Antoine Hervé

Pianiste du temps réel

Antoine Hervé, sorte de lutin malicieux du jazz français, est à lui seul une institution dans le jazz national. Son panthéon à lui, ce fut l’aventure de l’Orchestre National de Jazz en 87-89, et il eut le bon goût d’y venir non pas avec ses cendres, mais avec ses braises.
Pianiste,compositeur, chef d’orchestre, directeur artistique, animateur inlassable et théoricien pointu, Antoine Hervé impressionne. Ce parisien, né le 20 janvier 1959, fait d’abord de brillantes, forcément brillantes, études classiques au Conservatoire de Paris, mais il sait bien qu’il ne sera pas une bête à concours en queue-de-pie au service de la musique des autres. il est aussi un très grand orchestrateur
Propulsé au concours de Jazz de la Défense en 1983, il était déjà irrémédiablement "jazzogène", pour reprendre une de ses belles compositions, et il l’est encore.

De big-bands en trio, il suit sa route dont on signalera juste quelques panneaux : prix Django Reinhardt en 1985, de nombreux disques, des tournées à travers le monde, l’épopée de l’ONJ, mais surtout et avant tout de nombreuses créations aussi bien pour des ballets que pour des films et des comédies musicales (Decouflé, Eric Rochant, Dee-Dee Bridgewater,...).

Sa soif de rencontres et de recherches nous le font entendre autant avec Yildiz Ibrahimova, au merveilleux goût bulgare, que dans des groupes de musique contemporaine.

Théoricien de l’improvisation, il veut la vivre intensément et sans barrière dogmatique, depuis une très sérieuse commande d’État, jusqu’au récital intime de piano solo entre les cliquetis des verres. Il aime autant la musique écrite qui fut son lait nourricier, que la musique improvisée. Analyste, musicologue, il n’aurait pu n’être qu’un pianiste "sérieux" et applaudi du bout des doigts par les spécialistes. Maisla pulsion vivante et tellurique du jazz l’a étreint et il la marie avec sa science, sans aucune ostentation. Ainsi se mesurant à Mozart (Mozart la Nuit), il saisit l’allant de l’auteur des "folles journées".
En piano solo, (Inside ) il sait sous les flots de l’harmonie la plus rare, et de la mélodie presque charnelle être un vrai de vrai pianiste de jazz. Sa double culture lui a apprit à ne pas se laisser enfermer dans les interdits et les frontières.

Petit opportun, comme ce lieu où il revient souvent, il n’arrête pas les tournées et les créations justifiant pleinement le titre de ses conférences "le piano-jazz, ou la composition en temps réel".
Car là est le sens de sa musique, ce rapport à l’immédiat, au vivant.
"L’événement majeur dans la culture musicale du XXe siècle est le jazz apporté par les noirs américains. Ce jazz est toujours vivant, donc en mutation, et totalement d’actualité !" À partir de cet axiome hervéen, il peut s’exprimer en totale liberté aussi bien sûr des standards de Gainsbourg que de Miles, Evans, Ellington et un jeune plein d’avenir, Mozart, et se faire un festin d’improvisation sur des musiques légendaires ou de la rue, sans oublier les siennes.
Finesse, humour, sensibilité et intelligence sont les caractéristiques qui pleuvent sur lui.
Maintenant qu’il s’est mis aussi à chanter, disons simplement qu’Antoine Hervé est bien le lutin hyperdoué du jazz, toujours en mouvement, en recherche, le furet fureteur de notre jazz.

Gil Pressnitzer