Philippe Berthaut

Tout un territoire dans la voix

 

Philippe Berthaut est écrivain, comédien, conseiller artistique et maintenant surtout animateur de l’Atelier Recherche de la Boutique d’Écriture du Grand Toulouse et il vit en Midi-Pyrénées, à Toulouse. Son enfance s’est passée d’au-dessous d’Espalion, dans la vallée du lot, et qu’il porte toujours en lui. Parfois le nom de l’Aubrac vient aussi comme une brume entêtante, un paysage intérieur toujours su, même non parcouru.

Chanteur et écrivain à la haute poésie, il aura voulu se faire l’arpenteur des mots et des territoires de la parole. Ses spectacles sur Reverdy, Rilke, Guillevic, Thierry Metz restent comme d’intenses passerelles vers la poésie. Ses chants de la nuitée auront souvent fait les nuits de Toulouse. Les chants-flippers s’entrechoquent encore dans les rues luisantes. Ses chants de nuitée sont autant de poèmes pris au chant pour la proclamation des mots.

Il aime au travers des ateliers d’écriture et de création faire aussi naître les mots des autres, dont il assure la pérennité par des publications et l’action de lecture même dans les bibliobus départementaux.

Ses livres « Récits du pays jonglé », « le paysage déchiré -1997 », « Diagonale d’Espalion à Lavaur », « Treize lampes bleues éclaireront la ville », « Mes mains au bout de moi » (2002), ses poèmes et ses « routes captives », jalonnent son chemin. Mais c’est dans le livre d’une grande lucidité amère « dans la jonglerie infinie d’être au monde », qui s’appelle « Le chanteur et son commerce », qu’il aura décidé de laisser la chanson un peu en marge pour aller vers les ouvriers et les enfants et de se faire éveilleur plus que chanteur.

« La poésie est le seul moyen d’aborder par les mots, quand on sait le faire, le son intérieur de tout réel. » Guillevic.

Cet aphorisme superbe de Guillevic, Philippe Berthaut l’aura rendu tangible et il l’aura vécu de toute sa force intérieure, refusant le mensonge apparent des mots, pour parler vrai, profond.

Et sa profonde empathie avec les textes des autres poètes nous les a rendus parmi nous, vibrants, vivants: Pessoa, Aragon, J. Malrieu, Guillevic, Reverdy, St-Pol-Roux,C. Pavese, Georges PERROS, Roberto JUARROZ, Yves Bonnefoy, Nino Judice, le très cher Thierry Metz, Bernard Noël, Adonis, Aimé Césaire, Jacques Dupin, Louis-rené Des Forêts...

L’éveilleur de mots

 

Voilà ce que j’avais écrit dans ce dictionnaire de Toulouse que je ne pouvais imaginer sans lui. J’aurai pu dire comme rite :

Philippe BERTHAUT

Comédien-récitant

Il vit en Midi-Pyrénées, à Toulouse.

Poète, écrivain, d’ateliers d’écritures en ateliers d’écriture, il déambule dans l’univers des mots en jouant avec pour le plus grand plaisir de tous.

Comédien, chanteur il excelle à porter des textes difficiles. Il est à l’origine, à la Médiathèque de Tournefeuille d’abord puis à la Boutique d’Écriture de l’Agglomération du Grand Toulouse, dont il est conseiller littéraire, de l’Atelier Recherche ouvert à tous ceux qui animent des ateliers et souhaitent mettre en commun leurs pratiques, réfléchir sur les méthodes et expérimenter de nouveaux dispositifs.

On pourrait ajouter de façon notariale: Poète, chanteur, écrivain, comédien/lecteur, animateur et formateur d’animateurs d’ateliers d’écriture Philippe Berthaut est né en 1952 à Aigueperse (Puy-de-Dôme) et vit à Toulouse.

