Wislawa Szymborska

Une poésie simple comme un bonjour

Quand je prononce le mot Avenir,
Sa première syllabe appartient déjà au passé
.Quand je prononce le mot Silence,
je le détruis
.Quand je prononce le mot Rien,
Je crée une chose qui ne tiendrait dans aucun néant.
(Trois mots étranges
, 1996, traduction Piotr Kaminski).

La dame discrète, effacée, plus éloignée que son ombre, s’est éclipsée à Cracovie, ce mercredi 1er février 2012, des suites d’un cancer à la gorge. Peu d’échos, aucune vague, ne se sont manifestés pour la saluer.

Le rideau du temple, celui du monde et de la finance n’a pas été déchiré, ni même un peu froissé. Une vieille dame dont les seules actions furent poétiques, cela pèse très peu maintenant.
Aucun bon esprit n’a célébré celle qui fut prix Nobel de littérature en 1996.
Cela ne lui attira pas plus de lecteurs ni en Pologne, ni en France. Et pourtant ses paroles étaient presque populaires. Il s’agissait presque de langage parlé, sans lyrisme débordant, sans métaphores exaltées.

La Maison de la Poésie du Nord-Pas-de-Calais avait en son temps sous l’impulsion de Christophe Jewelzki et Isabelle Macor-Filarska, essayé de nous la faire connaître. Mais cela resta confidentiel.
Et pourtant Wislawa Szymborska était une voix douce et sensible à rendre les moments de la vie, sans plus.
« Le poète nous parle, nous fait pénétrer dans la vie telle qu’il la perçoit, sans jamais rien expliquer, sans jamais rien justifier. »

Sa vision amère, étonnée, presque sans éclat sur le monde demeure profonde, détachée du pathos polonais traditionnel.

Elle avait toujours conservé en elle une faculté d’émerveillement comme une petite fille.
« Mes signes particuliers sont le ravissement et le désespoir» Czeslaw Milosz saluera « La première dame de la poésie polonaise », qui rencontrera très vite la reconnaissance et le succès.

Grâce à de très bons traducteurs aussi bien en français, et notre fou d’opéra, Piotr Kaminski, en est un des plus grands et le seule agréé par l’auteur, et ses traducteurs anglais comme Stanislaw Baranczak et bien sûr Czeslaw Milosz, la feront apprécier de par le monde. Cette reconnaissanceà l’étranger, fera d’elle rapidement l’un des poètes les plus connus de Pologne.

Mais un malentendu s’est vite installé, car Szymborska a une langue très personnelle, utilisant les clichés quotidiens, « les mots

simples comme bonjour ».

Mais elle fait sauter ces clichés des conversations banales dans le cerceau de feu de ses jonglages de langue. Car elle déconstruit

grammaire et sémantique avec ardeur. On croit sans peine comprendre ses tournures, mais par ses jeux verbaux, elle trace des cercles

d’ambiguïté autour d’elle. Sa poésie, régulière et rimée, contient bien des pièges où l’absurde se prélasse avec délectation.

Tout semble élégant, des notes d’observation du monde, des croquis comme dentelles. Mais elle montre les limites des tensions et

des mensonges de la langue et de la communication quotidienne. Et sous la surface de ses poèmes souvent le sol se dérobe.

Ce qui est familier devient miroir enregistreur, sans jamais fournir de jugement ou de réponses. Ce que l’on croit être

communication entre les humains devient jeu pervers. Tout cela dans une langue élémentaire, sans métaphore ou images.

Sur le quotidien, mais le quotidien impénétrable. «La plus grande débauche est un miroir qui pense» (Avis sur la pornographie).

Mais tout ce jeu sophistiqué est invisible pour nous tous, et Szymborska est populaire par son apparente simplicité, son

immédiateté. Elle a toujours refusé de s’expliquer sur sa poésie, préférant la dérision.

Grande est la politesse des aveugles,
Grande est leur compréhension et leur munificence...
Ils écoutent, ils vont sourire, ils applaudissent.
L’un d’eux s’approche maintenant du poète...
Le livre est ouvert la tête en bas
Et il va demander l’invisible autographe

(La Politesse des aveugles)

Une vie en catimini

Si Wislawa Szymborska s’était d’abord laissé entraîner à la facilité de céder à l’oppression ambiante en se faisant poétesse du réalisme stalinien, puis membre de l’infâme Union des écrivains qui régissait toute création hors des canons établis, elle se fit fort discrète le restant de sa vie, rejetant avec dégoût ses anciennes œuvres « politiques ».
Elle s’enferma en elle-même et dans l’observation de la vie quotidienne de ses compatriotes qu’elle voulut rendre le plus simplement possible, comme un carnet de notes, plein d’amertume et d’humour. Ne choquant plus le régime, c’est elle à qui fut décerné le Prix Nobel de littérature en lieu et place de Zbignew Herbert, autrement plus dérangeant et important. Elle porta longtemps en elle cette honte de n’avoir été qu’un fétu de paille au fil du courant, sans jamais avoir eu le courage de nager à contre-courant.

