Oskar Wladisław de Lubicz Miłosz
D’un pays d’enfance retrouvée en larmes...
Solitude, ma mère, redites-moi ma vie ! voici
Le mur sans crucifix et la table et le livre
Fermé ! si l’impossible attendu si longtemps
Frappait à la fenêtre, comme le rouge-gorge au coeur gelé,
Qui donc se lèverait ici pour lui ouvrir ? Appel
Du chasseur attardé dans les marais livides,
Le dernier cri de la jeunesse faiblit et meurt : la chute d’une
seule feuille
Remplit d’effroi le cœur muet de la forêt.
À chacun son Grand Meaulnes, moi ce fut et ce sera à jamais Miłosz. Par lui j’ai pu parler aux maisons de l’enfance et aux chambres assoupies de la lecture. L’automne est depuis en jamais en moi et les feuilles mortes et le temps qui vient et qui nous bat !
Toutes les voix des enfants malades murmurent dans la prairie mouillée de solitude, quelque part Miłosz, blanc comme le brouillard,nous attend, avec une lanterne. Pas un mot, les pas crissent sur le gravier et les herbes folles, et Miłosz se tourne et dit : vous êtes en fin revenu, le feu commençait à s’éteindre.
Miłosz le mystique, Miłosz qui toujours vous prend par la main, et vous aide à franchir les lieux abandonnés. Ce voyageur des nuits de souvenance sait « faire chanter le loriot dans l’allée la plus secrète ».
Il est le veilleur d’un monde triste et beau où nous avons toujours vécu et qui se souvient de nous.
L’ombre de Miłosz recouvre mes terres et mes mers.
de la page
Le vieux sonneur des jours innocents
Il est mort depuis longtemps et je me souviens de son nom, de ses amours, de ses mots.
La solitude aura été son épouse, les oiseaux ses compagnons, la Bible sa recherche. Il se sera laissé effacer du monde, ne dialoguant vers la fin qu’avec les oiseaux. Car à compter de 1924, il ne publia plus que des ouvrages sur le mysticisme ou sur son pays natal, ne voulant plus entendre ses anciens poèmes. Cette plongée vers la gnose et sur tout vers l’obscur ne nous fait pas oublier le poète qu’il fut.
Cette fameuse nuit d’illumination du 14 décembre 1914 restera sablessure secrète et sa conversion aux forces de l’esprit.
C’est ainsi que je pénétrai dans la grotte du secret langage ; et ayant été saisi par la pierre et aspiré par le métal, je dus refaire les mille chemins de la captivité à la délivrance.
Et me trouvant aux confins de la lumière, debout sur toutes les îles de la nuit, je répétais de naufrage en naufrage ce mot, le plus terrible de tous : ici.
Psaume de la maturation.
Ses derniers poèmes (Psaume du roi de beauté, Psaume de la Réintégration, Prières, La nuit de Noël de 1922,...) ne sont plus en fait des poèmes mais des chants mystiques qui nous échappent, obscurs et fils de douleurs. Le tout dernier Psaume du Matin (1926) n’est plus qu’incantation de quelqu’un est déjà ailleurs « caressé dans son sommeil par les vipères » et qui voit que « les choses sont ce qu’elles sont buée des cils, feux de pluie au bord des toits et dans le sac du semeur poignée d’étoiles. »
La béance des blancs et des silences dans ce texte fait peur. Cette folie métaphysique semble une panique.
Je préfère garder le Milosz qui n’avait pas renié la poésie, celui d’avant sa révélation.
Celui qui dit :
un silence d’amour est tombé sur l’or de midi
L’ortie ensommeillée courbe sa tête mûre...
...Déjà, déjà le blé
Lève en silence, comme dans les songes des dormeurs....
...Nous te cacherons aux soucis
Il y a une belle chambre secrète
Dans notre maison de repos :
Là, les ombres vertes entrent par la fenêtre ouverte
sur un jardin de charme, de solitude et d ’eau.
Il écoute, il s’arrête...
Que le monde est beau, bien-aimée, que le monde est beau !
Le Cantique du printemps
Ce Miłosz qui repose sous mon toit est celui du vieux sonneur des jours innocents, des oiseaux cachés, de la maison comme une épaule.
C’est vers lui que se tendent les mystères quand « la brise aux joues d’enfant souffle sur le nuage. »
Poète de la fraternité, passeur des serrures rouillées, et des grandes neiges d’automne, Miłosz demeure celui qui prépare la belle chambre d’enfance, qui nous fait guetter le bruit du dégel derrière le mur, et non pas le prophète alchimiste des fins dernières.
Maison noire, noire
Serrures rouillées,
Sarment mort,
Portes verrouillées,
Volets clos ?
Feuilles sur feuilles depuis cent ans dans les allées.
Tous les serviteurs sont morts.
Moi, j’ai perdu la mémoire.( La berline arrêtée dans la nuit)
Ses berceuses d’infini battent encore contre moi, et la nuit passe plus vite. Les ronces et le sorties s’écartent et Miłosz est là qui ouvre les portes de toutes les nuits.