Après un DEA en Lettres Modernes et des études de linguistique, il choisit de mettre en mélodie les poèmes qu’il écrit et de les chanter sur scène. Il débute en 1972 avec un premier récital à la Cave Poésie.
En 1981 il fonde avec d’autres chanteurs, des enseignants et des responsables de salles de spectacle, Toulouse Action Chanson, l’une des premières associations en Midi-Pyrénées à créer des ateliers d’écriture...Comédien chanteur dans diverses pièces mises en scène par Luc Montech et Monique Demay telles que La Chanson de Roland, V comme Vian, Baudelaire, Rimbaud, il donne des lectures publiques dans le cadre des lectures organisées par la revue Multiples à la librairie Ombres Blanches de Toulouse, à la Cave-Poésie René Gouzenne, pour le Marathon des mots.
Ses principales créations chantées sont Le Chant-Flipper (Film France 3 en 1983), La Grande Battue (1985), Bateau Épices (1986) et Les Chants de la Nuitée (1996).
Il a aussi réalisé des spectacles sur des poètes comme Eugène Guillevic (création au Printemps de Bourges, 1987) et Pierre Reverdy (CD et spectacle, 1989). Et le souvenir en 1989 de La Terre est mon bonheur. Centre Culturel de l’Aérospatiale. Avec Eugène Guillevic, Lucie Albertini, J.-C. Bastos, demeure une trace profonde en moi.

Son dernier spectacle, Routes captives donné en octobre 2006 à la Cave Poésie est un parcours poétique associant photographies, textes, musique et vidéo. Le DVD Routes captives accompagné de l’intégralité des textes (livret) est paru en février 2008. Il a été aussi conseiller littéraire auprès de la boutique d’écriture du Grand Toulouse de 2000 à 2011.
Formateur pour l’animation d’ateliers d’écriture créative au Cnam de Toulouse.

Voilà ce que pourrait dire une notice, voire une épitaphe littéraire. Mais cela ne rend pas compte entièrement de Berthaut, l’homme vibrant à la voix profonde, la ferveur au bout de la gorge. Passeur de Guillevic, de Reverdy, de Thierry Metz, de Jabès et de tant d’autres, il se met infiniment simple et modeste en retrait des autres.

On n’en saurait pas plus sur l’homme Berthaut. Homme secret, homme nocturne, homme profond, dans Toulouse qui en compte fort peu. Comment le remercier d’avoir fondé avec Bruno Ruiz « Toulouse Action Chanson » dès 1981, l’une des premières associations en France à créer des ateliers d’écriture de chanson pour des populations illettrées entre autres. Ceci en des temps où l’espoir de la poésie fleurissait encore dans les « Chants de la nuitée ».

Seul avec lui-même, avec l’ombre protectrice de sa guitare, ou l’amitié en touches d’ivoire de Bruno Reichmann, il m’aura fait aimer cette ville d’où un tel chant rilkéen pouvait s’élever. Il est accoucheur des démunis de la parole :

« Le piège pour moi serait de trop théoriser. Pour avoir trop "souffert" de tous les discours sur, à propos, pour, contre les ateliers d’écriture, j’essaierai d’éviter ces écueils, d’où cette modeste tentative de simplement exposer ma pratique et les méthodes que j’utilise. L’atelier d’écriture est le lieu par excellence où peut se déployer l’intelligence intuitive du monde, et où cette intuition peut inventer ses territoires. »

« Aborder par l’écriture sa propre histoire, son cheminement dans le temps et l’espace, interroger comment l’Histoire (avec un grand H) s’y tresse, s’y trace, impose ses plis, intervient sur notre vie, dans ses manifestations les plus intimes, les plus quotidiennes ; selon le lieu du monde où nous vivons, avons vécu. Un travail sur la mémoire et le contemporain pour créer un petit objet d’écriture qui devra aussi se donner à lire. Tel est l’atelier auquel je vous convie. »

Depuis plus de dix ans donc il anime des ateliers d’écriture pour réapprivoiser le monde, pour se rapproprier le langage, à nous volé par les nantis. Faire rendre gorge à l’univers qui nous a volés. Dans ses ateliers d’écriture à partir de son propre creusement d’écriture dans le lieu, il élabore des dispositifs d’écriture qu’il propose à tous ceux qui souhaitent écrire en atelier. Pour lui, l’atelier d’écriture est le lieu où il est possible de nouer ou renouer une relation personnelle à l’écriture. Ce sont des chantiers.

