Antonio Vivaldi

Gloria RV 589

La musique ressuscitée

Effectif : 2 sopranos, 1 contralto, chœur mixte à 4 voix, orchestre
avec continuo, instruments associatifs : trompette et hautbois.
Plan : le texte est découpé en 12 versets : allegro-andante-allegro-adagio
allegro-largo-allegro-adagio-adagio-allegro-allegro-allegro.
Tonalité : ré majeur
Durée d’exécution : environ 30 mn

Que pèse la musique religieuse dans l’œuvre immense de Vivaldi, avec plus de 600 concertos et 50 opéras retrouvés ?

De ce compositeur fêté dans toute l’Europe, et que Bach recopiait avec ferveur, ce n’est pas le versant sacré qui était resté dans les mémoires.

Pourtant plus d’une quarantaine d’Œuvres sacrées avec des messes, des glorias, des Dixit Dominus ont été écrites par lui. Et puis Vivaldi, "Le prêtre roux", n’était pas seulement cet abbé mondain voué au sacerdoce autant par nécessité que par volonté intérieure. Sa charge de prêtre ne lui fit jamais dire la messe mais jamais non plus il ne se départit de son état d’ecclésiastique. Son dévouement à l’institution du Séminario Musicale dell’Ospedale della Pietà fut sincère et durable. Autant que la joie troublante de diriger des ensembles de jeunes filles orphelines, il faut y voir l’extraordinaire opportunité de disposer du meilleur ensemble à Venise, le plus ductile, le plus touchant aussi.

Vivaldi fut avant tout un expérimentateur, un bricoleur talentueux de nouvelles sonorités, de nouveaux alliages de timbres.
Ce champ d’expérience, ce vaste territoire des possibles devait le fasciner car il permettait d’affirmer à la versatile Venise son art de dominer aussi bien le style "antique" obligatoire pour la musique sacrée, que les dernières découvertes vers l’expressivité de la voix. Cet alliage de contraintes et de sensualité toujours présente marque aussi sa production sacrée. Et puis à Venise même le sacré portait des masques et bien malin celui qui pouvait séparer sacré et profane.

Aussi retrouve-t-on les conquêtes de la musique instrumentale et de l’opéra dans sa musique sacrée.
Cette musique de Vivaldi est aussi un traité d’harmonie et d’inventions. Comme Racine devait écrire troublé au plus profond de lui-même, Athalie pour des jeunes filles aux rêves passionnés, Vivaldi composa pour ses chères orphelines la presque totalité de ses Œuvres religieuses.
Adoration du seigneur et frisson de la chair ont dû sans doute se mélanger dans l’inconscient du compositeur.

Cette musique sera donc théâtrale, frémissante, immédiatement source de plaisir auditif, sincère aussi certainement mais surtout merveilleusement équivoque.
Dans ses grandes réussites, et le Gloria RV 589 est la plus grande, Vivaldi est de suite et de plain-pied dans le chatoiement. Le plaisir de sa musique douce et souple, plus légère que profonde !
Pourtant, tout ce pan de son talent a basculé dans l’oubli du temps, et jusqu’à une époque très récente, 1939 pour le présent Gloria, Vivaldi n’existait pas comme compositeur de musique sacrée.

Mais alors que ses concertos circulaient et étaient édités dans toute l’Europe, on ignorait déjà tout de cet art-là.
Un violoniste aussi merveilleux ne pouvait et ne devait pas être vieux barbon enchaînant fugues et polyphonies et rendant grâce à Dieu alors que le fouet du plaisir faisait vibrer son temps. Donc Vivaldi musicien religieux n’existait pas et ne devait pas exister.
Quand notre siècle prenant peur de son présent et de sa modernité se réfugia en lui-même en mangeant ses morts, des entreprises de chasse aux manuscrits dans toutes les bibliothèques d’Europe se lancèrent avec frénésie.

Et Vivaldi devient un objet de mode et surtout d’exorcisme devant la musique contemporaine.
On le redécouvrit et on fit du Gloria entre autres un "Tube" musical inépuisable jusqu’à aujourd’hui. Et cette musique faite pour être écoutée dans l’instant, et pour une circonstance particulière, devint un rituel.

Ce n’était plus la résurrection en musique, mais la musique ressuscitée !

Cet œuvre simple, ce Gloria RV 589, célèbre aujourd’hui semble l’avoir été relativement puisque cette œuvre semble avoir été reprise assez souvent à la Pietà mais seulement dans un cercle intime et le monde extérieur ne connut pas cette œuvre. Fragment sans doute d’une messe plus solennelle ce Gloria a pu être composé entre 1714 et 1716. Il porte bien la marque de fabrique du Vénitien avec son lyrisme éclatant, ses procédés violonistiques, ses passages obligés au style "religieux", sa façon de traiter l’orchestre et avec ces ornements, cette vivacité rythmique et aussi ce bel canto qui est déjà là.

Cela sonne bien comme du Vivaldi.

Composée pour la fête de la Visitation et surtout comme œuvre emblématique de la Pieta et son art musical, le Gloria est plus que cela.
Il s’agit de la meilleure approche de ce qu’était la musique religieuse italienne vers 1710. Déjà le monde ancien avec ses habits lourds du contrepoint et des masses chorales se répondant n’est plus au goût du jour. Tout doit chanter, et par exemple le "Laudamus te" est plus un concours de chant d’oiseaux qu’une célébration de voix.