Cette mélancolie slave ne se comprend que si le mot forêt vous bascule dans l’immensité. Miłosz est profondément l’homme du Jadis. Mais il n’était point un reclus, il allait vers les hommes, se battait pour son petit pays, la lointaine Lituanie perdue dans les brumes. Il fut non pas un des poètes décadents de la littérature française, mais le poète européen de langue française. Simplement un homme avec le culte de l’enfance en lui, lui le grand cosmopolite.
On peut trouver sa poésie décadente, ou bien pour les derniers poèmes obscures, mais aimer Miłosz ne s’explique pas par la raison poétique.Ce lyrisme doucement désespéré vous l’avez en écho, ou vous ne l’avez pas.
Milosz ne pose qu’une question « pour qui mourir dans la nuit grande de tes paupières ? Mais le jour pleut sur le vide de tout ».
Ces confidences d’un ami, d’un grand frère, cela se recueille au fond de soi, aveuglement, sans pouvoir se justifier.
Sa poésie est une douce écharpe, une consolation infinie. Le silence retient son souffle, notre jeunesse passe, il vient à notre rencontre : il est alors temps de lire et relire Miłosz.
De l’enfance ? que vos couleurs, vos voix et mon amour, Que tout cela fut moins que l’éclair de la guêpe Dans le vent, que le son de la larme tombée sur le cercueil, Un pur mensonge, un battement de mon cœur entendu en rêve ?
Oscar Vladislas de Lubicz Miłosz est né le 28 Mai 1877, dans une immense demeure en un territoire incertain qui deviendra la Lituanie.
Bien que venu dès l’âge de 22 ans en France, jamais il n’oubliera ni sa patrie ni sa maison. Lui le poète européen de langue française sera le chantre de ce pays lointain qui par lui est devenu un pays de légende.
Maîtrisant près de cinq langues, c’est pourtant la douceur de la langue française qu’il retiendra.
Et certainement les plus beaux poèmes du siècle précédent sont et resteront des poèmes de Miłosz.
Lui, l’errant de Vilnius à Fontainebleau au milieu de ses amis les oiseaux, sera le plus grand passeur de la nostalgie et de l’ailleurs.
L’ortie était sa sœur, la violette ses nuits.
Connaissez-Vous Miłosz ?
Symboliste à ses débuts, incantatoire et moderne puis prophétique à la fin, il est troublant que la plupart de ses romans (L’amoureuse Initiation, ...), de ses pièces de théâtre (Miguel Manara, ...) et de ses poèmes n’ont donné aucune prise à la poussière du temps.
Quand la plupart de ses contemporains sont marqués par les orties des jours et l’oubli, ses mots que certains se passaient comme des offrandes sacrées étaient et restent essentiels.
Je me souviens d’une époque où la recherche de ses textes était une véritable quête du Graal, pour nous qui déclamions ses textes à tue-tête dans le port de Marseille en 1958.
Maintenant le fait que Miłosz soit relu et même publié en livre de poche constitue enfin la sortie d’un ghetto injuste. Merci encore et encore à André Silvaire, sévère gardien du temple et merveilleux vieillard que j’aurai approché respectueusement. Ce dragon jaloux des textes de son ami Miłosz demandait des épreuves initiatiques pour pouvoir boire à cette fontaine, et enfin faire partie du petit cercle « des amis de Miłosz » était l’adoubement suprême, pouvoir recopier les poèmes de Miłosz la consécration, je le remercie par-delà les brumes où il est maintenant de cette autorisation qui me fit un évangéliste en Miłosz. Merci à Laurent Terzieff, le flamboyant en cendres, qui depuis toujours se sera mis en danger pour Miłosz et qui aura donné une voix aux textes de Miłosz.
Grâce à eux l’incendie Miłosz gagne la face du monde.
Il sera donc passé comme un poète-oiseau dans notre langue, comme une sorte de saint des nostalgies et des errances.
Homme doux, mystique et fou de bible et d’ésotérisme, il interrogeait aussi bien les fins dernières que les fontaines enfouies de nos enfances.
Son sermon franciscain sur l’amour des autres lui permettait de donner à manger dans sa main à tous les mots du monde.
Ces mots s’approchaient de lui en faisant ronde et ils se voilaient de silence pour écouter le vieil homme. Celui qui parlait à sa sœur solitude « Solitude ma mère, redites-moi ma vie ! », aux maisons froides couvertes d’orties de ces pays où l’on ne vieillit jamais.
À la fenêtre de sa poésie, la mélancolie se dresse comme une glycine.
Il aura gravé son nom d’enfant sur tous les murs de la poésie.Tendresse, nostalgie, mystère des bruissements de la langue, la poésie de Miłosz est à hauteur de tous les abandons. Il sera celui qui entre son exil et sa recherche d’identité aura fait passer le chemin creux de l’enfance. « Reconduis ton enfant aux sources de la Mémoire ». Il aura été exaucé et l’enfance retrouvée est la fin de l’exil.
Que dit la parole de Miłosz, ceci :
ce sera comme dans cette vie. Le même jardin,
profond, profond, touffu, obscur. Et vers midi
Des gens se réjouiront d’être là
qui ne sont jamais connus et qui savent
Les uns et les autres que ceci : qu’il faudra s’habiller
comme pour une fête et aller dans la nuit
des disparus, tout seul, sans amour et sans lampe.
ce sera tout à fait comme dans cette vie
Ces gens-là rassemblés pour écouter Miłosz sourdre dans la voix de Laurent Terzieff, dans la vôtre au bord de la lampe, cela sera vous,cela sera moi. Et alors nous retrouverons et l’amour et la lampe.
