Peter Huchel

La tristesse est inhabitable et pourtant habitée

Peter Huchel (1903-1981) est l’un des grands poètes contemporains allemands encore les moins connus en France. Pourtant il est l’un des plus importants, l’un des plus lyriques aussi, mais le fait d’avoir la plupart du temps vécu en Allemagne de l’Est, y avoir été soumis au silence et à la censure, a sans doute étouffé sa voix.

Face au gris des jours, à la surveillance étroite de la Stasi, il a mis comme écran la présence de la nature, l’amitié des animaux, ceux qui permettent de s’enfuir de manière métaphorique – cheval, oiseaux — hors de ce temps froid.

Lui aussi est un homme du froid, des terres continentales, du brouillard, des saules, des aulnes et des étangs. Et les morts, ceux qu’il a vus sur le front de l’Est, ceux qui semblent encore hantés les jours où la mort rôde comme chez elle.
Ces paysages à l’œil sombre, ces végétations touffues, enserrent sa poésie. Tout est analogie à sa vie enserrée, à sa liberté surveillée.
Une « nasse de barbelés » semble border ses sentiments, ses émotions.

Le silence plane sur ses mots.
Jamais il ne peut oublier le temps où il fut soldat puis prisonnier en URSS pendant la seconde guerre mondiale, avec la présence quotidienne de la mort, de la boue, du froid, de la rouille des jours.

Il se souvient « des morts dans leurs capotes durcies par le froid », mais aussi des horreurs des nazis et de la violence horrible de la guerre et du massacre des juifs.

Les morts seuls,Soustraits à la cloche qui résonneHeure après heure, au lierre qui gagne,voientl’ombre gelée de la terreglisser devant la lune.

Il est poète des jours comptés, du temps qui reste, de la solitude et de l’absence, de l’hiver qui gagne le monde, des « ténèbres blanches du ciel » qui viennent se poser « au creux glacé de nos années ».Tout cela il le suggère, il le dit dans une langue qui paraît simple, mais qui recèle un univers obscur et loin du réel.
Comme son œuvre, il ne se livre que difficilement. Mais sa grande profusion d’images permet d’entrevoir son univers.
Il ne peut être réduit à un simple poète lyrique qui chante la nature parfois inquiétante, mais toujours présente.

En filigrane il y a un homme engagé qui a connu la guerre et la censure, l’oppression du régime de la RDA.

Il procède souvent par un langage à clef, des allusions. Certains de ses poèmes semblent des énigmes.
Il fut un poète de l’exil intérieur de 1962 à 1971, et ses livres furent soit peu diffusés, soit interdits.
Il se disait « poète à deux visages », « poète-araignée » tendant des fils si fragiles, mais libres.
Il semble ne pas y avoir de mots inutiles dans ses poèmes, courts le plus souvent, compacts, énigmatiques, hermétiques aussi parfois.

Et pourtant il proclame que « la tristesse est inhabitable. »
Malgré la nature et les humains contaminés par déjà les signes de la mort, il dépasse le souffle de la nuit pour croire encore à la rencontre de la vie :

…Ce qui est caché sousles griffes des rochers,l’ouverture vers la nuit,l’angoisse de la mortenfoncée dans la chair comme du sel qui pique.

Laissez-nous descendredans la langue de l’angevers les briques cassées de Babel. (Rencontre, Neuvième heure)

Dans les ténèbres blanches du ciel

Pas venu au monde
pour vivre sous l’aile du pouvoir
j’optai pour l’innocence du coupable.(Le tribunal)

Peter Huchel, de son vrai nom Helmut Huchel, est un homme du froid, un homme du Nord. Il est né le 3 avril 1903, au cœur des paysages de la Marche de Brandebourg, à Lichterfelde proche de Berlin.
« Je suis né « en dix-neuf cent triste », dans « la troisième nuit d’avril », au moment où le ciel était encore meurtri par la neige, où les glaces se mettaient à fondre, où les crapauds commençaient à coasser, une nuit où il pleuvait doucement. Le lait de la mère avait bon goût, mais la nuit a assombri mon sang...» (autobiographie poème La troisième nuit d’Avril)

Tout son univers vient de ces paysages, et aussi de l’enfance à la campagne. Son cœur de poète, « l’ombre de son cœur est restée dans l’ombre froide de l’Avril. »
Il sera aussi fasciné par la lumière de l’Italie et de la Grèce.
Peter Huchel passé la plupart de son enfance dans le pays allemand à la maison de son grand-père Mark Brandenburg.

Et sa poésie est imprégnée de son amour de la nature autour de Brandebourg.

Il étudie de 1923 à 1926 la littérature et la philosophie à Berlin, Fribourg-en-Brisgau et Vienne. Une rencontre en 1920 d’un métallurgiste à l’hôpital, où il va passer deux mois, va le conduire au socialisme, mais jamais il ne sera un marxiste orthodoxe, trop indépendant et solitaire.

Huchel est aussi en contact avec les cercles sionistes et marxistes.

Après l’école, il a dû gagner sa vie pendant deux ans comme travailleur agricole en France.
Peter Huchel publie des poèmes dès 1924, et il est reconnu très tôt pour son talent singulier dès 1932 où il écrit dans des revues. Sa tentative de publication d’un premier recueil Der Knabenteich (L’étang de l’Enfance), n’aboutit pas.