« L’atelier doit installer son territoire entre le monde de l’apprentissage du langage (enseignement, alphabétisation) et celui ô combien inhibant de la littérature. C’est-à-dire qu’il doit se forger des outils nouveaux appropriés à ses visées. L’atelier doit donc inventer son espace. Mais il est aussi un lieu d’expérimentation. »

Il sait intégrer les résistances du dire et polir son écriture jusqu’à ce qu’elle soit « juste dans son inscription dans le monde. »

Il est donc natif du Puy de Dôme, mais son âme est à Espalion, juste à droite avant l’immensité des vents. Mais il s’est constitué un paysage intérieur avec son Aubrac imaginé puis reconquis, et le bruissement de cette terre des Noël du monde est plus fort que tous les chants flippers des villes, de son enfance monte sa langue, son chant qui nous dit que l’éternité aussi garde toujours la même chaise en paille, les seaux à porter avec le gel qui coupe, le pain dur et le sel poussant dans nos yeux. Et"Le sentier des châtaigniers" est à jamais gravé en lui, l’habite toujours comme l’imprégnation des arbres et de la terre, à jamais vivace qu’il saluait sur la route qu’il empruntait à Espalion.

Le baptême des mots

 

Il sait la dureté du sol et tous nos corps pliés pour que le vent ne passe pas, mais qui ne savent plus vers le feu. Il s’enrage de rage, devant cette terre vide. Là où les jours s’allongent inutiles et se tournent le dos. Ses pauvres vies où on ne fait qu’entrer sortir de portes en portes, sans croiser son ombre ou faire semblant de ne pas la reconnaître.

Ne rien savoir de la terre qui bouge sous les pieds on croyait tout soldé tout sous le tapis. On voulait exister juste comme cela en passant. Les chiens tournent et tournent jusqu’à leur place unique. La nuit n’oublie pas de passer pour présenter l’addition les hommes pressés oublient de laisser un pourboire avant de basculer vers le fermé, l’aveuglant.

le reste vient

il est terrible

un jour tous

et tout sera bu

Les mains douces des morts se tiennent

Et tiennent les cordes du lien.

Tout est instable

Se taire

Se calmer

S’effacer

Proche

Proche

Tout va...

Alors il faut avoir le courage de se quitter et de s’en aller vers le lavoir. Les mots sont ce nouveau baptême. Cette consolation pour tous. Berthaut chante, écrit pour nous redire qu’il nous aimait. Parfois il célèbre les routes captives et tout se désenclôt.

Ce qui frappe avec la violence de l’évidence est l’extrême beauté de sa langue. Que dire aussi de sa voix quand sacrifiait à la chanson. Ce dur désir de durer en homme debout est l’honneur des hommes.

Berthaut sait cela bien mieux que moi. Il le dit aussi mieux que moi.

Il sait que la lune ne dort que d’un œil.

L’autre est en nous.

Berthaut a refusé le silence, bien que parfois il se terre en lui-même. Il sait que viendra le reste d’un seul coup en plein visage. Il faut être prêt donc ivre de poésie, comme du sang de taureau. Ivre enfin pour parler aux dieux de l’Aubrac, aux autres aussi.

Un jour enfin le vent va se lever sur les visages. Le pays jonglé va rester enfin en équilibre.

La nuit des temps vient boire à la dérobée dans ses textes. Par une toute petite plaie s’écoulent et son sang et ses rêves le lit en non-partage.