Ce sera tout à fait comme dans cette vie. Comme dans un de ses plus étranges poèmes, « La charrette ».
Et c’est vous et c’est moi. Vous et moi de nouveau, ma vie.
Et je me lève et j’interroge
Les mains d’hôpital et la poussière du matin
Sur les choses que je ne voulais pas revoir.
La sirène au loin crie, crie et crie le fleuve.
Vie ! O amour sans visage ! Toute cette argile
A été remuée, hersée, déchiquetée
Jusqu’aux tissus où la douleur elle-même trouve un sommeil dans la plaie
Et je ne peux plus, non, je ne peux plus, je ne peux plus.
Ces poèmes de Miłosz sont là pour écrire son propre nom d’enfant sur les murs. Pour nous aider à jeter les vieux bouquets de la mélancolie aux fonds de nos puits. Dans quelques dizaines de poèmes, pas plus car Miłosz est très inégal aussi, nous savons que nous nous rencontrerons,comme jadis ici. Et le silence nous aime encore et les lampes restent allumées. « Une vapeur de pommeraies de légendes englouties » monte de la poésie de Miłosz.
Pour cela, pour que passe encore une odeur des premiers temps, ilfaut lire Milosz, il faut aimer Milosz.
Gil Pressnitzer
Choix de textes
Et surtout que
Et surtout que Demain n’apprenne pas où je suis -
Les bois, les bois sont pleins de baies noires -
Ta voix est comme un son de lune dans le vieux puits
Où l’écho, l’écho de juin vient boire.
Et que nul ne prononce mon nom là-bas, en rêve,
Les temps, les temps sont bien accomplis -
Comme un tout petit arbre souffrant de prime sève
Est ta blancheur en robe sans pli.
Et que les ronces se referment derrière nous,
Car j’ai peur, car j’ai peur du retour.
Les grandes fleurs blanches caressent tes doux genoux
Et l’ombre, et l’ombre est pâle d’amour.
Et ne dis pas à l’eau de la forêt qui je suis ;
Mon nom, mon nom est tellement mort.
Tes yeux ont la couleur des jeunes pluies,
Des jeunes pluies sur l’étang qui dort.
Et ne raconte rien au vent du vieux cimetière.
Il pourrait m’ordonner de le suivre.
Ta chevelure sent l’été, la lune et la terre.
Il faut vivre, vivre, rien que vivre
H
Le jardin descend vers la mer.
Jardin pauvre, jardin sans fleurs, jardin
Aveugle. De son banc, une vieille vêtue
De deuil lustré, jauni avec le souvenir et le portrait,
Regarde s’effacer les navires du temps.
L’ortie, dans le grand vide
De deux heures, velue et noire de soif, veille.
Comme du fond du cur du plus perdu des jours, l’oiseau
De la contrée sourde pépie dans le buisson de cendre.
C’est la terrible paix des hommes sans amour.
Et moi,
Moi je suis là aussi, car ceci est mon ombre ; et dans la triste etbasse
Chaleur elle a laissé retomber sa tête vide sur
Le sein de la lumière ; mais
Moi, corps et esprit, je suis comme l’amarre
Prête à rompre. Qu’est-ce donc qui vibre ainsi en moi,
Mais qu’est-ce donc qui vibre ainsi et geint je ne sais où
En moi, comme la corde autour du cabestan
Des voiliers en partance ? Mère
Trop sage, éternité, ah laissez-moi vivre mon jour !
Et ne m’appelez plus Lémuel ; car là-bas
Dans une nuit de soleil, les paresseuses
Hèlent, les îles de jeunesse chantantes et voilées ! Le doux
Lourd murmure de deuil des guêpes de midi
Vole bas sur le vin et il y a de la folie
Dans le regard de la rosée sur les collines mes chères
Ombreuses. Dans l’obscurité religieuse les ronces
Ont saisi le sommeil par ses cheveux de fille.
Jaune dans l’ombre
L’eau respire mal sous le ciel lourd et bas des myosotis.
Cet autre souffre aussi, blessé comme le roi
Du monde, au côté ; et de sa blessure d’arbre
S’écoule le plus pur désaltérant du cur.
Et il y a l’oiseau de cristal qui dit mil d’une gorge douce
Dans le vieux jasmin somnambule de l’enfance.
J’entrerai là en soulevant doucement l’arc-en-ciel
Et j’irai droit à l’arbre où l’épouse éternelle
Attend dans les vapeurs de la patrie.
Et dans les feux du temps apparaîtront
Les archipels soudains, les galères sonnantes
Paix, paix. Tout cela n’est plus.
Tout cela n’est plus ici, mon fils Lémuel.
Les voix que tu entends ne viennent plus des choses.
Celle qui a longtemps vécu en toi obscure
T’appelle du jardin sur la montagne !
Du royaume
De l’autre soleil ! Et ici, c’est la sage quarantième
Aimée, Lémuel.