De 1927 à 1930, il voyage en France, en Roumanie, en Hongrie et en Turquie. En 1930 il adopte le prénom de Peter.
En 1931, il publie un texte en prose Im Jahre 1930 sur la montée du nazisme dans la petite bourgeoisie, où il montre son rejet. Il tente de survivre dans le Troisième Reich qu’il considère comme un « retour à la barbarie ».

Il épouse en 1934 Dora Lassel dont il se séparera en 1946.
De 1934 à 1940, il est auteur pour la radio de Berlin où il évoque courageusement la politique de son époque. Il tente aussi en vain d’émigrer.
Suspect, il sera envoyé plus tard se faire tuer sur le front de l’Est par les nazis.

En 1940, il sert dans la défense antiaérienne, il connaît Stalingrad, et il est fait prisonnier en avril 1945, pour une période relativement courte, par les Soviétiques.
Avoir quarante ans à Stalingrad, ce n’est pas le plus bel âge de la vie !
Après la guerre sur le front russe et son retour de captivité, il travailla en 1945 à la radio de la zone soviétique d’occupation. II devient directeur en 1947 de la radio officielle Rundfunk der DDR.
Il se lie d’amitié avec Bertolt Brecht et Johannes R.Becher.

Il est pressenti par Johannes R. Becher, pour être étroitement associé à la création de Sinn und Form (Sens et Forme), une revue littéraire et philosophique de référence qui se voulait au-delà des clivages idéologiques et dont il devint rédacteur en chef, en 1949, et pendant treize ans. Il la portera à un très haut niveau culturel et tolérant.
Il joue un rôle décisif dans la vie culturelle de la République démocratique allemande, est l’un des principaux responsables, avant que ne se lèvent les ténèbres et que sa foi socialiste s’ébrèche. Lui voulait être un pont entre l’Est et l’Ouest, et non un poète du «réalisme socialiste».
Dans le premier numéro de 1948, il publia un choix de ses poèmes et une longue étude sur Brecht.
Mais très vite il fut en désaccord profond avec la mise au pas idéologique du régime communiste, ne voulant appliquer que des critères de valeur littéraire et refusant d’être le porte-parole de l’idéologie communiste.

Il était très attaché à son indépendance intellectuelle.

Il fut limogé dès 1953, pendant son séjour en URSS. Mais son amiBertolt Brecht le fit réintégrer à son poste.

A la mort de celui-ci en 1956, il est à nouveau persécuté. Malgré des jours plus que difficiles il tient bon, mais il est finalement limogé en décembre 1962 et assigné à résidence dans un petit village de Wilhemhorst aux environs de Berlin. Il va y vivre dans un isolement complet, sans avoir le droit d’avoir des livres, de publier des poèmes, sans pouvoir recevoir du courrier, coupé de tout contact avec le monde. Les quelques amis courageux qui osent braver le régime et viennent le visiter dans sa campagne sont espionnés, suivis, harcelés. Il vit un isolement total qui va durer neuf ans.

L’opinion internationale finit par s’émouvoir, alertée par le Pen Club international, et grâce à l’action obstinée d’Heinrich Böll, et du recteur de l’académie de Berlin-Ouest, il va avoir le droit de quitter la RDA en avril 1971, et de passer en Allemagne de l’Ouest.
Après avoir bénéficié d’une bourse pour la Villa Massimo, à Rome, il se fixa dans l’ex-RFA, à Staufen en Brisgau. En 1972, il publie un nouveau recueil de poèmes. Mais homme intègre et modeste il refuse la récupération politique et la nouvelle gloire suspecte.

En 1977 Huchel souffrant d’une maladie grave meurt à Staufen en Brisgau le 30 avril 1981 et ne peut terminer son livre de mémoires.

Un lyrisme lucide, une résistance intérieure contre les ténèbres

Nous n’appelons pas le passé, le passé nous appelle.

La poésie de Peter Huchel s’est constituée entre l’enfance sublimée dans la nature, les horreurs de la guerre et la lourde grisaille de la glaciation communiste. Aussi pour ressusciter son enfance saccagée il invoque souvent son passé :

«Quand je pense au village où ma mère a grandi et où j’ai grandi plus tard, je vois la maison blanche à double toit haut dans la vieille vallée de Langerwisch. (... ) Par les jours d’enfance, j’ai appris beaucoup d’expérience de la vie. Pour moi, cette vieille maison est la grande cour de la mémoire, là le ciel et la terre sont présents, vastes et sans limites, et en elle toutes choses sont présentes : l’enfance des étoiles, les roseaux des fossés, la chaux des siècles gris, les aulnes, les peupliers, le sable. Et par-dessus tout les personnes habitant ce paysage : la femme de chambre Anna, qui m’a élevé, la vieille servante, qui avait prédit la météo par les toiles des araignées, l’ancien gitan, les bardeaux, les crises de rhumatisme pendant la lune décroissante, le moissonneur, le cocher, l’électricité et les Tsiganes. - Quelque chose de l’odeur de feuilles de noyer écrasées - que nous voyons dans un été perdu … » (Huchel).