Elle est née le 2 juillet 1923 à Bnin près de Poznan. Elle est de la génération de l’intelligentsia polonaise, qui a apporté des artistes tels que Witold Gombrowicz, Czeslaw Milosz et Zbigniew Herbert, Tadeusz Kantor, et son ami Bruno Schulz.
Elle suivra un tout autre chemin, ne conservant que la dérision comme armure. Elle déménage à Cracovie en 1931. Wislawa Szymborska y fréquentera d’abord l’école publique, puis à partir de septembre 1935 le gymnase des Sœurs Ursulines.
Au début de la Seconde Guerre mondiale, elle continuera son éducation dans une école clandestine, puis, à partir de 1943, elle commença à travailler en tant qu’employée des chemins de fer, pour échapper à la déportation du IIIe Reich.

Elle commence également à écrire des courts récits et des poèmes.
À partir de 1945, Wislawa participe activement à la vie littéraire de Cracovie et rencontre Czeslaw Milosz. Elle poursuit ses études de philologie polonaise à l’Université Jagellons, qu’elle abandonne pour ensuite étudier la sociologie. Wislawa n’a pas pu terminer ses études à cause d’une situation matérielle difficile.
Szymborska a vécu la plus grande partie de sa vie à Cracovie, et elle a travaillé comme rédactrice et chroniqueuse, critique littéraire

et traductrice de la littérature française, surtout la période baroque (Agrippa d’Aubigné et Théophile de Viau). Mais elle traduit

aussi magnifiquement en polonais le grand poète yiddish Itzik Manger.
Elle a adhéré dans sa jeunesse aux idéaux communistes, ce qui à cette époque lui assurait de quoi vivre et publier, quand la censure

le permettait, en 1952 seulement.
Puis elle s´en est détournée au fur et à mesure de la mainmise du parti ouvrier unifié polonais (en fait, le parti communiste) sur tous

les domaines de la vie du pays, culturel, vie quotidienne. Elle resta alors silencieuse, uniquement occupée à scruter le monde

« des microbes jusqu’à l’apocalypse »,hors de son temps, hors des tumultes, loin des combats.

Elle ne va quitter le parti communiste qu´en 1966, mais en cachette elle fréquentait certains milieux de la dissidence dès les années

cinquante, et ses poèmes circulaient à l’étranger, dans le cercle autour de la revue Kultura, éditée à Paris.
Elle a ainsi vécu : elle s’est étonnée, et s’est tue.
Elle vivait ailleurs, indépendante d’esprit, toujours à l’écart de la vie politique, le côté spirituel de la vie passait avant toute chose.:
Au paradis perdude la probabilité.Ailleurs. Ailleurs.Quelle musique dans ce mot.

De 1981 à 1983, elle fait partie du comité de rédaction du mensuel cracovien "Pismo". Et en 1975, elle se joint aux intellectuels qui

protestaient contre le Parti communiste polonais.
D’une extrême discrétion et modestie maladive, elle évite particulièrement de parler de sa propre poésie, et surtout de sa biographie :

Ma biographie se trouve dans mes poèmes.
Elle craint de se sentir comme « un insecte qui pour des raisons inexplicables s’enferme dans une vitrine et s’y épingle lui-même ».À l’étonnement de tous, elle reçut le Prix Nobel de littérature en 1996. Le jury du prix Nobel justifia son choix ainsi : « pour une poésie

qui, avec une précision ironique, permet au contexte historique et biologique de se manifester en fragments de vérité humaine ».
Cela était juste, et cette femme modeste, pleine d’humour se vit soudain célèbre.
Concise, notant la vie au plus ras de sa banalité, elle sait peindre et dépeindre un instant, une histoire, un monde fermé. Mais elle dit

aussi les choses graves de la vie, la fuite du temps qui la hante, la solitude, la mort toujours au pied du lit. Profondément agnostique,

elle veut interroger l’univers entier, se sachant seule au milieu des galaxies. Elle est une rebelle intérieure: athée en terre plus que

catholique, indépendante en pays il y a peu stalinien, elle défie toutes les conventions: fumant et buvant abondamment. Et ses amours furent des actes de femme libre également, chacun dans son coin.
Sa sensibilité si douce, rend encore plus terrible ces évocations.
Mais aussi ses espoirs fous.

Je crois en la main suspendue,
je crois en la carrière brisée,en des années de travail pour rien.Je crois en un secret emporté dans la tombe.

Ces mots planent très haut au-dessus des formules.Ne cherchent nul appui sur quelque exemple que ce soit.Ma foi est forte, aveugle, et sans aucun fondement. (Découverte)

Puis elle se tut pendant près de neuf ans avant de faire paraître deux nouveaux recueils, Instant et Deux points en 2005.

On avait cru qu’elle allait se taire définitivement, mais elle tenait à prouver que pendant ses soixante ans de poésie, elle avait su garder

et parole et ironie.
«Après toutes les guerres,
quelqu’un doit faire le ménage. »
Et auréolée de son prix Nobel, elle se dresse en mai 2007 contre la droite conservatrice des frères jumeaux Lech et Jaroslaw Kaczynski.
Lucide et chaleureuse, ironique et pratiquant le doute méthodique, elle savait le monde à la fois merveilleux et détestable.
Son poème sur les enfants juifs « Encore » est le plus bouleversant qu’un écrivain polonais non-juif ait pu écrire.

Dans son discours de réception du Prix Nobel le 7 décembre 1996, elle déclara ses doutes et sa panique devant les espaces infinis :

«Le monde nous terrifie par son immensité et par notre impuissance face à lui, lui aigri par son indifférence à la souffrance

individuelle des personnes, des animaux, et peut-être aussi des plantes, car comment peut-on être sûr que les plantes soient libres

de souffrance.