Le temps pauvre et long.
Une eau chaude et grise.
Un jardin brûlé.
Dans un pays d’enfance...
Dans un pays d’enfance retrouvée en larmes,
Dans une ville de battements de cur morts,
(De battements d’essor tout un berceur vacarme,
De battements d’ailes des oiseaux de la mort,
De clapotis d’ailes noires sur l’eau de mort).
Dans un passé hors du temps, malade de charme,
Les chers yeux de deuil de l’amour brûlent encore
D’un doux feu de minéral roux, d’un triste charme ;
Dans un pays d’enfance retrouvée en larmes...
- Mais le jour pleut sur le vide de tout.
Pourquoi m’as-tu souri dans la vieille lumière
Et pourquoi, et comment m’avez-vous reconnu
Étrange fille aux archangéliques paupières,
Aux riantes, bleuies, soupirantes paupières,
Lierre de nuit d’été sur la lune des pierres ;
Et pourquoi et comment, n’ayant jamais connu
mon visage, ni mon deuil, ni la misère
Des jours, m’as-tu si soudainement reconnu
Tiède, musicale, brumeuse, pâle, chère,
Pour qui mourir dans la nuit grande de tes paupières ?
- Mais le jour pleut sur le vide de tout.
Quels mots, quelles musiques terriblement vieilles
Frissonnent en moi de ta présence irréelle,
Sombre colombe des jours loin, tiède, belle,
Quelles musiques en écho dans le sommeil ?
Sous quels feuillages de solitude très vieille,
Dans quel silence, quelle mélodie ou quelle
Voix d’enfant malade vous retrouver, ô belle,
O chaste, ô musique entendue dans le sommeil ?
- Mais le jour pleut sur le vide de tout.
Insomnie
Je dis : ma Mère.
Et c’est à vous que je pense, ô Maison
Maison des beaux étés obscurs de mon enfance, à vous
Qui n’avez jamais grondé ma mélancolie, à vous
Qui saviez si bien me cacher aux regards cruels, ô
Complice, douce complice !
Que n’ai-je rencontré
jadis, en ma jeune saison murmurante, une fille
À l’âme étrange, ombragée et fraîche comme la vôtre,
Aux yeux transparents, amoureux de lointains de cristal,
Beaux, consolants à voir dans le demi-jour de l’été !
Ah ! j’ai respiré bien des âmes, mais nulle n’avait
Cette bonne odeur de nappe froide et de pain doré
Et de vieille fenêtre ouverte aux abeilles de juin
Ni cette sainte voix de midi sonnant dans les fleurs
Ah ces visages follement baisés ! ils n’étaient pas
Comme le vôtre, ô femme de jadis sur la colline
Leurs yeux n’étaient pas la belle rosée ardente et sombre
Qui rêve en vos jardins et me regarde jusqu’au cur
Là-bas, au paradis perdu de ma pleureuse allée
Où d’une voix voilée l’oiseau de l’enfance m’appelle,
Où l’obscurcissement du matin d’été sent la neige.
Mère, pourquoi m’avez-vous mis dans l’âme ce terrible,
Cet insatiable amour de l’homme, oh ! dites, pourquoi
Ne m’avez-vous pas enveloppé de poussière tendre
Comme ces très vieux livres bruissants qui sentent le vent
Et le soleil des souvenirs et pourquoi n’ai-je pas
Vécu solitaire et sans désir sous vos plafonds bas,
Les yeux vers la fenêtre irisée où le taon, l’ami
Des jours d’enfance, sonne dans l’azur de la vieillesse ?
Beaux jours ! limpides jours ! quand la colline était en
fleur,
Quand dans l’océan d’or de la chaleur les grandes orgues
Des ruches en travail chantaient pour les dieux du sommeil,
Quand le nuage au beau visage ténébreux versait
La fraîche pitié de son cur sur les blés haletants
Et la pierre altérée et la sur la rose des ruines
Où êtes-vous, beaux jours ? où êtes-vous, belle pleureuse,
Tranquille allée ? aujourd’hui vos troncs creux me feraient
peur
Car le jeune Amour qui savait de si belles histoires
S’est caché là, et
Souvenir a attendu trente ans,
Et personne n’a appelé : Amour s’est endormi.
- O Maison, Maison ! pourquoi m’avez-vous laissé partir.
Symphonie de novembre
Ce sera tout à fait comme dans cette vie.
La même chambre. - Oui, mon enfant, la même.
Au petit jour, l’oiseau des temps dans la feuillée
Pâle comme une morte alors les servantes se lèvent
Et l’on entend le bruit glacé et creux des seaux
À la fontaine. O terrible, terrible jeunesse !
Cur vide
Ce sera tout à fait comme dans cette vie. Il y aura
Les voix pauvres, les voix d’hiver des vieux faubourgs,
Le vitrier avec sa chanson alternée,
La grand-mère cassée qui sous le bonnet sale
Crie des noms de poissons, l’homme au tablier bleu
Qui crache dans sa main usée par le brancard
Et hurle on ne sait quoi, comme l’Ange du jugement.
Ce sera tout à fait comme dans cette vie.