Son enfance heureuse, en osmose avec la nature, aura été saccagée, piétinée par la violence de l’histoire, la guerre et le communisme.
Il a certes perdu son âme d’enfant, mais pas son regard complice envers la nature. Sans aucun pathos il fait surgir ses rêves d’enfant peuplés d’étangs, de roseaux, de corneilles.
Certes il dit le malheur du monde, mais aussi le devoir de présence au monde, de nommer les habitants et les choses, de chanter ce qui demeure envers tout et contre tout.
Chanter donc les chardons et les pierres, et surtout l’eau son élément primordial, son épaisseur du temps:

Sentant la terre par tous les pores de ma peau,J’entendais chanter les chardons et les pierres.

Et,
Mais l’eau pâle des falaisesPortait le ciel. Ses poèmes sont un paysage où viennent vivre la nature et ses attributs :marécages, corbeaux, grive, mésange, aulnes, champ, forêt, lande, brume, lune, la ferme, neige, glace, bruyère, mousse, mer, baie, maison, fumée, feu de la cuisine, servante, gitans…

Il doit porter le monde, porter une espérance malgré tout, nommer et faire advenir la vie.
Dans une poésie envoûtante, mélancolique, il témoigne de la détresse humaine, de son écartèlement entre les deux Allemagne.
Il est complexe : à la fois poète lyrique de la nature et poète politiquement engagé, et de ce paradoxe si lourd à porter il va en faire son œuvre. Il y a des poèmes de souvenir, de séparation, de deuil, mais aussi de magie et de rêves. Les cheveux sont de l’eau, des chambres qui nous ouvrent sur l’amour.
L’étang de l’enfance sera toujours le même, comme la première fois.
Si le fleuve gelé respire à peine chez les humains, il coule malgré tout dans ses mots. Et pour lui le paysage est parabole, refuge de silence. Il a la nostalgie de l’origine, du monde de l’enfance. Écrire est souvent pour lui revenir dans les traces, ses traces.
Un monde de beauté terrible le hante. La guerre, la dictature, ont changé son étang intérieur, mais il demeure fidèle malgré tout, « malgré sa vie endommagée », à un certain mal du pays, avec mélancolie et aussi légèreté en utilisant des métaphores archaïques.
Il avait fait sienne cette pensée de Lichtenberg : « La métaphore est la plupart du temps plus intelligente que son auteur. » Le mystère de la nature pouvait le dépasser.
La nature n’est pas pour lui une fuite, une oasis, mais un refuge, un réel qu’il suggère, et qu’il ne veut pas fuir, tout en le suggérant de manière dissimulée :

Debout sur le pont, J’étais seul face à l’atone froidure du ciel. Faiblement, Par la gorge des joncs, Le fleuve gelé respire-t-il encore ?

Ce monde gelé, froid, gorgé de brumes et d’étranges étangs, peuplé d’ombres, où se meuvent mendiants et solitaires est la métaphore de la RDA, devenue « une métaphore lisible » de la glaciation de tout un peuple et un pays.

Tout y est fragile, précaire et surveillé.

J’écris pour peu de gens, et je ne sais pas pour qui

Comment ne pas entendre dans ces vers une résistance à l’oppression, celle noire du nazisme, celle grise et médiocre du communisme ?

Mais la violence de la nuit n’étouffe pasLa lumière silencieuse de l’âme.Même s’il souffle une brise froide de cendre,
Les ténèbres se déchireront.(
Douze nuits, 1948).

Ou encore
Et lui, le témoin, légua la plainteAux oreilles sourdes des générations. (Aux oreilles sourdes des générations)

C’est bien lui Peter Huchel le témoin qui ne peut que léguer sa plainte, car déjà presque réduit au silence, à l’exil intérieur, mais il sait qu’il ne sera pas entendu.
Entre repli dans la nature et ses éléments et la Stasi qui veille, Peter Huchel parle à peine :

Sous la racine du chardon
Habite maintenant la langue
.

Cette langue, verrou pour le feu, un jour dépassera les ombres amassées qui prennent sa vie dans les filets.
Plus qu’une vision nostalgique du monde, sa contemplation du paysage montre un sentiment tragique de la vie.
Il est marqué par la guerre vécue sur le front de l’Est :

La chaussée se perd devant Stalingrad, Elle mène à la chambre des morts, bâtie de neige.

Mais lui ne plie pas face à la dictature, même s’il n’est pas par tempérament un combattant de la résistance, un homme de «l’émigration intérieure » ou même un ennemi du socialisme, même s’il n’est inscrit à aucun parti, toujours solitaire. Sa croyance est la nature et les petites gens.
Sa poésie presque à mi-voix, modeste, intériorisée à l’extrême, est un dit du monde.

Il élabore un réalisme magique qui traverse les apparences. Il peut parfois faire penser à Trakl.
Il a son cœur privé incompatible avec toute idéologie, et quand il proteste, c’est doucement, se taisant devant l’intolérance stalinienne qui avait fait de lui l’ennemi du peuple.

Liberté, mon étoile,
non dessinée sur le fond du ciel,
au-dessus des douleurs du monde
encore invisible
tu traces la piste
dans le tropique du temps.
Je sais, mon étoile,
ta lumière est déjà en route
. In memoriam Paul Eluard.

Et il ose écrire :
Il n’y a pas d’eau dans l’écuelle de Pilate,il ne peut se laver les mains.

Il a certes écrit pour montrer que l’être échappe au recensement de la raison que :

Aucun sismographeNe signale la secousse des êtres (Znorovy)

Lui sait que sa poésie est le sismographe qui indique la respiration des êtres et leur secousse intérieure.