Tout ce que nous pourrions penser au sujet de ses espaces percés par le rayonnement des étoiles est vain, et les étoiles autour

desquelles nous avons maintenant commencé à découvrir des planètes, sont sans doute déjà mortes? Nous sans doute aussi morts

sans le savoir.

Tout ce que nous pourrions penser à propos de cet immense théâtre est possible, car nous pouvons obtenir un billet, mais il est

valable pour un temps ridiculement court, limité par deux dates décisives... ».
Du discours du prix Nobel, Décembre 7, 1996.

Une poésie à pattes de velours, et quelques griffes

J’écris la nuit. Le jour, j’ai la fâcheuse habitude de relire ce que j’ai écrit pour constater qu’il existe des choses qui ne supportent même pas l’épreuve d’un seul tour du Globe.

Celle que l’on désignait comme le «Mozart de la poésie» aura en fait publié. D’une part parce qu’elle a renié ses écrits sous influence du réalisme socialiste, et d’autre part parce que la censure stalinienne ne se relâchera que vers 1957. Et ensuite, elle se censurait fortement elle-même remplissant sa poubelle de bien de ses œuvres. 350 en tout et pour tout, car « J’ai une poubelle chez moi. », disait-elle avec son humour féroce.
Une vingtaine de recueils de poèmes seulement, et surtout de courts poèmes, seront sa seule œuvre.
Elle a dans sa poésie une sorte de subjectivité innocente, une simplicité qui parfois fait froid dans le dos. Elle ne s’intéresse pas à la collectivité, trop occupée à filer son petit écheveau d’existence. Elle n’essaie pas de changer le monde, elle le regarde, et le monde se regarde différemment après l’avoir lue.

«Nous avons lu les lettres des morts comme des dieux impuissants,
mais des dieux néanmoins, puisque nous savons que les dates se suivent.
Nous savons quelles dettes ne seront jamais remboursées.
Quelles seront les veuves qui se remarieront avec le cadavre encore chaud. »

On entre si simplement dans ses mots, que l’on est étonné, frustré sans doute, d’une telle rosée d’évidences.

Elle est profondément humaine, au bord des choses, accessible. Ses poèmes sont tous de mains tendues non pas pour nous saisir,

ou, nous changer ou nous profaner. Ils sont là simples comme un bonjour lancé par une dame timide, qui agite ses mots comme on agiterait

un mouchoir. Sans doute aussi pour un adieu.

Elle doutait de l’avenir de l’homme, de ses techniques et pressentait une destruction totale :
Ma foi est forte, aveugle, et sans aucun fondement. (Découverte) Sans amertume, avec grande douceur, elle dit notre condition humaine, sa hantise. Sa joie est sombre, mais vivifiante.

Avec cette ironie si polonaise. Elle n’a aucune envie d’éternité, elle veut pouvoir pénétrer au cœur des choses, même si la plupart,

hommes ou choses, sont en pierres fermées à double tour. Sa poésie aura frappé à bien des portes. Certaines se sont ouvertes,

d’autres non.

Ses mots égrènent les heures, sa poésie est sablier infini. Il y a une fascination du vide, des espaces indifférents des galaxies.
Notre existence solitaire exacerbe notre sens du devoir (Évaluation d’un poème).

Et Szymborska a un sens très élevé du devoir de l’écrivain pris dans un ciel trop grand et une terre trop petite.

N’y a-t-il trop d’étoiles pour notre propre bien, se demande-t-elle prise dans l’effroi de l’espace infini. Son surnom de « Mozart de la

poésie » est malvenu, car sa douceur recèle un humour très noir et la musique n’est pas la dominante de sa recherche poétique, plus

portée par le mot juste que par sa mélodie.

La langue polonaise ne se prête pas autant que le russe à la magie sonore des rimes. Le vocabulaire est essentiel.

Et son ironie cadre mal à cette idée d’innocence bénie des dieux :

Action de grâcesJe dois beaucoup
à ceux que je n’aime pas.
et la joie de ne pas devenir
le loup de leurs agneaux...
Eux-mêmes ne savent pas
combien ils apportent dans les mains vides.
« Je ne leur dois rien» -
j’aimerais toujours
cette question ouverte
.

Et dans « la vie inconcevable, elle ne peut que repartir, avec ses doutes, ses échos, ses déserts intérieurs.»

Le poids des réponses ne l’intéresse pas, car « la vallée de l’Évidence » s’ouvre avec ses abîmes et là où toute utopie est morte.

Elle a la hantise d’une vie gaspillée si librement par des humains inconscients.

Je ne sais quelles gens fuyant je ne sais quelles autres.
Dans un je ne sais quel pays sous le soleil
et sous certains nuages.

Ils laissent derrière eux je ne sais quel tout,
champs labourés, je ne sais quelles poules, quels chiens,
quels miroirs où les flammes se reflètent.

Ils portent sur leurs dos cruches et baluchons.
Plus ils sont vides et plus ils pèsent lourd […]

Elle cherche les questions, mais non des réponses,

dans les mille choses infimes de l’existence. Dans ce quotidien qui va parfois futile, parfois miraculeux. Elle s’étonnera toujours que

les étoiles, les pierres, les poissons, le chat abandonné, ne lui répondent pas quand elle leur parle. Elle sera moins étonnée du silence

des humains.