La même table,
La Bible, Goethe, l’encre et son odeur de temps,
Le papier, femme blanche qui lit dans la pensée,
La plume, le portrait. Mon enfant, mon enfant !
Ce sera tout à fait comme dans cette vie !
- Le même jardin,
Profond, profond, touffu, obscur.
Et vers midi
Des gens se réjouiront d’être réunis là
Qui ne se sont jamais connus et qui ne savent
Les uns des autres que ceci : qu’il faudra s’habiller
Comme pour une fête et aller dans la nuit
Des disparus, tout seul, sans amour et sans lampe.
Ce sera tout à fait comme dans cette vie.
La même allée
Et (dans l’après-midi d’automne), au détour de l’allée,
Là où le beau chemin descend peureusement, comme la femme
Qui va cueillir les fleurs de la convalescence - écoute, mon enfant,
- Nous nous rencontrerons, comme jadis ici
Et tu as oublié, toi, la couleur d’alors de ta robe
Mais moi, je n’ai connu que peu d’instants heureux.
Tu seras vêtu de violet pâle, beau chagrin
Et les fleurs de ton chapeau seront tristes et petites
De l’enfance ? que vos couleurs, vos voix et mon amour,
Que tout cela fut moins que l’éclair de la guêpe
Dans le vent, que le son de la larme tombée sur le cercueil,
Un pur mensonge, un battement de mon cur entendu en rêve ?
Symphonie de septembre (extraits)
I
Soyez la bienvenue, vous qui venez à ma rencontre
Dans l’écho de mes propres pas, du fond du corridor obscur et froiddu temps
Soyez la bienvenue, solitude, ma mère.
Quand la joie. marchait dans mon ombre, quand les oiseaux
Du rire se heurtaient aux miroirs de la nuit, quand les fleurs,
Quand les terribles fleurs de la jeune pitié étouffaient mon amour
Et quand la jalousie baissait la tête et se regardait dans le vin,
Je pensais à vous, solitude, je pensais à vous, délaissée.
Vous m’avez nourri d’humble pain noir et de lait et de miel sauvage ;
Il était doux de manger dans votre main, comme le passereau,
Car je n’ai jamais eu, ô Nourrice, ni père ni mère
Et la folie et la froideur erraient sans but dans la maison.
Quelquefois, vous m’apparaissiez sous les traits d’une femme
Dans la belle clarté menteuse du sommeil. Votre robe
Avait la couleur des semailles ; et dans mon cur perdu,
Muet, hostile et froid comme le caillou du chemin,
Une belle tendresse se réveille aujourd’hui encore
À la vue d’une femme vêtue de ce brun pauvre
Chagrin et pardonnant : la première hirondelle
Vole, vole sur les labours, dans le soleil clair de l’enfance
..............................................................................
II
Solitude, ma mère, redites-moi ma vie ! Voici
Le mur sans crucifix et la table et le livre
Fermé ! Si l’impossible attendu si longtemps
Frappait à la fenêtre, comme le rouge-gorge au cur gelé,
Qui donc se lèverait ici pour lui ouvrir ? Appel
Du chasseur attardé dans les marais livides
Le dernier cri de la jeunesse faiblit et meurt la chute d’une seulefeuille
Remplit d’effroi le cur muet de la forêt.
Qu’es-tu donc, triste cur ? une chambre assoupie
Où, les coudes sur le livre fermé, le fils prodigue
Écoute sonner la vieille mouche bleue de l’enfance ?
Ou un miroir qui se souvient ? ou un tombeau que le voleur aréveillé ?
Lointains heureux portés par le soupir du soir, nuages d’or,
Beaux navires chargés de manne par les anges ! est-ce vrai
Que tous, tous vous avez cessé de m’aimer, que jamais,
Jamais je ne vous verrai plus à travers le cristal
De l’enfance ? que vos couleurs, vos voix et mon amour,
Que tout cela fut moins que l’éclair de la guêpe
Dans le vent, que le son de la larme tombée sur le cercueil,
Un pur mensonge, un battement de mon cur entendu en rêve ?
Seul devant les glaciers muets de la vieillesse ! seul
Avec l’écho d’un nom ! et la peur du jour et la peur de la nuit
Comme deux surs réconciliées dans le malheur
Debout sur le pont du sommeil se font signe, se font signe !
Et comme au fond du lac obscur la pauvre pierre
Des mains d’un bel enfant cruel jadis tombée :
Ainsi repose au plus triste du cur,
Dans le limon dormant du souvenir, le lourd amour.
Symphonie inachevée (extraits)
I
.......
C’était il y a très longtemps écoute, amer amour de l’autre monde
C’était très loin, très loin écoute bien, ma sur d’ici
Dans le Septentrion natal où des grands nymphéas des lacs
Monte une odeur des premiers temps, une vapeur de pommeraies delégende englouties.
Loin de nos archipels de ruines, de lianes, de harpes,
Loin de nos montagnes heureuses.
Il y avait la lampe et un bruit de haches dans la brume,
Je me souviens,
Et j’étais seul dans la maison que tu n’as pas connue,
La maison de l’enfance, la muette, la sombre,
Au fond des parcs touffus où l’oiseau transi du matin
Chantait bas pour l’amour des morts très anciens, dans l’obscurerosée.