« Chaque personne qui écrit sait combien il est difficile d’arracher un mot au silence. »(Huchel)

Peter Huchel a arraché pour nous bien des mots au silence.

Gil Pressnitzer

Source : La Tristesse est inhabitable, t raduit par Emmanuel Moses, la Différence, 1990.

Choix de textes

ORIGINE

Le vent des ombres m’a porté
la maison le sait-elle ?
Les poires dans le buffet
répandent une odeur mûre de vieil été.
Là où le fléau sifflait
le blé volait en tas.
Là où au bord du lit, la lampe s’éteignait
les draps étaient étendus.

Comme je grimpais dans les sapins
les cheveux enduits de résine
toit et chambre résonnaient encore
de l’année des hirondelles.
Le carillon de la nuit souffle autour de la maison.
Et par la porte froide
sortent en silence les amis
depuis longtemps perdus.

Le chaudronnier aussi
longtemps oublié
qui, assis près du feu, martelait
dans la fumée de la cuisine,
devant moi il est accroupi, vieux, voûté
et gitanesque,
il sortait la nuit de la forêt aux corneilles
Cherchant table et foyer.

Avant qu’elle apporte le goûter
et coupe la miche
la servante entaillait le pain d’une croix,
y joignait la foi.
Quand le jour point, vert dans le ciel,
Court-elle aux champs,
toujours dévouée, la grise servante
sais-je où elle demeure ?

Et le valet, perdu dans ses pensées,
à peine le jour levé,
scrutant ce que tissait l’araignée
rapide, elle parcourait la toile
et nouait ses fils
la tempête éclatait
la pluie s’attardait dans les branchages
et elle traînait le pas.

Tous vivent encore dans la maison
amis, qui n’est plus ?
Je vide encore votre cruche
je mange votre pain.
Et à travers gel et ténèbres
vous m’accompagnez.
Lorsque sur les pierres il neige
j’entends alors vos pas.
Poèmes 1948, traduction Emmanuel Moses, La tristesse est inhabitable, Orphée.

VERONE

Entre nous tombait la pluie de l’oubli.
Les pièces de monnaie s’assombrissent dans le puits
Sur le mur, le chat,
Il tourne sa peau vers le silence
Ne nous reconnaît plus.
La faible lumière de l’amour
Décline sur ses prunelles.

L’engrenage cliqueté dans la tour
Et sonne l’heure avec retard.
La terre ne nous offre pas de temps
Par-delà la mort.
Cousues dans le tissu de la nuit
Les voix s’enfoncent
Introuvables.

Deux pigeons s’envolent du rebord de la fenêtre
Le pont préserve le serment.
Cette pierre
Dans l’eau de l’Adige
Prodigue dans son silence.
Et au milieu des choses
La tristesse.
Poèmes 1948, traduction Emmanuel Moses, La tristesse est inhabitable, Orphée.

Ferme Thomasset

Au-dessus de la paille et du purin
La lumière suintante de la lanterne.
À l’anneau du mur,
Cimentés par la lune,
Le rude harnais des bœufs,
La baguette de pin rouge,
Le cuir au vireton meurtrier.

L’heure trouble,
Encore avant la traite de cinq heures —
La fleur desséchée du foin
Frôle
La tristesse des larges fronts

Ouvre la porte.
L’odeur de l’étable se mêle
À l’odeur lactée des étoiles.

Sur les montagnes
Le silence,
Foulé par les pieds de l’aube.
Et sur les pierres,
Écrasée,
L’hostie blanche des pommiers.
Poèmes 1948, traduction Emmanuel Moses, La tristesse est inhabitable, Orphée.

Sous la houe brillante de la lune

Sous la houe brillante de la lune
je mourrai,
sans avoir appris
l’alphabet de l’éclair.

Dans le filigrane de la nuit
sans avoir déchiffré
l’enfance des mythes.

Ignorant
je dévale,
jeté aux os des renards.
Jours comptés, traduction Emmanuel Moses, La tristesse est inhabitable, Orphée.

Rien à signaler.

Rien à signaler.
La licorne s’en est allée
et repose dans le souvenir des forêts,

dans les chambres du pavot,
lorsque l’abbesse donne aux morts
le soleil et la lune.

L’automne s’éclaircit,
perd la mémoire
dans la trace de sang du hêtre.

Ce qui reste n’est autre
que le fil de fer noir dans l’air,
qui unit deux voix.

Dans l’abbaye blanche de l’hiver
un coup d’aile silencieux.
Au nom duquel –
jusqu’à la fin du jour.
La Neuvième Heure, traduction Emmanuel Moses, La tristesse est inhabitable, Orphée

Jours comptés

Jours comptés, voix, voix,
envoyées en reconnaissance à travers soleil et vent,
et dans l’escorte des feuilles râlantes,
encore avant que le fleuve
n’entrepose la brume dans les roseaux.
Oublie la ville,
où sous les hibiscus
le mulet est bâté au matin,
la sangle serrée, la sacoche bouclée,
où les femmes se tiennent devant le feu des cuisines,
alors que les fontaines dorment encore sous la pluie.
Oublie le chemin,
étourdi par l’odeur des seringuas,
la petite porte,
où sous le matelas se trouve la clé.