Je ressens une profonde détresse en Philippe Berthaut, une immense tendresse pour les choses et les êtres qui vont mourir. Les étoiles tombent de haut sur ses épaules. Il laisse son ombre en sentinelle pour nous dire les mots de passe de ses poèmes.

Il se cogne souvent contre les faux réverbères de la nuit, il en ressort le front étoilé et il le chante.

Philippe Berthaut poursuit un long cheminement sur son travail d’écriture, et peu à peu se dévoile dans "la métaphore parfaite de cette écriture éclatée, en fragments, et son épiphanie, son surgissement réel au monde".

Il déchire le voile de la voix et délivre le chant enfoui et profond, si long et douloureux à faire enfin éclore.

Il est un temps où l’arpenteur des mots et des territoires de la parole, l’homme des chants de la nuitée et des « Récits du pays jonglé », cesse d’arpenter les territoires de l’espace et du temps pour se retrouver.
Pour entreprendre un vaste voyage afin de déchiffrer et retrouver tous les cailloux blancs de ses poèmes, de ses chansons, de sa vie passée, de ses ateliers d’écriture pour tenter de comprendre ce qu’a voulu signifier pour lui d’habiter ce qu’il fut, et regarder droit dans les yeux le paysage déchiré de sa présence au monde.
« Les chutes du pays jongle » sont cette errance lucide dans ce dédale des mots de jadis, revenus comme bouteilles à la mer, en face de l’aujourd’hui.

Cette quête de la vérité poétique, humaine, est aussi une remise en question des faux sortilèges d’une parole seulement protégée par le lyrisme de la poésie, il s’agit ici d’une recherche vers l’absolu « d’une parole plus vraie ». Comme une sorte de dernière bande à la Beckett, l’écoute de toutes ses cassettes entreposées dans la mémoire de sa vie, de la relecture de ses textes et de ses paroles semées de long en large, parfois entendues, souvent méconnues, est un chemin de délivrance.

Cette plongée « des voix enfouies de l’écriture» va engendrer une nouvelle écriture, un dévoilement allant bien au-delà de « ses poèmes pris au chant», pour partir, enfin apaisé sans doute, vers cette phrase « aussi longue qu’une vie et aussi fragile. », vers cet instant étoilé du langage qui s’élance pur loin du regard et du jugement de l’autre, pour n’être enfin que lui-même, enfin plus en scène, mais en vie, sans autre but qu’un nouveau jaillissement et de vouloir sauter par-dessus les barricades mystérieuses de la respiration de vivre.

Ces pauvres vies où on ne fait qu’entrer sortir de portes en portes, sans croiser son ombre ou son corps, en faisant semblant de ne pas la reconnaître, Philippe Berthaut n’en veut plus.Son inscription dans le monde doit désormais être juste. L’éveilleur de mots n’est plus, place à l’homme et sa vérité.

Plus d’auditeur, plus de lecteur, mais Philippe Berthaut redevenu « une voix auréolée de langue », nous parle face à face. Lui, nous, et tous les sentiers qu’il ouvre dans sa nouvelle écriture.
Si peu sont capables de déchirer ainsi le voile qui les protège, Philippe Berthaut nous donne sans fard son histoire d’homme dans cet étonnant voyage dans « Les chutes du pays jongle ».

Délivré en fait de l’écriture, Philippe Berthaut se désapprend, et nous apprend, sans mensonges, dans toute son humanité déployée.
Les « boraldes », ruisseaux dévalant de l’Aubrac, débordent désormais de ce livre. Et l’écriture est claire comme neige qui fond enfin.

 

Gil Pressnitzer

Choix de textes

 

Travailler dans le domaine du poétique c’est être trop souvent amené à se battre pour que ne disparaisse pas cette forme littéraire essentielle. Elle n’est pas pour autant inexistante, a même sa semaine en mars, survit dans nombre de revues ou de recueils, mais il faut tristement constater que plus grand monde ne chante les poètes contemporains.