« J’essaie d’apprendre le silence
dans toutes les langues
après un intense et scrupuleux examen du ciel étoilé. »

Gil Pressnitzer

Choix de textes

Encore

Dans les wagons plombés
Des prénoms traversent la contrée,
Mais jusqu’où ils voyageront,
Si un jour ils en descendront,
Je n’en sais, je ne vous dirai rien.

Prénom Nathan cogne contre la cloison,
prénom Isaac hurle et chante sa folie,
prénom Sarah pour deux gouttes d’eau supplie,
puisque se meurt de soif le prénom Aaron.

Ne saute pas dans le vide, prénom David.
Ce prénom te flétrit pour la vie,
Ce prénom on ne le donne à personne,
C’est trop lourd à porter par ici.

Que ton fils porte un nom slave et blond,
Car ici, chaque cheveu on recense
Car ici on sépare le bon grain de l’ivraie
D’après tes paupières et d’après ton prénom.

Ne saute pas. Que ton fils s’appelle Lech.
Ne saute pas, Ce n’est pas encore l’heure.
Ne saute pas. La nuit rit aux éclats,
Et ricanent les wagons sur la voie.

Un nuage humain passe sur le pays,
Grand nuage, et une larme pour toute pluie,
Petite pluie, rien qu’une larme, quelle sécheresse.
Et les rails dans le noir disparaissent.

C’est comme ça - fait la roue. Pas de clairière.
C’est comme ça - train de cris à travers bois.
C’est comme ça - dans la nuit, je l’entends.
C’est comme ça - le silence cogne le silence.
(1957) Fleuve d’Héraclite, traducteur Christophe Jezewski et Isabelle Macor-Filarska.

Certains comme de la poésie
Écrivez-le. Écrire. Avec de l’encre ordinaire
sur du papier ordinaire: ils n’ont reçu aucune nourriture,
ils sont tous morts de faim. « Tous. Combien ?
C’est une grande prairie. Combien d’herbe pour chacun d’eux ? »
Écrire : Je ne sais pas.
L’histoire compte ses squelettes en chiffres ronds.
Mille et un reste un millier,
comme si l’un n’avait jamais existé :
un embryon imaginaire, un berceau vide,
un abécédaire jamais lu,
l’air qui rit, qui pleure, qui pousse,
le vide dévale vers le jardin,
personne ne se place en ligne.
Nous sommes dans la prairie où cela s’est fait chair,
et la prairie est muette comme un faux témoignage.
Ensoleillé. Vert. À proximité, une forêt
avec du bois pour la mastication et de l’eau sous l’écorce -
chaque jour une complète ration de la vue
jusqu’à ce que vous soyez aveugle. Tout au-dessus, un oiseau -
l’ombre de ses ailes donnant la vie
elles ont gratté leurs lèvres. Leurs mâchoires ouvertes.
Les dents claquent contre les dents.
La nuit, la faucille de lune brillait dans le ciel
et récoltait le blé pour leur pain.
Des mains sont venues flotter à partir des icônes noircies,
dans leurs doigts des tasses vides.
Sur une pointe de fils de fer barbelés,
un homme tournait.
Ils ont chanté avec leurs bouches pleines de terre.
« Une belle chanson de la façon dont la guerre frappe droit
au cœur ». Écrire: quel silence.
« Oui. ».
Adaptation personnelle à partir de l’anglais

La fin et le commencement

Après chaque guerre
quelqu’un doit faire le ménage.
L’ordre quel qu’il soit
ne se fera pas tout seul.

Quelqu’un doit repousser les gravats
sur les bords des routes
pour laisser passer
les voitures remplies de cadavres.

Quelqu’un doit s’embourber
dans la fange et la cendre,
les ressorts des canapés,
les échardes de verre,
et les chiffons sanglants.

Quelqu’un doit traîner une poutre
pour soutenir le mur,
quelqu’un doit vitrer la fenêtre
et raccrocher la porte sur ses charnières.

Ce n’est pas photogénique
et demande des années.
Toutes les caméras sont parties déjà
pour une autre guerre.

Il faut refaire les ponts
et les gares.

Les manches vont s’effilocher
à force d’être retroussées.

Quelqu’un, le balai à la main,
se souvient encore comment c’était.
Quelqu’un écoute
acquiesçant de sa tête non arrachée.
Mais déjà à côté d’eux
il y en aura
qui vont s’ennuyer.

Quelqu’un parfois encore
déterrera de dessous un buisson
des arguments rongés par la rouille
et les portera sur un tas d’ordures.

Ceux qui savaient
de quoi il s’agissait ici
doivent céder la place
à ceux qui en savent peu.
Et moins que peu.
Et enfin rien du tout.

Dans l’herbe qui a recouvert
les causes et les effets,
quelqu’un doit se coucher,
un épi entre les dents,
et bâiller aux corneilles
dans les nuages.

Dans le fleuve d’Héraclite, traduction de Christophe Jezewski, Maison de la Poésie Nord/Pas de Calais, 1995,

Sortie de cinéma

Des rêves miroitaient sur la toile blanche.
Deux heures passées sous l’écaille lunaire.
Il y eut l’amour sur un air nostalgique,
Il y eut l’heureux retour au terme de l’errance.

Le monde après ce conte est gris, brouillard.
Pas de rôles, pas d’intéressants visages.
Les regrets du maquis chantés par le soldat
Et la fille qui joue les regrets de son âge.

Je reviens à vous, au monde vrai,
Plein de hasards, grouillant, sombre -
À toi, le manchot tapi sous le porche
À toi, la fille aux yeux vains.
(1945) traduction Piotr Kaminski.

