Arthur H.

Les sortilèges du trouble-fête

Arthur H, après avoir chanté Georgia et hanté durablement le Magic Mirror, repart sur les routes. Tous les miroirs n’ont pu avoir raison de ses images éparses. Et notre trouble-fête, notre trouble-tête, demeure le grand ordonnateur d’une fête étrange.

Toujours rêveur, la tête dans les étoiles et pleine de petites histoires humaines, il veut faire de chaque rendez-vous un moment magique oscillant entre un dérisoire souriant, et parfois une gravité en filigrane.
Aussi, il convoque autant les charmes de l’Orient, que l’étrange et le poétique, avec sa voix qui ressemble à un feulement de grand fauve des nuits blanches, Avec ses chansons de rêveur ensommeillé, Arthur H met un pied dans les étoiles.

"Trouble-fête", Arthur H le revendique, mais ses fêtes il ne les pêche point en eau trouble. Il a ce talent rare du décalage. Une merveilleuse couleur sépia se dégage de ses chansons d’ailleurs. Maniant avec sa voix rauque, les pistes cachées des mots, il jongle délicieusement avec les atmosphères désuètes et surannées pour rester ainsi définitivement inclassable.

Il a tant et tant écumé les cabarets parisiens et autres qu’un nuage bleu de cigarettes reste au-dessus de sa tête.

Après avoir égrené la saga des Higelin, invoqué le fantôme titubant de Tom Waits, et célébré les noces ironiques du blues américain et de la chanson réaliste française, toutes choses justes par ailleurs, il faudrait peut-être faire un tout petit tour sous la caboche vissée, sous un béret ou un chapeau du jeune suspect en question. Car ces petites histoires, râpeuses, pince-sans-rire, laissent deviner un climat, une couleur d’âme bien particulière, pleine de fêlures. Auteur compositeur interprète, il se cogne lui-même paroles et musique, pour dérouler son petit cinéma réaliste du quotidien plein de matins blêmes, de bruit de verres, de quais de gare.

À force d’être décalé par rapport à la « variétoche » ripolinée, il a su se faire entendre de toute une génération qui devait cultiver en cachette la fleur "bluesy". Le voilà, petit Mozart du bastringue installant "un climat noir et malicieux, glauque et classe à la fois". Cool mec, cool jazz, il n’a pas renié les avatars du petit frenchie. Sans aller cracher sur la tombe de Vian, cela faisait belle lurette que quelqu’un n’avait pas carburé autant au jazz pour parler des quais des brumes et donc de lui-même.

Venu du rock pour aborder à d’autres révoltes "on the rocks", plus ouvertes dans le jazz, le jeune Arthur aux oreilles en partance, nous fait le coup de l’adolescent qui a vécu mille vies, mille filles et des bateaux ivres d’alcool. Rescapé de sa vie à Paname, de l’image de son père, de l’univers punk, de la révolution du jazz, Arthur nous vient avec la fraîcheur de sa voix d’outre cave.

Lui, l’amoureux des textes de Philippe Soupault, connaît le poids du sens, aussi il peut plonger consciemment dans la dérision et la tendresse pour créer "un music-hall mystique". Ses petites histoires cruelles ou drôles, son "Magic Mirror" à lui, porté comme un miroir des hommes le long des chemins, vont capter l’éphémère.

Avec ses oreilles décollées comme des affiches un soir de pluie, il recueille le chant des galaxies lointaines : nos voisins, nos amours que nous avons exilés si loin. Là où tout un chacun se contenterait de faire battre les persiennes du tragique, Arthur H fait fleurir un humour-amour qui réchauffe comme une poignée de marrons chauds. À contre-pied du monde, il sait dans un registre minimal, avec des flots de musique d’autrefois, mêlés au jazz du fond des nuits, faire entendre un spectacle actuel qui nous parle fraternellement. Cassé, brinquebalant, solitaire même en trio il est surtout chaleureux et proche.

Arthur H, c’est bien notre grand frangin maladroit, surgi comme une glycine Place de la Concorde, et qui nous dit qu’il faut troubler la fête.
Perturbateur des basses habitudes, il ridiculise le sérieux du monde, et fait mettre le genou à terre aux mots trop lourds. Clown surréaliste, il se veut avant tout "Chanteur-illusionniste", jouant avec les balles de l’onirisme. Il vit vraiment sur scène :
"J’ai l’impression que la vie comme l’art est un long raffinement des sens", et Arthur H applique sa maxime pour poétiser son passage terrestre, faire appel à l’étrange et à l’irrationnel. Baron noir, sur son clavier blanc et noir, il passe en piqué sur l’ennui du monde, lui qui rêve d’un "Hawaï revu par Hollywood". Avec volupté et humour il trace les formes de sa négresse blanche sur les draps des jours. De "Marilyn Kaddish" en passant par "Bo Derek" les femmes s’enroulent autour de son piano.

Son jazz bizarre et son vol de choucas bienheureux sont toujours présents mais il a évolué, créant d’autres univers où l’Orient parfois s’installe bien au-dessus des vagues des toits des villes. Et les légendes qu’il chante, deviennent de plus en plus vraies.
Ce marin au long cours du décalage va d’île en île, là celle de l’humour, ici le récif de la poésie. Avec sa voix rauque à la Tom Waits, dans son monde peuplé de serpents et d’éléphants, de couleurs étranges, de femmes passantes, il joue au sorcier fou, mais surtout fou de tendresse et de rêves car pour lui le processus d’un concert s’apparente à celui du rêve. Il est un homme de scène qui se met en scène.

"Toutes les villes du monde
Oasis de nos ennuis morts de faim
Offrent des boissons fraîches
Aux mémoires des solitaires et des maniaques et des sédentaires".
Ainsi parle Soupault dans Westwego, ainsi chante Arthur H dans ses sortilèges, et la tour Eiffel s’envole dans le ciel et nous aussi, on voyage dans les chants du rêveur.
Et sans doute, réaliserons-nous le vœu d’Arthur H "Sortir du concert en ayant l’impression d’avoir vécu un rêve".

"Je souhaite à tous ceux qui veulent changer le monde, d’y arriver."

On va tenter.

Gil Pressnitzer

Discographie

Showtime (2006)
Adieu tristesse (2005)
Négresse blanche (2003)
Pour madame X (2000)
Piano solo
Fête trouble (1997)
Trouble-fête (1996)
Bachibouzouk (1992)
Cool jazz
Arthur H (1989)