en 1755 que Lessing fit imprimer en secret. Dans cet ouvrage il défend la pensée de Leibnitz et son optimisme contre Voltaire. Il publia aussi avec Lessing une œuvre où il aborde le sujet de la métaphysique de Pope.

Il s’intéressa aussi aux belles-lettres et aux beaux-arts, en publiant en 1757 les considérations sur les sources et les rapports des beaux-arts et de la littérature. Il lui fut d’ailleurs reproché dans certains milieux de l’orthodoxie juive de l’époque d’attacher de l’importance à la sculpture, représentation et source d’idolâtrie. Il est rapporté qu’à la fin de sa vie alors qu’il se trouvait très malade il fit déplacer le buste statuaire de Lessing pour pouvoir contempler l’œuvre de son lit.

Dans le domaine de la philosophie religieuse, Mendelssohn a écrit De l’évidence en métaphysique (1763), Phédon ou l’immortalité de l’âme en trois dialogues (Phaedon, oder über die Unsterblichkeit der Seele, 1767), Matinées (1785), Jerusalem (1783).

Son œuvre dans le domaine religieux fut la traduction de la bible (le corpus des cinq livres du Pentateuque ou Thora) en allemand pour ses coreligionnaires, dont la traduction fut enrichie de notes reprenant les différents commentaires rabbiniques dont ceux de Rachi et de Moïse Ben Maïmon (Maïmonide). Il traduisit également les psaumes, et d’autres écrits apocryphes. Sa traduction en allemand d’un style grammatical très recherché se voulait destinée à diffuser le plus largement la connaissance biblique, dans l’esprit des lumières allemandes de l’Aufklärung. Il a donné une forte impulsion à l’émancipation juive dans le contexte européen. La qualité de la traduction de la Thora de Mendelssohn fut reconnue par un grand rabbin de l’orthodoxie de Königsberg.

Débats philosophiques

La fin de sa vie fut marquée par le conflit philosophique qui l’opposa à Jacobi à la suite d’un écrit sur la doctrine de Spinoza dans lequel Jacobi accusait Lessing de Spinozisme. Spinoza, pour les philosophes de l’époque, incarnait l’esprit rationaliste, fondant la connaissance comme moyen d’atteindre la liberté, la béatitude et le salut. Jacobi opposait le fidéisme au panthéisme, considérant la foi révélée plutôt que de reconnaître la source de l’unité en Dieu défini comme principe fédérateur. Il participait ainsi en assimilant Lessing à Spinoza, à la damnation philosophique de cet auteur dont certains philosophes avaient appelé à brûler les œuvres. Il servait ainsi, peut-on raisonnablement penser, la cause du pouvoir monarchique et des églises (luthériennes et catholiques) qui avaient condamné et excommunié en son temps Spinoza comme apostat. Mendelssohn ne pouvait tolérer cette injustice portée à la mémoire d’un ami cher, Lessing, mais aussi d’un maître.

De nombreux auteurs ont été tentés d’établir un lien entre la pensée de Mendelssohn et la morale Kantienne, pour jeter les bases d’une philosophie métaphysique « éclairée ». Kant dans la première version de sa Critique de la raison pure (1781) déclare que le but premier de la raison n’est constitué que par trois objets : la liberté de la volonté, l’immortalité de l’âme et l’existence de Dieu. Mendelssohn en parlant de Kant, dans sa préface au Morgenstunden (L’Aurore) écrivit le mot fameux : Kant qui réduit tout en poussière (die Werke…des alles zermalmenden Kant) à propos de sa volonté de fonder une métaphysique systématique selon La critique de la raison pure. Le seul porteur d’une foi vraie pour Kant est la raison, la foi du cœur n’est qu’enthousiasme : l’arbitraire, le désordre et le discrédit en découlent. Seul l’entendement permet d’avancer, le monde ne peut pas être construit, il doit être étudié. La raison pratique de l’homme agissant, parce qu’il est fini, orienté vers l’universel en fait un être moral.