Deux ombres,
dos à dos,
deux hommes attendent dans l’herbe gelée.
Heure,
qui n’est plus ton heure,
voix,
envoyées en reconnaissance à travers brouillard et vent.
Jours comptés, 1972, traduction Emmanuel Moses, La tristesse est inhabitable,Orphée

Une nuit d’automne

Où es-tu, crépuscule d’autrefois ?
Colline de septembre, où je me trouvais,
Dans la force brutale du vent qui secouait les feuilles
Et cependant tout enveloppé par le calme des arbres −
Les grues étaient encore un hommage
De la nuit d’automne à l’enfant qui guettait.
Ô, heure lointaine, je veux chanter ta louange.
Les oiseaux au long cou volaient là-haut.
Ils poussaient des cris perçants, je leur lançai un mot.
Ils partirent, traversant le lac.
Dans l’eau et le brouillard flottait ta chevelure,
Obscurité primordiale où tout prit naissance,
Les marécages et les fleuves, les gorges et les étoiles.
Je te vis projeter
À travers le tamis de l’horizon
La poussière de métal des météores.
Sentant la terre par tous les pores de ma peau,
J’entendais chanter les chardons et les pierres.
La colline flottait. Et parfois une flèche de feu
Tombait du ciel.
Elle atteignait la nuit. Mais celle-ci, aussitôt, pansait
D’obscurité sa blessure
Et, saine et sauve, demeurait au-dessus des peupliers.
Les sources et le feu grondaient dans les fonds.
(Chaussées chaussées, traduit de l’allemand par Maryse Jacob et Arnaud Villani)

Maison à Olmitello

Nul n’a vu l’ange du petit matin.
Dans son manteau d’écume salée.
Mais des effluves de mer et d’algues
Portaient le ciel
Et rafraîchissaient le front brûlant des bateaux.
Les pêcheurs ont éteint leurs lamparos.

Nul n’a vu l’ange du petit matin.
Le silence a quitté l’ombre
Des pins et a franchi le seuil :
Nulle mort ne te chassera.
Dans le verre, l’huile s’est consumée lentement.
Mais l’eau pâle des falaises
Portait le ciel.
(Chaussées chaussées, traduit de l’allemand par Maryse Jacob et Arnaud Villani)

Matin d’hiver en Irlande Le diable s’est installé de nuit
dans le confessionnal du brouillard
et parle aux désespérés.
Au matin, il prend la forme
d’une pie
qui s’envole, sans bruit, au-dessus du chemin creux.

Dans les oubliettes de l’hiver,
l’or cassant des morts,
aux drageons de chêne.
La lumière essarte le froid.
Le visage familier des toits
de nouveau paraît.

Les exercices spirituels
du vent sur la mer,
le premier braiment.
L’ombre planante d’un oiseau,
remonte la falaise à pic.

Le ressac,
barrière mobile d’eau et de lumière,
la mer d’Irlande ne dit pas si la pluie
sera la tombe de Midi.
La Neuvième Heure, traduction de Maryse Jacob et Arnaud Villani

Ophélie

(Septembre 1965, dans la nuit les gardes-frontières de la RDA abattent une jeune fille qui tentait de franchir la Spree à gué)

À Nelly SACHS

Plus tard, au matin,
aux premières lueurs blanches
le bruit des bottes qui pataugent
dans la vase des eaux,
le heurt des perches que l’on pousse,
un ordre rauque,
ils soulèvent la boueuse
nasse des barbelés.

Pas de royaume,
Ophélie
où un cri
creuse l’eau
où par magie
la balle
contre la feuille de saule vole en éclats.
Traduit de l’allemand par Mireille GANSEL

Adaptations personnelles

Décembre 1942

Ainsi que tempêtes d’hiver dans un écho déferlant
le mur de glaise de l’étable de Bethléem criblé de balles.
La Marie git assommée devant la porte,
ses cheveux tachés de sang ont gelé sur la pierre.
Trois fantassins passent devant encagoulés.
Ils ne prêtent pas l’oreille aux cris de l’enfant.
Avec dans la besace la dernière graine de tournesol,
ils cherchent leur chemin et ne voient aucune étoile.
Aurum, thus, myrrham offerunt...
Autour de la ferme nue rodent corbeau et chien.

... quia natus est nobis Dominus.
Des squelettes blafards suintent huile et suie.
Devant Stalingrad la route se perd.
Elle mène à la chambre des morts bâtie de neige.

Le cimetière militaire

L’air est friable.
Cinq mille croix
alignées en rang et en membres,
rigoureusement alignées
Sur l’homme de base.

Après l’appel du soir
Ils vont en ville.
Ils remplissent les ruines
Et des ponts noirs,
jettent les feuilles dans les canaux.

Ils visitent la cathédrale
et obscurcissent le Sauveur.
Mais rougeoie toujours l’argent
des coins heurtés du Missel.
Et le stigmate du coucher du soleil
brûle sur les toits.

Comme un store de fenêtre
Ils s’asseyent contre le mur du bar.
Ils aspirent la glace dans les verres.
Ils suivent du regard les femmes
sorties des guitares.

Peu avant minuit
du fond des tombes
sonne le clairon de la mort,
les tambours inconsolables,
La grande retraite,
du couvre-feu.

À la première lueur
Ils se redressent à nouveau
Rigides dans leur carré.
Cinq mille croix
rigoureusement alignées
Sur l’homme de base.

