Ben Zimet

Quand un homme parle Yiddish, il se transforme et devient un autre homme.

(Kafka)

Ben Zimet est le chanteur de blues du Yiddishland, ce pays qui n’existe plus et dont les frontières chevauchent les mémoires encore et toujours sans jamais combler le manque infini de sa disparition. Ben Zimet parle et chante le yiddish, il se transforme sans doute, mais surtout il nous transforme et fait de nous des autres hommes

Ben Zimet est un grand chanteur, un grand conteur, un grand nomade. Avec son allure de vieux rabbin échappé tout droit d’un petit village polonais il nous restitue un temps perdu. D’ailleurs il en joue et il apparaissait souvent vêtu comme au Moyen-Âge pour frapper l’imaginaire des spectateurs, les notes accrochées dans sa barbe blanche.

Griot, patriarche, mémoire vive du Yiddish, Ben Zimet redonne souffle et mémoire à un monde qui n’est plus, à un peuple assassiné, mais qui a donné à l’humanité la poésie du quotidien et l’ironie du désespoir.

Comme le papier est blanc, comme l’encre est noire, sa trace reste indélébile dans les consciences européennes. Ce peuple parti en cendres et en exil, "avant même que les blés n’aient mûri, avant même que les fleurs n’aient fané", nous laisse en creux ces histoires de tous les jours, d’hommes et d’outils, de légendes et de foi.

Ben Zimet est né en 1936 à Anvers d’un père polonais et d’une mère allemande. Il est lié spirituellement à cet étrange pays si grand dans l’imaginaire et si petit en réalité : La Galicie, région du sud de la Pologne. Ben Zimet se veut un véritable « Galicianer » et il déclare fièrement : « région d’où viennent tous les meilleurs juifs ! La Galicie était au XVIIIe siècle, le foyer brûlant du mouvement mystique juif, dit le Hassidisme »
Imprégné et nourri du passé juif de l’Europe centrale, Zimet a longtemps voyagé avant de s’installer en France. Il a d ‘abord vécu en Belgique, puis en France quand le pays neutre fut violé et envahi.
Là il fut un de ces enfants cachés et traqués que les lois Laval avaient condamné à mort à leur naissance. Ce fut à Arfons en Montagne Noire, près de Carcassonne. Longtemps il revint dans ce lieu sauvage qui l’hébergea mais sa première épouse lui en a interdit l’accès assez violemment.

Après la guerre, il émigre au Canada, mais les arpents de neige ne sauraient étancher sa nostalgie profonde du Yiddishland, et il revient en Europe en 1960. Il s’installe alors à Paris à partir de 1962. il se met à chanter en yiddish afin de retrouver une partie de ses racines et surtout de faire vivre et revivre cette langue. Témoigner de son immensité.
Ses grands débuts de chanteur et de conteur yiddish se feront au café-théâtre de La Vieille Grille en 1973 avec son compagnon de route le grand Eddy Shaff, accordéoniste, pianiste, compositeur. Eddy, « Eddych » et ses 139 kilos de tendresse qui nous a quittés le 17 juillet 2006, à l’âge de 64 ans.

Il va porter la parole, celle d’une civilisation calcinée, à travers le monde par les Chants et Contes du Yiddishland, contant en français et chantant en yiddish le monde des Juifs d’Europe orientale. En 1994 il forme avec la tumultueuse chanteuse Talila qui sera sa compagne un duo qui créera le « Yiddish café » dont naîtront des spectacles hauts en couleurs. Libre à nouveau, il a repris sa route qui la conduit à Dakar depuis quelques années.

Il vient de créer « La Casa dell Judo Tropical, », qui raconte en paroles et en musiques le périple des « Calypso Jews », Juifs expulsés d’Espagne en 1492 qui, sur les traces de Christophe Colomb, s’implantent au Nouveau Monde, dans les Caraïbes, en Amérique du Sud, en Afrique de l’Ouest. Ils y croiseront la Traite des Noirs, la colonisation, l’Inquisition (jusqu’en 1823 à Cuba !) et la salsa.

