Antonio Ortega

À jamais l’été indien

Maintenant que les bisons ont disparu, que tant d’hommes musiques ont rejoint, qui la terre, qui le ciel, voilà que s’avance après trente ans d’oubli, avec son visage chiffonné de vieille, ô très vieille squaw, Anthony Ortega.
Anthony Ortega,le plus bizarre des musiciens de jazz rejoint aujourd’hui l’ombre de son mythe qui avait couru bien plus vite que lui. Celui qui sera à tout jamais le grain sonore de « Gloria », de John Cassavetes, son frère de sang et d’émotions croisés, est là avec sa voix d’enfant.
Anthony revient, discret, effacé, lui qui en rôdeur de l’infini prenait un soin vital d’effacer toutes ses traces sept disques introuvables en cinquante années d’errance. Anthony est là à nouveau, trente ans après, de retour en France.D’une autre culture, mexicano-indienne, d’un autre temps, d’une autre terre, celle où le vent ne se donnait pas en simulacre de la vie, mais se souvenait de l’origine du monde.
Anthony est donc là, il n’a pas perdu l’origine, la très lointaine enfance.Le réentendre donne immédiatement une sensation de rosée primitive, la rencontre à nouveau pour la première fois du premier visage de l’almée, la naissance du jazz.
Arabesques, nuages, passent dans ses saxos (alto et ténor) et ses bois (clarinette, flûte….).Sa musique originale est immédiatement reconnaissable : braises et vent mêlés.Certains, parmi les grands sages de la tribu du jazz, se souviennent qu’Ortega, musicien de Californie, creuset de liberté, naquit en 1928, croisa très tôt la route de son condisciple Éric Dolphy, et qu’après de longs passages dans l’orchestre de Lionel Hampton avec Clifford Brown, Art Farmer, Quincy Jones, il partit se perdre dans bien des pistes, où il fit même la contrebande de la musique commerciale.
Certains, à la veillée, se souviennent, et doctement, discutent pour la millième fois Ortega a-t-il vraiment existé ?
Pas plus que les moutons n’ont rêvé d’androïdes électriques, le monde du jazz ne se souvenait plus de ce drôle de chaman, bizarre, le plus bizarre d’entre tous.Ortega is alive, quelque part dans un coin perdu près de San Diego, et depuis 1992, on a signalé son passage parmi nous.

Une réédition de « New dance », une nouveauté chez Évidence, et voilà tous les feux de la plaine rallumés, Ortega est là, blanchi d’hiver, faisant monter sa musique comme une fumée.
Oui, Anthony Ortega existe, vous pourrez le rencontrer révélé par une rythmique française exemplaire Manuel Roche Man (piano), Didier Levallet (Contrebasse), Jacques Mathieu (batterie).
Anthony Ortega, serein et libre, surpris sans doute par sa propre beauté du son, laisse s’écouler le silence, pour n’être qu’un souffle.

« L’arbre en combattant grandit jusqu’à la mort », ainsi va Ortega, vers la vérité du temps suspendu.

À la lecture de ce texte Ortega composa la nuit même un morceau de reconnaissance, voletant dans sa tendresse et sa fragilité, « To Gil, Toulouse » qu‘il enregistra par la suite.

Gil Pressnitzer

Discographie

New Dance

Earth Danse (2004)
On Evidence (2003)

Bonjour
Scattered Clouds
A Man and his horns (2004)

9 « neuf »

Afternoon in Paris

Seven Standards

Sound of the far east (2003)

The conspiracy (2003)