(1963)

Le tribunal

Pas né pour cela.
à vivre sous l’aile du pouvoir,
J’ai pris l’innocence du coupable.

Justifié
par le droit de la force,
le juge assis à sa table,
feuilletant hargneux dans mes dossiers.

pas disposé
à quémander la clémence,
Je me tenais à la barre,
sous le masque de la lune déclinante.

Fixant le mur
J’ai vu le cavalier, un vent sombre
lui bandant les yeux,
les spores des chardons cliquetaient.
Il se précipita vers les aulnes de la rivière.

Tout le monde ne marche pas debout
Au travers du gué de l’époque.
Pour beaucoup l’eau arrache au loin
les pierres sous leurs pieds.

Fixant le mur,
incapable,
de nommer
la brume sanglante
encore moins de l’aube,
j’ai entendu le juge
énoncer le jugement,
phrases brisées venant de papiers jaunis.
Il ferma la couverture du dossier.

Insondable,
était son visage.
Je l’ai dévisagé
et vu son impuissance.
Le froid coupa mes dents.
Les jours comptés

La troisième nuit d’Avril

Le Havel, la glace, des crapauds la bouche ouvre Avril.
Le ciel était encore blessé par la neige,
quand je suis venu au monde, il pleuvait calmement
sur la troisième nuit d’Avril.
Le lait de la mère avait bon goût.
Le Birkbusch avait grandi, je ne restais pas jeune.
La nuit a assombrit mon sang,
le crépuscule aux yeux marron.
L’ombre de mon cœur demeure à jamais
dans l’ombre froide de l’Avril,
les champs de cristaux, l’alouette flotte au vent,
et veut vivre dans les arbres.

La troisième nuit d’Avril

Rêve dans les mâchoires des pièges
Prisonnier tu es, rêve.
Ta cheville brûle,
brouillée dans les mâchoires des pièges.
le vent effeuille
Un morceau d’écorce.
Est ouvert
Le Testament du sapin abattu,
écrit
dans la patience grise des pluies
indélébile
Son dernier héritage
Le silence.
La grêle cisèle
l’épitaphe des noirs caractères
de la flaque d’eau.
Psaume d’hiver Alors je suis parti avec le froid réconfort du ciel
Et j’ai descendu les rues vers la rivière,
J’ai vu le creux dans la neige,
où la nuit le vent
s’étend dans le creux de l’épaule.
Sa voix frêle,
dans les branches prises dans la glace du dessus,
se précipite vers l’air blanc du mirage:
" Tout ce qui est enfoui me regarde.
Dois-je le soulever hors de la poussière
Et le montrer au juge ? Je me tais.
Je ne veux pas être un témoin.
Son murmure s’éteint,
nourri d’aucune flamme.
Là où tu tombes, ô mon âme,
la nuit n’est point blanche. Car cela n’est rien
que la peur silencieuse de beaucoup d’êtres.
Le témoin apparaît. La lumière est.
Je me tenais sur le pont,
seul face au froid accablé du ciel.
Respirait encore faiblement
grâce à la gorge des roseaux
de la rivière gelée ?

Rencontre Pour Michael Hamburger Effraie
fille de neige,
soumise au vent de la nuit,
prenant racine pourtant
avec ses serres
dans la croûte moisie des murs,
visage de bec
avec des yeux ronds,
masque de cœur - rigide
de plumes d’un feu blanc
qui ne touche ni le temps ni l’espace.
Froidement la nuit souffle
contre la vieille ferme,
dans la cour une racaille blême,
traîneaux, bagages, lanternes couvertes de neige,
dans les pots la mort,
dans les pichets le poison,
la dernière volonté clouée à un poteau.
La chose cachée
sous les griffes des rochers,
l’ouverture dans la nuit,
la terreur de la mort
poussée dans la chair comme du sel irritant.
Laissez-nous descendre
dans la langue de l’ange
vers les briques cassées de Babel.
La neuvième heure

Note : Michael Hamburger est le traducteur anglais de Huchel

Réponse
Entre deux nuits
le jour si bref.
La ferme est là.
Et dans le fourré, un piège
le chasseur fixé pour nous.
Le désert de midi.
Il réchauffe encore la pierre.
Babillements dans le vent,
bourdonnement d’une guitare
en-bas de la colline.
Le lent combat
du feuillage flétri
brille contre le mur.
Air de sel blanc.
Les flèches de l’automne,
la migration de la grue.
Dans les branches lumineuses de l’arbre
l’heure tarifiée a disparu.
au-dessus de leur horloge
les araignées pondent
les voiles des mariées mortes.

Réponse
La chaleur de la vie s’est éteinte avec le gel amer ;
Sur la route solitaire un enfant boite
contournant les mares congelées : notre chemin se perd :
Nos cœurs s’enfoncent complètement.
Mais de la lande tissée de neige froidure et ennui,
levant nos yeux au-delà de la hauteur élevée,
avec des lèvres de feu blanc écartées l’aube respire limpide
son hymne silencieux de lumière.
Sortant de la vastitude la voix d’une réponse
dont les paroles sont des nuages et des étoiles et la nuit et le jour,
lorsque l’esprit angoissé pleure pour la lumière
profondément dans sa maison d’argile.

Les signes

Colline d’arbres nus
une fois encore a volé
dans le soir la formation des canards sauvages
à travers l’air liquide de l’automne.