Pourtant la mise en mélodie du poème, ce que j’appelle "poème pris au chant" (comme si la voix était un lasso qui pouvait de temps à autre capturer un texte poétique pour le métamorphoser en autre chose que le chant invente) reste un merveilleux prolongement de ce que le poète nous a donné d’abord à lire.

Mettre en mélodie un poème c’est offrir une lecture, une autre manière de l’entendre, parfois la seule chance de le faire vivre. Régulièrement me revient le désir de chanter avec la seule guitare des poèmes dont je ne suis pas l’auteur mais que j’ai eu la grande joie de mettre en mélodie et d’interpréter, sur lesquels aussi j’aime à improviser, pour être requis par eux à visiter en moi de nouveaux lieux du chant.

J’avais déjà donné un premier récital à la Cave-Poésie de Toulouse sous ce même titre en 1993 avec la complicité de René Gouzenne. Pour moi c’était le début d’une série à mes yeux trop épisodique puisque presque dix ans après en voici un nouveau montage, avec d’autres poèmes.

Ainsi donc j’ai eu la joie de mettre en mélodie des poèmes de poètes disparus comme Paul Éluard, R.-M. Rilke, Guillaume Apollinaire, Roberto Juarroz, Eugène Guillevic, Thierry Metz mais aussi des poètes vivants, habitant en région Midi-Pyrénées comme Claude Barrère, Gilbert Baqué, Peter Diener, Gaston Puel, Henri Heurtebise.

J’ai eu aussi le désir de glisser par-ci par-là quelques-uns de mes poèmes chantés.

Philippe Berthaut, extrait de la notice du cd « Poèmes pris au chant ».

C’était le jour du grand flottement

C’était jour de grand flottement dans la langue. Nous ne savions plus rien de nous.
Nous allions nus dans la mémoire pour colmater les brèches du manque de parole.
Aucun récit, aucun désir de récit ne pouvait tailler de sente au travers des ronciers accumulés sur les seuils.
Aucun livre, aucun désir de lecture pour installer une clairière.
Comme si la langue était un bras mort où pas même une libellule ne fait frissonner la surface.
Les oiseaux étaient comme des virgules affolées, lancées dans le paragraphe vide du ciel.
Et tout à l’avenant nous marchions dans des chapitres déglingués, nous arpentions des paysages avec une langue en lambeaux.
Tout notre savoir antérieur collait à nos chaussures en terre grasse et lourde, formant un socle de boue durcie pour la statue que nous devenions.
Et lorsque nous fûmes complètement immobiles, quelque chose recommença à bouger, comme en dehors de nous, nous expulsant du figement ancien.
Et il nous a fallu du temps pour nous apercevoir du lien entre ce quelque chose qui recommençait et le frémissement dans la langue.
C’est ainsi que se construisit à nouveau le lien d’avenir.
Route captive. Est-ce là habiter ?
Jusqu’à s’échapper ?
Déliaison
Délivrance ou déliance ou déliement Route captive tu te délivres en moi comme je me délie en toi Nous échangeons nos peines dans la halte provisoire
Tu n’es pas la métaphore de moi, tu es moi
Tu proposes un autre voyage immobile à tous ceux qui te longent sans te voir
Tu es une issue une porte mal murée
On peut y entrer avec ses mots
Et les pousser très loin dans l’emmuré
Dans la compression entassée
Leur faire faire un travail identique à celui des cailloux

