Serge Pey
Le nouvel an du poète
Nous ne sommes pas de la race des souhaits.
Ainsi parle Serge Pey, mais à ses amis il fait offrande de mots qui, par-dessus les solstices d’hiver et les noëls en feu, percent le sol gelé, plus sûrement que toutes les graines du monde en chemin vers la lumière.
L’infini est dans notre finitude. La liberté du nuage nous est chère.
La parole libre de Serge nous est également chère, et vers ses mots, torches de lucidité et d’amitié, nous tendons les mains. L’hiver n’est plus qu’une légende colportée par les errants du cœur. La vie est un feu exigeant et dévorant qui ne se supporte que par la rosée des rencontres et des dons que l’on fait aux autres. En chaque chose il y a un arbre planté, dans chaque vie passante des ombres à recueillir. Les ponts des mots des poètes sont nos portes. Même si nous partons, le jour ne mourra pas, les mots sont là, pour tous, saumure d’éternité. Nous nous blottissons en chien de fusil contre eux, nous vivons illuminés par ce miroir tendu. Les jours ne se perdront plus dans nos poches trouées. Cheval fou le provisoire éperdu se laisse enfin approcher.
Il faut bien que quelqu’un se colle à recoller les morceaux d’humanité
Les tournesols avec le nord du soleil
Il faut bien que quelqu’un se colle à recoller les morceaux d’humanité
Merci Serge, par toi les rires des enfants montent plus haut que les cerfs-volants
Gil Pressnitzer
Choix de textes
Ce matin l’éternité a duré très peu de temps
dans la lumière
Elle s’est pendue à un arbre
au bout de la corde d’un oiseau
Mais son chant a été plus grand
que l’éternité toute entière
Le ciel est brûlant
Le soleil est bleu
Notre poésie ne fait que déplacer des adjectifs
dans les définitions
Ce n’est pas notre guerre
mais nous faisons partie de ce monde
Ce n’est pas notre monde
mais nous faisons partie de cette guerre
Plus nous sommes près du danger
plus nous sommes en paix
Le temps a des éternités que le temps ne connaît pas
Nos adjectifs ne font que déplacer la poésie :
Le ciel est bleu
Le soleil est brûlant
Le lieu commun peut prendre
sa place dans un poème
en s’arrêtant d’être commun
et en désignant soudain un lieu
que nous n’avons jamais cessé de voir
Le bleu est devenu brûlant
et notre guerre ne fait
pas partie de ce monde
Là-haut au début du poème
l’oiseau s’est libéré de la corde
et l’éternité tout entière s’est remise à chanter
Serge Pey, Premier Janvier 2006
Dans le décor spectaculaire
(l’horizon guillotine la tête du soleil
et la mer se remplit de sang)
la poésie ne rencontre que des choses
et leur prix de cirque
sur les gradins
Des clowns récitent le rire qui ne fait plus rire
Les enfants vomissent des trapèzes
et des singes empaillés
Les singes attachent les dompteurs
On fait des collections de titres
dans l’air
Puis nous brûlons les images d’eau
et les images de bois
que déversent les boîtes de la mort
La conscience commence par la désobéissance
de ses NON
La poésie n’est au service de personne
ni même des poètes qui portent dans leurs bras une lune coupée
ou de la poésie qui garde l’autre moitié
de la lune
Mais dans le cirque on n’applaudit
que les coupures sans les moitiés
de ce qu’elles ont coupé
Chaque poète réunit un parlement
dans la cache secrète d’un livre que personne n’a jamais lu
et lira tout seul entre les lignes de sa vie
Et cependant tout le monde veut respirer
et personne ne
peut respirer
et beaucoup disent « nous respirerons plus tard ».
Et la plupart ne meurent pas car ils sont déjà morts.
Les prisonniers provisoires
regardent leur libération tuer les gardes de leur prison
L’égalité entre le verre et le marteau
se résout dans le son de son brisement
Et la fraternité entre le verre et le marteau
n’est qu’un
fantôme de verre dans une poubelle de verre
Les égalités ne s’égalent pas entre elles
Les définitions ne sont que des os éparpillés
dans le ciel tenus par les becs des vautours
Les yeux des chiens ne battent pas
car ils sont sans paupières
L’infini est dans notre finitude
La liberté du nuage nous est chère
Elle fait tomber des titres sur nos
livres qui ne savent pas lire
Le livre de notre mort
envoie des bateaux en papier
sur la rivière qui a peur de son lit
quand elle n’a plus sommeil
Serge Pey Premier Janvier 2006