Était-ce le signe?
Avec des lances en jachère
le lac transpercé
par le brouillard sans repos.

J’ai traversé le village
et j’ai vu les gens habituels.
Le berger gardait le bélier
attaché entre ses genoux.
Il a coupé l’ongle,
Il a goudronné de chaume la patte boiteuse.
Et les femmes ont compté les bidons de lait,
la traite du jour.
Il n’y avait rien à comprendre
C’était inscrit dans le registre.

Seuls les morts,
retranchés de la résonance des heures
La cloche, la croissance du lierre,
Ils voient
les ombres glaciales de la Terre
glisser sur la lune.
Vous savez, ceci restera.
Après tout, ce qui respire
dans l’air et l’eau.

Qui donc a écrit
la mise en garde écrite,
à peine déchiffrable?
Je l’ai trouvée sur le bûcher,
enserrée derrière le lac.
Était-ce le signe?

Pétrifié
dans le silence de la neige,
endormi aveugle
le fourré de vipère.

La servante

Quand résonnent les piaillements des coqs noirs
du village s’envole en fumée par les enclos,
s’engouffre dans les sonneries de cloches brunes comme chevreuil de forêt,
m’appelle la servante, pour les Vêpres.

dans la forêt elle a brisé les fagots,
ficelé sa hotte avec les pommes de pin.
elle me hisse à cheval et se dénoue brièvement,
s’élance pieds nus à travers les chaumes.

Dans le champ la piste ancienne grince
la nuit colle du noir sur les traces des chariots.
La chèvre, qui hirsute erre parmi nous,
dans la mousse tète goulûment.

Toujours la servante broie entre ses doigts une feuille de noyer,
le vert de ce parfum dans les cheveux est resté en moi.
L’herbe des marais vire au gris, la feuille d’armoise et l’étang.
Dans le village s’est blotti le peuple fatigué des poules

Déjà elle a atteint et ouvert la porte sombre.
Nous avançons à tâtons dans la chambre,
où la servante avant qu’elle mange elle-même
brise le pain et épluche la pomme.

J’ai très froid, enveloppe-moi dans ton châle.
je dors là au chaud, dans l’odeur du lait.
La servante est plus encore qu’une mère.
Elle me cuisine de la bouillie dans la poêle.

Quand elle me peigne, tamisant les gruaux de ma bouillie,
poussant au fond de mon lit le pot de pierre chaud,
mon cœur bat fort et contient tout entier
la bonne, alors que la pleine lune brille.

Elle réchauffe ma chemise, embrassant mon visage
et tricote dans la lumière blanche de la lampe à huile.
Ses aiguilles cliquettent et étincellent en même temps,
doucement elle murmure des prophéties.

Dans la paille des piaillements des coqs noirs.
Dans le cercle de la table sel et pain s’éparpillent.
La mèche s’éteint, l’horloge sonne vieux.
Et gémit comme un faon brun le sommeil de la forêt.
(1926 )

Les anges

Une fumée,
une ombre se lève,
traverse la chambre,
où une vieille,
tient une aile d’oie
dans sa main faible,
ceci balaye les rebords du four.
Un feu brûle.
Souviens-toi de moi,
chuchote la poussière.

Brouillard de novembre, la pluie, la pluie
et sommeil des chats.
Le ciel noir
et boueux sur le fleuve.
Dans le vide béant s’écoule le temps,
s’écoule sur des radeaux
et les branchies des poissons
et sur les yeux glacés
de l’ange
ils s’abattent derrière l’aube mince,
avec des ailes de suie vers les filles de Caïn.

Une fumée,
une ombre se lève,
traverse la chambre,
Un feu brûle.
Souviens-toi de moi,
chuchote la poussière.
Poèmes, 1997

Adieu aux bergers

Maintenant que tu pars
oublie la nuit glacée comme pierre
oublie les bergers
du bélier ils ont renversé le cou
dans sa gorge un couteau s’enfonça.

Dans les vagues de la brume
nage à nouveau la lumière
de la première création – et sous le sapin
le cercle marqué et inaccompli
d’aiguilles et d’humidité
C’est là ton signe- Oublie les bergers.
Jours comptés

Exil

Au soir s’approchent les amis,
des ombres des collines,
lentement ils passent le seuil,
rendent noir le sel, rendent noir le pain,
et mènent conversation avec mon silence.

Dehors dans l’érable
bouge le vent :
ma sœur, l’eau de pluie
dans la cuvette passée à la chaux,
prisonnière
suit du regard les nuages.

Va avec le vent,
disent les ombres.
L’été pose sur ton cœur
la faux de fer.
Va-t’en, avant que la feuille d’érable
ne brûle de l’automne le stigmate.

Sois fidèle, dit la pierre.
Se lève le point du jour,
là où lumière et feuillage
habitent l’un dans l’autre
et le visage
disparaît dans une flamme.
Jours comptés

Neige

La neige erre,
la grande traîne du ciel,
elle n’attrapera pas les morts.

La neige change
son campement –
Et poudroie de branche en branche.