Lumière et sensualité, élégance et légèreté chassaient les ombres lourdes des "vieilles prières". Contrastes entre rythme vif et danse lente, entre chœur à l’unisson et solistes faisant assaut de lyrisme, tout cela confère au Gloria un côté manifeste de la musique du soleil. Dieu pouvait donc être aussi exubérance !

Que reste-t-il de cette œuvre si souvent jouée de nos jours ? Certainement les passages de soliste et les traits angéliques des violons, et aussi une certaine joie de chanter.

Ce Gloria de Vivaldi n’est certes pas une œuvre forte, elle est pourtant bien plus célèbre que les autres Œuvres du programme. Elle demeure quand même pour sa fraîcheur ses astuces harmoniques, sa volupté des timbres et ses couleurs limpides comme du Giotto.

Vivaldi traite complètement le texte du Gloria en douze épisodes

1- Gloire à Dieu : (allegro)
L’orchestre entame comme pour un concerto débridé les louanges et le chœur mixte très simplement à l’unisson essaie de rester en croupe de ce torrent. L’effet est immédiat et conquérant.

2- Paix sur la Terre (andante)
Le contraste est saisissant car utilisant exactement le même effectif Vivaldi plonge dans une sorte de danse lente et recueillie. Les violons picorent des ornements comme des fruits défendus.

3- Nous te louons (allegro)
Deux solistes (deux sopranos) s’enlacent sans se rejoindre sur de curieux rythmes brisés des cordes. Curieuse louange où les parallèles des voix semblent parler de mondes disjoints et tournant seuls dans leur allégresse.
4 - Nous te rendons grâce (adagio)
Le chœur à l’unisson rompt la sautillante gloire précédente et met un genou à terre. L’hommage obligé à l’art contrapuntique est ici rendu.

5 - Pour ton immense gloire (allegro)
Le chœur attaque à nu, avant l’orchestre et retrouve le style antique mais avec des modulations harmoniques. Ce très bref hommage est déjà un adieu à la fugue. 6 - Seigneur Dieu, roi du ciel (largo) Vivaldi réapparaît avec l’envolée du violon solo, et ce curieux rythme de berceuse. Sur ce balancement sensuel vient s’élever un véritable air d’opéra avec vocalise confié à la soprano. Ce moment impie est le sommet de l’œuvre par sa candeur, sa simplicité.

6- Domine Deus (Largo)

Il s’agit d’un duo entre la soprano et le hautbois (parfois remplacé par un violon). Les deux s’enlacent et se répondent.
L’introduction instrumentale du début revient comme une ritournelle, et c’est longuement le hautbois qui déroule la phrase. Tendrement, doucement, l’instrument tend une écharpe de douceur à l’entrée de la soliste qui sans reprendre note à note l’air du hautbois, tresse une musique très proche. Le mot "pater" est mis en évidence par une vocalise. Les deux solistes liés vont donner trois fois le texte du verset avec de plus en plus d’insistance sur le mot "Pater".
la conclusion se fait sur la ritournelle d’entrée du hautbois.

7 - Seigneur, fils unique (allegro)
À nouveau le chœur avec l’orchestre repart allègrement dans le galop d’une forme fuguée.

8 - Seigneur Dieu, Agneau de Dieu (Adagio)
La voix de contralto est utilisée avec orchestre et chœur. La couleur choisie est celle des basses qui déploie le velours sous la voix. Cette cantilène tendue vers le sombre est une véritable cadence qui préfigure l’air de la Passion selon Saint Jean de Bach "Es ist vollbracht" : c’est en dire la beauté.

9 - Toi qui enlèves le péché du monde (adagio)
Pour la première fois l’alternance rythmique n’a pas cours et c’est encore un adagio. Mais là c’est une affirmation martelée doucement par le chœur comme pour se convaincre d’y croire, de s’entêter de croire.

10 - Toi qui sièges à la droite du père (Allegro)
C’est en miroir, avec le même effectif que la neuvième partie le même univers opératique ou la voix de contralto répond voix pour voix à l’orchestre dans une ritournelle proche de l’Aria. Les rebondissements incessants sont étonnants par rapport au texte qui est censé être illustré.

11- Car toi seul es Saint (Allegro)
Ce verset à la fois rappel de l’ouverture de l’œuvre et passage à la fin de l’œuvre est réservé au chœur et à l’orchestre. Prélude et rappel il relance la mémoire de l’auditeur et le prépare au sommet final qui débouche sans transition.
12- Avec le Saint-Esprit (Allegro)
Troisième allegro consécutif, ce final est une fugue en majesté, où tout l’orchestre se réjouit ajoutant même hautbois et trompette. Final obligé, gloire obligée, il fait plus penser à Haendel qu’à Vivaldi, mais il faut bien que l’histoire sacrée s’achève. Et le Gloria vaut bien une fugue, même si on revient vers le passé.

Ainsi va cette œuvre de près de trente minutes, célèbre certes, mais surtout exemplaire de l’art du temps, et délicieuse par un certain côté équivoque mêlant habit monacal des formes fuguées et sensualité des airs d’opéra. L’âge baroque était encore vivant et cette musique à l’impact immédiat de Vivaldi, musarde bien dans son siècle.

Pourtant là-bas dans ces brumes du Nord, le "vieux" Bach de quarante ans compose dix ans plus tard La Passion selon St Jean et à la même époque s’allument et s’éteignent les Leçons de Ténèbres de Couperin.

Le passé des ombres allait cheminer plus avant que les ors vite fanés de l’exubérance.