C’est là, dans ces chambres profondes aux fenêtres ensommeillées
Que l’ancêtre de notre race avait vécu
Et c’est là que mon père après ses longs voyages
Était venu mourir.
J’étais seul et, je me souviens,
C’était la saison où le vent de nos pays
Souffle une odeur de loup, d’herbe de marécage et de lin pourrissant
Et chante de vieux airs de voleuse d’enfants dans les ruines de lanuit.
II
Le dernier soir était venu et avec lui la fièvre
L’insomnie et la peur. Et je ne pouvais pas me rappeler ton nom.
La garde était sans doute allée au presbytère
Car la lanterne n’était plus sur l’escabeau.
Tous nos anciens serviteurs étaient morts ; leurs enfants
Avaient émigré ; j’étais un étranger
Dans la maison penchée
De mon enfance.
L’odeur de ce silence était celle du blé
Trouvé dans un tombeau ; et tu connais sans doute
Cette mousse des lieux muets, sur des ensevelis
Couleur de lune mûre et basse sur Memphis.
.....
La solitude m’attendait avec l’écho
Dans l’obscure galerie. Une enfant était là
Avec une lanterne et une clef
De cimetière. L’hiver des rues
Me souffla une odeur misérable au visage.
Je me croyais suivi par ma jeunesse en pleurs ;
Mais sous la lampe et mon Hypérion sur les genoux,
La vieillesse était assise : et elle ne leva pas la tête.
III
....
Vieux, très vieux jours ! si beaux, si purs ! c’était la même chambre
Mais froide pour toujours, mais muette, mais grise.
Elle semblait avoir à jamais oublié
Le feu et le grillon des anciennes veillées.
Il n’y avait plus de parents, plus d’amis, plus de serviteurs !
Il n’y avait que la vieillesse, le silence et la lampe.
La vieillesse berçait mon cur comme une folle un enfant mort,
Le silence ne m’aimait plus. La lampe s’éteignit.
Mais sous le poids de la Montagne des ténèbres
Je sentis que l’Amour comme un soleil intérieur
Se levait sur les vieux pays de la mémoire et que je m’envolais
Bien loin, bien loin, comme jadis, dans mes voyages de dormeur.
Le vieux jour
Le vieux jour qui n’a pas de but veut que l’on vive
Et que l’on pleure et se plaigne avec sa pluie et son vent.
Pourquoi ne veut-il pas dormir toujours à l’auberge des nuits
Le jour qui menace les heures de son bâton de mendiant ?
La lumière est tiède aux dortoirs de l’hôpital de la vie
La blancheur patiente des murs est faite de chères pensées.
Et la pitié qui voit que le bonheur s’ennuie
Fait neiger le ciel vide sur les pauvres oiseaux blessés.
Ne réveille pas la lampe, ce crépuscule est notre ami,
Il ne vient jamais sans nous apporter un peu de bon vieux temps.
Si tu le chassais de notre chambre, la pluie et le vent
Se moqueraient de son triste manteau gris.
Ah ! certes, s’il existe une douceur ici-bas
Ce ne peut être qu’aux vieux cimetières graves et bons
Où la faiblesse ne dit plus oui, où l’orgueil ne dit plus non,
Où l’espoir ne tourmente plus les hommes las.
Ah ! certes, là-bas sous les croix, près de la mer indifférente,
Qui ne songe qu’au temps jadis, tous les chercheurs
Trouveront enfin leurs âmes aux sourires anxieux d’attente
Et les consolations sûres des nuits meilleures.
Verse cet alcool dans le feu, ferme bien la porte,
Il y a dans mon cur des abandonnés qui grelottent.
On dirait vraiment que toute la musique est morte
Et les heures sont si longues !
Non, je ne veux plus voir en toi l’amie :
Ne sois qu’une chose extrêmement douce, crois-moi,
Une fumée au toit d’une chaumière, dans le soir
Tu as le visage de la bonne journée de la vie.
Pose ta tête d’automne sur mes genoux, raconte-moi
Qu’il y a un grand navire, tout seul, tout seul sur la mer ;
N’oublie pas de me dire que ses lumières ont froid
Et que ses vêtements de toile font rire l’hiver.
Parle-moi des amis qui sont morts il y a longtemps.
Ils dorment dans des tombeaux que nous ne verrons jamais,
Là-bas, bien loin, dans un pays couleur de silence et de temps.
S’ils revenaient, comme nous saurions les aimer
Dans le cabaret près du fleuve il y a de vieux orphelins
Qui chantent parce que le silence de leurs âmes leur fait peur
Debout sur le seuil d’or de la maison des heures
L’ombre fait le signe de la croix sur le pain et le vin.
quand elle viendra
Quand elle viendra fera-t-il gris ou vert dans ses yeux,
Vert ou gris dans le fleuve ?
L’heure sera nouvelle dans cet avenir si vieux,
Nouvelle, mais si peu neuve...
Vieilles heures où l’on a tout dit, tout vu, tout rêvé !
Je vous plains si vous le savez...
