Baden Powell

ou le paradis perdu

Tous les chemins de la délicatesse faite musique ramèneraient au même lieu, au même dieu : Baden Powell.
Comme un séquoia de la musique, comme une braise du monde, il s’avançait, déjà crépusculaire, au milieu de la scène et ses doigts ténébreux, faisaient briller des nouvelles lueurs d’étoiles

II était déjà hors du temps. Enfermé dans un silence d’ailleurs. il semblait sur scène se chercher lui-même, pour nous restituer par-delà les nuits, un pays apaisé plein de pommes d’or.

Hors des courants brésiliens, plus tendre encore que Chico Buarque, il déployait sur sa guitare les ailes brûlantes et légèrement froissées de la vie qui va, en restant la mémoire des musiques populaires.

Il ne regardait presque jamais le public et pourtant sa musique n’était que regards échangés, miel distribué à tous.
Maintenant que ta musique est sans bouche et sans mains, maintenant que ton sang s’est révolté contre l’éternité que tu donnais comme un souffle tranquille, qui nous rendra ces pays de tendresses perdues que ta guitare faisait revivre ?

À ce concert salle Nougaro, il y a une dizaine d’années, où déjà crépusculaire presque sans un mot tu vins t’asseoir, timidement replié sur ta chaise, caché derrière tes lunettes de hibou, nous avions pourtant le sentiment d’entendre tous les coquillages à la fois, ceux de ta "mer-musique", qui respire les choses humbles et simples.

Toi l’homme des favelas, sorti des horreurs simplement avec ta guitare au poing que te donna très tôt ton père, toi l’ami chaleureux et jaloux d’un "autre fêlé du palpitant", Claude Nougaro, tu nous laisses seul avec ta musique pour terrain vague, pour berceuse d’infini.
Pourquoi ta musique nous aura-t-elle tant touché ?

Je crois qu’elle portait en elle l’alchimie entre une musique populaire douce et sensuelle et une musique d’exil.
Toi connu seulement par ton prénom, tu auras été plus de la moitié de ta courte vie ailleurs, en errance.
Vingt ans en France, puis en Allemagne, et toujours émigré dans nos cœurs.

Tu ne faisais pas de "boy-scoutisme" dans ta musique malgré le poids de ton nom, tu parlais aux adultes aux éternels cœurs d’enfant.

Baden Powell, mort à 63 ans, un 26 septembre de pluie inconsolée, d’un arrêt de l’arbitre du sang, c’est notre âge d’or des années soixante qui meurt aussi.
Ta samba "triste" te laissera ange et passeur vers un paradis d’innocence où les dieux dansent une bossa-nova lascive et tendre.

Au revoir l’ami, ta guitare est plus forte que I’Adieu et le Néant, je sais que tu continues à respirer la mer et les fleuves de l’été.

Gil Pressnitzer