Je travaille sur le monde

Je travaille sur le monde,
dans une édition sans cesse révisée, improvisée,
sorte de figures emplies pour les fous,
blues pour des couvées,
peignes pour crânes chauves
des trucs pour de vieux chiens.

En voici le premier chapitre : Le discours
des animaux et des plantes.
Chaque discours provient, bien sûr,
de son propre dictionnaire.
Même un simple : « Salut toi »
quand il est échangé avec un poisson
Vous transporte vous et le poisson
dans un sentiment extraordinaire.
Le sens si longtemps suspect
de bruissements, de chips, de grognements !
Ah le soliloque des forêts !
les hurlements épiques des hiboux !
ces rusés hérissons écrivant
des aphorismes la nuit venue,
quand aveuglément nous croyons naïvement
qu’ils dorment dans le parc !

Le temps (chapitre deux) conserve
son droit sacré de tout mélanger dans toutes les affaires terrestres
et encore, le temps est pouvoir déchaîné
qui fait s’écrouler la montagne,
bouger la mer, tourner l’étoile.
Il ne suffira pas de déchirer l’un à l’autre les amants :
ils sont trop nus ; trop dans leurs baisers,
trop semblables aux moineaux timides.

Le vieil âge, est dans mon livre
le prix que doivent payer les traîtres,
aussi ne geignez pas quand tout dort :
vous demeurez jeune si vous êtes bien.
Souffrance (chapitre 3)
n’insulte pas le corps.
La Mort ? elle vient dans votre sommeil,
exactement comme il se doit.

Quand cela advient, vous serez en train de rêver
que vous n’avez plus besoin de respirer :
ce silence sans un souffle est
la musique de la nuit
Et fait partie du rythme
qui doit s’évanouir comme une étincelle.

Seulement une mort comme cela. Une rose
vous piquera plus fort, du moins je le crois ;
vous aviez ressenti plus de terreur au bruit
que firent les pétales en tombant sur le sol.

Seul un monde pareil à cela. Mourir
c’est beaucoup. Et vivre pareillement.
Tout le reste n’est qu’une fugue de Bach, jouée
pour le temps où nous sommes
sur une scie.
Adaptation personnelle à partir de l’anglais

Retour à la maison

Il est revenu à la maison. Ne dit rien.
Il était évident, cependant, que quelque chose avait mal tourné.
Il se coucha tout habillé.
Tira la couverture sur sa tête.
La remonta jusqu’aux genoux.
Il avait presque quarante ans, mais pas en cet instant.
Il existe comme il le faisait dans le ventre de sa mère,
vêtu de sept murs de peau, protégé par l’obscurité.
Demain, il va donner une conférence
sur l’homéostasie dans tout l’univers des galaxies.
Pour l’instant, cependant, il est recroquevillé et endormi.
Adaptation personnelle à partir de l’anglais

Un beau Miracle (extrait)
Un miracle, comment pourriez-vous le nommer autrement :
aujourd’hui, le soleils’est levé à quatorze heures trois
et restera ainsi jusqu’à huit heures une
Un miracle, moins surprenant que ce qu’il devrait être :
même si la main a moins de six doigts,
elle en a encore plus de quatre.
Un miracle, il suffit de jeter un coup d’œil autour :
le monde est partout.
Un miracle supplémentaire, car tout est supplémentaire :
l’impensable
est pensable.
Adaptation personnelle à partir de l’anglais

Vietnam

Femme comment tu t’appelles ? – je ne sais pas
Où et quand es-tu née ? – je ne sais pas
Pourquoi as-tu creusé ce trou ? – je ne sais pas
Combien de temps tu t’es cachée ? – je ne sais pas
Pourquoi tu as mordu la main que je te tendais ? – je ne sais pas
Sais-tu que nous sommes là pour t’aider ? – je ne sais pas
De quel côté es-tu ? – je ne sais pas
Dans une guerre il faut être d’un côté ou de l’autre. – je ne sais pas
Est-ce que ton village existe encore ? – je ne sais pas

Ce sont tes enfants ? – Oui.
Traduit du polonais par Aaron de Najran

Tout Hasard

Cela a pu arriver.
Cela a dû arriver.
Cela est arrivé plus tôt. Plus tard.
Plus près. Plus loin.
Pas à toi.

Tu as survécu, car tu étais le premier.
Tu as survécu, car tu étais le dernier.
Car tu étais seul. Car il y avait des gens.
Car c’était à gauche. Car c’était à droite.
Car tombait la pluie. Car tombait l’ombre.
Car le temps était ensoleillé.

Par bonheur il y avait une forêt.
Par bonheur il n’y avait pas d’arbres.
Par bonheur un rail, un crochet, une poutre, un frein,
un chambranle, un tournant, un millimètre, une seconde.
Par bonheur le rasoir flottait sur l’eau.

Parce que, car, pourtant, malgré.
Que se serait-il passé si la main, le pied,
à un pas, un cheveu
du concours de circonstances.

Tu es encore là ? Sorti d’un instant encore entrouvert ?
Le filet n’avait qu’une maille et toi tu es passé au travers ?
Je ne puis assez m’étonner, me taire.
Écoute

comme ton cœur me bat vite.
traduction Christophe Jezewski Conversation avec la pierre

Je frappe à la porte de la pierre
- C’est moi, laisse-moi entrer.
Je veux pénétrer dans ton intérieur,
y jeter un coup d’œil,
te respirer à fond.