Il y aura de l’aujourd’hui et des bruits de la ville
Tout comme aujourd’hui et toujours - dures épreuves ! -
Et des odeurs,- selon la saison - de septembre ou d’avril
Et du ciel faux et des nuages dans le fleuve,
Et des mots - selon le moment - gais ou sanglotant
Sous des cieux qui se réjouissent ou qui pleuvent,
Car nous aurons vécu et simulé, ah ! tant et tant,
Quand elle viendra avec ses yeux de pluie sur le fleuve
Il y aura (voix de l’ennui, rire de l’impuissance)
Le vieux, le stérile, le sec moment présent,
Pulsation d’une éternité sur du silence ;
Le moment présent, tout comme à présent.
Hier, il y a dix ans, aujourd’hui, dans un mois,
Horribles mots, pensées mortes, mais qu’importe.
Bois, dors, meurs,- il faut bien que l’on se sauve de soi
De telle ou telle sorte
La charrette
L’esprit purifié par les nombres du temple,
La pensée ressaisie à peine par la chair, déjà,
Déjà ce vieux bruit sourd, hivernal de la vie
Du cur froid de la terre monte, monte vers le mien.
C’est le premier tombereau du matin, le premier tombereau
Du matin. Il tourne le coin de la rue, et dans ma conscience
La toux du vieux boueur, fils de l’aube déguenillée,
M’ouvre comme une clef la porte de mon jour.
Et c’est vous et c’est moi. Vous et moi de nouveau, ma vie.
Et je me lève et j’interroge
Les mains d’hôpital de la poussière du matin
Sur les choses que je ne voulais pas revoir.
La sirène au loin crie, crie et crie sur le fleuve.
Mettez-vous à genoux, vie orpheline,
Et faites semblant de prier pendant que je compte et recompte
Ces fleurages qui n’ont ni frères ni surs dans les jardins,
Tristes, sales, comme on en voit dans les faubourgs
Aux tentures des murs en démolition, sous la pluie. Plus tard,
Dans le terrible après-midi, vous lèverez les yeux du livre vide etje verrai
Les chalands amarrés, les barils, le charbon dormir
Et dans le linge dur des mariniers le vent courir.
Que faire ? Fuir ? Mais où ? Et à quoi bon ? La joie
Elle-même n’est plus qu’un beau temps de pays d’exil ;
Mon ombre n’est ni aimée ni haïe du soleil ; c’est comme un mot
Qui en tombant sur le papier perd son sens ; et voilà,
- O vie si longue ! pourquoi mon âme est transpercée
Quand cet enfant trouvé, quand frère petit-jour
Par l’entrebâillement des rideaux me regarde, quand au cur de laville
Résonne un triste, triste, triste pas d’épouse chassée.
Te voici donc, ami d’enfance ! Premier hennissement si pur,
Si clair ! Ah ! pauvre et sainte voix du premier cheval sous lapluie !
J’entends aussi le pas merveilleux de mon frère ;
Les outils sur l’épaule et le pain sous le bras.
C’est lui ! c’est l’homme Il s’est levé ! Et l’éternel devoir
L’ayant pris par la main calleuse, il va au devant de son jour. Moi,
Mes jours sont comme les poèmes oubliés dans les armoires
Qui sentent le tombeau ; et le cur se déchire
........................
Vie ! O amour sans visage ! Toute cette argile
A été remuée, hersée, déchiquetée
jusqu’aux tissus où la douleur elle-même trouve un sommeil dans laplaie
Et je ne peux plus, non, je ne peux plus, je ne peux plus !
Cantique de Printemps
Le printemps est revenu de ses lointains voyages,
Il nous apporte la paix du cur.
Lève-toi, chère tête ! Regarde, beau visage !
La montagne est une île au milieu des vapeurs : elle a repris sariante couleur.
Le printemps est revenu de ses lointains voyages,
Il nous apporte la paix du cur.
Lève-toi, chère tête ! Regarde, beau visage !
La montagne est une île au milieu des vapeurs: elle a reprissa riante couleur.
O jeunesse ! ô viorne de la maison penchée !
O saison de la guêpe prodigue !
La vierge folle de l’été
Chante dans la chaleur.
Tout est confiance, charme, repos.
Que le monde est beau, bien-aimée, que le monde est beau !
Un grave et pur nuage est venu d’un royaume obscur.
Un silence d’amour est tombé sur l’or de midi.
L’ortie ensommeillée courbe sa tête mûre
Sous sa belle couronne de reine de Judée.
Entends-tu ? Voici l’ondée.
Elle vient.., elle est tombée.
Tout le royaume de l’amour sent la fleur d’eau.
La jeune abeille,
Fille du soleil,
Vole à la découverte dans le mystère du verger ;
J’entends bêler les troupeaux ;
L’écho répond au berger.
Que le monde est beau, bien-aimée, que le monde est beau !
Nous suivrons la musette aux lieux abandonnés.
Là-bas, dans l’ombre du nuage, au pied de la tour,
Le romarin conseille de dormir ; et rien n’est beau
Comme l’enfant de la brebis couleur de jour.
Le tendre instant nous fait signe de la colline voilée.
Levez-vous, amour fier, appuyez-vous sur mon épaule ;
J’écarterai la chevelure du saule,
Nous regarderons dans la vallée.
