Bevinda

Quand appareille le chant de la nostalgie

Bevinda est avec Misia, Cristina Branco, Mariza, la nouvelle révolution des œillets du fado.
D’ailleurs Césaria Evora, notre amie "Cise" la prend toujours en première partie quand elle chante là-bas, au Portugal.

Fidèle à notre bonne Césaria, qui a le goût musical aussi sûr que son goût pour les boissons fortes de l’âme et du corps, voici Bevinda.
Elle chantera parfois des larmes issues du fado d’Amalia Rodriguez, et le plus souvent la terre et l’air d’autres chants qui se rejoignent.

Vivant à Paris, elle connaît aussi le poids de l’exil voulu, sans renoncer à toutes les mélancolies lusitaniennes qui font que le chant s‘élève.
Fado de Paris, Bevinda bouleverse et renoue avec cette profonde houle aux multiples visages qu’est le chant d’amour portugais où nichent le désespoir, la beauté lasse, et tous les bateaux noirs des relations humaines.

Le fado est cette mémoire à terre des marins portugais, cette mémoire qui s’en va boire dans les bouges et les ruelles de Lisbonne.
Depuis les premières traces vers 1840, la houle de la mélancolie a roulé bien des nostalgies salées ou dessalées, quelques raies de lumière d’espoir aussi, mais ce climat inimitable de "Saudade", de vague à l’âme, continue à chalouper dans les têtes.
Bevinda en est l’héritière, ajoutant les circonstances aggravantes de l’exil.
Née à Fundao au nord-est du Portugal, elle vit depuis l’âge de deux ans en France.
Ses racines la rattrapent, et l’oiseau de la langue portugaise se remet à chanter dans le buisson des questions de sa vie.

Bevinda envoûte, dépayse, car sa voix est un voyage. Et elle, la migrante, la déplacée aux quatre coins de France, la rescapée des frivolités, chante juste car ses racines ne lui ont pas été données, elle a dû les refaire fleurir.
Fidèle à l’essence même du fado, car il est toujours le temps de chanter l’infini de l’attente et de la pluie des sentiments, Bevinda devient naturellement une des grandes voix contemporaines de cette musique si particulière, à fleur d’âme.

Tous ces jours où rien ne se passe, ces nuits où l’absence de l’autre est trop forte forment l’essence de ses deux disques : "Fatum", et "Terra e Ar" puis son hommage à Pessoa et au Brésil tout récemment.

Et là est son apport à l’art du fado : Bevinda fait entrer la terre et l’air dans cette mélancolie à l’arrêt, et les voiles des bateaux et des sentiments se gonflent.
Le fado contemporain de Bevinda chante la joie de l’errance, le mouvement vers, à la fois, l’intime et les vagues du large.

Ses amis musiciens (accordéon, guitare, percussions...) tissent la mer nue et changeante qui porte sa voix forte et généreuse.
Sous la langue portugaise chuchotée, est le fruit lascif de toutes les mélancolies.

Bien sûr son fado n’est en rien classique, l’accordéon y pleure, les rythmes de bossa nova y affleurent, et sa nostalgie dépasse le cadre d’un seul pays pour étendre son ombre légère sur toute la face du monde.

Non, Bevinda ne demeure pas au pays du chagrin, car toute tristesse est inhabitable, elle ouvre les fenêtres de sa voix brûlante au vent du large, aux passants amoureux.
Suivant le chemin lui-même emprunté par Cesaria Evora, Bevinda a largué les amarres du fado pour aller vers une autre Lusitanie. La musique brésilienne est maintenant sa deuxième patrie.

Gil Pressnitzer