Anouar Brahem

La musique à pattes de velours

Quand s’avancent les pas du chat noir, quand les fontaines soupirent au fond des palais, il est temps de laisser la musique d’Anouar Brahem vous posséder.
Anouar Brahem est à la musique ce que la mousse est aux arbres : douceur témoignage et fraîcheur.

Il évolue dans sa belle légèreté dans deux mondes qu’il aura fait communiquer par des écluses de rosée : la musique traditionnelle tunisienne plus vaste que les déserts, et la musique de jazz plus immense que l’horizon. La même ferveur relie langoureusement ces univers musicaux entre mélopées et bruissements d’ailes. Que ce soit avec son trio tunisien (clarinette et percussion) ou avec ses amis des notes bleues (Jan Garbarek, Richard Galliano, John Surman, Dave Holland, Jean-Louis Matinier,…), la même fascination monte comme tendre fumée de ses mélodies.

La musique d’Anouar est lente et odorante, intense et sinueuse. La mer s’écoule, sa musique vous emplit. De la soie se dévide et le destin attend la fin du filage.
De ses paniers de fruits montent le suc « des contes de l’incroyable amour ».

Dolente mais pas indolente, elle coule dans ses entrelacs argentés.
Anouar Brahem joue du oud, un luth oriental. D’autres aussi, mais lui aura niché dans son instrument des ruches de miel, des gisements de roses des sables.

Les papillons viennent d’ailleurs se poser sur sa musique.

Méandres et échos lointains d’une musique enfouie dans un pays d’or et dans un âge d’or. Il joue à la fois d’un respect filial des traditions (tous les modes de la musique arabe sont ses fleuves), mais ouvrant la fenêtre de l’universel, il s’en détache audacieusement. Le mariage de tout cela se fait dans l’envoûtement.
Souriant et timide, il charme tous les serpents de la musique dans ses arabesques.

Luth d’Orphée, lutte avec les anges. Il a su faire du temps son désert, et du désert un souffle de vent tendre sous ses doigts.
Le silence a un poids de pierre dans sa musique. Anouar laisse celui-ci se lover dans sa musique, au chaud dans sa respiration. Sa musique est lignes douces, lignes de fuite vers l’infini dans ses chants silencieux.

Anouar Brahem a un jeu serein, très épuré et ses improvisations se tendent vers le ciel et non pas vers la terre immédiate de la virtuosité. Il improvise un monde pas encore perdu où mystique et art de vivre ne faisaient qu’un.
Il est intemporel et son lyrisme prend ses sources dans l’ailleurs. Ses mélodies semblent être des comptines des étoiles. Il tisse les titres de ses morceaux avec la dentelle de sa poésie.
La musique d’Anouar Brahem est méditation voluptueuse. Elle rêve dans les replis du temps. Elle s’insinue en nous, en fait elle a toujours été là.
Des aubes mauves se lèvent, des mirages montent, et toutes les caravanes de notes d’Anouar Brahem vont vers la mer.

Gil Pressnitzer