- Va-t’en, dit la pierre
Je suis fermée à double tour.
Même brisée en mille morceaux
nous serons encore fermés.
Même broyés en poussière
nous ne laisserons entrer personne.

Je frappe à la porte de la pierre.
- C’est moi, laisse-moi entrer.
Je viens par pure curiosité.
La vie en est l’unique occasion.
Je tiens à me promener dans ton palais,
avant de visiter la feuille et la goutte d’eau.
Je n’ai pas beaucoup de temps pour tout cela.
Ma mortalité devrait t’émouvoir.

- Je suis de pierre, dit la pierre.
Je suis bien obligée de garder mon sérieux.
Va-t’en, je n’ai pas de zygomatiques.

Je frappe à la porte de la pierre.
- C’est moi, laisse-moi entrer.
On me dit qu’il y a en toi des salles grandes et vides,
jamais vues, aux beautés qui s’épanouissent en vain,
sourdes, où aucun pas ne retentit jamais.
Avoue maintenant que tu n’en sais pas davantage.

- Des salles grandes et vides, dit la pierre,
je veux bien, mais de place il n’y en a guère.
Belles, peut-être, mais hors d’atteinte
de tes six misérables sens.
Tu peux me connaître, mais m’éprouver jamais.
Toute mon apparence te regarde en face,
mais ce qui est intérieur te tourne à jamais le dos.

Je frappe à la porte de la pierre.
- C’est moi, laisse-moi entrer.
je ne cherche pas en toi un refuge pour l’éternité.
Je ne suis pas malheureuse.
Je ne suis pas sans abri.
Le monde qui est le mien mérite qu’on y retourne.
Je te promets d’entrer et sortir les mains vides,
et pour preuve de ma présence véritable en ton sein

je n’avancerai que des paroles
auxquelles personne n’ajoutera foi.

- Tu n’entreras pas - dit la pierre.
Il te manque le sens du partage.
Aucun sens ne remplace le sens du partage.
Même la vue affûtée jusqu’à l’éblouissement
ne te serait d’aucun secours sans le partage.
Tu n’entres pas, tu n’as que le désir de ce sens,
que son germe, son image.

Je frappe à la porte de pierre.
- C’est moi, laisse-moi entrer.
Je ne puis attendre deux mille siècles
pour pénétrer sous ton toit.

- Si tu ne me crois pas, dit la pierre,
va voir la feuille, elle t’en dira de même.
ou la goutte d’eau qui le confirmera.
Tu peux même t’adresser à un cheveu de ta tête
Je sens monter en moi un grand éclat de rire,
un rire immense, que je ne sais pas rire.

Je frappe à la porte de pierre.
- C’est moi, laisse-moi entrer.

- Je n’ai pas de porte, dit la pierre.
Traducteur Piotr Kaminski
Tortures

Rien n’a changé.
Le corps reste sensible à la douleur,
il doit manger et respirer de l’air et dormir,
il a la peau fine et dessous le sang affleure,
un stock suffisant de dents et d’ongles,
ses os sont cassants, ses articulations sont extensibles.
Dans la torture tout cela est pris en compte.
Rien n’a changé.
Les corps frissonnent comme il frissonna
avant la fondation de Rome et après,
au XXe siècle, avant et après Jésus-Christ.
Les tortures sont comme elles étaient, c’est juste la terre qui est devenue plus petite,
et quoiqu’il arrive tout paraît juste de l’autre côté du mur.
Rien n’a changé.
C’est juste qu’il y a plus de gens,
en plus des anciennes fautes s’ajoutent des fautes nouvelles,
réelles, imaginaires, temporaires, et nulles
mais le hurlement avec laquelle le corps leur répond,
a été, est et sera toujours un hurlement d’innocence
selon l’échelle de temps respecté et mesuré. (1)
Rien n’a changé.
Peut-être seulement les mœurs, les cérémonies, les danses.
le mouvement des mains pour la protection de la tête est le même.
Les contorsions du corps, les secousses pour tenter de s’éloigner,
donner ses jambes, mais elles tombent, les genoux volent,
il devient bleu, agité comme la houle, il salive, et saigne.
Rien n’a changé.
Sauf pour le cours des frontières,
la ligne des forêts, les côtes, les déserts et les glaciers.
Au milieu de ces paysages l’âme se balade
disparaît, revient, se rapproche, s’éloigne,
étrangère à elle-même, insaisissable, à certains moments, à d’autres incertaine de sa propre existence,
tandis que le corps est et est et est
et n’a plus aucune place pour lui-même.
1986, Adaptation personnelle à partir de l’anglais

(1) autre version de la fin
Tout cela sous un ciel par nature incéleste
Oú se couche le soleil sans se coucher du tout,
Se cachant sans le faire derrière un nuage qui s’ignore,
Agité par le vent, sans raison que le souffle
.Une seconde qui passe.
Une autre seconde.
Une troisième seconde.
Mais il ne s’agit que de nos trois secondes
.Le temps passe tel un messager avec une nouvelle urgente.
Mais cette métaphore nous appartient en propre.
Personnage fictif, empressement factice,
Et nouvelle inhumaine
.

Quatre heures du matin

Heure de la nuit au jour
Heure du flanc droit au gauche
Heure pour avant la trentaine.