Phédon ou l’immortalité de l’âme en trois dialogues (Phaedon, oder über die Unsterblichkeit der Seele), 1767

Mendelssohn, quatorze ans plus tôt, en 1767, avait publié une réécriture de l’œuvre du Phédon de Platon, qui constitue les derniers entretiens de Socrate avec ses disciples alors qu’il est condamné à mort par la justice d’Athènes, à boire la ciguë. Les trois entretiens de Socrate avec ses disciples portent sur le concept de l’immortalité de l’âme.

Mendelssohn dédicace dans la préface son œuvre à un ami trop tôt disparu, Abbt, Professeur à Rinteln qui lui a transmis ses pensées et avec lequel il s’était lié d’amitié. Fidèle en amitié, Mendelssohn écrit : « quels fruits ne promettait pas un arbre dont les fleurs étaient déjà si exquises », et pour lui rendre un dernier hommage : « notre patrie perd en lui un excellent écrivain, l’humanité un être aimant dont les sentiments étaient aussi nobles que la raison clairvoyante, l’intimité un ami fidèle, et moi un compagnon qui m’eût préservé d’écarts dans la recherche de la vérité ».

Vie de Socrate.

Le Phédon revisité par Mendelssohn est précédé d’une vie de Socrate, chapitre dans lequel Mendelssohn rappelle les liens entre Socrate et la cité athénienne notamment au moment du procès, alors qu’Athènes avait plus d’une dette envers Socrate qui s’était notamment opposé au règne des dix tyrans, et avait contribué au rétablissement de la démocratie. L’acte d’accusation du condamné est rappelé en ces termes : Socrate agissait contre les lois en n’admettant pas les divinités reconnues par la république et voulant en introduire de nouvelles, en corrompant la jeunesse, à laquelle il inspirait du mépris pour tout ce qui est sacré et il concluait à la mort.

Pour sa défense, Socrate en philosophe exposa cette superbe plaidoirie improvisée :

« Ne vous indignez pas Athéniens, si contre l’usage des accusés, mes paroles ne sont pas entrecoupées de sanglots, si je ne fais pas paraître devant vous mes enfants, mes parents, mes amis, en costume de suppliants et si je ne cherche pas ainsi à émouvoir votre pitié. Ce n’est ni par orgueil, ni par mépris mais parce que je trouve indécent d’implorer un juge, et de vouloir le gagner par d’autres moyens que la justice de la cause… Si par mes supplications, je cherchais à vous rendre parjures, ce serait la preuve la plus convaincante que je ne crois pas aux dieux ; par conséquent ma défense même prouverait mon athéisme. Mais, non ; je suis, plus que mes accusateurs, persuadé de l’existence de Dieu ; je le suis tellement, que je m’abandonne à lui et à vous, afin que vous me jugiez comme bon vous semblera, et pour vous et pour moi ».

Puis après avoir été déclaré coupable, il prononce ces mots : « Athéniens ! puisque vous m’obligez à me taxer moi-même, je me condamne, pour avoir passé ma vie à vous instruire, vous et vos enfants, pour avoir, dans cette vue, négligé affaires domestiques, emplois et dignités, pour m’être consacré tout entier au service de la patrie en travaillant à rendre mes concitoyens vertueux… »

Puis il termine sa plaidoirie après la délibération du Tribunal lui infligeant la condamnation suprême de boire la ciguë : « Je succombe, non faute de paroles et de raisonnements, mais faute d’effronterie, de bassesse, et pour n’avoir pas voulu vous faire entendre des choses qui eussent pu vous être agréables, mais inconvenantes dans la bouche d’un honnête homme ».

Les trois entretiens de Socrate avec ses disciples

Le Phédon est composé de trois entretiens de Socrate avec ses disciples

Premier entretien

Dans le premier entretien, Socrate s’interroge sur l’origine de l’homme en ces termes : « Lorsque l’immortel architecte pétrissait la pâte dont il voulait former notre étonnante machine, et l’anima ensuite d’un souffle de sa raison, avait-il alors de bonnes ou de mauvaises intentions ? » « De bonnes assurément » lui répond Cébès.