Route captive, toi, moi

Sur le bord de la route un pneu de camion éclaté
En lambeaux
La roue du temps déchiqueté
L’accident Je ne peux pas rester infiniment à contempler ce corps rompu
À fouiller l’entassement pour en extirper du sens aléatoire
Qui éclairerait mon chemin Donc je dois me remettre en route
Me replonger dans la couture de lieu en lieu
Dans l’ourlet de la route
Jusqu’à la prochaine captive. Mais je me refuse à plonger dans la métaphore couturière
Tout est déjà prêt pour le filage d’autre chose.
Nous n’irons pas là.
Je dois m’arracher d’ici
Aller ailleurs
Route captive.....en moi
ces débris d’itinérance
J’ai perdu tous mes mots d’amour
Dans le lisier du temps
L’un après l’autre, ceux qui occupaient le lieu d’amour
Se sont rétractés puis ont séché et sont tombés du corps
Simplement je restais toujours immobile
Comme si je ne m’apercevais de rien
Et effectivement je ne m’apercevais de rien.
Alors doucement je me suis demandé
Si j’avais perdu l’amour avec les mots d’amour
Et curieusement je sentis que l’amour
Avait gardé son creux D’amour restait. Seuls les mots partaient.
Je me suis mis alors à soupçonner ces mots
D’avoir usurpé leur place.
Bien sûr ils venaient d’une émotion d’amour
Bien sûr ils transportaient cette émotion qui les construisait
Mais ils m’apparaissaient comme des coucous se servant du nid des autres.
Car ces mots n’étaient peut-être pas les miens d’amour.
D’où venaient-ils alors ? D’autres poèmes, sûrement.
De la façon dont j’avais pu intérioriser les mots d’autres poèmes
Pour faire comme, à mon insu.
Car peut-être en moi, d’amour n’avait pas encore de mots.

(Les routes captives, extraits)

ALORS LE CHANTEUR SE DISSÉMINE

Alors le chanteur se dissémine. Il se défait et part s’entretenir avec les peuplades de la nuit

de sujets inhabituels comme celui traitant des marques et des entailles

du son sur la membrane des fleurs, sur la respiration des sources et la densité du malheur. les lourds vaisseaux formés par les corps passants ont avalé vents et voiles.

Ils ne sont plus qu’une cale où reposent les marchandises entassées.

En se cognant aux conducteurs des bêtes irraisonnées de la saison, ils provoquent des étincelles et tout cela se déroule sous l’œil torve du ciel.

Voici donc que toute limite

est atteinte.

Autant le ciel et sa membrane bleue que la pellicule de l’eau, la soierie de la peau, le gant de la terre. Ce tout est devenu limite au son pour qu’il ne traverse plus rien et meure assourdi au pied de la falaise, de l’échafaudage, de la maison comme des pierres granitiques s’effritant ou des sacs poubelles bleus éventrés par les résidus du vivre.

Le temps d’escalader son propre désarroi et nous sommes juchés avec le chanteur à l’étage banal, au sens féodal du terme, cernés par les projecteurs ressuscités d’entre les gouffres noirs et qui n’ont plus aucun rôle symbolique, rien que des phares de voiture mal agencés entre eux pour éclairer un paysage arrêté où les chansons ne sont plus les merveilleuses biches que l’on voyait parfois, au loin, traverser.

Toutes les limites de l’eau, du ciel, de la terre ferment un immense linceul allant du bleu à l’écarlate et du transparent à l’opaque, enserrant dans sa coulée toutes les images du monde.

Pour s’y frayer une sente, nul besoin de tailler son chemin à la machette dans son propre corps ni d’y peser des signes, des franges comme si cela se passait réellement et qu’il nous faille revenir sur vos pas, accrocher les lourds vaisseaux aux anneaux, nul besoin non plus d’entonner ces chants portés par la mer aux lèvres.

Non il ne s’agit plus que de laisser reposer cette pâle sonore, en allant par exemple se promener le long de la Garonne en regardant glisser les bêtes

crevées, le ventre gonflé, radeaux de chants morts.

Mais il y a aussi un refuge dans une des hautes tours de la rue Saint-Rome. Et de là, contemplant le petit village toulousain, il y pousse à nouveau une fleur de chant qui d’un coup voudrait retenir tout son territoire en une seule phrase chantée, aussi longue qu’une vie et aussi fragile.

