Philip Kindred Dick

L’improbable maître du haut château

En France, terre d’asile (?), du moins si la folie reste à la porte, l’auteur de science-fiction le plus traduit, et de loin, s’appelle Philip K. Dick (1928-1982).

Deux livres récents, Substance Rêve aux Presses de la Cité et Je suis vivant, et vous êtes mort d’Étienne Carrère, vont encore renforcer le culte envers cet étrange bonhomme. Substance rêve reprend avec un titre subtil quelques très grands romans de Dick : Le Maître du Haut Château, Bloodmoney, Simulacres,... et déjà sont annoncés ces autres chef-d’œuvres que sont Ubik, Blade Runner (d’après Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?), et bien d’autres, mais il manque encore les romans métaphysiques (Substance Mort, Siva...) et l’immense océan des nouvelles dont certaines dont Le Père Truqué, Le Défenseur atteignent à la révélation de la condition humaine.

Philip K. Dick est pour certains, et j’en suis, aussi important que William Faulkner, Ambrose Bierce ou William Burroughs, mais il a eu le malheur de ne pas écrire dans la littérature consacrée, mais dans cette sous-culture populaire et méprisée : la science-fiction. Pourtant, loin des fanzines et de la gloire ambiguë apportée par les films Total Recall et Blade Runner, Philip K. Dick aura lui-même écrit la version longue d’une seule histoire, la sienne.

Jamais, à part l’épopée proustienne, on aura pu suivre pas à pas cette autobiographie déchirante, se cognant au réel le plus élémentaire. La seule question qui le taraudait était simple : Qu’est ce qui est réel ? Et, par voie de conséquence, tous les doutes sur les apparences du monde sont posés. Doutes essentiels pour Dick qui se sentait traqué par des faux-semblants, des apparences. Notre monde s’effondre, truqué même au niveau de l’éternité, et nulle part espoir ou compassion. Cet explorateur de conscience voulait tendre à la réalité ultime et ses grands discours métaphysiques le conduisent au-delà des délires vers des expériences mystiques.

Celui à qui Dieu parle, entend-il autre chose que sa voix ? interroge Emmanuel Carrère dans sa remarquable biographie. Ainsi, vécut Dick, prophète ou imposteur, en tout cas merveilleux écrivain qui ébranla la vérité du monde. Ces romans rendent fou, a-t-on dit. Peut-être pas, mais, en tout cas, ils changent notre point de vue sur ce qui nous entoure, ce qui nous cerne, en fait.

Des tas de gens prétendent se rappeler des vies antérieures, je prétends moi me rappeler une autre vie présente.

Ainsi Dick a-t-il vécu et écrit sa vie par procuration. Ce connaisseur exemplaire de la musique romantique allemande n’était pas sûr en fait d’exister vraiment. Ses écrits en tant que contemporain de la Californie délirante sont plus proches d’Orwell ou de Kafka que du LSD.

L’univers de Dick doit beaucoup bien sûr à sa personnalité. Mère abusive, père absent, rapports avec les femmes complexes dans la durée (plus de 5 mariages), tentatives de suicides, voilà ce qui balise sa vie. Agoraphobie galopante et paranoïa exacerbée, envie de séduire et convaincre, expériences mystiques avec révélations sonores et visuelles le font et le défont. Ainsi, il va être un forcené de l’écriture, bourré d’amphétamines avec la peur au ventre, celles des complots des forces du mal.

Ainsi, il s’inventa un combat spirituel total avec Nixon, qui n’en sut jamais rien, et sa hantise des mondes totalitaires et truqués apparaît partout dans son œuvre. Mais, n’allez pas croire que ses écrits soient de simples vaticinations, ils participent à établir sans trêve la description d’un monde mis à nu de ses impostures et qui ouvrent des abîmes.

L’homme qui a représenté un chat sur son monument funéraire nous a appris à regarder par-delà le réel, lui qui s’est perdu au fond de son propre labyrinthe, et à faire nôtre son conseil : Si vous trouvez ce monde mauvais, vous devriez en voir quelques autres.

Gil Pressnitzer

Bibliographie

La plupart des écrits de Philip K. Dick sont à nouveau édités, même les plus anodins. En voici un court aperçu :

Ubik, septembre 1999

Blade Runner, septembre 2001

Le maître du haut château, avril 2001

Substance mort, octobre 2000

Le dieu venu du Centaure, novembre 2001

Les clans de la lune alphane, septembre 2006

Nouvelles, Tome 1 : 1947-1953, juin 2006

Nouvelles, Tome 2, 1953-1981 juin 2006

La trilogie divine Coffret en 4 volumes, juillet 2006

Aurore sur un jardin de palmes, mars 1994

Je suis vivant et vous êtes morts, par Emmanuel Carrère, janvier 1997

Loterie solaire, avril 2003

La trilogie divine, Tome 3 : La transmigration de Timothy Archer, juillet 2006

Les braconniers du cosmos, Et autres nouvelles, mars 2005

Dr Bloodmoney, décembre 2002

Le guérisseur de cathédrales, octobre 2006

Dédales sans fin, octobre 1993

Ce que disent les morts, Nouvelle extraite de Minority Report et autres récits, mai 2006

Deus Irae, par Philip Kindred Dick et Roger Zelazny 2001

La trilogie divine, Tome 2 : L’invasion divine mai 2006

Un vaisseau fabuleux et autres voyages galactiques mai 2005

Minority Report, octobre 2002

Immunité : Et autres mirages futurs, janvier 2005

La trilogie divine, Tome 1 : Siva, mars 2006

Substance rêve, mai 1993

Glissements de temps sur, novembre 2006

Dans le jardin secret : Et autres réalités déviantes, septembre 2005

Coulez mes larmes, dit le policier, novembre 2002

L’œil de la Sibylle, décembre 2002

La porte obscure, octobre 1994