Heure balayée sous le chant des coqs.
Heure où la terre semble nous chasser.
Heure où nous glace le souffle des étoiles éteintes.
Heure de qu’est-ce qui restera-bien-de-nous.

Heure vide,
sourde, aride.
Fond du fond de toutes les autres heures.

Personne n’est vraiment bien à quatre heures du matin.
Si les fourmis sont bien à quatre heures du matin
Bravo les fourmis. Mais que viennent vite cinq heures
Si tant est que nous devons survivre.
traduction Piotr Kaminski.

Métaphysique
C’est arrivé, c’est fini.
C’est arrivé, donc ce n’est plus.
toujours dans la séquence irréversible,
car c’est la règle de ce jeu perdu d’avance.
Une conclusion banale, même pas digne d’être écrite,
si ce n’est pour le fait indéniable,
le fait pour toujours et à jamais,
pour l’ensemble du cosmos, qui est et qui sera,
que quelque chose fut vraiment,
jusqu’à ce qu’elle passe,
le fait même
qu’aujourd’hui vous avez eu des boulettes de bacon frit.
Adaptation personnelle à partir de l’anglais.

Vermeer

Tant que la femme du Rijksmuseum
peinte dans le silence et la concentration
jour après jour verse du lait
à partir de la cruche dans le bol,
le monde ne mérite pas
l’extrémité du monde.
Adaptation personnelle à partir de l’anglais

Identification

Je suis content que vous soyez venu
Avez-vous entendu parler de l’accident d’avion ce jeudi ?
Car, c’est exactement pour cela
Qu’ils sont venus me chercher.
Soi-disant il était sur la liste des passagers.
Et alors, peut-être qu’il a changé d’avis.
Ils m’ont donné une pilule, pour m’empêcher de défaillir.
Puis ils m’ont montré quelqu’un, je ne sais pas qui.
Tout en noir, brûlé sauf une seule main.
Un lambeau de sa chemise, une montre, une bague de mariage.
Je suis vraiment en colère, car ce n’est certainement pas lui.
Il ne ferait pas cela pour moi, pour finir par ne ressembler qu’à cela.
Et ces chemises vous pouvez à peu près en voir dans tous les magasins
Et cette montre est juste une montre ordinaire.
Et ces noms sur sa bague de mariage
sont des noms communs en effet.
Je suis content que vous soyez venu. Asseyez-vous ici près de moi.
Il est vrai qu’il était censé être de retour ce jeudi.
Mais combien de jeudis sont encore présents dans l’année.
Je vais mettre la bouilloire pour une tasse de thé.
Je vais me laver les cheveux, et puis, qu’est-ce donc en fait,
Je vais essayer de me réveiller de tout cela.
Je suis content que vous soyez venu, car il faisait froid là-bas,
et il n’y a dans ce sac de couchage en caoutchouc,
qu’un homme malheureux.
Je vais mettre ce jeudi pour plus tard, je vais laver le thé,
Car ces noms communs sont les nôtres en effet –
Adaptation personnelle à partir de l’anglais

Ici

Je ne sais rien de nulle part d’ailleurs,
mais là sur terre il y a bien des choses.
ici nous fabriquons des chaises et ses tristesses,
des ciseaux, de la tendresse, des transistors, des violons,
des tasses à thé, des barrages, des railleries.

Il doit se trouver ailleurs encore plus de choses,
mais pour quelques raisons laissées non dépeintes ici,
ils manquent de peintures,
de tubes de peinture, de plats typiques polonais, de mouchoirs pour les larmes.
Ici nous avons d’innombrables lieux pour le voisinage
vous pouvez prendre l’un pour un autre,
leur donner des noms d’animaux de compagnie,
les protéger du mal.

Il doit y avoir des lieux semblables partout ailleurs,
mais nul ne pense qu’ils soient beaux.
Comme nulle part ailleurs, ou presque nulle part ailleurs, vous donnez tout le tronc de votre corps ici bas,
bien équipé de tout le nécessaire,
en ajoutant pour faire bonne mesure pour le reste vos propres enfants.
Pas la peine de mentionner ni les bras, ni les membres, et la tête
stupéfaite.

L’ignorance travaille sans trêve ici,
tout est ici décompté, comparé, mesuré,
et de là on tire des origines et des conclusions.

Je sais, je sais ce que vous pensez,
rien ici ne peut durer,
car depuis et jusqu’à un temps immémorial les éléments règnent ici.
mais notez- les éléments se fatiguent vite
et parfois ils doivent prendre un très long repos
avant la prochaine fois.

Je sais, je sais ce que vous pensez,
guerres, guerres, guerres.
Mais même entre elles il y a parfois une pause.
Attention – les gens sont le mal.
avec l’aise - les gens sont bons
Avec attention nous produisons des terrains vagues
avec aise avec la sueur de nos fronts nous bâtissons des maisons
et rapidement nous les habitons.

La vie sur terre devient vite bon marché.
Par exemple pour un rêve vous ne payez même pas un sou.
Pour des illusions –seulement quand elles sont perdues.
Pour posséder un corps – seulement avec le corps.

Et comme si cela ne suffisait pas,
vous tournoyez sans avoir même pris un ticket dans le carrousel des planètes,
et avec cela, refusant de payer, dans le blizzard des galaxies,
au travers d’ères si étonnantes,
que rien ici sur terre ne peut ainsi trembler à temps.