Philippe Berthaut - Le chanteur et son commerce

Editions Le lézard (1991)

Nous sommes
la moitié
d’un paysage
déchiré
et renversé.

Nous sommes le paysage
déchiré par le jour offrant ce spectacle-là
et rien d’autre
avec lequel compter.

- rapidement un inventaire de ses biens, si peu,
des biens quand même. Maisons de chair.
Lingots de paroles. Actions côtées au souvenir.
Si peu. Nos mains ne retiennent qu’une autre main,
douce, chaude -

Et ce paysage déchiré
avec ses cicatrices irrégulières
comme une feuille de papier
maladroitement partagée en deux
sans ciseau
avec le seul couteau
des deux mains
ne nous demande rien
cependant intrigue
par son autre part
disparue effacée du ciel
égarée sûrement en nous.

Et quel autre sens aurait alors écrire sinon capter
l’autre versant du paysage déchiré ?

Cela se passe au-delà du pli.

Chaque matin, se lever, aller au séisme,
à la secousse brève
qui nous tient éveillés vivants.
Un raz-de-narré emporte tout
vers des pilleurs d’épaves.
Il pleut des pleurs ?
Où est le gué ?
Un voile de sang sous la dictée des orages
et les amours éparpillées.

Je tiens en laisse mon poème.
Il rugit
et j’ai froid.

(Paysages déchirés)

Bibliographie

Discographie

1980:Quand J’aborde l’aval d’être là (épuisé)

1981: Le Chant-Flipper Cassette (épuisé)

1989: Pierre Reverdy, poète - CD avec Roland Ossart et Bernardo Sandoval

1993 Poètes d’Escalasud - Cassette participation

1997: Chants de la nuitée CD, accompagnement piano Bruno Reichmann

2000: Dans le ventre des barques Poèmes chantés pour enfants

2003: Poèmes pris au chant

2006 : Routes captives, DVD+ livret adapté de la création de janvier 2006

Bibliographie

1981: Le Chant-Flipper Ed. Tribu (épuisé)

1988:Treize lampes bleues seules éclaireront la ville - Ed. privat (épuisé)

1991 : Le Chanteur et son commerce - Ed. Le Lézard

1993: L’Enspal’odyssée (création collective) Ed. Le Lézard

1995:Récits du pays jonglé, La diagonale d’Espalion à Lavaur, L’Ether vague, Patrice Thierry, 1995, repris au catalogue des Editions Verdier

1997 Le Voyage aux lecteurs - Récits de dix voyages dans les bibliobus de la Médiathèque Départementale de Haute-Garonne - Photos Christian Crus - Ed. La Renaissance

1997 Paysage déchiré - poèmes - Ed. N&B

1997 Eclats de VOA Atelier d’écriture de la VOA, Verrerie Ouvrière d’Albi

1999 L’enfance Labyrinthe - Récit à partir de photos faites par des enfants en centres

de loisirs - Ed. N&B

2000:13, rue Carença Roman collectif Ed. Le Ricochet

2002 Les saisons Cayla in anthologie Tarabuste

2002 : Abrupt- Poème avec une gravure de Michel Cure - Ed. Trames

2002 : Mes mains du bout de moi - Textes sur des photos de Jean-Luc Aribaud ed. Les Imaginaires

2003: Le Pays Jonglé Ed. Accord

2003:Otaries - poèmes avec des images de Jacques Brianti - Propos 2 éditions

2005: La chaufferie de langue Méthode d’atelier d’écriture

2006: Les routes captives textes de Philippe Berthaut

2007:De quelques copeaux arrachés à la chevelure de l’ange, sur Remue.net

2008: Seau rouge seau bleu édition numérique Publie.net

2008: Enregistré sous édition numérique Publie.net

2010: Motager de poèmes, poèmes pour enfants,

2015 :Cahier de désécriture édition numérique Publie.net