Son dernier spectacle ces jours-ci à Paris porte sur l’art du tango (Yiddish Tango - avec Gustavo Beytelmann.), toujours à la vieille Grille. En mai 2007, il a organisé dans l’île de Gorée, (Sénégal), comme directeur artistique, la première édition du Festival international du conte et de la parole, dans le cadre de la commémoration de l’esclavage. La deuxième édition de ce festival est prévue en 2008, toujours à Gorée, « haut lieu symbolique de la traite négrière contre lequel les thèses révisionnistes contestant le rôle et l’importance de l’île durant l’esclavage ne peuvent rien, car, quel que soit le nombre d’Africains déportés, elle reste un lieu de mémoire », souligne Ben Zimet. Le 24 septembre 2007 dernier, par fidélité, il vient d’y redonner ses chants et ses contes.
Moide Ani, Moide Ani, en terre étrangère, Ben Zimet ne se souvient pas des prières, qu’il n’a jamais essayé de retenir, mais son attachement au ciment du passé demeure.

Son fils Joseph est le mari de Rama Yade, secrétaire d’État.

Il est aussi écrivain, peintre, et ouvert au monde.

Troubadour de la langue du peuple, celle des « boniches et des charretiers » mais aussi celle d’immenses poètes : Gebirtig, Manger, Lutski,…et de tant d’anonymes.

Quelques mots de rappel sur le yiddish :

Cette langue, dérivée de l’Allemand médiéval et parlée en Pologne, Ukraine et Russie, l’a élevée dans le respect de son peuple.
Le yiddish est plus qu’une langue c’est un territoire portatif. Langue de l’intime et du foyer. Cette langue qui semble avoir métabolisé le malheur était aussi et surtout une langue de joie. Elle était la langue vernaculaire, la langue profane de tous les jours : celle du charretier, celle du marchand de harengs, celle des prostituées, celle du poète. Et puis les femmes n’ayant pas le droit d’apprendre en ce temps l’hébreu, le yiddish fut leur causerie, leurs railleries, leurs chansons. C’était la langue laïque des gens du quotidien, celles des causeries interminables, celle de la vie, celle de la truculence et non pas ce qui semble rester : la langue des cendres. Ce n’est pas la langue des prières, mais la langue d’un mode de vie. La plus jeune des langues européennes, avec seulement 400 ans.

Dérivé de l’allemand moyenâgeux de la région du Rhin, (dont il a conservé une grande part de vocabulaire) et emporté comme une langue autonome par les émigrants vers l’Europe de l’Est, il a emprunté la syntaxe et de nombreux mots slaves et hébreux, voire araméens ou persans et, plus récemment, des termes anglo-américains. Puisqu’il s’écrivait en caractères hébraïques, donc sans voyelles, sa prononciation variait d’une région à une autre.

Elle était vivante et sonore, et parlée depuis le quinzième siècle. Elle avait reçu tous les affluents des contes bibliques, talmudiques, et contes populaires.

Cette langue ductile souple, presque orale aura servie aussi bien aux blagues qu’à la célébration en tant qu’alphabet de la mort des derniers messages de toute une génération brûlée vive par le nazisme, et pour les rares survivants, langue décapitée par le stalinisme. Langue à parfum de souffrance, à incarnation de la nostalgie, le yiddish était devenu la musique d’un peuple. Sa face de joie nous revient dans le vide douloureux de l’absence, aussi elle se teinte elle aussi de tristesse. Ses millions de gens qui parlaient le yiddish semblent murmurer encore ces voyelles, et toutes ces personnes marchent vers nous maintenant. Il ne naîtra plus jamais un juif polonais parlant yiddish.
L’art de Zimet s’abreuve à trois sources : les références bibliques ; le monde de Khelm, petite ville de Pologne d’où venait son père ; les références hassidiques, les contes mystiques. « Les récits de cette tradition se trouvent dans la Hagada, le Talmud et le Midrash. Le folklore juif plus récent a souvent été coulé dans la matrice traditionnelle des commentaires rabbiniques, avec certains emprunts aux différents pays d’adoption du peuple juif" nous dit Ben Zimet.

Sa soif de justice et de rencontres l’a amené aussi bien à faire sur les traces du poète Aaron Lutski la célébration du Swing Yiddish.

Il nous raconte la fusion entre la musique juive de l’Europe de l’Est et la musique populaire américaine, surtout le Blues et le Jazz.