Socrate un peu plus loin dans l’entretien exprime le véritable sens qu’il attache à la philosophie, une recherche individuelle de l’harmonie au sens métaphysique : « En esclaves fidèles, ce doit être un devoir sacré pour nous de laisser mûrir les intentions de notre Seigneur et maître, de n’en pas arrêter violemment le cours, mais au contraire de mettre nos actions indépendantes dans la plus parfaite harmonie avec sa volonté. Voilà pourquoi j’ai dit que la philosophie était la musique la plus sublime, parce qu’elle nous apprend à régler, autant qu’il est en notre pouvoir, nos pensées et nos actions, de manière à ce qu’elles concordent avec les vues de notre souverain arbitre. Si la musique est l’art de mettre des sons discordants en harmonie, il est certain qu’aucune musique ne peut être plus exquise que la philosophie, car elle nous apprend non seulement à mettre nos propres pensées et actions dans la plus parfaite harmonie entre elles, mais aussi les actions de l’homme né d’un jour, avec les immuables desseins de l’éternel moteur de toutes choses… ».

Cébès emprunte à Homère cette image du caractère unique de chaque âme humaine qui symboliquement illustre la création de chaque homme dans l’altérité : les deux tonneaux qui se trouvent sous le péristyle du palais de Jupiter, en nous réservant de les remplir non de bien et de mal, mais celui de droite de l’essence parfaite et celui de gauche de défauts et d’imperfections. Chaque fois que, dans sa toute-puissance, Jupiter crée un esprit, il puise dans l’un et l’autre tonneaux, jette un regard sur l’inexorable Destin, et prépare, d’après les proportions indiquées par celui-ci, un mélange d’essence et de défauts qui forme la base de l’esprit futur.

Socrate donne de sa mort le sens de l’aboutissement ultime du philosophe qu’il a été, car la mort est-elle autre chose que la séparation du corps d’avec l’âme ? Mourir, n’est ce pas quand l’âme quitte le corps et le corps l’âme, de manière à ce qu’il n’y ait plus de communication entre eux ? Puis, vient la question du sage et de la mort au soir d’une vie : le sage qui veut cultiver son âme avec soin cherche à se débarrasser de toutes les exigences superflues du corps… Il se distingue donc de ses semblables en ce qu’il ne laisse pas enchaîner son âme par les intérêts de la vie, mais cherche à la sevrer, autant que possible, de sa communauté avec le corps ?

Socrate se fait le défenseur d’une vie d’ascèse, pour atteindre un idéal moral platonicien, il critique la voie de l’épicurisme : le vulgaire dira que celui qui ne veut pas jouir des agréments de la vie est indigne de vivre. Il appelle aspirer après la mort la renonciation aux plaisirs sensuels et l’abstinence de toute jouissance charnelle. Les sens sont une illusion, les impressions de la vue et de l’ouïe nous trompent en nous procurant des sensations isolées, mais non des vérités.

Il est donc clair que nous n’atteindrons le but auquel nous aspirons, la sagesse, qu’après la mort ; de notre vivant, il n’y a pas d’espoir : car si l’âme, tant qu’elle habite le corps ne peut connaître distinctement la vérité, de deux suppositions l’une, ou bien nous ne la connaîtrons jamais, ou nous ne la connaîtrons qu’après la mort parce qu’alors, l’âme débarrassée du corps éprouvera probablement moins d’obstacles à la recherche de la vérité. Et si dans ce monde, nous voulons déjà nous préparer à cette précieuse connaissance, nous n’accorderons au corps que le strict nécessaire. ; nous nous abstiendrons de satisfaire ses envies, ses passions…

Deuxième entretien

Dans le deuxième entretien, Socrate laisse à ses disciples entrevoir la sérénité qui le remplit de sagesse : « L’on dit des cygnes qu’à l’approche de la mort, ils chantent plus agréablement que durant toute leur vie, si comme on l’assure cet oiseau est voué à Apollon, je dirai qu’à leur dernier moment, ce dieu leur inspire un avant-goût de la félicité de la vie à venir, et qu’ils chantent pénétrés de ce sentiment ».