La fleur se penche, l’arbre frissonne : ils sont ivres d’odeur.
Déjà, déjà le blé
Lève en silence, comme dans les songes des dormeurs.
Amour puissant, ma grande sur,
Courons où nous appelle l’oiseau caché des jardins.
Viens, cruel cur,
Viens, doux visage ;
La brise aux joues d’enfant souffle sur le nuage
De jasmin.
La colombe aux beaux pieds vient boire à la fontaine ;
Qu’elle s’apparaît blanche dans l’eau nouvelle !
Que dit-elle ? où est-elle ?
On dirait qu’elle chante dans mon cur nouveau.
La voici lointaine...
Que le monde est beau, bien-aimée, que le monde est beau !
La femme des ruines m’appelle de la fenêtre haute :
Vois comme sa chevelure de fleurs folles et de vent
S’est répandue sur le chéneau croulant
Et j’entends le bourdon strié,
Vieux sonneur des jours innocents.
Le temps est venu pour nous, folle tête,
De nous parer des baies qui respirent dans l’ombre.
Le loriot chante dans l’allée la plus secrète.
O sur de ma pensée ! quel est donc ce mystère ?
Éclaire-moi, réveille-moi, car ce sont choses vues en songe.
Oh ! très certainement je dors.
Comme la vie est belle ! plus de mensonge, plus de remords
Et des fleurs se lèvent de terre
Qui sont comme le pardon des morts.
O mois d’amour, ô voyageur, ô jour de joie !
Sois notre hôte ; arrête-toi ;
Tu te reposeras sous notre toit.
Tes graves projets s’assoupiront au murmure ailé de l’allée.
Nous te nourrirons de pain, de miel et de lait.
Ne fuis pas.
Qu’as-tu à faire là-bas ?
N’es-tu pas bien ici ?
Nous te cacherons aux soucis.
Il y a une belle chambre secrète
Dans notre maison de repos ;
Là, les ombres vertes entrent par la fenêtre ouverte
Sur un jardin de charme, de solitude et d’eau.
Il écoute... il s’arrête...
Que le monde est beau, bien-aimée, que le monde est beau
NIHUMIM (extraits)
Quarante ans.
Je connais peu ma vie. Je ne l’ai jamais vue
S’éclairer dans les yeux d’un enfant né de moi.
Pourtant j’ai pénétré le secret de mon corps. Ô mon corps !
Toute la joie, toute l’angoisse des bêtes de la solitude
Est en toi, esprit de la terre, ô frère du rocher et de l’ortie.
Comme les blés et les nuages dans le vent,
Comme la pluie et les abeilles dans la lumière,
Quarante ans, quarante ans, mon corps, tu as nourri
De ton être secret le feu divin du Mouvement :
Tu ne passeras pas avant le mouvement de l’univers.
Que le son de ton nom inutile et obscur
Se perde avec le cri du dormeur dans la nuit ;
Rien ne saurait te séparer de ta mère la terre,
De ton ami le vent, de ton épouse la lumière.
Mon corps ! tant que deux curs séparés, égarés,
Se chercheront dans les vapeurs des cascades du matin,
Tant qu’un douzième appel de midi vibrera pour réjouir
La bête qui a soif et l’homme qui a faim ; tant que le loriot,
L’hôte des sources cachées, renversera sa pauvre tête
Pour chanter les louanges du Père des forêts; tant qu’une touffe
De myrtil noir élèvera ses baies pour leur faire respirer
L’air de ce monde, quand l’eau de soleil est tombée,
O errante poussière ! ô mon corps, tu vivras pour aimer et souffrir.
Bibliographie
Les œuvres Complètes d’O. V. de L. Miłosz ont été jalousement publiées par l’éditeur André Silvaire.
Notons parmi ces quaorze titres ceux-là :
Tome I, Poésies I : Le Poème des Décadences - Les Sept Solitudes, Silvaire, Paris, 1960
Tome II, Poésies II : Les Eléments - Autres Poèmes - Symphonies- Nihumîm - Adramandoni - La Confession de Lemuel - Derniers Poèmes, Silvaire, Paris, 1960
Tome III, Théâtre I : Miguel Mañara - Traduction fragmentaire de Faust, Silvaire, Paris, 1957
Tome IV, Théâtre II : Don Juan - Méphiboseth, Silvaire, Paris, 1988
Tome V, Roman I : L’Amoureuse Initiation, Silvaire, Paris,1958
Tome VI, Contes et Fabliaux de la Vieille Lithuanie, Silvaire, Paris, 1972
Tome XII, Roman II : Les Zborowski (écrit entre 1910 et1914) - Très simple histoire d’un Monsieur Trix-Trix, pitre (1906) - Le Cahier Déchiré [1894-1896] - Poèmes inédits ou retrouvés (1900-1915), Silvaire, Paris, 1982
Tome XIV, Inédits et Varia : Poésie - Esotérisme - Préfaces -Etudes - Autobiographie - Roman - Théâtre - Folklore
Plus accessible :
La Berline arrêtée dans la nuit, Anthologie poétique, édition de Jean-Baptiste Para préfacée par Jean Bellemin-Noël et avec une postface de Czeslaw Miłosz, Poésie / Gallimard, Paris, 1999