Pour avoir un regard juste sur ceci :
la table est posée là où elle est posée,
sur la table le papier, placé exactement où il faut
à travers la fenêtre entrouverte juste une bouffée d’air,
et aucun craquement sinistre dans le mur,
et pourtant vous pourriez être dispersé dans le néant.
Adaptation personnelle à partir de l’anglais
Un chat dans un appartement vide

Mourir. Il ne faut pas faire cela à un chat.
Que peut-il faire dans un appartement vide ?
Grimper aux murs ?
Se frotter contre les meubles ?

Apparemment rien n’a changé
et pourtant rien n’est pareil.
Rien n’a été déplacé
et pourtant rien n’est en place.
Et le soir, pas de lampe allumée.

Un bruit de pas dans l’escalier
mais ce n’est pas le bon.
Une main met le poisson dans l’assiette
mais ce n’est pas la bonne.

Quelque chose ne commence pas
à l’heure habituelle,
quelque chose ne se passe pas
comme cela devrait.

Quelqu’un était là depuis toujours
et soudain n’est plus
s’obstinant à rester disparu.

On a fureté dans les armoires
fouillé les étagères
on s’est faufilé sous le tapis pour vérifier.
On a même bravé l’interdit en allant au bureau
et en mettant les papiers en désordre

Que faire maintenant ?
Dormir et attendre.

Attendre qu’il revienne
s’il ose.
Et lui faire savoir qu’on ne fait pas ça à un chat.

On avancera vers lui
l’air détaché, un peu hautain
en faisant semblant de ne pas le voir.
On marchera très lentement
la patte boudeuse
et surtout, pas un bond, pas un ronron,
du moins au début.
Traduit du polonais par Aaron de Najran

Découverte

Je crois en une grande découverte.
Je crois en l’homme qui fera la découverte.
Je crois en l’effroi de l’homme qui fera la découverte.

Je crois en son visage livide,
en sa nausée, en la sueur sur sa lèvre.

Je crois en notes brûlées,
brûlées jusqu’aux cendres,
brûlées jusqu’à la dernière.

Je crois en la dispersion des chiffres,
leur dispersion sans regrets.

Je crois en la hâte de l’homme,
en la précision de ses gestes,
en son libre arbitre.

Je crois en la destruction des tables,
le déversement des liquides,
l’extinction du rayon.

J’affirme qu’on y parviendra,
qu’il ne sera pas trop tard,
et que la chose se fera sans témoins.

Personne n’en saura rien, j’en suis sûre,
ni la femme, ni le mur,
ni l’oiseau : sait-on jamais ce qu’il chante.

Je crois en la main suspendue,
je crois en la carrière brisée,
en des années de travail pour rien.
Je crois en un secret emporté dans la tombe.

Ces mots planent très haut au-dessus des formules.
Ne cherchent nul appui sur quelque exemple que ce soit.
Ma foi est forte, aveugle, et sans aucun fondement.
traduction Piotr Kaminski

De la mort sans exagérer

Sur la mort, sans exagérer
On ne peut faire une blague,
trouver une étoile, faire un pont.
Car elle ne sait rien sur le tissage, l’exploitation minière, l’agriculture,
La construction des navires, ou des gâteaux au four.

Dans notre planification pour demain,
Elle a toujours le dernier mot,
celui toujours à côté de la pointe.
Elle ne peut même pas bien faire les choses
qui font partie de son commerce:
creuser une fosse,
faire un cercueil,
tout nettoyer après.

Préoccupée de tueries,
Elle fait maladroitement le travail
sans méthode ou qualification.
Comme si chacun d’entre nous était sa toute première victime.

Oh, elle a ses triomphes,
mais regardez ses défaites innombrables,
ses coups ratés,
et ses tentatives de recommencer sans cesse!

Parfois, elle n’est pas assez forte
pour écraser une simple mouche.
Nombreuses sont les chenilles
qui l’ont obligé à ramper

Tous ses bulbes, ses gousses,
ses tentacules, ses nageoires, ses trachées,
son plumage nuptial, et l’hiver en fourrure
montrent que sans enthousiasme
elle a pris du retard à ses travaux

La mauvaise volonté ne va même pas l’aider
et même quand nous lui tendons la main avec les guerres et les coups d’État
cela ne suffit pas.

Les cœurs battent à l’intérieur des œufs.
Les squelettes de poupées grandissent.
Les graines, dures au travail, poussent leur paire de minuscules premières feuilles
et parfois même de grands arbres tombent

Quiconque prétend que cela vient du tout-puissant
est lui-même la preuve vivante
que cela n’est pas.

Il n’y a pas de vie
qui puisse être immortelle
si ce n’est que pour un court moment.

La Mort
arrive même toujours trop tard en ce moment.
En vain, elle tire sur le bouton
de la porte invisible.

Pour autant si vous êtes derrière
Cela ne peut pas être annulé.
1986
Adaptation personnelle à partir de l’anglais

Bibliographie sommaire

En français

De la mort sans exagérer, traduction Piotr Kaminski,Poésie Fayard, 1996
Je ne sais quelles gens, traduction Piotr Kaminski, Poésie Fayard, 1997
Dans le fleuve d’Héraclite, Traductions Christophe Jezewski et Isabelle Macor-Filarska, Maison de la Poésie,1998, épuisé

En Anglais View with a grain of sand: selected poems, 1995
Poems New and Collected 1957-1997, Roundhouse Publishing Ltd;, 2000.
Monologue d’un chien, 2005.
(Here) Houghton Mifflin Harcourt, 2010, épuisé