« C’est au moins ce qui se passe en moi : je suis un ministre de ce dieu et en vérité il me fait pressentir après la mort une félicité qui remplit mon âme de joie et me rend plus calme dans mes dernières heures, que je ne l’ai été durant toute ma vie ».

Simmias répond à Socrate par un questionnement sur l’absurde de la condition humaine si on la conçoit privée de l’espoir de l’immortalité. « Un état d’être libres et pensants ne serait autre chose qu’un troupeau de brutes, et l’homme cette merveille de la création, privé d’espoir de l’immortalité…, je frémis à la considérer dans cet état de dégradation…, serait l’animal le plus misérable sur terre, doué pour son malheur de la faculté de réfléchir sur sa situation, il devrait craindre la mort et désespérer. »

Socrate exprime son idéal d’un être pensant, comme la source de toute harmonie, symétrie, ordre, régularité : « Sans l’adjonction de l’être pensant, tout ce qui exige une composition et une confrontation des parties, sont un effet de la faculté de penser ; sans l’adjonction de l’être pensant, sans la comparaison des parties, l’édifice le plus régulier ne présente qu’un monceau de sable, et la voix du rossignol n’est pas plus mélodieuse que l’effroyable cri du chat-huant ». L’être pensant met en rapport, confronte, compose et compare les diverses parties séparées.

Il en déduit la chaîne de tout ce qui existe : « Nous pouvons partager la chaîne de tout ce qui existe, depuis l’Infini jusqu’au plus petit grain de sable, en trois chaînons. Le premier comprend, mais ne peut être compris : c’est l’Être des Êtres, dont la perfection surpasse toute conception mortelle. Les esprits et les âmes créés forment le second chaînon ; ils comprennent et peuvent être compris par leurs semblables. Le monde matériel forme le troisième, il peut être compris par les autres, mais ne se connaît pas lui-même ».

Le deuxième entretien ne finit pas cette vision poétique du navigateur : « Nous partons tous du même port pour errer à la recherche de la vérité sur la mer ténébreuse des croyances, jusqu’à ce que la raison et la réflexion, enfants de Jupiter, viennent gonfler nos voiles et nous faciliter un heureux abordage. Ces pilotes ramènent notre esprit des impressions sensuelles du monde matériel au royaume des êtres pensants, notre patrie, d’abord chez nos semblables, des êtres créés comme nous et que nous pouvons en conséquence, clairement nous représenter ; puis ils s’élèvent vers ce principe de la pensée, cet Être indéfinissable qui comprend tout et ne peut être saisi par personne… »

Troisième entretien

Dans le troisième entretien, le discours de Socrate porte sur l’opposition entre la pensée universelle et l’altérité de chaque homme. La question qu’il pose à ses disciples consiste à s’interroger sur le destin du genre humain, « Dès lors que nous admettons que celle-ci [l’immortalité] peut être accordée à une partie du genre humain, vous ne doutez certainement pas que cette félicité ne soit réservée aux justes, aux amis des dieux et des hommes ».

Il propose de considérer le destin des brutes.

« Chez toutes les brutes répandues sur notre terre nous trouvons un instinct naturel ; leurs sentiments, connaissances et passions concourent merveilleusement à leur conservation, commodité, propagation et en particulier à la prospérité de leurs familles. Par contre, nous ne remarquons dans la brute au moins d’après ce que nous pouvons apercevoir ici-bas, aucun avancement progressif vers un degré élevé de perfection. Elles obtiennent sans instruction, sans réflexion, sans exercice, pour ainsi dire immédiatement des mains du Tout-puissant les dons, habitudes et pendants qu’exigent leur entretien et leur propagation, mais elles n’atteignent pas plus loin, même en vivant des siècles et se multiplient à l’infini ».