Cette immense migration des années 1880 jusqu’au début de la première guerre mondiale - plusieurs millions de personnes fuyant la misère, les pogroms, les patates de tous les jours, a donné ce choc avec la rencontre de ce pays mythique en eux et l’Amérique de la liberté. New York et sa statue (voir l’Émigrant de Chaplin) seront une révélation.
Et Ben Zimet chante le trajet de Varsovie à Broadway ! Et cette fusion des affinités entre les musiques d’opprimés, et cet immense besoin de liberté que chacun portait en lui.

Le trajet musical fut celui du mélange des sources, entre celles profondes de la culture Yiddish et celles tout aussi meurtries du Blues.

Et Ben Zimet aura voulu créer tout simplement le Yiddish Blues, avec sa passion, son exigence de la justice qui en fit un précurseur de la paix, parfois accueilli de façon houleuse dans sa propre communauté qui ne lui pardonnait pas de chanter à côté de mouvements palestiniens.

Ben Zimet est le porte-parole du Yiddishland, lui pour qui "le yiddish est le breton des Juifs". Avec sa belle tête de patriarche, de prophète, avec sa barbe de prophète et son œil malicieux, il devient l’un des derniers grands passeurs de l’oralité d’un peuple sans voix.

De sa voix profonde, avec son physique étonnant d’errant de tous les chemins, Ben Zimet s’impose comme le grand troubadour actuel du peuple Yiddish. Mais pétri de la générosité des victimes, il chante aussi bien les cendres vives d’un peuple sans se détourner des autres peuples.

Chanteur de blues, de tous les blues.
Il chante "l’incessant tourbillon du monde que pleure le violoncelle... Ce sont les pleurs des morts qui montent de la terre...Pourquoi pleurent-ils ? Que nous veulent-ils ? " (Aaron Lutski)
Ben Zimet a apporté une partie de la réponse.

Gil Pressnitzer

Pour illustrer ce texte sur Ben Zimet un poème d’Itsik Manguer qu’il a contribué à faire connaître

Moi, le troubadour
Moi, le Troubadour,
Avec le vent dans mes cheveux,
Nous sommes là, debout,
Sous les pâles lanternes de la nuit
Agitant des mouchoirs plein de sang
Pour dire adieu pour toujours
À notre malheur qui nous colle
À notre Étoile.
D’ici, nous partons vraiment,
Avant même que les blés ne soient mûrs
Avant même que les fleurs ne se soient fanées.
Moi, la Troubadour,
Avec le vent dans mes cheveux,
Nous, qui avons accouché la beauté dans la cave,
Nous sommes là, debout,
Tous épuisés
Et lassés de nous-mêmes, de l’Étoile et de la chanson...
Nous partons vraiment,
Vers de sombres Torahs plus tranquilles,
Avant même que les blés ne soient mûrs
Avant même que l’avoine ne soit prête à couper.
Et peut-être, comme des statues silencieuses et bleuâtres
Dans les blafardes soirées de Septembre
Nous dresserons-nous
Dans vos recoins,
Ni vus ni connus,
Seuls...
Et nous martèlerons de nos tristes doigts
Pour vous rappeler
Que nos vies, elles, se sont fanées
Avant même que las blés ne soient mûrs
Avant même que l’avoine ne soit prête à
couper. Et soudain, vous percevrez le mot
Même le plus faible à entendre
Et vous resterez assis
Saisis, plongés dans vos pensées, comme
absents...
Tandis qu’au-dessus de vos têtes
Se brûleront des étoiles
Et d’effroi,
Vous tomberez à genoux,
Pour ceux,
Pour tous ceux
Dont les vies ce sont déjà
Fanées
Avant même que les blés ne soient mûrs,
Avant même que l’avoine ne soit prête à
couper

Discographie

Chants yiddish CD album 01/1990 Ben Zimet Buda Records

Ben Zimet et ses musiciens au théâtre de la Ville1993 Scalen disc

Contes Yiddish avec Eddy Schaff 1997 L’ autre Label

Et le yiddish orch CD album live 2002 Ben Zimet Talila Abeille Musique -

Yiddish cafe CD album ( 2 volumes ) 05/1994 Ben Zimet Talila -

Yiddish atmosphere CD album 02/2000 Ben Zimet Talila

Yiddish CD album 10/2001