Abdu Salim

Le jazz le long des murs

Tard la nuit, ou parfois dans des matins incertains, l’on croise un héron noir déjà ailleurs.Traînant un étui de sax comme un oiseau traîne ses ailes repliées quand la migration est achevée, Abdu Salim, plus grand que son ombre, avance en somnambule écoutant ses musiques intérieures.

Il ne vous voit pas, il voit là sur les murs et sur les affiches obscènes l’image brûlante de Sonny Rollins sous les ponts de San Francisco, luttant contre lui-même et son silence face aux hurlements des voitures.
En croisant sa démarche de fauve en déroute, on peut aussi entendre ses combats d’en lui-même. Elles dansent toutes ces ombres sonores, faisant cercles autour de nous, sur tous les murs qui tentent de nous soutenir, sur toutes les marelles qui tentent de nous emmener en paradis.
Refusant tout compromis avec ce drôle de monde autour du jazz, il squatte toute sa mémoire, se moquant du toit troué qui est au-dessus de la tête des hommes, mais qui les empêche de voir la noire beauté. Lui il a sa silhouette pour habitat.
Clochard céleste il ne trouvera pas de baronne pour l’héberger comme pour Monk, il ne doit pouvoir compter que sur notre écoute et notre ferveur pour lui donner le feu des humains.Abdu s’en va au fil des notes, sa musique le suit à distance comme un chien fidèle. Il n’a pas grand-chose à lui donner à manger, que son rire qui parfois vous inonde, et ses torrents de notes comme sur scène quand la main tendue de Tonton Salut lui sert de filet face aux étoiles.

Immense silhouette, il s’en va dans la nuit.

Quand il est passé sa musique chantonne encore derrière lui, devant nous.Du Mandala à la Garonne il emmène se noyer dans les notes de son sax tous les rats du quotidien.

Même les plumes des anges les plus endurcis seraient tombées dans le goudron.
Tu te voulais amour absolu, fraternité et cette foi du charbonnier, noir évidemment, te faisait autant prêcheur que musicien. Partout était ton église noire et ta musique est gospel, imprécation, sermon sur la montagne. Tu auras braillé au ciel des cris d’amour.

Gil Pressnitzer