Le destin des animaux instruits n’est pas beaucoup plus enviable : « Un petit nombre d’animaux privés sont susceptibles de recevoir un certain degré d’instruction, et peuvent à force de peines, être rendus propres à la guerre ou à des occupations domestiques. Toutefois, la manière dont ils se prêtent à cette instruction prouve suffisamment que leur vie dans ce monde n’est pas destinée à être une progression continue de perfections. Ce degré de perfection une fois atteint est aussi le dernier auquel ils peuvent arriver, et d’eux-mêmes, ils n’aspireront jamais après une plus haute instruction. Cette envie de s’arrêter, cette sotte satisfaction de ce que l’on sait sans vouloir en apprendre davantage est une preuve qu’ils n’ont pas été le dernier but dans le grand plan de la création, mais qu’ils doivent seulement servir d’intermédiaires à des êtres d’une vocation plus relevée et plus digne de remplir les hauts desseins de la divinité ».

Mendelssohn expose sa vision de la perfection de l’âme

Mendelssohn expose sa vision de la perfection de l’âme dans les derniers mots de Socrate : « Ma véritable félicité consiste dans la beauté et la perfection de mon âme. Sobriété, justice, liberté, amour, bienveillance, connaissance de Dieu, avancement dans ses vues et soumission à sa sainte volonté, telles sont les félicités qui m’attendent, et je n’ai pas besoin d’en savoir davantage pour entreprendre avec assurance la route qui m’y conduit ». Obéissance et soumission à la Loi, mais tout autant devoir moral ou loi morale orientée vers le « souverain bien » qu’évoque Emmanuel Kant. Pure croyance de la raison qui admet l’existence de cette intelligence suprême comme hypothèse, hypothèse de la conscience de notre devoir. Kant résume sa perception de l’immortalité de l’âme comme supposition d’une existence et d’une personnalité de l’être raisonnable persistant indéfiniment par ce précepte : « le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi ».

La scène s’achève par ces mots de Socrate « Pour moi, l’immuable destin m’appelle et il est temps d’aller au bain avant de prendre le poison ». Le Sage reprit : « Je me bornerai à adresser ma prière aux dieux : Grands dieux qui m’appelez à vous, accordez-moi un heureux voyage. À ces mots, il porta la coupe à ses lèvres et la vida doucement sans la moindre hésitation… ».

Avec le recul nécessaire du temps, l’œuvre du Phédon de Mendelssohn nous apparaît très marquée de la morale kantienne, sans que l’on puisse établir des certitudes sur l’influence d’un philosophe sur l’autre. Kant a repris le thème de l’immortalité de l’âme, notamment dans sa critique de la raison pratique. Mendelssohn a pu échapper à l’impasse de la morale kantienne, en replaçant le philosophe face à la transcendance de son âme, en s’appuyant sur sa foi juive. La démonstration sur les preuves de l’existence de Dieu ou d’un Être suprême qu’il emprunte à Wolff, importe moins que la dimension individuelle qu’il donne à l’homme face à son destin. Le Mensch qui chemine vers sa vérité, engagé dans la voie d’une recherche pour contribuer à faire régner l’harmonie dans la Cité, nourri de l’étude et de l’enseignement, entend échapper à toute forme de ghettoïsation.

Épris de justice, de liberté, d’équité, il fait don de soi à la cité et à l’humanité, pour apporter son enseignement de morale et de vertu au nom de l’amour du prochain. Vertu que Mendelssohn considère comme l’un des commandements fondamentaux (Ahava en hébreu). Le Socrate dont il fait un philosophe éclairé par les Lumières, devient un sage (un tsadik) et non un saint (haham) ou un prêtre (un cohen), sans que la question de l’immortalité, ou de l’Éternité ne soit définitivement tranchée au sens métaphysique, de sorte que Mendelssohn laisse à chacun de ses lecteurs le soin de choisir, sa conception de l’universalité, qu’elle trouve sa source dans le savoir au service d’un humanisme universel au nom de la recherche de la vérité, dans l’inspiration des Écritures, dans la Thora ou dans la Bible. Mais, « un État d’être libres et pensants ne serait autre chose qu’un troupeau de brutes… privé de l’espoir de l’immortalité ? »

Pierre-Yves Amalric