Les ombres bleues
des renards à l’affût guettent
en cachette. Ils flairent

La blanche gorge
de la solitude.
Jours comptés

L’ammonite Pour Axel Vieregg

Las des dieux et de leurs feux,
J’ai vécu sans lois
dans le creux de la vallée de Hinnon.
Mes anciens compagnons m’ont laissé,
l’équilibre de la terre et du ciel,
que le bélier, traînant en boitant son sabot malade
à travers les étoiles, restées fidèles.
Sous ses cornes de pierre
qui brillaient sans fumée, j’ai dormi toute la nuit,
chaque jour cuisait des urnes
que j’ai fracassées contre le rocher
face au soleil couchant.
Dans les cèdres je ne vois pas
le crépuscule des chats, le soulèvement des oiseaux,
la splendeur de l’eau
coulant sur mes bras
quand dans mon seau j’ai mélangé l’argile.
L’odeur de la mort m’a rendu aveugle.

Dans le jardin heureux

Jadis nous tous étions dans le jardin heureux
je ne sais plus, dans quelle maison,
Là où nous gardions des voix d’enfant
Pour l’herbe et le merle, la camomille et le buisson.

Là nous étions assis le soir sur le seuil,
je ne sais plus, devant quelle porte,
Et nous regardions la lune dans sa fourrure blanche de lune
des chats et des chiens sont passés.

Nous les appelions jadis par leur nom,
je ne sais plus, comment je les appelais,
Et quand les femmes de ménage sont venues nous chercher,
Nous enveloppant dans le drap, où nous avons dormi de suite.

Temps attardé Toujours le feuillage sur l’arbre accuse,
Seules gèlent mousse et raison.
Au-dessus des chasseurs,
haut dans le vent, un chien étranger chasse.
Partout dans le sable mouillé
git la forêt, incendiée et en poudre,
Glands comme des cartouches.
Automne a tiré ses munitions,
légers coups de feu sur la tombe.
Écoute, les couronnes des morts bruissent,
Brouillards s’étirent et démons.

Rivière de l’Est Ne cherchez pas les pierres
dans l’eau par-dessus de la boue,
le bateau est parti.
des filets et des paniers
la rivière n’est plus parsemée.
La mèche de soleil,
le marais du souci se sont éteints sous la pluie.
Seul le saule porte encore témoignage,
dans ses racines
les secrets de clochards se cachent,
leurs trésors dérisoires,
un hameçon rouillé,
une bouteille pleine de sable,
une dent sans fond,
dans laquelle préserver
des conversations depuis longtemps oubliées.
Sur les branches,
nids vides de la mésange penduline,
chaussures légères comme oiseaux.
Personne ne les glisse
sur les pieds des enfants.
Routes

Éclat étouffé du soleil couchant
D’un temps terrible.
Routes. Routes.
Intersections de vols.
Traces des chariots à travers le champ labouré
qui avec les yeux
Des chevaux tués
ont vu le ciel en flammes.

Nuits aux poumons pleins de fumée,
Avec le souffle dur de la fuite
Lorsque les coups
Ont frappé la tombée de la nuit.
Du dehors d’une porte cassée
cendre et vent sont venus sans un bruit,
Un feu
Soudain remâche l’obscurité.

Cadavres,
Balancés sur les voies ferrées,
Leur cri raidi
Comme une pierre sur le palais.
Un noir
vêtement bourdonnant de mouches
referme leurs blessures.

Znorovy Pour Jan Skàcel

Au travers des pins et des friches
La traversée vers l’été, sur le côté, auprès des granges,
Les pièges à martres, rouillés.

Jamais je n’irai à Znorovy,
où les ombres ligotées
montent depuis l’eau,
le manège sans attelage de chevaux
tourne en rond sans bruit,
les braillements tardifs de la grive
obscurcissent les toits.

Tout devient louche,
quand le soleil derrière le brouillard
fait bois de la capsule du pavot
et les graines bruissent plus durement.
Aucun sismographe
Ne signale la secousse des êtres.

Qu’est-ce qui t’oblige
À demeurer ainsi debout la nuit sur la vieille route ?
La diligence morave
avec son toit de cuir cassé
ne roule plus, poursuivie par les feuilles de hêtres,
devant la ferme grise.

La martre des bois repose dans les branches nues
et regarde la fraîcheur de la nuit,
Tu attends bien d’autres signes.
Note : Znorovy est la ville natale de Jan SkàcelLa neuvième heure.

Bibliographie partielle

En français

La Tristesse est inhabitable, t raduit par Emmanuel Moses, la Différence, 1990.
Cha ussées chaussées, trad uction de Chauss een Chausseen par M aryse Jacob et Arnaud Villani, Atelier la Feugraie, 2009.
Jours comptés, traduct ion de Gezählte Tage par Mary se Jacob et Arnaud Villani, Atelier la Feugraie, 2011.
La neuvième Heure, (Die neunte Stunde, Suhrkamp 1979) traduits par Maryse Jacob et Arnaud Villani et publiés en édition bilingue à l’Atelier La Feugraie 2013.

En allemand

Gedichte. 1948
Cha usseen, Chausseen. Gedichte. 1963.Die St ernenreuse. Gedichte 1925–1947. 1967.Ge zählte Tage. Gedichte. 1972.Die neunte S tunde. Gedichte. 1979.Gesammel te Werk e in zwei Bänden. Band 1: Die Gedic hte. Band 2: Vermischt e Schrift en. 1984.Wegzeichen. Ein Le sebuch. 1999.Langsam dreht sich da s Jahr ins Licht. 2003.Poesiealbum 277: Peter H uchel., 2007.